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Notions de dieu et de divinité dans le bouddhisme

Le bouddhisme est une religion, mais la conception bouddhique du monde exclut toute "vĂ©ritĂ© Ă©ternelle" comme celle d'un Dieu crĂ©ateur[1]. Il existe des divinitĂ©s au sein du bouddhisme, en partie issues de l'hindouisme. Les croyances varient selon les courants et Ă©coles bouddhistes. Le Bouddha a atteint l'Ă©veil par lui-mĂȘme et non par rĂ©vĂ©lation.

Tara, déité populaire du bouddhisme, est à l'origine une divinité hindoue éponyme, forme de la déesse Dourgù

Selon Philippe Cornu, le bouddhisme est « une sotĂ©riologie fondĂ©e sur une phĂ©nomĂ©nologie de l’esprit et non sur une thĂ©ologie dualiste qui pose un Dieu transcendant, CrĂ©ateur distinct de ses crĂ©atures et en relation avec elles. Pour autant, il vise lui aussi un inconditionnĂ©, la bouddhĂ©itĂ©, Ă©tat transcendant propre aux ĂȘtres et tapi dans l’immanence de leur nature ultime[2]. »

La divinité du Bouddha

Bien que la notion d’un dieu crĂ©ateur soit absente de la plupart des formes du bouddhisme (elle est prĂ©sente dans des formes syncrĂ©tiques en IndonĂ©sie[3] - [4]), la vĂ©nĂ©ration et le culte du Bouddha historique (Siddhārtha Gautama) en tant que Bhagavata (un terme traditionnel de l'Inde qui prĂ©cĂšde le nom des divinitĂ©s – parfois transcrit Bhagavan ou Bhagwan)[5] joue un rĂŽle important dans le Theravāda et particuliĂšrement dans le Mahāyāna, oĂč le Bouddha est Ă©levĂ© au rang de quasi-dieu[6].

Dans certaines traditions du Mahayana (comme le Tathagatagarbha ou dans la Terre Pure) le Bouddha est dĂ©clarĂ© "omniprĂ©sent", "omniscient", "essence libĂ©ratrice de la rĂ©alitĂ©". Certains tantras dĂ©crivent le Bouddha comme la "source de tous les ĂȘtres et de tous les univers"[7]. Le Bouddha historique est perçu par l’école Jonangpa du Bouddhisme tibĂ©tain comme Ă©tant « absolu, omniprĂ©sent, connaissance suprĂȘme au-delĂ  des limitations de la conscience ordinaire »[8].

Brahma et les divinités dans le Bouddhisme des origines

Il existe des divinitĂ©s dans le bouddhisme, en plus d'un dĂ©bat ancien sur la notion d'un "ĂȘtre suprĂȘme"[9] - [10] - [11] - [12]. À l'apparition du Bouddhisme, l'environnement religieux de l'Inde est le vĂ©disme et le brahmanisme dont il conserve un certain nombre des orientations.

Gautama, le bouddha historique, dans les suttas du canon Pāli, parlant des prĂȘtres brahmanes de l’hindouisme qui n’ont jamais rencontrĂ© Brahma tout en enseignant comment vivre en unitĂ© avec lui, dĂ©clare qu’ils sont engagĂ©s dans une « tĂąche stupide, ridicule, vaine et vide »[13].

Dans le Tittha Sutta[14], Gautama déclare :

« Le fait de croire en la crĂ©ation du monde par un ĂȘtre suprĂȘme » conduit Ă  un manque d’effort dans la pratique et Ă  l’inaction[15].

Plusieurs textes affirment que le monde est "sans dieu crĂ©ateur" (anissara, le terme Issara, issu du vĂ©dique Ä«Ć›vara, dĂ©signant en pāli le dieu personnel thĂ©iste)[16].

Sir Charles Norton Edgecumbe Eliot, diplomate anglais et érudit bouddhiste, dans son ouvrage sur l'hindouisme et le bouddhisme[17] présente ainsi la relation aux déités dans le bouddhisme des origines :

Dans le bouddhisme des origines, le monde des esprits, des dĂ©itĂ©s et des dĂ©mons qui peuplent tel ou tel monde, n’est pas rejetĂ© mais les vĂ©ritĂ©s de cette religion ne dĂ©pendent pas d’eux et la tentative de gagner leur soutien par des sacrifices ou des oracles est par contre rejetĂ© comme des pratiques vulgaires.

Dans plusieurs textes, les dieux ne sont en effet pas pris au sĂ©rieux, bien qu’évoquĂ©s frĂ©quemment comme des accessoires. Il existe mĂȘme des passages dans lesquels Gautama se moque d’eux. Ainsi, le Kevatta Sutta rapporte comment un moine qui mĂ©ditait sur une question mĂ©taphysique s’adressa Ă  plusieurs dieux et en arriva Ă  interroger Brahmā directement, entourĂ© de sa cour. Sa question Ă©tait « OĂč les Ă©lĂ©ments cessent-ils d’exister et ne laissent plus aucune trace ? ». Ce Ă  quoi Brahma rĂ©pondit « Je suis le grand Brahma, le suprĂȘme, le tout-puissant, le seigneur de toute chose, le crĂ©ateur, l’ancien, le pĂšre de tout ce qui fut et tout ce qui sera ». Le moine rĂ©pondit alors « mais, je ne vous ai pas demandĂ© si vous Ă©tiez tout ce que vous venez de dĂ©clarer, mon ami, mais oĂč les Ă©lĂ©ments cessent d’exister et ne laissent plus aucune trace ». Alors, Brahma le prit par le bras et le tira Ă  l’écart de sa suite pour lui dire : « Tous ces dieux pensent que je sais et que je comprends tout. Par consĂ©quent, je ne donne aucune rĂ©ponse en leur prĂ©sence. Je ne connais pas la rĂ©ponse Ă  cette question, vous feriez mieux d’aller demander Ă  Bouddha »[18].

Dans le Brahmanimantanika Sutta ("l'invitation de Brahma"), Brahma, dont un des conseillers est le démon Māra, est ridiculisé dans ses prétentions à l'éternité et à la toute-puissance.

Dans le Tevijja Sutta (en), en revanche, le Bouddha accepte d'enseigner aux brahmanes qui l'interrogent Ă  ce sujet la voie de l'union avec Brahma, mĂȘme si cela ne constitue pas l'"objectif ultime" de la voie bouddhique :

Je connais Brahma, je connais aussi l'état céleste de Brahma, je connais également la voie menant à l'état céleste de Brahma, je sais également qui est né dans cet état céleste de Brahma.

Cette voie de l'union avec Brahma enseignée dans le Tevijja Sutta est constituée en pratique des Quatre Incommensurables.

Les dévas

Ils font partie de la cosmogonie bouddhiste, des ĂȘtres imparfaits qui vivent dans des environnements cĂ©lestes. La vie d’un dĂ©va (voir aussi Deva (Bouddhisme)) est donc ainsi soumise au saáčƒsāra dans cette perception et ne serait pas un "dieu" au sens commun du terme.

Les tenants d’un Bouddha historique thĂ©iste

Il existe quelques auteurs qui soutiennent que le Bouddha était théiste. Ils sont minoritaires mais leur point de vue est notoire : Robert A.F. Thurman de la Columbia University, par exemple, qui fut également moine bouddhiste, déclare :

Non seulement Bouddha croyait en Dieu, mais il le connaissait. Il y avait de nombreux athĂ©es Ă  l’époque du Bouddha, comme les MatĂ©rialistes du ChĂąrvĂąka, et le Bouddha critiquait leur manque de foi dans une rĂ©alitĂ© spirituelle[19].

Dans un chapitre intitulĂ© « les points de vue divergents du bouddhisme et des autres religions au sujet d’une rĂ©alitĂ© ultime », William Stoddart, dans son livre « Outline of Buddhism », prĂ©tend que la croyance bouddhiste est thĂ©iste mais que l’existence d’une rĂ©alitĂ© ultime, dieu, Ă  la fois immanente et transcendantale, a Ă©tĂ© mal comprise Ă  cause de l’insistance mise sur l’aspect immanent. Il commente Thurman en disant que la question de l’aspect non matĂ©riel de dieu a conduit Ă  des comprĂ©hensions erronĂ©es disant qu’il n’y avait pas de dieu dans le bouddhisme[20].

Cependant, Nyanaponika Thera exprime de la façon suivante un point de vue courant, celui d’un athĂ©isme ouvert et tolĂ©rant [21]:

L’étude des discours du Bouddha conservĂ©s dans le Canon pali montre que l’idĂ©e d’un dieu personnel, d’un dieu crĂ©ateur censĂ© ĂȘtre Ă©ternel et tout-puissant, est incompatible avec les enseignements bouddhiques. D’autre part, les conceptions d’une quelconque divinitĂ© impersonnelle, telle qu’une Ăąme cosmique, etc., sont exclues par les enseignements bouddhiques d’anātman, l’absence de soi, ou l’insubstantialitĂ©. (
)
Nibbāna (
) ne peut ĂȘtre identifiĂ© avec aucune forme de l’idĂ©e de Dieu, car il n’est ni l’origine ni le fondement immanent ni l’essence du monde.
Un bouddhiste peut apprĂ©cier les valeurs Ă©thiques, spirituelles et culturelles que la croyance en Dieu a engendrĂ©es au cours de l’histoire longue et bigarrĂ©e qui est celle de cette opinion. Cependant, nous ne pouvons fermer les yeux sur le fait que le concept de Dieu a trop souvent servi de paravent Ă  la volontĂ© humaine de puissance, Ă  son usage inconsidĂ©rĂ© et cruel, et a ainsi augmentĂ© considĂ©rablement la quantitĂ© de souffrance dans un monde supposĂ© ĂȘtre la crĂ©ation d’un Dieu d’amour. Pendant des siĂšcles, la libre pensĂ©e, le libre examen et l’expression de points de vue dissidents ont Ă©tĂ© combattus et rĂ©primĂ©s au nom de Dieu, et malheureusement ce type d’action ainsi que d’autres consĂ©quences nĂ©gatives sont toujours d’actualitĂ© aujourd’hui.

Selon le thĂ©ologien Denis MĂŒller « affirmer qu’il n’y a pas de dieu dans le bouddhisme ne signifie pas encore logiquement que le bouddhisme ne rĂ©ponde en aucune maniĂšre Ă  la question de dieu »[22].

Références

  1. (en) Peter Harvey, « Buddhism and Monotheism », sur cambridge.org, (consulté le )
  2. Philippe Cornu, « Bouddhisme et pleine conscience », Etudes, no 9,‎ , p. 67–78 (ISSN 0014-1941, lire en ligne, consultĂ© le )
  3. Indefinite Boundaries: Reconsidering the Relationship Between Borobudur and ... par Bo-Kyung Kim, ProQuest, 2007,note p. 160
  4. The Indonesia Reader: History, Culture, Politics, publié par Tineke Hellwig, Duke University Press, 2009, p. 24
  5. voir les titres honorifiques de Shakyamuni
  6. (en) "Bouddha et Dieu" de Tony Page, Nirvana Publications, 2000.
  7. Kunjed Gyalpo Tantra
  8. Dolpopa Sherab Gyaltsen Ă©crivait : « le Bouddha, qui n’est pas un existant » (sentient being, c-a-d "pourvu de sens" et soumis au samsara) dans The Buddha from Dolpo, Cyrus Stearns, SUNY, New York, 1999, p. 149 Ă  150)
  9. Buddhist Spirituality: Indian, Southeast Asian, Tibetan, and Early Chinese, Motilal Banarsidass Publishet, 1995, publié par Yoshinori Takeuchi, p. 247, Yoshinori Takeuchi
  10. Women in world religions, publié par Arvind Sharma, SUNY Press, 1987, p. 119
  11. Buddhism in America, Par Richard Hughes Seager, Richard Hughes Seager, Columbia University Press, 1999, p. 62
  12. The Yogi and the Devotee (Routledge Revivals): The Interplay Between the Upanishads and Catholic Theology, Ninian Smart, Routledge, 2013, p. 20
  13. Digha-Nikaya 13, Tevijja Sutta
  14. Tittha Sutta en ligne (anglais)
  15. Tittha Sutta, Anguttara Nikaya 3.61
  16. Par exemple dans le canon Pāli, Theragāthā, versets 705-725 : : « Tout ce qui est venu Ă  l’existence, peu importe oĂč se trouve son devenir, tout cela n’est pas rĂ©gi par un crĂ©ateur ».
  17. Hinduism and Bouddhism, an historical sketch
  18. Kevaddha Sutta
  19. extraits de "Le Bouddha croyait-il en dieu ?"
  20. "Outline of Buddhism" (Foundation for Traditional Studies, 1998) et sur extraits de "Le Bouddha croyait-il en dieu ?"
  21. Buddhism and the God-idea
  22. Jean-Daniel Causse et Denis MĂŒller, Introduction Ă  l'Ă©thique : Penser, croire, agir, Labor et Fides, (prĂ©sentation en ligne), p. 50

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Le DalaĂŻ-Lama parle de JĂ©sus : Une perspective bouddhiste sur les enseignements de JĂ©sus, 14th Dalai Lama, BREPOLS, Paris 1996
  • Les Dieux du bouddhisme, FrĂ©dĂ©ric Louis, Flammarion 2001
  • Le Silence du Bouddha : Une introduction Ă  l'athĂ©isme religieux de Raimon Panikkar actes sud 2006
  • Les devas d'Asoka : dieux ou divines majestĂ©s, J. Filliozat, Journal Asiatique, 1949
  • Le Bouddhisme, ni dieu, ni Ăąme, Vogel, Gaston, Ă©ditions Phi
  • DivinitĂ©s terribles du bouddhisme VajrayĂąna, de Detlef Ingo Lauf, L'asiathĂšque, 1978
  • Hindouisme et bouddhisme, par Ananda Coomaraswamy, Gallimard Folios
  • L'absolu en philosophie bouddhique, A. Bareau, Paris 1951
  • Le Culte des dieux chez les bouddhistes singhalais, Wijayaratna MĂŽhan, Ă©ditions du Cerf
  • GĂ©nĂ©rer la divinitĂ© : pratique du tantra bouddhique, par Gyatrul RimpotchĂ©, chez Yogi Ling
  • Bouddha and God de Tony Page, Nirvana Publications, 2000, Londres.
  • The Buddhist Refusal of Theism, Matthew T. Kapstein, Diogenes 205: 61–65
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