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Mouvement STOP ERA

STOP ERA est une organisation antiféministe créée par Phyllis Schlafly en 1972 dans le but de contrevenir à la ratification de l'Equal Rights Amendment[1].

Phyllis Schlafly avec un badge « Stop ERA Â» lors d'une manifestation devant la Maison-Blanche, en 1977.

Histoire du mouvement

L'Equal Rights Amendment est proposĂ© au CongrĂšs amĂ©ricain pour la premiĂšre fois en 1923 par Alice Paul, une suffragette associĂ©e au National Woman's Party[2]. L'amendement est sujet Ă  dĂ©bats pendant plusieurs dĂ©cennies et suscite l'appui de mouvements fĂ©ministes, puis l'opposition de mouvements antifĂ©ministes et du mouvement ouvrier[2]. Les femmes de la classe ouvriĂšre craignaient que l'Ă©galitĂ© de droits entre les sexes leur retirerait les conditions de travail plus clĂ©mentes auxquelles elles avaient droit, par rapport aux hommes, mais l’adoption du Civil Rights Act de 1964, qui rĂ©fute la discrimination liĂ©e Ă  la race, Ă  la couleur, Ă  l’origine nationale, Ă  la religion et au sexe en milieu de travail, octroie aux hommes la mĂȘme protection que les femmes[3]. Le mouvement ouvrier offre son appui Ă  l’amendement Ă  partir de ce moment. En l’absence d’opposition, l’Equal Rights Amendment est ratifiĂ© par trente États en douze mois en 1972 et 1973[4]. Face Ă  cette avancĂ©e, l'activiste conservatrice Phyllis Schlafly crĂ©e le mouvement STOP ERA dans le but d’empĂȘcher la ratification de l’amendement dans les autres États amĂ©ricains, puis de rĂ©voquer les ratifications dĂ©jĂ  en vigueur[5].

En 1975, Phyllis Schlafly fonde l’organisation sƓur de STOP ERA, The Eagle Forum, qui offre une vision plus large que le mouvement initial : elle ne souhaite pas seulement empĂȘcher l’adoption de l’Equal Rights Amendment, ce qui est l’objectif de STOP ERA, mais elle veut aussi dĂ©fendre la conservation des valeurs traditionnelles de la famille et de la sĂ©paration sexuĂ©e des sphĂšres publique et privĂ©e[6]. Selon Schlafly et les membres de son organisation, l’Equal Rights Amendment est une menace pour l’ordre dit « naturel », selon lequel la femme reste au foyer et s’occupe de sa famille en tant que son centre nĂ©vralgique, alors que l’homme en est le pourvoyeur, ordre qui offre un statut privilĂ©giĂ© Ă  la femme[7]. Phyllis Schlafly et STOP ERA continuent leur combat contre l’amendement jusqu’à la date butoir de ratification en 1982, mais la fondatrice du mouvement donne un discours de victoire le , date qui reprĂ©sente la premiĂšre date limite de ratification de l’amendement, finalement repoussĂ©e Ă  [1]. Ce discours annonce la victoire, trois ans plus tard, du mouvement STOP ERA puisque l’Equal Rights Amendment ne sera jamais adoptĂ© par le gouvernement amĂ©ricain[4].

Arguments contre l'Equal Rights Amendment

Schlafly propose que l’égalitĂ© entre les sexes que soutiennent les fĂ©ministes en faveur de l’Equal Rights Amendment est une façon de retirer aux femmes amĂ©ricaines leur statut spĂ©cial[7]. C’est pourquoi STOP ERA est prĂ©sentĂ© comme un acronyme signifiant « Stop Taking Our Privileges »[8]. Pour Schlafly et les membres de son mouvement, l’Equal Rights Amendment signifie la perte de leurs droits et de leurs privilĂšges en tant que mĂšres. Selon elles, la famille traditionnelle est libĂ©ratrice et l’amendement retirerait aux femmes amĂ©ricaines la libertĂ© d’ĂȘtre des mĂšres au foyer, des constructrices de noyaux familiaux forts[9]. Schlafly souligne que l’Equal Rights Amendment permettrait aux hommes de se libĂ©rer de leur rĂŽle de pourvoyeur, argument qui s’appuie sur la peur des femmes face au rejet et Ă  l’abandon masculins qui auraient de lourdes consĂ©quences sur les femmes au foyer Ă  qui l’amendement retirerait la principale source de revenu, donc de survie[8]. Selon les membres du mouvement, ceci forcerait les femmes Ă  cesser de prendre soin de leur famille comme occupation Ă  temps plein et Ă  intĂ©grer le marchĂ© du travail, ce qui dĂ©stabiliserait l’ordre sexuel Ă©tabli et retirerait la libertĂ© qu’ont les femmes d’ĂȘtre dĂ©diĂ©es exclusivement Ă  la sphĂšre familiale[8].

Schlafly rappelle que l’égalitĂ© de droits entre les sexes forcerait non seulement les femmes Ă  intĂ©grer le marchĂ© du travail, donc Ă  ne pas jouer leur rĂŽle naturel dans les sphĂšres domestique et familiale, mais aussi Ă  s’enrĂŽler dans l’armĂ©e comme les hommes[7]. La conscription serait obligatoire pour les deux sexes, ce que Schlafly et les membres de STOP ERA voient d’un Ɠil trĂšs nĂ©gatif, car, selon elles, les femmes n’ont pas leur place au front[10]. Les militantes de STOP ERA s’appuient donc sur la peur de devoir aller au front, en plus de la peur de l’abandon masculin, afin de contrevenir Ă  l’amendement. Elle se basent sur des questions pratiques, qui affectent le quotidien des femmes, afin de montrer l’impact nĂ©gatif que l’Equal Rights Amendment aurait sur les AmĂ©ricaines[6].

Pour Ă©tayer la pensĂ©e associĂ©e Ă  son mouvement, Phyllis Schlafly construit la figure de la femme positive, l’antifĂ©ministe contre l’Equal Rights Amendment, et sa contrepartie, la femme nĂ©gative, la fĂ©ministe qui soutient l’amendement[11]. La femme positive accepte les diffĂ©rences entre les individus de sexe masculin et de sexe fĂ©minin, car ces diffĂ©rences seraient imposĂ©es par Dieu et permettraient aux femmes d’ĂȘtre Ă©panouies[12]. Par cette conception, Schlafly donne au mouvement STOP ERA un fond biblique, une orientation judĂ©o-chrĂ©tienne affirmĂ©e : c’est la tradition religieuse qui somme aux femmes d’occuper la sphĂšre privĂ©e, domestique, et aux hommes d’occuper la sphĂšre publique, politique[12]. Les militantes de STOP ERA affirment que ce sont dans ces diffĂ©rences que les femmes peuvent ĂȘtre heureuses et Ă©panouies, donc elles veulent conserver les diffĂ©rences sexuĂ©es, alors que l’Equal Rights Amendment les effacerait en octroyant des droits Ă©gaux pour tous[8]. Ne pas diviser les sphĂšres privĂ©e et politique Ă©quivaut donc Ă  une perte de pouvoir, parce que la sphĂšre fĂ©minine, dĂ©finie par le mariage et par la famille, est prĂ©sentĂ©e comme la source de pouvoir et d’identitĂ© des femmes[8]. Par cela, STOP ERA s’oppose aux fĂ©ministes qui veulent que les femmes aient une sensibilitĂ© face Ă  leur condition, une conscience d’elles qui leur permettrait de se sortir de leur statut de dominĂ©es, alors que les partisanes de STOP ERA affirment qu’il faut ignorer leur condition immĂ©diate en faveur d’un bonheur futur assurĂ© par leur statut particulier de mĂšres[13].

L’exaltation de la femme positive par les membres de STOP ERA met en avant l’archĂ©type du fĂ©minin tel que dĂ©fini par Carl Jung : cet archĂ©type dĂ©finit les femmes par leur maternitĂ©, par leur rĂŽle dans le dĂ©veloppement des individus et de la sociĂ©tĂ©, mais aussi par leur sagesse qui transcende la simple raison[14]. À cette image est opposĂ©e celle de la femme nĂ©gative, ce qui fait naĂźtre, dans la rhĂ©torique du mouvement STOP ERA, un dualisme manichĂ©en qui prĂ©sente des caractĂ©ristiques contraires pour les militantes en faveur et en opposition Ă  l’Equal Rights Amendment. Les premiĂšres sont vues comme des femmes masculines, stĂ©riles et diaboliques, alors que les secondes seraient aimantes, douces et crĂ©atives[15]. Les partisanes de STOP ERA prĂ©sentent donc leur position comme la seule acceptable en ce qui a trait Ă  la tradition judĂ©o-chrĂ©tienne et quant au statut de la femme, car elles incarnent, par leur combat, la figure de la femme positive dĂ©veloppĂ©e par Schlafly.

Stratégies employées

Schlafly est une femme politique, une autrice et une avocate, donc elle est fortement impliquĂ©e dans la vie politique[16], ce qui influence les stratĂ©gies de combat adoptĂ©es par le mouvement. Elle organise des rallyes, des manifestations et des parades, en plus de rĂ©diger un journal, The Phyllis Schafly Report, qui expose les arguments avancĂ©s par son groupe[17]. Par ailleurs, elle se prĂ©sente comme la cheffe du mouvement Ă  l’échelle nationale. Elle est le cƓur du mouvement, son organisatrice principale puisqu’elle ne s’entoure d’aucune structure administrative[18]. Elle incarne une figure forte de leader derriĂšre laquelle les femmes opposĂ©es Ă  l’Equal Rights Amendment et aux fĂ©ministes peuvent se rallier[18]. Elle propose des masterclass sur l’organisation de mouvements politiques afin de former les militantes anti-ERA aux actions politiques concrĂštes. Schlafly y explique comment avoir une prĂ©sence mĂ©diatique importante, comment influencer les dĂ©putĂ©s en place, et comment organiser des levĂ©es de fonds. Elle aborde aussi les techniques pour poser sa candidature Ă  des postes politiques et les maniĂšres de parler lors d’audiences publiques et de confĂ©rences de presse[18]. Elle encourage donc les membres du mouvement Ă  avoir une forte prĂ©sence dans les sphĂšres publique et politique.

MalgrĂ© tout, certaines femmes impliquĂ©es dans le mouvement sentent que ces actions les Ă©loignent du modĂšle de la femme positive, donc elles utilisent des stratĂ©gies qui s’imbriquent dans la sphĂšre privĂ©e et familiale[16]. Elles envoient notamment des tartes, des gĂąteaux et des confitures aux Ă©lus afin de paraĂźtre moins militantes[16]. Cette stratĂ©gie fait en sorte que les femmes qui appuient STOP ERA gardent leur statut de femmes au foyer, qui ne convient pas aux actions politiques qui les font sortir dans la sphĂšre publique, tout en faisant entendre leurs demandes. Cela se fait aussi par l’écriture de lettres aux partis politiques et aux lĂ©gislateurs : pour les rĂ©diger, les partisanes de STOP ERA restent Ă  la maison et incarnent le modĂšle de la femme positive, mais elles s’adressent directement aux Ă©lus qui peuvent par la suite considĂ©rer leurs arguments dans leur dĂ©cision de ratifier ou non l’amendement[16]. Ces deux moyens d’action permettent Ă  la femme qui veut s’impliquer dans le mouvement de Schlafly de rester Ă  la maison et de s’occuper de la sphĂšre domestique, tout en agissant concrĂštement sur la scĂšne politique. C’est la raison principale pour laquelle les actions entreprises par les membres du mouvement sont plus souvent individuelles que collectives[16].

Schlafly contrebalance toutefois l’individualitĂ© du mouvement en formant des coalitions avec des organisations religieuses, chrĂ©tiennes et juives, et des organisations politiques conservatrices afin de crĂ©er la New Right[19]. Ces alliances permettent au mouvement STOP ERA de gagner des appuis individuels et collectifs, donc de former une force politique nationale[20].

Conséquences du mouvement

L’amendement proposĂ© par Alice Paul avait gagnĂ© beaucoup d’attention, au dĂ©but des annĂ©es 1970 et son implantation semblait assurĂ©e avant 1972[21]. L’appui Ă  l’Equal Rights Amendment s’essouffla avec la crĂ©ation de STOP ERA puisque seulement cinq États ratifiĂšrent l’amendement Ă  la suite de la crĂ©ation du mouvement de Schlafly, alors que trente l’avaient fait avant[4]. Les mĂ©thodes employĂ©es par le groupe rĂ©ussirent Ă  rallier un nombre important de membres qui agissaient activement sur les scĂšnes politiques et privĂ©es, ce qui renversa la tendance et fit Ă©chouer, entre autres facteurs, la ratification de l’Equal Rights Amendment[20]. On notera, Ă  travers ces divers facteurs, l’image dite marginale et radicale des fĂ©ministes pro-ERA qui les empĂȘcha de crĂ©er des alliances comme celles qui constituĂšrent la New Right, problĂšme auquel STOP ERA et Phyllis Schlafly ne firent jamais face[22].

Le premier État Ă  refuser la ratification de l'amendement est l’Oklahoma, le [6]. Plusieurs États suivront son exemple dans les dix annĂ©es suivantes.

L’organisation STOP ERA s’est dĂ©sintĂ©grĂ©e Ă  la suite de sa victoire, pour ĂȘtre temporairement remise sur pied en 1986 afin de s'opposer Ă  une proposition semblable Ă  l'Equal Rights Amendment au Vermont. Son organisation sƓur, The Eagle Forum, reste active avec prĂšs de 80 000 membres, en majoritĂ© des femmes, en 1991[20].

Dans la fiction

Notes et références

  1. (en) Eric C. Miller, « Phyllis Schlafly's “positive” freedom: liberty, liberation, and the Equal Rights Amendment », Rhetoric & Public Affairs, vol. XVIII, no 2,‎ , p.278.
  2. Miller 2015, p. 283.
  3. Miller 2015, p. 284.
  4. (en) Susan E. Marshall, « Who Speaks for the American Women? The Future of Antifeminism », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. DXV, no 1,‎ , p. 51.
  5. Susan E. Marshall, « Ladies against Women: Mobilization Dilemmas of Antifeminist Movements », Social Problems, vol. XXXII, no 4,‎ , p.355.
  6. SĂ©bastien Mort, « Phyllis Schlafly ou le conservatisme de terrain contre l’establishment rĂ©publicain », Études anglaises, vol. LIVIII, no 3,‎ , p.356.
  7. (en) Nancy McLean, The American Women’s Movement, 1945-2000: A Brief History with Documents, Boston, coll. « The Bedford Series in History and Culture », , p.116.
  8. Marshall 1985, p. 356.
  9. Miller 2015, p. 287..
  10. Miller 2015, p. 279.
  11. Miller 2015, p. 280.
  12. (en) Martha Solomon, « The ‘’Positive Woman’s’’ Journey: A Mythic Analysis of the Rhetoric of STOP ERA », The Quarterly Journal of Speech, no 65,‎ , p.264.
  13. Solomon 1979, p. 265.
  14. Solomon 1979, p. 266.
  15. Barbara Warnick, « Conservative Resistance Revisited — A Reply to Medhurst », dans The Western Journal of Speech Communication, no. 46 (automne 1982), p. 377.
  16. Marshall 1985, p. 357.
  17. Marshall 1985, p. 356-357.
  18. Marshall 1985, p. 358.
  19. Mort 2015, p. 356-357.
  20. Marshall 1991, p. 57.
  21. Mort 2015, p. 355.
  22. Marshall 1985, p. 359.
  23. Thomas Sotinel, « « Mrs. America », « Parlement », « Run »  le printemps des sĂ©ries », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )

Articles connexes

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