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Pour une politique de civilisation

Pour une politique de civilisation est un essai issu d'un ouvrage éponyme d'entretiens entre Sami Naïr avec Edgar Morin, publié en 1997[1]. Edgar Morin a extrait le texte écrit de sa main qui traite des déficiences et des carences de notre civilisation, qui ne sont pas qu'économiques et monétaires, et invite à mettre en place une politique de civilisation basée sur la régénération de la vie sociale, de la vie politique incluant l'écologie et de la vie individuelle[2].

Pour une politique de civilisation
Auteur Edgar Morin
Éditeur Arléa
Date de parution 2002
Nombre de pages 79
ISBN 9782869593220

Il s'agit d'« une voie et non d'un programme politique, ni d'un projet de société »[3]. Il appelle à refuser la régression, à résister à la mort pour œuvrer vers la métamorphose de notre civilisation[4].


Les maux de notre civilisation

L’auteur part du principe que « les développements de notre civilisation en menacent les fondements »[5]. Il constate que l’être humain pense que les externalités négatives produites par notre civilisation pourront progressivement se faire inclure dans la civilisation par autorégulation. Il critique une civilisation basée sur la quantité et non la qualité[6] et « les chantres du progrès, pour qui la science, la technique, l'industrie, [le capitalisme et sa mondialisation de l'économie, l'exode rural et l'urbanisation] portaient dans leurs développements même la promesse de l'épanouissement humain »[7]. Selon lui « au sein de la civilisation occidentale, l’élévation du niveau de la vie est gangrénée par l’abaissement de la qualité de vie »[8].

Au-delà des apports positifs, Edgar Morin analyse les conséquences négatives du progrès en général :

  • La technique : « Ainsi la technique permet aux hommes d’asservir les Ă©nergies naturelles. Mais c'est aussi ce qui permet d’asservir les hommes Ă  la logique dĂ©terministe, mĂ©caniste, spĂ©cialisĂ©e, chronomĂ©trĂ©e de la machine artificielle »[9].
  • la bureaucratisation dans les administrations comme dans les entreprises[10],
  • le dĂ©veloppement industriel : dĂ©gradation Ă©cologique et des qualitĂ©s de vie,
  • le dĂ©veloppement capitaliste : recul des solidaritĂ©s, des biens communs non monĂ©taires, et de la convivialitĂ©,
  • les dĂ©veloppements Ă©conomiques et Ă©tatiques : recul des protections sociales. « L’état assistantiel est de plus en plus indispensable et contribue Ă  la dĂ©gradation de solidaritĂ©s concrètes, sans pour autant rĂ©pondre aux problèmes de plus en plus criants de la solidaritĂ© sociale »[11]
  • l'exode rural et le dĂ©veloppement urbain : Il dĂ©plore une crise du lien social explicable par le dĂ©veloppement d’un capitalisme global qui marchandise tout ce qu’il peut. Cette crise du lien social s’explique aussi par le renforcement du rĂ´le de l’État. Notamment, la grande famille s'est dĂ©sintĂ©grĂ©e au profit du couple-nuclĂ©us Ă  un/deux enfants, accroissement des solitudes et de la pauvretĂ©,
  • l'individualisation exacerbĂ©e : Il cite « la mĂ©tastase de l'ego, [les dĂ©liaisons], entre la famille et l'Ă©cole, entre parents et enfants, entre les savoirs, la perte de dialogue avec soi-mĂŞme »[12].

Il constate qu'« il y a crise dans la relation fondamentale entre l'individu et sa société, l'individu et sa famille, l'individu et lui-même »[11]. Le mal-être du bien-être se concrétise dans l'accroissement des maladies somatiques, psychiques et sociales-civilisationnelles[13]. Les maux de notre société se traduisent de manière concrète par l’augmentation de la consommation d’antidépresseurs et autres psychotropes ou bien encore par la crise des banlieues.

Les promesses révolutionnaires se sont effondrées (recul du communisme, des mouvements maoïstes, trotskistes, anarchistes, autres.)[14].

La conjonction de l'égocentrisme, de la spécialisation, de la compartimentation professionnelle déterminent l'affaiblissement de la solidarité, du sens de la responsabilité et la dégradation du sens moral[15]..

Le progrès des connaissances s'accompagne d'une régression de la connaissance et de sous-développements intellectuel, affectif et moral.

L'épanouissement démocratique en Europe occidentale s'accompagne de régressions démocratiques[16].

En conclusion de l'analyse , Edgar Morin signale que pour lui « ce qui est en cause est beaucoup plus que notre idée de modernité (postmodernité, transhumanisme, etc.), c'est à la fois notre idée de civilisation et notre idée de développement »[17].

De même il considère le progrès technique comme pouvant être libérateur « à condition d’accompagner la mutation technique par une mutation sociale. »

Des résistances collaboratrices

« Une nouvelle résistance civile est née depuis la convergence de trois prises de conscience : la dégradation écologique, la crise de l’emploi et le dépérissement des campagnes »[18].

La société civile crée des contre-tendances allant dans le sens contraire des maux de notre civilisation. Ainsi, une économie écologique s’est mise en place avec notamment le développement de l'économie sociale et solidaire, du commerce équitable, de l'agriculture raisonnée, de monnaie complémentaire etc. présentées chacune comme des alternatives à la mondialisation libérale et productiviste.

« Ce sont ces contre-tendances et ces résistances qu’il s’agirait de réunir en faisceau, de stimuler et d’intégrer dans une politique de civilisation »[19]. Face à « une situation à la fois pré-crisique et poly-crisique »[20], ces initiatives dispersées et locales doivent être « non pas systématisées mais systémisées »[19]. « Il faut les relier pour qu’elles constituent un tout, où solidarité, convivialité, écologie, qualité de la vie, cessant d’être perçues séparément, seraient conçues ensemble »[19].

Politique de civilisation

« Ce projet de politique de civilisation, qui était le projet initial du socialisme, s’est donc trouvé soit trahi et inversé, soit effiloché. La politique de civilisation reprend l’aspiration à plus de communauté, de fraternité et de liberté, qui fut à la source du socialisme au siècle dernier, tout en y reconnaissant, cette fois, la difficulté anthropologique et sociologique »[21].

Selon Edgar Morin cette politique de civilisation est inséparable de la science. Il n'y a pas chez Morin de méfiance à l'égard du projet scientifique, mais bien plutôt à l'égard :

  • du scientisme dont son Ĺ“uvre regorge de critiques[22]
  • de l'usage technique de la science.

Une politique de civilisation repose sur les impératifs suivants[23] :

  • solidariser (contre l'atomisation et la compartimentation) : « La solidaritĂ© anonyme de l’État providence est [nĂ©cessaire mais] insuffisante »[24].
  • ressourcer (contre anonymisation), rĂ©-enraciner : « l’homogĂ©nĂ©isation, la standardisation, anonymisation tendent Ă  dĂ©truire les diversitĂ©s culturelles et Ă  faire perdre les racines »[25].
  • convivialiser (contre la dĂ©gradation de la qualitĂ© de vie) : « la qualitĂ© de la vie se traduit par du bien ĂŞtre dans le sens existentiel et non seulement dans le sens matĂ©riel »[26]. « La politique de civilisation nĂ©cessite la pleine conscience des besoins poĂ©tiques de l'ĂŞtre humain ». « [Inciter] Ă  la rĂ©duction continue du travail au profit d'activitĂ©s civiques, culturelles, et de la vie personnelle, privĂ©e et familiale avec une diminution de l'activisme »[27].
  • Moraliser (contre l'irresponsabilitĂ© et l'Ă©gocentrisme).

Edgar Morin installe ses impératifs de ressourcements républicains et laïques dans le contexte français (sans repli identitaire ni communautaire ni nationaliste), et dans les contextes européen, et planétaire[28].

La politique de régénération

Edgar Morin décline ensuite les impératifs pour une politique de civilisation, territorialement et économiquement, jusques et y compris notamment en [29]:

  • proposant une nouvelle politique agricole,
  • fondant une volontĂ© de rĂ©gĂ©nĂ©rer le tissu humain, social et culturel pour la qualitĂ© de vie dans notre sociĂ©tĂ©, pour l'emploi et l'activitĂ©,
  • crĂ©ant un système comptable qui chiffre les consĂ©quences Ă©cologiques et sanitaires de nos maux de civilisation,
  • considĂ©rant que l'altruisme de solidaritĂ© et le sentiment de responsabilitĂ© sont au cĹ“ur de la conduite morale[30].

Edgar Morin ne parle pas de la régénération de l’homme en tant qu’individu mais de la régénération de l’espèce humaine. Argument qu'il faut rapprocher de sa proposition éditée dans la Méthode de placer l'être humain au centre d'une trilogie constitutive individu-espèce-société.

Il termine son ouvrage en montrant qu'une politique de civilisation n’est pas une aberration. Il explique de plus que le rôle de l’État doit être repensé, non plus comme celui qui joue le rôle directif, mais comme celui qui donne les moyens et les cadres.

Accueil et critiques

Nicolas Sarkozy a repris l'idée à l'occasion des vœux de 2008 : « [.] une deuxième étape s'ouvre : celle d'une politique qui touche davantage encore à l'essentiel, à notre façon d'être dans la société et dans le monde, à notre culture, à notre identité, à nos valeurs, à notre rapport aux autres, c'est-à-dire au fond à tout ce qui fait une civilisation. Depuis trop longtemps la politique se réduit à la gestion, restant à l'écart des causes réelles de nos maux qui sont souvent plus profondes. [.] La politique de civilisation doit agir dans la longue durée »[31].

Edgar Morin a réagi à plusieurs reprises[32].

Notes et références

  1. Edgar Morin et Sami Naïr, Une politique de civilisation, Arléa, , 250 p. (ISBN 978-2-86959-322-0)
  2. Edgar Morin, Pour une politique de civilisation, Arléa, coll. « Arléa-poche », , 79 p. (ISBN 978-2-86959-580-4), p. 5
  3. Morin 2002, p. 6
  4. Morin 2002, p. 7
  5. Morin 2002, p. 9
  6. Morin 2002, p. 11
  7. Morin 2002, p. 10
  8. Morin 2002, p. 13
  9. Morin 2002, p. 14
  10. Morin 2002, p. 33
  11. Morin 2002, p. 18
  12. Morin 2002, p. 17
  13. Morin 2002, p. 19
  14. Morin 2002, p. 22
  15. Morin 2002, p. 24
  16. Morin 2002, p. 25
  17. Morin 2002, p. 27
  18. Morin 2002, p. 36
  19. Morin 2002, p. 38
  20. Morin 2002, p. 37
  21. Morin 2002, p. 42
  22. Edgar Morin, Science avec conscience, Seuil, coll. « Points Sciences », , 320 p. (ISBN 978-2-02-012088-3)
  23. Morin 2002, p. 45
  24. Morin 2002, p. 46
  25. Morin 2002, p. 53
  26. Morin 2002, p. 49
  27. Morin 2002, p. 52 et 53
  28. Morin 2002, p. 54 Ă  56
  29. Morin 2002, p. 57
  30. Morin 2002, p. 74
  31. « Sarkozy testera sa « politique de civilisation » dans les banlieues », sur Le Figaro, (consulté le )
  32. « La politique de civilisation ne doit pas être hypnotisée par la croissance », sur Le Monde, (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

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