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Naufrage de Gournah

Le naufrage de Gournah ou naufrage de Korna ou désastre d'Al-Qurnah[alpha 1] est la perte de nombreuses antiquités assyriennes issues de fouilles archéologiques françaises, coulées dans le Chatt-el-Arab, à la confluence du Tigre et de l'Euphrate à Al-Qurnah, en Irak actuel, le 21 ou le .

Le kelelks du convoi de Victor Place descendant le Tigre en 1855[1].

Un transport raté

Des antiquités mésopotamiennes

Les piÚces archéologiques transportées sont principalement issues des fouilles effectuées sous la direction de Victor Place, consul de France à Mossoul, principalement sur le site de Khorsabad, à partir de 1851[2] - [3].

Ces antiquitĂ©s, rangĂ©es dans des caisses, rassemblent un nombre impressionnant de piĂšces, essentiellement de grandes sculptures, beaucoup de tablettes cunĂ©iformes Ă©tant transportĂ©es Ă  Paris sĂ©parĂ©ment par FĂ©lix Thomas[4]. Victor Place rĂ©ussit Ă  les faire transporter au bord du Tigre en dĂ©cembre 1853, prĂȘtes Ă  embarquer pour descendre le fleuve vers Bassorah. Ces caisses restent ainsi Ă  Mossoul, dans l'attente d'ĂȘtre transportĂ©es Ă  Paris, du au . Victor Place leur fait alors commencer leur voyage[5].

De Mossoul Ă  Bagdad

En effet, un navire français, le Manuel, doit arriver Ă  Bassorah fin avril 1855 pour rĂ©cupĂ©rer ces antiquitĂ©s et il ne peut y rester plus de 120 jours. Il s'agit donc d'organiser la descente de ces piĂšces archĂ©ologiques sur le Tigre jusqu'Ă  Bassorah, sur une flotte de radeaux ou keleks. Les keleks sont des radeaux composĂ©s d'outres de peaux de bouc ou de mouton, gonflĂ©es et rĂ©unies entre elles par des piĂšces de bois. Ce sont des esquifs trĂšs mobiles et de trĂšs faible tirant d'eau, mais trĂšs fragiles et dont les outres doivent ĂȘtre changĂ©es au bout d'un mois[5].

Parti de Mossoul avec un convoi de huit radeaux le , Victor Place atteint sans encombre Bagdad le , mais doit, conformĂ©ment Ă  ses instructions, y abandonner son convoi pour retourner Ă  Mossoul attendre son successeur au poste de consul. En effet, il est lui-mĂȘme nommĂ© sur un nouveau poste en Moldavie[5] - [6].

Les autorités de Bagdad cherchent à le dissuader d'organiser la suite du voyage, la plus dangereuse parce qu'une digue s'est rompue et parce que des tribus sont révoltées dans le Sud. Pour les autorités ottomanes, l'expédition de Place est beaucoup trop risquée et elles le lui disent. L'assyriologue britannique Henry Rawlinson lui avait déjà fait part de ses doutes à ce sujet en février. Mais Victor Place, pris entre des injonctions contradictoires, considÚre que le transport ne peut attendre, sous peine de rater le bateau à Bassorah[5] - [6].

Victor Place fait réparer les keleks et décharger ceux qui portent les piÚces les plus lourdes, pour charger celles-ci sur un voilier de cinquante tonneaux[5]. En plus de la collection constituée par Victor Place, ce convoi transporte aussi des caisses d'antiquités qui proviennent des fouilles menées par Fulgence Fresnel et Jules Oppert à Babylone à partir de 1852, dans le cadre de l'expédition scientifique et artistique de Mésopotamie et de Médie[7] - [8] - [3], soit un ajout de quarante caisses pesant deux tonnes[7]. On ajoute aussi des caisses provenant de fouilles menées par les Anglais[4].

Un enchaĂźnement fatal

Victor Place dĂ©signe un enseignant de Bagdad, A. ClĂ©ment, pour assurer la suite du voyage. Il lui donne le titre d'agent consulaire, organise et contemple le dĂ©part. A. ClĂ©ment part de Bagdad le , Ă  la tĂȘte d'un grand voilier et de quatre radeaux, qui transportent 235 caisses d'antiquitĂ©s[5]. A. ClĂ©ment est un Suisse, installĂ© Ă  Bagdad depuis et qui entretient de bonnes relations avec les autoritĂ©s locales. Nonobstant sa nationalitĂ© suisse, il accepte volontiers d'accomplir des missions pour le gouvernement français[9].

Peu aprÚs le départ, A. Clément perd le contrÎle de l'équipage du navire[6]. Le capitaine du bateau le fait accoster pour charger une grande quantité de ballots de soie de contrebande. Il espÚre ainsi profiter de l'exonération de taxe dont bénéficie le transport des antiquités de Victor Place. A. Clément ne peut s'y opposer[4]. Le bateau est trop chargé et fait eau[5].

Le , A. Clément est maltraité physiquement par un cheikh local et contraint de lui donner tous les cadeaux prévus pour rémunérer les intermédiaires pendant l'ensemble du voyage. Les 20 et le convoi est de nouveau pillé par différents groupes, qui réclament de l'argent pour les laisser passer[10].

Ensuite, le [6] ou le [10], prĂšs de Al-Qurnah, le bateau est attaquĂ© et des pirates le mettent Ă  sac. Le bateau heurte la rive et commence Ă  sombrer. A. ClĂ©ment est frappĂ© et dĂ©pouillĂ©. Le capitaine d'un bateau ottoman, qui n'intervient pas pendant l'attaque, lui fournit ensuite des vĂȘtements et lui permet de gagner la rĂ©sidence britannique de Maaghill, au nord de Bassorah[10] - [5]. Sur les quatre radeaux, deux s'Ă©chouent ou coulent . Les deux autres arrivent jusqu'Ă  Bassorah avant de sombrer et on rĂ©ussit Ă  sauver une partie de leur cargaison, dont un des deux grands taureaux de Khorsabad[4].

Le , de Mossoul, Victor Place rédige un rapport montrant son inquiétude quant à ce transport, alors qu'il est déjà probablement au courant du désastre. Il quitte Mossoul et la Mésopotamie deux jours aprÚs[4] - [6].

Des pertes considérables

Un sauvetage trĂšs partiel

Sur les 235 caisses du chargement, seules 28 sont sauvées, comprenant le taureau de Khorsabad, une statue colossale, les antiquités provenant des fouilles menées par les Anglais et quelques autres caisses appartenant à Victor Place. L'ensemble est chargé, avec difficulté, à bord du Manuel[10] - [5] qui est finalement arrivé à Bassorah le . Les autorités ottomanes participent à l'organisation de ces récupérations d'objets. Les recherches pour sauver d'autres piÚces se poursuivent, sans succÚs, jusqu'à la fin février 1856. Les piÚces sauvées et transportées par le Manuel arrivent au Havre le et entrent au musée du Louvre le [6].

Victor Place n'ayant pas dressé d'inventaire préalable, les pertes sont difficiles à connaßtre avec précision, mais elles représentent des années de travail, non seulement des antiquités, mais aussi des notes, des plans et de nombreux livres[4]. La collection de Fresnel est entiÚrement engloutie. Elle comprend des statuettes de terre cuite, des bijoux, une quarantaine de cylindres gravés, des poteries et plus d'une centaine de tablettes[7].

Une catastrophe archéologique

De Constantinople, Victor Place Ă©crit au ministre, Achille Fould :

« Je ne dirai pas à Votre Excellence tout ce que j'ai éprouvé en sachant perdus sans retour les fruits de tant de dépenses et de travaux. L'espoir de voir notre musée enrichi par de si belles découvertes m'avait fait oublier les fatigues et les déboires que j'avais endurés pendant quatre ans. Je pensais surtout , qu'en voyant le résultat, Votre Excellence satisfaite, m'aurait pardonné l'espÚce d'acharnement que j'avais mis à ces fouilles, et qu'Elle ne regretterait pas la bienveillance et la générosité dont elle a usé envers moi.
Un seul instant a vu sombrer tant de légitimes espérances et il ne me reste plus qu'à vous prier, Monsieur le ministre, de vouloir bien ne pas me reprocher un désastre dont je suis, à tout prendre, le plus malheureux[11]. »

AprÚs avoir quitté Bagdad vers 1863[9], A. Clément publie en 1866 un compte rendu de cet événement dans la revue suisse de géographie Le Globe[10]. Il ne s'agit pas pour lui de se défendre de quelconques manquements, puisque personne ne le met en cause. Il propose plutÎt le récit d'un fait curieux susceptible d'intéresser le lecteur[9].

En 1971, une mission japonaise explore le le Chatt-el-Arab à la recherche des piÚces archéologiques perdues, mais ses investigations, pourtant menées scientifiquement avec des appareils modernes, ne permettent pas de les retrouver[12] - [13].

En somme, les destructions causées par les fouilles et la perte des piÚces archéologiques dans le Chatt-el-Arab ont altéré la connaissance du site de Khorsabad[6].

Notes et références

Note

  1. Dominique Charpin emploie l'expression « naufrage de Gournah ». A. Clément et Maurice Pillet nomment cet endroit Korna. Les auteurs anglophones évoquent le « Qurnah disaster » ou le « Kurna accident ». Le village irakien actuel est appelé en français Al-Qurnah.

Références

  1. Place 1867.
  2. Ève Gran-Aymerich, « Place, Victor (1818-1875) », dans Les chercheurs de passé : 1798-1945. Aux sources de l'archéologie, Paris, CNRS éditions, , 2e éd. (1re éd. 2001), 1271 p. (ISBN 978-2-271-06538-4, lire en ligne), p. 1069-1070.
  3. Dominique Charpin, En quĂȘte de Ninive : Des savants français Ă  la dĂ©couverte de la MĂ©sopotamie (1842-1975), Paris, Les Belles Lettres - CollĂšge de France, coll. « Docet omnia » (no 8), , 461 p. (ISBN 9782251453583, lire en ligne), p. 42-43.
  4. Trolle Larsen 2001.
  5. Pillet 1916.
  6. Genç 2021.
  7. Maurice Pillet, L'expédition scientifique et artistique de Mésopotamie et de Médie, 1851-1855, Paris, Edouard Champion, , 276 p. (lire en ligne), p. 129-144.
  8. Ève Gran-Aymerich, « Fresnel, Fulgence (1795-1855) », dans Les chercheurs de passé : 1798-1945. Aux sources de l'archéologie, Paris, CNRS éditions, , 2e éd. (1re éd. 2001), 1271 p. (ISBN 978-2-271-06538-4, lire en ligne), p. 806-807.
  9. Potts 2020.
  10. Clément 1866.
  11. Maurice Pillet, Un pionnier de l'assyriologie : Victor Place, consul de France Ă  Mossoul, explorateur du palais de Sargon II (722–705 av. J.-C.) Ă  Khorsabad (1852–1855), Paris, Imprimerie nationale, coll. « Cahiers de la sociĂ©tĂ© asiatique » (no 16), , 126 p. (lire en ligne), p. 83.
  12. Egami 1972.
  13. Pfister 2021.

Voir aussi

Principales sources primaires

  • Victor Place, Ninive et l'Assyrie, t. III : Planches, Paris, Imprimerie nationale, (lire en ligne), p. 49.
  • A. ClĂ©ment, « Transport des antiquitĂ©s niniviennes de Bagdad Ă  Bassorah », Le Globe. Revue genevoise de gĂ©ographie, vol. 5, no 1,‎ , p. 170–183 (DOI 10.3406/globe.1866.6845, lire en ligne, consultĂ© le ).
  • (en) Namio Egami, « The report of the Japan mission for the survey of the under-water antiquities at Qurnah. The first season (1971-1972) », Orient. Bulletin of the Society for Near Eastern Studies in Japan, vol. 8,‎ , p. 1-44 (lire en ligne [PDF]).

Études historiques

  • Maurice Pillet, « Un naufrage d'antiquitĂ©s assyriennes dans le Tigre », Comptes rendus des sĂ©ances de l'AcadĂ©mie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 60, no 3,‎ , p. 224–240 (DOI 10.3406/crai.1916.73709, lire en ligne, consultĂ© le ).
  • Mogens Trolle Larsen (trad. de l'anglais par HĂ©lĂšne MonsacrĂ© et Christophe Beslon), La ConquĂȘte de l'Assyrie 1840-1860 : Histoire d'une dĂ©couverte archĂ©ologique, Paris, Hachette LittĂ©ratures, , 476 p. (ISBN 9782012355835), p. 433-439.
  • (en) D. T. Potts, « "Un coup terrible de la fortune" : A. ClĂ©ment and the Qurna disaster of 1855 », dans Irving Finkel and St John Simpson (ed), In Context : The Reade Festschrift, Oxford, Archaeopress, , 345 p. (ISBN 978-1789696073, lire en ligne), p. 235-244.
  • (en) Samuel D. Pfister, « The Qurnah Disaster : Archaeology & Piracy in Mesopotamia », Bible HIstory Daily,‎ (lire en ligne).
  • (en) BĂŒlent Genç, « Memory of destroyed Khorsabad, Victor Place, and the story of a shipwreck », Journal of the Royal Asiatic Society, vol. 31, no 4,‎ , p. 759–774 (ISSN 1356-1863 et 1474-0591, DOI 10.1017/S135618632100016X, lire en ligne, consultĂ© le ).

Articles connexes

Liens externes

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