Société anonyme à participation ouvrière
En droit français, une société anonyme à participation ouvrière ou SAPO est une variété de société anonyme où coexistent deux types d'actions : de classiques actions de capital d'une part et des « actions de travail » d'autre part (article L.225-260[1] du Code de commerce). Ces actions de travail ne sont pas attribuées aux salariés eux-mêmes mais à la collectivité des salariés, via une société coopérative de main-d’œuvre (C. com., art. L.225-261[2]).
Origine
Initiée par la loi Briand du , la SAPO est la première réelle tentative de représentation des salariés dans les sphères de direction de la société anonyme. Les règles de fonctionnement de cette société ont été modifiées par la loi no 77-748 du et sont aujourd'hui intégrées au code de commerce (C. com., art. L. 225-258 à L. 225-270[3]).
Fonctionnement
La SAPO est donc une société anonyme à l'intérieur de laquelle existe une structure dénommée « société coopérative de main-d’œuvre », groupement qui n'a de société (et de coopérative) que le nom et qui n'a en fait pour objet que de permettre aux salariés qui en font automatiquement partie de participer à la gestion et aux résultats de la société anonyme qui l'englobe.
Via cette société coopérative de main-d’œuvre, les salariés qui agissent par l'intermédiaire de représentants désignés peuvent donc participer, dans la mesure des actions de travail, aux assemblées générales et conseils d'administration, à la distribution des dividendes et donc non seulement à la vie mais encore à la prospérité de la société.
La société anonyme à participation ouvrière (SAPO) a été instituée par la loi du . Elle est dite « loi Briand » parce qu’elle porte le nom de l’ancien Président du Conseil de la Troisième République, instigateur de la loi avec M. Chéron, alors ministre du Travail, et M. Deloncle rapporteur du projet de loi devant le Sénat le . Depuis cette date, et comme le constatait, dès 1919 Henri Mouret, avocat à la Cour d’Appel de Toulouse, peu de sociétés anonymes anciennes ou nouvelles ont adopté la forme à participation ouvrière, parce que trop avant-garde, sans doute. En effet lors de la Première Guerre Mondiale, le statut de SAPO pouvait sembler en décalage avec les préoccupations de l’époque. Mais depuis, la législation en matière de droit du travail, droit des sociétés, a fortement évolué. L’actualité a rattrapé la SAPO, à la suite de l'adoption de nombreuses lois traitant de l’actionnariat salarial et des différentes formes de participation. Dans les lois actuelles nous retrouvons l’esprit des deux caractéristiques fondamentales de la SAPO, premièrement la reconnaissance de l’apport en industrie, et deuxièmement que la rémunération de cet apport repose sur la distribution collective d’un dividende de travail.
En effet, la loi du fait référence à la création d’ « un dividende du travail » reposant notamment, sur un supplément d'intéressement ou de participation, et sur des attributions d'actions gratuites aux salariés par les entreprises. Cette évolution législative peut être l’occasion de redécouvrir la SAPO, car la loi de 1917 repose justement sur l’attribution gratuite d’actions de travail aux salariés ; elle leur donne droit, notamment à un dividende de travail versé en fonction des bénéfices annuels de l’entreprise. Ce dividende n’est dû qu’après paiement d’un premier dividende réservé aux actions de capital ; il rémunère ainsi le capital apporté dans l’entreprise. La deuxième loi qui réactualise la SAPO, loi LME du permet d’étendre la notion d’apports en industrie dans les SAS à compter du . L’apporteur en industrie se voit attribuer, en contrepartie des actions inaliénables. Celles-ci rappellent également les actions de travail attribuées collectivement aux salariés des SAPO. Elles sont aussi inaliénables et appartiennent à la coopérative de main d’œuvre (la SCMO) qui regroupe obligatoirement l’ensemble du personnel de la société.
Ce préambule démontre combien l’idée originale de la SAPO et ses particularités juridiques, loin d’être désuètes, sont au contraire d’une grande actualité. De plus, au rebours des idées reçues, elle laisse lors de sa création et de la rédaction de ses statuts, une grande liberté aux dirigeants pour définir les modalités exactes de la participation qu’ils souhaitent accorder aux salariés.
Les actions de travail qui représentent la participation des salariés dans l’entreprise peuvent être fonction des actions de capital (les actions classiques). Ce choix a pour principale conséquence de maintenir tout au long de la durée de vie de la société, une parité équivalente entre les actions de travail et les actions de capital. En cas d’augmentation de capital, la règle de proportionnalité permet aux actions de travail d’augmenter dans les mêmes proportions que les actions de capital créées, préservant ainsi le système de la SAPO. La possibilité de lier le nombre des actions de travail aux actions de capital s’explique par la nature de l’apport des salariés, à savoir leur « force de travail », qui constitue une variante collective de l’apport en industrie. Les salariés ne peuvent pas, sur cette base, effectuer de nouveaux apports ; les actionnaires équilibrent donc entre eux, la part qu’ils prennent dans un capital en évolution. Cette option permet au système de la SAPO de perdurer en maintenant une équité entre les actions de travail et les actions de capital. Par contre, un tel mécanisme peut freiner des investisseurs extérieurs peu désireux de voir une partie de leur investissement rétribuer les salariés. Si cette optique inquiète le dirigeant intéressé par la SAPO, rien ne l’empêche d’opter pour une participation des salariés qui n’est pas fonction des actions de capital et qui peut ainsi être diluée lors des opérations d’augmentation de capital.
Ainsi la SAPO mérite-t-elle d’être redécouverte, car elle constitue une alternative crédible aux différentes formes d’actionnariat salarial déjà existantes et plus couramment utilisées[4]. "La SAPO, entre centenaire et nouvel horizon" Michel LULEK et Roger DAVIAU, Revue RECMA No 346
Absence de succès de la SAPO
Il faut relever que cette institution originale a été créée à une époque où il n'existait aucun mode de représentation du personnel, de participation à la gestion ou aux bénéfices.
Pour autant, la part réservée aux salariés dépend exclusivement des apporteurs de capitaux, et les esprits demeuraient marqués par un fort conservatisme idéologique en une Europe troublée (guerre mondiale, montée du communisme…).
Cela explique le fait que ce type de société n'a, en pratique, rencontré que très peu de succès. Les actionnaires y ont préféré l'introduction plus progressive de moyens de participation des salariés dans la vie de l'entreprise, tels qu'institution des délégués du personnel et du comité d'entreprise, intéressement, plan d'épargne entreprise[5]…
Après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs entreprises de presse adoptent le statut de SAPO (mais aussi de coopérative de production)[6]. Nice-Matin en fut un exemple[7].
Ambiance Bois est un exemple de SAPO régie par les principes coopératifs, créée en 1988[8].
Nova Construction, fondé par Eric Pellerin, est également un exemple de SASPO[9].
La compagnie aérienne UTA avait adopté le statut de SAPO. Lors de la fusion-absorption d'Air France par UTA en 1992, la nouvelle entité conserve un temps ce statut[10]. En 1995, Air France abandonne le statut de SAPO pour celui de société anonyme[11].
Notes et références
- Article L.225-260 du Code de Commerce
- Article L.225-261 du Code de Commerce
- Articles L.225-258 à L.225-270 du Code de Commerce
- La société anonyme à participation ouvrière, une solution d’avenir pour les entreprises d’aujourd’hui, BOULEY Eric, Novembre 2009, BIBLIOTIQUE.
- Sources : P. Le Vey, Juris-Classeur Sociétés, fascicule 173-50
- Le Floch Patrick, « La régulation de la presse entre les corporations et l'État. », Le Temps des médias 1/2006 (no 6) , p. 59-71 URL : www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2006-1-page-59.htm.
- « Nice-matin, une page inédite dans l’histoire de la presse », sur Club de Mediapart, (consulté le ).
- « Alternative économique »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?)
- « Une SASPO, qu’est-ce que c’est ? – Nova Construction » (consulté le )
- « Fusion Air France - UTA », sur senat.fr (consulté le ).
- Nathalie BENSAHEL, « Air France troque son vieux statut contre celui de société anonyme », Libération, (lire en ligne, consulté le ).