La "machine à expérience" ou "machine à plaisir" est une expérience de pensée proposée par le philosophe Robert Nozick dans son livre Anarchie, État et utopie[1]. Elle présente un argument critique central contre l'hédonisme, en imaginant un choix entre la réalité quotidienne et une réalité simulée apparemment préférable.
La thèse principale de l'hédonisme est que le plaisir s'identifie au bien. Ce point de vue inspire indirectement toute la doctrine utilitariste classique. Nozick attaque cette thèse au moyen d'une expérience de pensée: il nous demande d'imaginer une machine qui pourrait nous offrir toutes les expériences désirables ou agréables que nous pourrions souhaiter, expériences que nous n'aurions pas les moyens de distinguer de celles que nous aurions en dehors de la machine. Il pose ensuite la question, si on nous donne le choix, de savoir si nous préférerions la machine à la vraie vie.
Nozick estime que si le plaisir était la seule valeur intrinsèque, nous choisirions sans réserve de nous connecter à une telle machine à expérience. Si nous hésitons ou refusons de le faire, cela signifie que l'hédonisme ne peut être tenu pour une éthique universelle valide.
Or Nozick donne plusieurs raisons de ne pas nous connecter à la machine:
- Nous voulons faire effectivement certaines choses, et pas seulement avoir l'expérience de les faire.
- Nous voulons "être" une certaine sorte de personne, et non seulement éprouver des sensations.
- L'expérience ne propose aucun contact réel avec une réalité plus profonde, même si celle-ci peut être simulée.
Le philosophe Joshua Greene a proposé en 2014 une reformulation de l'expérience de Nozick visant à éliminer le biais de conservatisme [2]. Sa description est la suivante: vous vous réveillez dans une pièce toute blanche. Vous êtes assis sur une chaise inclinable avec un dispositif en acier sur la tête. Une femme en blouse blanche se tient au-dessus de vous. "Nous sommes en 2659", explique-t-elle, "La vie que vous connaissez est un programme de machine à expérience que vous avez sélectionné il y a une quarantaine d'années. Chez IEM, nous interrompons les programmes de nos clients à des intervalles de dix ans pour assurer la satisfaction des clients. Nos dossiers indiquent que lors de vos trois interruptions précédentes, vous avez jugé votre programme satisfaisant et avez choisi de continuer. Comme précédemment, si vous choisissez de poursuivre votre programme, vous reviendrez à votre vie telle que vous la connaissez sans vous souvenir de cette interruption. Vos amis, vos proches et vos projets seront tous là. Bien sûr, vous pouvez choisir de mettre fin à votre programme à ce stade si vous n'êtes pas satisfait pour une raison quelconque. Avez-vous l'intention de poursuivre votre programme?"
Si la réponse à cette nouvelle expérience n'est pas la même que celle de la première, la différence peut être expliquée par le biais de conservatisme, ou préférence pour le statu quo. Les conclusions critiques vis-à-vis de la question de l'hédonisme doivent alors être réexaminées.
Dans la fiction
Le film "Matrix" de 1999 explore la question du choix entre différents niveaux de réalité. Le classique de science-fiction "Demain les chiens" de Clifford Simak (1952) décrit l'exode volontaire de la plus grande partie du genre humain vers un monde de plaisirs situé sur la planète Jupiter.
Notes et références
- Robert Nozick, Anarchy, state, and utopia, New York, Basic Books, , 42–45 p. (ISBN 0-465-09720-0, lire en ligne)
- Katarzyna de Lazari-Radek et Peter Singer, The Point of View of the Universe : Sidgwick and Contemporary Ethics, OUP Oxford, , 257 p. (ISBN 978-0-19-102242-5, lire en ligne)