Sealioning
Le sealioning (litt. « faire le lion de mer ») est un type de trollage ou de harcèlement qui consiste à importuner des gens par des demandes insistantes d'arguments ou bien des questions répétées, tout en maintenant une apparence de courtoisie et de sincérité[1] - [2] - [3] - [4]. Il s'agit parfois d'invitations à engager un débat, faites de façon incessante et en toute mauvaise foi[5]. Le néologisme vient de l'anglais sea lion, otarie, et fait référence à une bande dessinée où figure un dialogue dans lequel une otarie harcèle son interlocuteur.
Description du comportement
Le troll internet feint l'ignorance et la politesse de telle sorte que sa cible soit poussée à produire une réponse colérique ; le troll peut ensuite prétendre être offensé[6] - [7]. Le sealioning peut être pratiqué par un troll isolé ou par plusieurs trolls agissant de concert. La technique de sealioning a été comparée à celle du mille-feuille argumentatif et est métaphoriquement décrite comme une attaque par déni de service ciblant un être humain[8].
Un article dans la collection Perspectives on Harmful Speech Online, publié par le Berkman Klein Center for Internet & Society d'Harvard note :
« Sur le plan rhétorique, le troll usant de sealioning combine des questions insistantes — souvent sur des informations basiques qui peuvent facilement être trouvées ailleurs, ou des hors-sujets plus ou moins flagrants — avec une requête fortement appuyée de s'engager à un débat raisonnable. Il déguise sa démarche comme une tentative sincère d'apprendre ou d'échanger. Le sealioning fonctionne ainsi à la fois pour user la patience, l'attention et les efforts de pédagogie de la cible mais aussi pour dépeindre cette cible comme étant irrationnelle. Bien que les questions du troll semblent innocentes, elles ont un objectif malfaisant et ont des conséquences nuisibles. »
— Amy Johnson, Berkman Klein Center for Internet & Society (mai 2019)[8]
Le sealioning peut être efficace pour faire dérailler une conversation dans une communauté internet et polariser le débat. Parfois, un troll pose une question suggestive ou trompeuse pour amener sa cible à dépenser beaucoup d'énergie à produire de longues explications. Il peut aussi s'agir de demandes répétées de fournir des preuves même dans des cas où de telles preuves sont impossibles à produire, comme la preuve de l'inexistence de certains phénomènes ou la preuve de l'inexistence de lien entre différentes entités.
Origine du mot
Ce terme vient d'une bande dessinée en ligne datant de 2014, Wondermark de David Malki[9], dans laquelle un personnage exprime son dégoût pour les otaries (sea lion en anglais). Une otarie fait alors intrusion, pour lui demander avec insistance d'expliquer sa déclaration ; elle critique son point de vue d'une façon exagérément polie, et le suit jusque dans l'intimité de sa maison[10]. "Sea lion" connaît une conversion lexicale rapide. "Sealioning", terme renvoyant au trollage sur internet, gagne en popularité. Il est utilisé pour décrire le comportement des gens participant à la controverse du Gamergate[11] - [12].
En 2016, une étude publiée dans le First Monday (une revue universitaire spécialisée dans l'étude d'internet) centre ses recherches sur les utilisateurs du subreddit controversé du Gamergate /r/KotakuInAction. Les participants sont interrogés sur ce qui constitue selon eux du « harcèlement ». Certains utilisateurs répondent que « les manifestations de sincère désaccord » sont considérées comme du harcèlement par les opposants du forum et que le terme de sealioning est utilisé pour faire taire des demandes légitimes de preuves[13].
Problème de la parade
Selon The Guardian, d'une manière générale, le « sea lion » se gère comme tout troll : en l'ignorant. L'inconvénient est que le « sea lion » suspecté peut être également une personne réellement curieuse qui voudrait en savoir plus. Face à une question dont la réponse pourrait demander une grande dépense d'énergie, The Guardian conseille donc de rediriger le quémandeur vers une ressource tierce (un reportage par exemple)[7].
Des universitaires de l'Université de technologie de Delft et TU Eindhoven indiquent une des difficultés que pose le sealioning : il semblerait que les « sea lions » puissent « avoir de leur côté John Stuart Mill ». Ce dernier estime que les opinions fausses ont un intérêt dans la mesure où leur expression conduit au débat, qui est l'une des meilleures méthodes pour atteindre la vérité, et que le refus du débat risque de provoquer un abaissement du savoir au rang de « dogme mort ». Les universitaires ajoutent qu'il reste beaucoup à faire pour établir une méthodologie qui permette de savoir quand couper le débat ou bien s'y engager pour garantir sa position concernant les connaissances établies[1].
Voir aussi
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Sealioning » (voir la liste des auteurs).
- Bailey Poland, Haters: Harassment, Abuse, and Violence Online, University of Nebraska Press, , 144–145 p. (ISBN 978-1-61234-766-0, lire en ligne [archive du ])
- (en-US) Anita Sarkeesian, « Anita Sarkeesian's Guide to Internetting While Female », Marie Claire, (lire en ligne [archive du ], consulté le )
- (en) Daniel Chandler et Rod Munday, A Dictionary of Social Media, Oxford University Press, (ISBN 9780192518521, OCLC 952388585, lire en ligne [archive du ])
- Robert Bloomfield, « The LAAPs that foster productive conversations and the crebit that undermines them », Accounting, Organizations and Society, vol. 68–69, , p. 125–142 (DOI 10.1016/j.aos.2018.06.004) :
« Consider a website that seeks to provide a venue for productive conversations among those who own and love cats. Their conversations are likely to be undermined by those who want to foster a preference for dogs (haters), as well as those who simply enjoy undermining conversations for its own sake (trolls). They can expect these haters and trolls to raise faulty arguments about the evils of cats faster than they can be rebutted (the Gish Gallop); to pretend sincerity in asking repeatedly for evidence on the benefits of cats (sealioning)... »
- E. Sullivan, M. Sondag, I. Rutter, W. Meulemans, S. Cunningham, B. Speckmann et M. Alfano, « Can Real Social Epistemic Networks Deliver the Wisdom of Crowds? » [archive du ] [PDF], sur The PhilPapers Foundation (consulté le ), p. 21
- (en-GB) Jessica Lindsay, « Sealioning is the new thing to worry about in relationships and online », Metro.co.uk, (lire en ligne [archive du ], consulté le )
- (en) Chris Stokel-Walker, « How to handle a troll ... and neuter a sea lion » [archive du ], sur The Guardian, (consulté le )
- Amy Johnson, « The Multiple Harms of Sea Lions » [archive du ], Berkman Klein Center for Internet & Society, (consulté le ), p. 14
- « Wondermark #1062 » [archive du ], (consulté le )
- (en) Kerry Maxwell, « Definition of Sea lion » [archive du ], sur Macmillan Dictionary, (consulté le )
- Shagun Jhaver, Sucheta Ghoshal, Amy Bruckman et Eric Gilbert, « Online Harassment and Content Moderation: The Case of Blocklists », ACM Transactions on Computer-Human Interaction, vol. 25, no 2, , p. 12 (DOI 10.1145/3185593)
- Adrienne L. Massanari, « 'Damseling for Dollars': Toxic Technocultures and Geek Masculinity », dans Rebecca Ann Lind, Race and Gender in Electronic Media: Content, Context, Culture, (ISBN 9781317266129, OCLC 948090024) :
« For supporters [of Gamergate], however, the hashtag became an effective way to swarm the mentions of users perceived as not sharing their views, which became known colloquially as 'sea lioning' (Malki, 2014). »
- Shagun Jhaver, Larry Chan et Amy Bruckman, « The view from the other side: The border between controversial speech and harassment on Kotaku in Action », First Monday, vol. 23, no 2, (DOI 10.5210/fm.v23i2.8232, arXiv 1712.05851, lire en ligne [archive du ], consulté le )
Bibliographie
- (en) Chris Stokel-Walker, « How to handle a troll ... and neuter a sea lion » [archive du ], sur The Guardian, (consulté le )
- (en) Amy Johnson, « The Multiple Harms of Sea Lions » [archive du ], Berkman Klein Center for Internet & Society, (consulté le ), p. 14