Paléo-inspiration
La paléo-inspiration est un changement de paradigme qui conduit des scientifiques et concepteurs à s'inspirer de matériaux, systèmes ou procédés anciens (issus de l'art, de l'archéologie, de l'histoire naturelle ou des paléoenvironnements) pour développer de nouveaux matériaux, systèmes ou procédés, notamment dans une optique de durabilité et de création.
La paléo-inspiration a déjà contribué à de nombreuses applications[1] - [2] dans des domaines aussi variés que la chimie verte[3], la mise au point de nouveaux matériaux d'artiste, les matériaux composites, la microélectronique, ou encore les matériaux de la construction[4] - [5].
Sémantique et définitions
Si ce type d'application est connu de longue date, le concept lui-même a été forgé par des équipes du CNRS, du Massachusetts Institute of Technology et de la Haute école spécialisée bernoise à partir du terme bio-inspiration. Ils ont publié ce concept dans un article princeps publié en ligne en 2017 par la revue Angewandte Chemie[6].
Différentes appellations ont été utilisées pour désigner les applications correspondantes, notamment : paléo-inspiré[6], "antiqua-inspired"[7], "antiquity-inpired"[8] ou archéomimétique[9]. L'utilisation de ces différentes appellations souligne le décalage temporel extrêmement important entre les sources d'inspiration, depuis des millions d'années lorsqu'on considère des systèmes paléontologiques et des fossiles, jusqu'à des systèmes matériels archéologiques ou artistiques beaucoup plus récents, voire subactuels (issus de la création contemporaine ou du patrimoine industriel).
Propriétés recherchés
Des propriétés physico-chimiques et mécaniques distinctes sont recherchées.
Elles peuvent concerner des propriétés intrinsèques des matériaux paléo-inspirés :
- durabilité (matériaux retrouvés dans certains contextes, ayant résisté à l'altération dans ces environnements) et résistance à la corrosion ou à l'altération
- propriétés électroniques ou magnétiques
- propriétés optiques (notamment à partir de pigments ou colorants, de matériaux utilisés pour la fabrication céramique[10])
Elles peuvent aussi concerner les procédés de mise en œuvre :
- procédés à faible consommation énergétique ou en ressources, dans une optique de procédés chimiques favorisant un développement soutenable
- notamment des procédés de synthèse par chimie douce
La démarche paléo-inspirée
Cette démarche combine plusieurs étapes clés.
- Observation : Cette phase concerne les matériaux, leurs propriétés, ou bien les procédés de mise en œuvre (en relation notamment avec l'étude des chaînes opératoires en archéologie, ou bien l'histoire des techniques, notamment celle des techniques artistiques), et les processus d'altération (voire notamment les travaux réalisés en taphonomie expérimentale). Il s'agit donc d'une première phase de rétro-ingénierie. Une partie de ces études relève du champ de l'anthropologie. Comme dans le cas de la bio-inspiration, cette phase est fondamentale et s'appuie sur une démarche privilégiant une exploration créative des objets, avec peu d'a priori (sérendipité).
- Re-création : Cette première phase est suivie d'une deuxième visant à simplifier matériaux, systèmes et procédés pour identifier les mécanismes fondamentaux à l'origine des propriétés observées. Cette étape requiert un aller-retour entre la synthèse de systèmes simplifiés et caractérisation des objets d'étude.
- Conception : Enfin, s'ensuit une phase de conception ou de design, concernant donc les matériaux, systèmes ou procédés, et visant à leur mise en œuvre concrète pour des applications.
Quelques applications pratiques
Matériaux de construction durables
Parmi les exemples emblématiques figurent l'étude microscopique des phases minérales présentes dans les bétons romain pour en reproduire la durabilité dans des environnements agressifs, notamment en milieu marin[11].
Matières colorantes durables
Une découverte notable est l'élucidation de la structure atomique du bleu maya, pigment composite associant une argile à un colorant organique, qui a conduit des équipes à produire des pigments inspirés de ce pigment historique présentant d'autres couleurs, comme le "violet maya"[12].
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- Murielle Leroy, « Paléo-inspiration. L’archéologie au service de l’innovation », sur Culture et Recherche, Ministère de la Culture (France), (consulté le ).
- « Le patrimoine, gisement d’idées pour le futur? », sur CNRS Le journal (consulté le )
- Nathaniel Herzberg, « Paléo-inspiration : quand le passé invente le futur », sur le site du quotidien Le Monde, (consulté le ).
- « La paléo-inspiration, socle des constructions du futur ? », sur Leonard Vinci Building Beyond (consulté le ).
- (en) « A new perspective on ancient materials inspires future innovation », sur MIT News | Massachusetts Institute of Technology (consulté le )
- Loïc Bertrand, Claire Gervais, Admir Masic, Luc Robbiola, « Paleo‐inspired Systems: Durability, Sustainability, and Remarkable Properties », sur Wiley Online Library, (consulté le ).
- (en) « A new perspective on ancient materials inspires future innovation », sur MIT News | Massachusetts Institute of Technology (consulté le )
- (en) Katherine T. Faber, Francesca Casadio, Admir Masic et Luc Robbiola, « Looking Back, Looking Forward: Materials Science in Art, Archaeology, and Art Conservation », Annual Review of Materials Research, vol. 51, no 1, , p. 435–460 (ISSN 1531-7331 et 1545-4118, DOI 10.1146/annurev-matsci-080819-013103, lire en ligne, consulté le )
- (en) Devin Powell et Inside Science News Service, « Ancient Mayans Inspire Modern Fade Proof Dye », sur phys.org (consulté le )
- (en) Philippe Sciau et Philippe Goudeau, « Ceramics in art and archaeology: a review of the materials science aspects », The European Physical Journal B, vol. 88, no 5, , p. 132 (ISSN 1434-6036, DOI 10.1140/epjb/e2015-60253-8, lire en ligne, consulté le )
- (en-US) Paul Preuss, « Roman Seawater Concrete Holds the Secret to Cutting Carbon Emissions », sur News Center, (consulté le )
- (en) Yujie Zhang, Junping Zhang et Aiqin Wang, « Facile preparation of stable palygorskite/methyl violet@SiO2 “Maya Violet” pigment », Journal of Colloid and Interface Science, vol. 457, , p. 254–263 (ISSN 0021-9797, DOI 10.1016/j.jcis.2015.07.030, lire en ligne, consulté le )