Syllogisme judiciaire
Le syllogisme judiciaire est une utilisation par le juge, pour élaborer sa décision, de la figure de raisonnement logique appelée syllogisme.
Dans les pays ayant recours à une procédure accusatoire et contradictoire, c'est aussi une méthode de rédaction des actes de procédure par les avocats[1].
Fonctionnement
La démarche du juge, saisi par une partie, consiste à établir les faits à partir des données qui lui sont fournies, puis à leur donner une qualification juridique. C'est alors qu'il est en mesure d'appliquer à la personne jugée la peine prévue par le droit pénal en vigueur, ou, en matiÚre civile, la décision conforme au droit applicable.
La figure du syllogisme utilise deux prémisses (dites « majeure » et « mineure ») propositions données et supposées vraies, permettant de valider la véracité formelle de la conclusion.
La « majeure » est la rÚgle de droit qui définit abstraitement un acte et lui confÚre des effets juridiques.
La « mineure » consiste dans les faits établis qui répondent aux conditions fixées par cette rÚgle.
La « conclusion » permet d'appliquer aux faits les conséquences juridiques prévues par la rÚgle.
Adrien Duport décrit l'acte de juger comme « un syllogisme dont la majeure est le fait, la mineure la loi et le jugement la conséquence[2]. »
Selon le positivisme juridique
Si l'on rĂ©duit le raisonnement judiciaire Ă une dĂ©marche syllogistique, la dĂ©cision judiciaire devient en quelque sorte mĂ©canique. Le juge ne dispose ni de la rĂšgle de droit, qui lui est fournie en majeure par le systĂšme juridique auquel il appartient, ni des faits, qui lui sont donnĂ©s en mineure par les parties (le ministĂšre public, les plaideurs) ni mĂȘme de la solution qui dĂ©coule des prĂ©misses. La logique formelle exclut lâarbitraire du juge et rapproche le droit d'une science, dont les rĂ©sultats deviennent certains et prĂ©visibles.
Ainsi Montesquieu peut-il dire : « les juges de la nation ne sont [...] que la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des ĂȘtres inanimĂ©s, qui nâen peuvent modĂ©rer ni la force ni la rigueur »[3].
Cette thĂ©orie, qui dĂ©nie au juge toute latitude, a pris le nom de positivisme juridique. NĂ©e Ă lâĂ©poque de la RĂ©volution française, elle sâest imposĂ©e pendant le XIXe siĂšcle, Ă la faveur de la thĂ©orie de la souverainetĂ© de la loi.
La loi, expression de la volontĂ© nationale[4], est alors : le juge ne peut que l'appliquer sans chercher Ă lâinterprĂ©ter. Ses dĂ©cisions sont « aussi impersonnelles et aussi uniformes quâun calcul ou quâune pesĂ©e »[5]. Le positivisme juridique vise Ă faire du droit une science, conformĂ©ment au projet de son temps.
En France, cette doctrine est reprĂ©sentĂ©e par lâĂ©cole dite de lâexĂ©gĂšse (Jean Baptiste Victor Proudhon, Charles-Bonaventure Marie Toullier, Raymond ThĂ©odore Troplong, Charles Demolombe). Le principal reprĂ©sentant de ce courant est le juriste Hans Kelsen.
Limites
Le syllogisme judiciaire présuppose des prémisses incontestables. Or l'interprétation de la loi, l'établissement des faits et leur qualification sont des phases préalables qui sont discutées et font tout l'enjeu du procÚs. La décision du juge n'est donc pas mécanique. Des considérations d'équité, au sens plus large de la justice, peuvent interférer pour que le jugement soit juste ou raisonnable[5] et accepté par la collectivité.
Certains auteurs, comme Michel Troper, analysent lâinterprĂ©tation du juge comme un acte de volontĂ©, et non de connaissance. C'est alors le juge qui transforme par son pouvoir juridictionnel un Ă©noncĂ© en norme, empiĂ©tant ainsi sur la place dĂ©volue au lĂ©gislateur[6].
Bibliographie
Ouvrages
- Julien Bonnecaze, LâĂcole de l'exĂ©gĂšse, sa doctrine, ses mĂ©thodes, Paris, De Broccard,
- ChaĂŻm Perelman, Le champ de lâargumentation, Presses universitaires de Bruxelles, .
- Chaïm Perelman, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Paris, Dalloz, .
- Buffon Bertrand, « Chapitre 18. Rhétorique juridique et judiciaire », in « La parole persuasive », Paris, Presses Universitaires de France, coll. « L'Interrogation philosophique », (lire en ligne), p. 451-460 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Articles
- Pauline RĂ©my, « Ăloge de l'ExĂ©gĂšse », Droits, no 1,â , p. 115 et s.
- Jean-Marc Le Masson, « La recherche de la vĂ©ritĂ© dans le procĂšs civil », Droit et sociĂ©tĂ©, vol. 38, no 1,â , p. 21-32 (lire en ligne)
- MikhaĂŻl Xifaras, « LâÌEcole de lâExĂ©gĂšse Ă©tait-elle historique ? Le cas de Raymond-ThĂ©odore Troplong (1796-1869), lecteur de Friedrich Carl von Savigny, Mohnhaupt Heinz, KervĂ©gan Jean-François. Influences et rĂ©ceptions mutuelles du droit et de la philosophie en France et en Allemagne », Klostermann,â , p. 177-209 (lire en ligne)
Notes et références
- Barreau du QuĂ©bec, Collection de droit 2019-2020, Collection des habiletĂ©s, RĂ©daction, Cowansville, Ăditions Yvon Blais, 2020.
- Michel van de Kerchove et François Ost, Le SystÚme juridique entre ordre et désordre, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Les Voies du droit » (no 5), , 354 p. (ISBN 2-13-041939-9), p. 70.
- Montesquieu, Esprit des Lois, Liv. XI. Chap. VI., Garnier, (lire en ligne), p. 327
- Raymond Carré de Malberg, La Loi, expression de la volonté générale, Paris, Economica,
- Buffon Bertrand, Chapitre 18. Rhétorique juridique et judiciaire in "La parole persuasive", Paris, Presses Universitaires de France, (lire en ligne), p. 451-460 [9] [41]
- Michel Troper, Le problĂšme de lâinterprĂ©tation et la thĂ©orie de la supra-lĂ©galitĂ© constitutionnelle in MĂ©langes Eisenmann, Paris, Cujas, , p. 143