Minorité de blocage
L'expression minoritĂ© de blocage recouvre un ensemble de rĂ©alitĂ©s allant du monde de l'entreprise aux procĂ©dures de vote au sein des Ătats et organisations internationales. L'expression fait rĂ©fĂ©rence Ă la minoritĂ© qui permet de bloquer l'adoption d'une dĂ©cision qui doit ĂȘtre adoptĂ©e Ă la majoritĂ© qualifiĂ©e, laquelle permet d'assurer l'accord le plus large possible en faveur de l'adoption, de la modification d'une dĂ©cision[1]. Dans le cas des entreprises, la possibilitĂ© de s'opposer Ă une dĂ©cision pour qui dĂ©tiendrait la minoritĂ© de blocage s'analyse comme un droit de veto destinĂ© Ă protĂ©ger les intĂ©rĂȘts des actionnaires minoritaires.
Principes et mécanismes
La minorité de blocage peut reposer sur différents mécanismes visant ou non à protéger les minorités.
Majorité qualifiée supérieure à la majorité absolue
Certaines dĂ©cisions doivent ĂȘtre prises avec des majoritĂ©s qualifiĂ©es supĂ©rieures Ă 50 %, telles qu'une modification de constitution qui dans de nombreux pays nĂ©cessite une majoritĂ© des 2/3. Une telle majoritĂ© qualifiĂ©e dĂ©termine automatiquement une minoritĂ© de blocage Ă 33 %, qui serait donc capable d'interdire la prise d'une telle dĂ©cision.
Majorité nécessitant plusieurs conditions
Si certaines dĂ©cisions requiĂšrent que la majoritĂ© rĂ©unisse plusieurs conditions, une minoritĂ© peut interdire la prise de dĂ©cision, si elle est capable d'empĂȘcher la majoritĂ© de rĂ©unir toutes les conditions. Par exemple, le parlement de la rĂ©gion de Bruxelles Capitale, en Belgique, est constituĂ© d'un groupe francophone et d'un groupe flamand. Bien que la population francophone soit nettement plus nombreuse que la population flamande Ă Bruxelles, les dĂ©cisions nĂ©cessitent l'accord des deux communautĂ©s, ce qui a conduit le Vlaams Blok Ă tenter de capter suffisamment de voix francophones pour se faire une majoritĂ© dans le groupe flamand et permettre Ă une minoritĂ© de bloquer ainsi les institutions en leur faveur[2].
Les grands électeurs des présidentielles américaines
Aux Ătats-Unis, le systĂšme des grands Ă©lecteurs n'est gĂ©nĂ©ralement pas repris dans la conception usuelle des minoritĂ©s de blocage ; mais il est conçu de façon Ă interdire aux candidats Ă la prĂ©sidence, de consacrer toute leur Ă©nergie sur quelques grandes villes et Ă nĂ©gliger les Ătats moins peuplĂ©s qui n'auraient sinon aucun pouvoir dans la dĂ©signation du prĂ©sident.
La sonnette d'alarme en Belgique
Au parlement le mécanisme de la sonnette d'alarme, bien que n'étant pas assimilé à la minorité de blocage, est également un mécanisme de protection des minorités.
Entreprises
Minorité de blocage
Les associés peuvent disposer d'une minorité de blocage[3].
Ainsi, les sociétés à responsabilité limitée (sociedad de responsabilidad limitada) peuvent, conformément aux dispositions de l'article 199 du Code de commerce, prévoir dans les statuts une majorité renforcée pour décider : de l'augmentation ou la réduction du capital et la modification des statuts ; d'autoriser un administrateur à exercer une activité concurrente ; de la suppression ou la limitation de droit préférentiel de souscription lors des augmentations de capital, de la transformation, la fusion, la scission ou la cession globale d'actif et de passif, du transfert du siÚge social à l'étranger, etc.[4].
Dans les sociétés anonymes, une majorité des deux tiers est exigée pour certaines décisions (celles prévues à l'article 194 du code du commerce) en seconde convocation d'assemblée générale, et ce lorsque le capital représenté est compris entre 20 et 50 %[4].
Abus de minorité
La lĂ©gislation espagnole prĂ©voit des abus de minoritĂ©, lorsque les votes Ă©mis par les minoritaires vont Ă l'encontre de l'intĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme[5].
Société anonyme
L'article L225-98 du Code de commerce dispose que, lors d'une assemblée générale ordinaire, les décisions sont adoptées à « la majorité des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés » [6]. Les statuts ne permettant pas de renforcer la majorité à l'instar des SARL, un blocage ne peut avoir lieu que si une majorité s'y oppose ou si des absences de personnes en faveur d'une décision modifie la majorité[6].
à l'inverse, l'article L225-96 alinéa 3 du Code de commerce prévoit que, lors d'une assemblée générale extraordinaire, les décisions doivent se prendre à une majorité des deux tiers des voix présentes ou représentées, autorisant ainsi les minoritaires représentant plus d'un tiers des votes à bloquer l'adoption de la décision. Les bulletins blancs et les abstentions sont assimilées à des rejets dans ces circonstances[6].
L'adoption en 2014 de la Loi Florange, qui systĂ©matise le droit de vote double pour les actions inscrites au nominatif depuis plus de deux ans, facilite l'atteinte de la minoritĂ© de blocage pour les actionnaires historiques, qui peuvent alors s'opposer Ă des modifications substantielles de la sociĂ©tĂ© avec un taux de dĂ©tention du capital infĂ©rieur Ă 20 %. Cette mesure, destinĂ©e en premier lieu Ă protĂ©ger l'emploi ou les intĂ©rĂȘts stratĂ©giques de la France, a fait l'objet d'Ăąpres discussions entre fonds financiers et notamment l'Ătat français, ainsi qu'avec d'autres minoritaires de sociĂ©tĂ©s cotĂ©es en bourse[7]. En 2015, l'Ătat français, en utilisant le mĂ©canisme de la minoritĂ© de blocage, a ainsi pu par exemple s'opposer Ă la suppression de ce droit de vote double au sein de la sociĂ©tĂ© Renault, en montant Ă 19,74 % du capital[8].
Société à responsabilité limitée
La loi prévoit que, lors d'une assemblée générale ordinaire, les décisions sont adoptées à la premiÚre consultation par les associés représentant plus de la moitié des parts (si un associé détient à lui seul plus de la moitié des parts sociales, il peut les adopter seul). En ce sens, lors des assemblées générales ordinaires, il n'existe pas de minorité de blocage[6].
Toutefois, les statuts peuvent modifier la dĂ©finition de la majoritĂ© nĂ©cessaire afin d'Ă©lever le seuil de majoritĂ©. Ainsi, si la majoritĂ© est fixĂ©e Ă 2â3 des parts, des associĂ©s minoritaires peuvent bloquer l'adoption de la dĂ©cision s'ils en reprĂ©sentent plus du tiers[6].
D'autre part, en cas de seconde convocation d'une Assemblée générale faute de quorum atteint, la loi prévoit, sauf clause contraire des statuts, que le vote se déroule à la majorité des votes émis, et non pas des parts existantes. En cas d'absence de certains associés, ceux habituellement minoritaires peuvent ainsi parvenir à bloquer la décision[6] - [9].
Lors des assemblées générales extraordinaires, il existe trois possibilités de calcul de la minorité de blocage[6] :
- « au moins le quart des parts sociales doit ĂȘtre rĂ©uni par un ou plusieurs associĂ©s dans les sociĂ©tĂ©s constituĂ©es avant le » ;
- « au moins le tiers des parts doit ĂȘtre dĂ©tenu par un ou plusieurs associĂ©s dans les sociĂ©tĂ©s constituĂ©es Ă compter du (ou celles constituĂ©es antĂ©rieurement mais ayant adoptĂ© ce rĂ©gime) ».
- les statuts ont fixé un seuil moindre, qui ne doit toutefois pas entraßner une décision à l'unanimité.
Abus de minorité
Le délit d'abus de minorité est aussi prévu en France, mais n'entraßne pas l'annulation des décisions prises dans ces circonstances.
Ătats et organisations internationales
Belgique
Comme dans d'autres pays la Constitution de la Belgique prĂ©voit une procĂ©dure particuliĂšre pour la mise en Ćuvre d'une rĂ©vision constitutionnelle. Cette procĂ©dure implique notamment que les modifications proposĂ©es doivent obtenir les deux tiers des suffrages dans chacune des chambres du Parlement.
La Constitution de la Belgique prévoit en outre une procédure particuliÚre connue sous le nom de sonnette d'alarme qui permet à un groupe linguistique d'interrompre la procédure parlementaire pour provoquer une phase de négociations gouvernementale lorsque ce groupe estime ses droits légitimes gravement lésés. Si lors de la discussion d'une proposition ou d'un projet de loi ou d'ordonnance, une motion motivée signée par les trois quarts au moins des membres d'un des groupes linguistiques déclare que les dispositions d'un projet ou d'une proposition de loi qu'elle désigne sont de nature à porter atteinte aux relations entre les communautés, la procédure parlementaire normale est suspendue et la question est déférée au Conseil des ministres fédéral, organe paritaire, qui émet un avis motivé dans les 30 jours et invite le parlement à se prononcer soit sur cet avis, soit sur le projet ou la proposition éventuellement amendée.
Espagne
L'article 167 de la Constitution espagnole prĂ©voit une majoritĂ© des 3â5 des suffrages dans les deux Chambres du Parlement espagnol afin de modifier la constitution[10].
France
En France, la minorité de blocage est possible notamment dans le cadre de l'article 89 de la Constitution. En effet, l'article dispose en son alinéa 3[11] :
« Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en CongrÚs ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquiÚmes des suffrages exprimés. Le bureau du CongrÚs est celui de l'Assemblée nationale. »
En Ă©tablissant la majoritĂ© au 3â5 des suffrages exprimĂ©s (soit 60 % des membres du CongrĂšs), la Constitution autorise la mise en place d'une minoritĂ© de blocage correspondant Ă 2â5+1 (40 %+1) des suffrages exprimĂ©s (sans prendre en compte d'Ă©ventuels absences du cĂŽtĂ© des personnes en faveur de la modification)[11].
Cette majoritĂ© forte nĂ©cessaire montre l'importance revĂȘtue par les rĂ©visions de la Constitution dans lâĂtat et les consĂ©quences que cela peut avoir sur les institutions[11].
Pays-Bas
La Constitution des Pays-Bas dispose que, pour ĂȘtre modifiĂ©e, une majoritĂ© des 2â3 est nĂ©cessaire dans les deux chambres[12].
Sources
Références
- Raison derriÚre une majorité qualifiée
- « La face cachée du Vlaams Blok », sur La libre.be,
- Abuso de minorĂa, p. 4
- Abuso de minorĂa, p. 5
- Abuso de minorĂa
- Minorités de blocage dans les SARL
- Ce qu'il faut savoir sur la loi Florange, 14 avril 2015, Challenges.
- Renault : l'Ătat impose les droits de vote doubles Ă l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale,30 avril 2015, Le Parisien.
- Toutefois cette disposition s'applique à tous, et peut inversement aller à l'encontre des souhaits des minoritaires : on ne parle donc pas dans ce cas d'une minorité de blocage
- Article 167 de la Constitution espagnole
- Article 89 de la Constitution française
- Procédure de révision de la constitution
Références institutionnelles
- « Constitution de l'Espagne », sur congreso.es (consulté le )
- « Constitution de la République française », sur conseil-constitutionnel.fr (consulté le )
- « Herzieningsprocedure Grondwet », sur denederlandsegrondwet.nl (consulté le )
Divers
- « Les minorités de blocage dans les SA et les SARL », sur droit-finances.commentcamarche.net (consulté le )
- (es) Abuso de minorĂa (lire en ligne)