MĂ©morial de Sighet
Le MĂ©morial des victimes du communisme et de la rĂ©sistance de Roumanie comprend le musĂ©e situĂ© dans l'ancienne prison de Sighetu MarmaÈiei, qui se trouve dans le JudeÈ de MaramureÈ, et le Centre International dâĂtudes sur le Communisme basĂ© Ă Bucarest. Le mĂ©morial vise Ă reconstruire et Ă prĂ©server la mĂ©moire collective de la rĂ©sistance en Roumanie.
Historique
La prison de Sighet a Ă©tĂ© construite en 1897 par l'administration austro-hongroise. C'Ă©tait une prison de droit commun. De 1944 Ă 1947, avec la mise en place dâun rĂ©gime totalitaire communiste dont la lĂ©gitimitĂ© se basera sur des Ă©lections truquĂ©es (19 novembre 1946), lâopposition politique deviendra un dĂ©lit, et la critique du pouvoir sera assimilĂ©e Ă une trahison. Les procĂšs de type soviĂ©tique, avec des scĂ©narios et des preuves inventĂ©s, deviendront courants, et les condamnations pour « conspiration contre lâordre social » se multiplieront. Sighet deviendra la prison des Ă©lites.
En mai 1950, plus d'une centaine de dignitaires de tout le pays (anciens ministres, universitaires, Ă©conomistes, militaires, historiens, journalistes, hommes politiques) sont amenĂ©s au pĂ©nitencier de Sighet par convois spĂ©ciaux, certains condamnĂ©s Ă de lourdes peines, d'autres pas mĂȘme jugĂ©s.
« Sighet Ă©tait une petite prison, mais spĂ©cialisĂ©e dans lâopĂ©ration de liquidation, par mort lente, des Ă©lites[1].»
Les prisonniers Ă©taient maintenus dans des conditions insalubres, mal nourris, sans chauffage, empĂȘchĂ©s de s'allonger durant la journĂ©e sur les lits des cellules. Il Ă©tait interdit de regarder par la fenĂȘtre ; ceux qui dĂ©sobĂ©issaient Ă©taient punis, enfermĂ©s dans des cellules sans lumiĂšre. Plus tard, des volets ont Ă©tĂ© placĂ©s sur les fenĂȘtres, de sorte que seul le ciel pouvait ĂȘtre vu. L'humiliation faisait partie du programme d'extermination.
En 1955, à la suite de la Convention de GenÚve et de l'admission de la République populaire roumaine à l'ONU, une grùce a été accordée. Un certain nombre de prisonniers politiques des prisons roumaines ont été libérés, d'autres ont été transférés ailleurs ou ont été placés en résidence surveillée. A Sighet, sur 180 prisonniers environ, 53 étaient déjà morts. La prison de Sighet est redevenue une prison de droit commun. Cependant, des prisonniers politiques ont continué à y passer dans les années suivantes, notamment « en transit » vers l'hÎpital psychiatrique local.
En 1977, la prison a été désaffectée ; le bùtiment a dÚs lors commencé à se dégrader.
MĂ©morial
La Fondation de l'Académie civique a repris les ruines de l'ancienne prison en 1994, en vue de la transformer en Mémorial.
Les travaux de réhabilitation du bùtiment ont duré jusqu'en l'an 2000. L'édifice centenaire était délabré, plein d'humidité, il a fallu restaurer les fondations, l'isolation, la toiture. Les murs intérieurs, qui avaient été repeints et ne ressemblaient plus à la période des années 50, ont été blanchis à la chaux.
Chaque cellule est devenue une salle de musée, dans laquelle, suivant un ordre chronologique, des objets, des photos, des documents ont été placés, créant l'ambiance et la documentation d'une salle de musée.
Dans l'une des cours intĂ©rieures de l'ancienne prison, Ă la suite d'un concours de projets auquel ont participĂ© 50 architectes et artistes, un Espace de Retraite et de PriĂšre a Ă©tĂ© construit en 1997, selon le projet de l'architecte Radu MihÄilescu, qui allie le style ancien (suggĂ©rant la tholos grec et la catacombe chrĂ©tienne) avec une vision moderne. Sur les murs de la rampe de descente dans l'espace souterrain, les noms de prĂšs de huit mille morts des prisons, des camps et des lieux de dĂ©portation en Roumanie ont Ă©tĂ© gravĂ©s dans de l'andĂ©site.
L'opĂ©ration de collecte des noms des morts a nĂ©cessitĂ© dix ans de travail au sein du Centre international d'Ă©tudes sur le communisme, et le chiffre est loin de couvrir la vĂ©ritable ampleur de la rĂ©pression. La plupart des noms ont Ă©tĂ© Ă©tablis par Cicerone IoniÈoiu et Eugen Sahan, tous deux Ă la fois historiens par vocation et anciens prisonniers politiques. Les dĂ©penses matĂ©rielles pour la conception et la construction de l'espace de retraite et de priĂšre ont Ă©tĂ© prises en charge par MiÈu CĂąrciog, un homme d'affaires roumain, qui reste Ă ce jour le principal donateur du MĂ©morial.
Ćuvres au sein du MĂ©morial
L'idĂ©e de ponctuer la visite des 50 salles du MusĂ©e par des Ćuvres d'art est nĂ©e de la nĂ©cessitĂ© de complĂ©ter le contenu scientifique des thĂšmes abordĂ©s dans les diffĂ©rentes salles du musĂ©e : en suggĂ©rant la souffrance que la rĂ©pression a engendrĂ©e ; en suscitant l'Ă©motion face Ă la violence et Ă l'absurditĂ© du mal.
Plusieurs Ćuvres d'art de grande valeur complĂštent le profil du MĂ©morial, lui confĂ©rant un statut particulier parmi les musĂ©es d'histoire.
Les Ćuvres, donnĂ©es par les auteurs, impressionnent par la symbolique du sacrifice acceptĂ© qui les caractĂ©rise : la tapisserie "LibertĂ©, nous t'aimons" de Èerbana Dragoescu, le tableau "RĂ©surrection" de Christian Paraschiv, la sculpture en bronze "Mer Noire" dĂ©diĂ©e par Ovidiu Maitec Ă l'historien Gheorghe I. BrÄtianu
Les deux grandes sculptures de Camilian Demetrescu intitulées "Hommage au prisonnier politique" (dont une sous-titrée "Résurrection") donnent à l'atmosphÚre des traits dramatiques et édifiants.
Tout aussi impressionnant est le triptyque Requiem de Victor CupÈa, dĂ©diĂ© aux victimes du communisme de tous les pays oĂč le communisme a exercĂ© son pouvoir. L'Ćuvre est situĂ©e dans la salle d'accueil des visiteurs du CimetiĂšre des Pauvres - NĂ©cropole des sans sĂ©pulture.
A ceux-ci s'ajoute une Ćuvre d'envergure en termes de taille et de souffle artistique, devenue l'un des emblĂšmes du musĂ©e : il s'agit du groupe statuaire intitulĂ© "CortĂšge des victimes sacrificielles", rĂ©alisĂ© par le sculpteur Aurel I. Vlad. Il s'agit de dix-huit figures humaines marchant vers un mur qui ferme leur horizon, tout comme le communisme avait bloquĂ© la vie de millions de personnes. PrĂ©sentĂ©e en 1997 en bois, l'Ćuvre a Ă©tĂ© coulĂ©e en bronze l'annĂ©e suivante et se trouve aujourd'hui dans une autre cour intĂ©rieure de l'ancienne prison.
CimetiĂšre des Pauvres
Un dernier élément du Mémorial est le CimetiÚre des pauvres, situé à 2,5 kilomÚtres, à l'extérieur de la ville. Selon les légendes de l'époque, les 54 morts de la prison politique ont été secrÚtement enterrés ici la nuit.
En 1999, un projet paysager est imaginé pour célébrer le sacrifice de ces victimes. Un contour du pays a été dessiné sur la surface de 14 500 mÚtres carrés du cimetiÚre. Des jeunes arbres (principalement des conifÚres ) ont été plantés à l'extérieur du tracé. Par leur croissance, les genévriers, ifs, sapins et épicéas deviendront un amphithéùtre végétal à l'intérieur duquel le "pays" restera comme une clairiÚre. L'idée est que, de cette façon, la patrie tient ses martyrs dans ses bras et les pleure à travers des générations répétées de végétation. Depuis un belvédÚre qui sera placé en hauteur, précisément sur les rives de la Tisza (qui est la frontiÚre actuelle avec l'Ukraine ), les visiteurs du Mémorial pourront mieux voir ce dessin symbolique, la nature complétant le projet.
Reconnaissance
En 1993, Ana Blandiana a prĂ©sentĂ© au Conseil de l'Europe (CE) un projet demandant que le MĂ©morial des victimes du communisme et de la rĂ©sistance soit crĂ©Ă© sur le site de la prison : ce qui fut fait en 1994, lorsque le CE l'a prise sous ses auspices[2]. Le MĂ©morial a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© "ensemble d'intĂ©rĂȘt national", par une loi spĂ©ciale du 12 juin 1997[2] - [3]. En octobre 1998, le mĂ©morial de Sighet a Ă©tĂ© nommĂ© par le CE parmi les trois premiers lieux de culture de la mĂ©moire europĂ©enne, aux cĂŽtĂ©s du MĂ©morial d'Auschwitz et du MĂ©morial de la Paix de Normandie[2] - [4].
Personnalités décédées à la prison de Sighet
- Constantin Argetoianu, médecin, licencié en droit et en lettres.
- Sebastian Bornemisa, philosophe, journaliste, maire de Cluj, ministre sous-secrĂ©taire d'Ătat
- Constantin IC BrÄtianu, ingĂ©nieur, dĂ©putĂ©, ancien ministre.
- Gheorghe I. BrÄtianu, licenciĂ© en droit et lettres, docteur en philosophie, professeur d'universitĂ©, ancien ministre.
- Dumitru Burilleanu, ancien gouverneur de la Banque nationale.
- Ion CÄmÄrÄÈescu, licenciĂ© en droit (Ă Paris), ancien ministre et dĂ©putĂ©.
- Tit-Liviu Chinezu, Ă©vĂȘque grĂ©co-catholique, professeur de philosophie.
- Ion Èerban Christu, docteur en droit, ancien ministre.
- Henri Cihoski, général de corps d'armée, ancien sénateur de droit.
- Daniel Ciugureanu, dirigeant bessarabien, l'un des promoteurs de l'Union de la Bessarabie avec la Roumanie, docteur en mĂ©decine, dĂ©putĂ© au Conseil du Pays de Chisinau, prĂ©sident du Conseil des ministres de la RĂ©publique dĂ©mocratique moldave Ă l'Ă©poque de l'Union du 27 mars 1918, ministre d'Ătat dans 4 gouvernements de Roumanie, dĂ©putĂ© et sĂ©nateur, vice-prĂ©sident de la Chambre des dĂ©putĂ©s, vice-prĂ©sident et prĂ©sident du SĂ©nat du Royaume de la Grande Roumanie, diplomate Ă la ConfĂ©rence de paix de Paris. Selon les archives de sĂ©curitĂ©, il est dĂ©cĂ©dĂ© Ă la prison de Sighet le 19 mai 1950.
- Tancred Constantinescu, ingénieur, ancien ministre.
- Grigore Dumitrescu, professeur de droit roumain, député, gouverneur de la Banque nationale.
- Anton Durcovici, Ă©vĂȘque catholique de Iasi.
- Traian Valeriu Frentiu, Ă©vĂȘque grĂ©co-catholique de Lugoj et Oradea, mĂ©tropolite supplĂ©ant de Blaj.
- Grigore Georgescu, amiral.
- Stan GhiÈescu, ancien dĂ©putĂ©, sĂ©nateur et ministre, vice-prĂ©sident de la Chambre des dĂ©putĂ©s.
- Alexandru Glatz, gĂ©nĂ©ral de division, ancien secrĂ©taire d'Ătat.
- Ion Gruia, licencié en droit, professeur, ancien ministre.
- Ioan IlcuÈ, gĂ©nĂ©ral, chef d'Ă©tat-major, ancien ministre.
- Alexandru Lapedatu, licenciĂ© en histoire (spĂ©cialiste de l'histoire du Moyen Ăge) et en gĂ©ographie, professeur, ancien prĂ©sident de l'AcadĂ©mie roumaine, ancien ministre.
- Ion I. Lapedatu, spécialiste des finances, diplÎmé de Budapest, professeur à l'Académie de commerce de Cluj, ancien député, sénateur, ministre et gouverneur de la Banque nationale de Roumanie, membre honoraire de l'Académie roumaine.
- Ion Macovei, ingénieur, directeur général des Chemins de fer, ancien ministre.
- Augustin Maghiar, chanoine gréco-catholique, vicaire général du diocÚse d'Oradea.
- Iuliu Maniu, docteur en droit, prĂ©sident du PNR puis du PNÈ, ancien ministre
- Mihail Manoilescu, ingĂ©nieur, professeur d'Ă©conomie Ă l'Ăcole polytechnique de Bucarest, ancien ministre, dĂ©putĂ© et sĂ©nateur, ancien gouverneur de la Banque nationale.
- Ion Manolescu-Strunga, docteur en Ă©conomie, ancien ministre.
- Nicolae MareÈ, ingĂ©nieur, ancien ministre.
- Mihail MÄgureanu, ancien sous-secrĂ©taire d'Ătat.
- Tiberiu MoÈoiu, docteur en droit, professeur de droit roumain Ă la facultĂ© de droit de Cluj, ancien sous-secrĂ©taire d'Ătat, ancien gouverneur de la Banque nationale.
- Dumitru Munteanu-RĂąmnic, licenciĂ© en histoire, ancien dĂ©putĂ©, sĂ©nateur et sous-secrĂ©taire d'Ătat.
- Nicolae PaiÈ, contre-amiral, ancien adjudant royal, chef d'Ă©tat-major Ă la Marine, sous-secrĂ©taire d'Ătat.
- Ion Pelivan, licencié en droit et en théologie, professeur d'université, ancien ministre, ancien député.
- Doru Popovici, ancien ministre et secrĂ©taire d'Ătat.
- Albert Popovici-TaÈcÄ, docteur en droit, ancien dĂ©putĂ©, ancien sous-secrĂ©taire d'Ătat.
- Radu PortocalÄ, avocat, doyen Ă vie du barreau de BrÄila, ancien dĂ©putĂ©, ancien ministre, secrĂ©taire d'Ătat
- Virgil PotĂąrcÄ, licenciĂ© en droit, ancien dĂ©putĂ©, sĂ©nateur, sous-secrĂ©taire d'Ătat et ministre.
- Mihail I. RacoviÈÄ, gĂ©nĂ©ral du corps d'armĂ©e, ancien ministre.
- Ion RÄÈcanu, gĂ©nĂ©ral du corps d'armĂ©e, ancien dĂ©putĂ© et sĂ©nateur, ancien ministre, ancien maire de Bucarest.
- Radu RoÈculeÈ, diplĂŽmĂ© en droit, ancien prĂ©fet, dĂ©putĂ©, ministre.
- Nicolae Samsonovici, général de division, ancien chef d'état-major général et ancien ministre.
- Ion Sandu, sous-secrĂ©taire d'Ătat.
- Constantin Simian, docteur en droit, ancien député, ancien vice-président de la Chambre des députés.
- Ioan Suciu, Ă©vĂȘque grĂ©co-catholique d'Oradea, administrateur apostolique de la MĂ©tropole de Blaj.
- Gheorghe TaÈcÄ, licenciĂ© en droit, docteur en Ă©conomie, professeur d'Ă©conomie Ă l'AcadĂ©mie commerciale de Bucarest, ancien dĂ©putĂ© et ministre.
- Constantin TÄtÄranu, ancien gouverneur de la Banque nationale de Roumanie.
- Gheorghe Vasiliu, gĂ©nĂ©ral d'aviation, ancien ministre sous-secrĂ©taire d'Ătat.
- Aurel Vlad, docteur en droit, ancien député et ministre.
Autres détenus
- Ăron MĂĄrton, Ă©vĂȘque catholique romain d'Alba Iulia
- Alexandru Todea, doyen de Reghin, plus tard archevĂȘque et cardinal
Articles connexes
- Le CimetiĂšre des Pauvres Ă Sighet
- MĂ©morial de la douleur
- Le rapport Tismaneanu
- Roumanie communiste
- RĂ©publique populaire roumaine
- La RĂ©publique socialiste de Roumanie
- Le mouvement de résistance anticommuniste
- DĂ©portations Ă BÄrÄgan
- La prison de PiteÈti
Notes
- Romulus Rusan, RĂ©pression et terreur dans la Roumanie communiste, revue Communisme n° 91/92, 2007, Editions LâAge dâHomme
- Memorialul Sighet, reper intre opresiune si martiraj, 7 decembrie 2006, Adrian Bucurescu, RomĂąnia liberÄ, accesat la 18 februarie 2014
- Inchisoarea si Memorialul din Sighet, 2 iulie 2012, Teodor DÄnÄlache, CrestinOrtodox.ro, accesat la 18 februarie 2014
- Sighet - tragedii si sperante, 5 august 2005, Adrian Bucurescu, RomĂąnia liberÄ, accesat la 18 februarie 2014
Bibliographie
Liens externes
- Mémorial aux victimes du communisme et de la résistance
- Le site du processus du communisme
- De l'histoire de la prison de Sighet avant 1948
- Les débuts du Mémorial de Sighet, 3 février 2012, Virgile Lazar, Roumanie libre
- Les ossements des politiciens, 3 novembre 2006, Violeta Fotache, Journal National
- Le MĂ©morial de Sighet Ă 20 ans, 4 juin 2013, Journal Lumina
- Sighet Summer School, 25 juillet 2008, Adrian Bucurescu, Roumanie libre
- MĂ©moire et justice, 9 juin 2007, Mihai Creanga, Roumanie libre