Madamisme
Le madamisme (ou madamismo ou madamato ) désignait, d'abord en Érythrée et plus tard dans les autres colonies italiennes, une relation temporaire de concubinage entre un citoyen italien (principalement des soldats, mais pas seulement) et une femme autochtone des terres colonisées, appelée dans ce cas madame.
Le dämòz
Dès les premières années de la présence italienne en Afrique de l'Est, le phénomène a été justifié par beaucoup comme répondant à la tradition locale du dämòz ou « mariage salarié temporaire »[1] - [2] pratiqué par les Amharas.
Selon Jean-Marc Prost-Tournier[1],
« Il existe enfin une troisième forme de mariage répandu dans certaines catégories du bas peuple : c'est le mariage salarié temporaire ou Damoz ; il s'agit alors de soldats ou de marchands qui prennent un "femme-liaison" (Tiqir) après avoir conclu un arrangement matériel et financier devant un juge et des témoins, et s'engagent pour un temps limité. »
Selon Frédéric Salim[2],
« Chez les Amharas d’Éthiopie (Dirasse, 1991[3]), il existe un type de mariage, dit damoz, par lequel l’homme se lie à une « épouse-auberge » pour une durée limitée, stipulant la rémunération de la femme et l’ensemble des services domestiques et sexuels que celle-ci doit assurer. »
Le fascisme colonial
Le madamisme est une forme de mariage qui lie les époux par une réciprocité des obligations, dont celle de l'homme est de pourvoir aux besoins de ses enfants même après la résiliation du contrat[4] - [5]. Très souvent cependant, les Italiens ont compris le madamisme comme un libre accès aux services domestiques et sexuels, sans trop se soucier des devoirs prévus par le contrat[6]. le cas le plus célèbre et le plus controversé rétrospectivement est celui d'Indro Montanelli, âgé de 26-27 ans à l'époque, qui, s'étant porté volontaire pour Asmara, y a contracté une relation de madamisme avec une jeune érythréenne d'environ 12-14 ans nommée Destà , qui l'a suivi lors de ses voyages dans les territoires colonisés[7] - [8].
Ce type de cohabitation, déjà considéré à l'époque par Ferdinando Martini, premier gouverneur d'Erythrée, comme une tromperie et un abus envers les femmes autochtones[9], est une habitude qui s'est fortement répandue d'une part en raison de l'éloignement des épouses italiennes et des familles, d'autre part parce que les commandements militaires jugeait cette pratique préférable à la fréquentation occasionnelle des prostituées locales, vecteur de maladies sexuellement transmissibles. Le phénomène a conduit à la naissance et à l'abandon d'un nombre élevé d'enfants métis non reconnus par leurs pères, enfants pour lesquels la seule possibilité était d'être pris en charge par un orphelinat religieux. Toutefois, la cohabitation fondée sur un plus grand sens des responsabilités de la part des Italiens était fréquente et les cas de reconnaissance légale des enfants sont nombreux car la plupart des soldats qui ont eu recours au madamisme étaient célibataires[10] - [11]. Ainsi, le terme « insabbiatto » (« ensablé ») désigne les anciens colons italiens qui ont choisi de s'installer définitivement en Ethiopie et en Erythrée après 1941 parce qu'ils y avaient fondé une famille. À la fin de la période coloniale, nombre de ces ensablés ont légalisé leur union avec leur « madame »[12].
Après l'invasion de la Libye, le phénomène s'est également étendu à ces régions, à tel point que le 17 mai 1932, Rodolfo Graziani a publié une circulaire de Benghazi rapatriant quatre officiers qui y avaient eu recours[13]. Dans le même document, le général affirmait que « celui du Mabruchismo[14] est un autre des fléaux qui sévissaient dans la colonie, dont il reste quelque trace, ou quelque nostalgie, que je veux absolument éradiquer » car « même indépendamment de toute considération politique (en raison de la spéculation que le monde indigène aime faire sur nos relations avec ses femmes) le seul côté disciplinaire et moral du phénomène suffit à le condamner et à le dénigrer »[13].
Avant même l'introduction des lois raciales fascistes, le madamisme est interdit par décret royal[15] à partir de 1937, puis poursuivi pénalement par la loi (qui le punit d'un emprisonnement de 1 à 5 ans[15]), mais avec peu de résultats ; ceci malgré les efforts de l'État pour étendre les bordels dans les territoires coloniaux[16] - [17]. En fait, le régime fasciste l'a jugée ruineuse pour l'intégrité de la race et pour le prestige de l'Italie impériale, comme en témoigne l'ultimatum « Aut Imperium Aut Voluptas !» (du latin, , « O potere o piacere ! », « Ou le pouvoir ou le plaisir ! ») lancé en 1938 par le gouverneur de Harar, Guglielmo Nasi[18].
Notes et références
- (it) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en italien intitulé « Madamato » (voir la liste des auteurs).
- Jean-Marc Prost-Tournier, « La population de l'Ethiopie », Géocarrefour, vol. 49, no 4,‎ , p. 311–342 (cf bas de p. 332) (DOI 10.3406/geoca.1974.1657, lire en ligne, consulté le )
- Frédéric Salim, « Les échanges économico-sexuels », Regards croisés sur l'économie, vol. 2014/2, no 15,‎ , p. 302-305 (DOI 10.3917/rce.015.0302, lire en ligne)
- (en) Laketch Dirasse, The commoditization of the female sexuality : prostitution and socio-economic relations in Addis Ababa, Ethiopia, New York, AMS Press, , 168 p. (ISBN 978-0-404-62611-2)
- (en) David Levinson, Encyclopedia of World Cultures: Africa and the Middle East, Etats-Unis, G K Hall & Co, , 496 p. (ISBN 978-0-816-11815-1), p. 19 :
« Temporary marriage (damoz) obliges the husband to pay housekeeper's wages for a period stated in advance. (...) The contract, although oral, was before witnesses and was therefore enforceable by court order. The wife had no right of inheritance, but if children were conceived during the contract period, they could make a claim for part of the father's property, should he die. »
- (en) W. Weissleder, « Amhara Marriage: The Stability of Divorce », Revue Canadienne de Sociologie, Wiley-Blackwell, vol. 11(1),‎ , p. 67-85 (DOI 10.1111/j.1755-618x.1974.tb00004.x)
- (it) « Museo virtuale delle intolleranze e degli stermini - Il madamato », sur archive.is, (consulté le )
- « Un'accusa ingiusta e strumentale », sur www.fondazionemontanelli.it (consulté le )
- « Italie: la statue du journaliste Indro Montanelli dégradée, il avait reconnu avoir acheté et épousé une enfant érythréenne de 12 ans », sur RTBF Info, (consulté le )
- (it) Simonetta Agnello Hornby, Caffè amaro, Feltrinelli Editore, (ISBN 978-88-588-3024-6, lire en ligne)
- (it) Irma Taddia, La memoria dell'Impero : autobiografie d'Africa Orientale, Manduria, P. Lacaita, , 143 p. (BNF 35035596), p. 90
- Gian-Luca Podesta, « L'émigration italienne en Afrique orientale », Annales de démographie historique, vol. 2007/1, no 113,‎ , p. 59-84 (DOI 10.3917/adh.113.0059, lire en ligne)
- Fabienne Le Houérou, « Les Italiens en Abyssinie à l’époque du fascisme : les « ensablés » », Revue européenne des migrations internationales, vol. 34, no vol. 34 - n°1,‎ , p. 103–125 (ISSN 0765-0752, DOI 10.4000/remi.10147, lire en ligne, consulté le )
- (it) Luigi Goglia et Fabio Grassi, Il colonialismo italiano da Adua all'impero, Roma-Bari, Laterza, Laterza, , 454 p. (ISBN 978-8-842-04308-9)
- Synonyme de madamato, dérivé du terme arabe mabrukah, désignant la femme.
- (it) « REGIO DECRETO-LEGGE 19 aprile 1937, n. 880 - Normattiva : Sanzioni per i rapporti d'indole coniugale fra cittadini e sudditi. (037U0880) », sur www.normattiva.it, (consulté le )
- (it) « PROSTITUZIONE E SEGREGAZIONE RAZZIALE NELLE COLONIE ITALIANE », (consulté le ) : « Cependant, avant d'utiliser des Italiennes, on a tenté de transférer des Françaises dans des maisons closes en confiant la tâche à une maîtresse de Marseille, mais les Françaises, dès leur arrivée à Djibouti, n'ont pas obtenu des autorités de Paris l'autorisation de continuer et sont retournées chez elles. »
- (it) Michele Strazza, « Faccetta nera dell’Abissinia - Madame e meticci dopo la conquista dell’Etiopia », HUMANITIES,‎ , p. 116-133 (DOI 10.6092/2240-7715/2012.2.116-133, lire en ligne [PDF])
- (it) Loredana Garlati Giugni et Tiziana Vettor, Il diritto di fronte all'infamia nel diritto: a 70 anni dalle leggi razziali, Giuffrè Editore, , 238 p. (ISBN 978-88-14-14647-3, lire en ligne), p. 96
Bibliographie
- « Mémoire de l'Italie fasciste en Ethiopie (1/2) », sur L'influx, (consulté le )
- Matard-Bonucci Marie-Anne, « D'une persécution l'autre : racisme colonial et antisémitisme dans l'Italie fasciste », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2008/3 (n° 55-3), p. 116-137. DOI : 10.3917/rhmc.553.0116. URL : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2008-3-page-116.htm
- Fabienne Le Houérou, « Des oubliés de l'histoire: les « ensablés » en Ethiopie », Revue d'histoire moderne et contemporaine, vol. 36, no 1,‎ , p. 153–165 (DOI 10.3406/rhmc.1989.1487, lire en ligne, consulté le )
- Licia Bagini, « La femme noire victime des violences coloniales dans l’A.O.I. », dans Le corps en lambeaux : Violences sexuelles et sexuées faites aux femmes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », (ISBN 978-2-7535-5553-2, lire en ligne), p. 261–271
- Fabienne Le Houérou, « Les traces et empreintes d’un éros colonial, les « ensablés » d’Abyssinie », L’Algérie sociologique,‎ (lire en ligne)
Articles connexes
Liens externes
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