Loi Pica
La loi 1409 de 1863, plus connu comme la loi Pica, du nom de son promoteur, le dĂ©putĂ© des Abruzzes, Giuseppe Pica, a Ă©tĂ© approuvĂ©e par le parlement de la droite historique et a Ă©tĂ© promulguĂ©e par Victor-Emmanuel II, roi d'Italie, le de la mĂȘme annĂ©e. PrĂ©sentĂ©e comme un « moyen exceptionnel et temporaire de dĂ©fense », la loi a Ă©tĂ© prorogĂ©e Ă plusieurs reprises et complĂ©tĂ©e par des modifications ultĂ©rieures, elle est restĂ©e en vigueur jusqu'au . Son but principal Ă©tait de rĂ©primer le brigandage post-unitaire dans le Mezzogiorno.
Contexte
La mesure lĂ©gislative suit de prĂšs de douze mois la proclamation par le gouvernement de l'Ă©tat de siĂšge dans les provinces mĂ©ridionales, qui a eu lieu Ă l'Ă©tĂ© 1862[1]. L'Ă©tat de siĂšge est destinĂ© Ă concentrer le pouvoir dans les mains de l'autoritĂ© militaire afin de rĂ©primer l'activitĂ© de rĂ©sistance armĂ©e[2] : ceux qui sont capturĂ©s avec l'accusation de brigandage sont suspectĂ©s d'ĂȘtre des rebelles ou parents de rebelles et Ă ce titre passĂ©s par les armes sans aucune formalitĂ©[3].
Lors de la session parlementaire du , le sĂ©nateur Giuseppe Ferrari dit : « Vous ne pouvez pas nier que des familles entiĂšres sont arrĂȘtĂ©s sous le moindre prĂ©texte, qu'il y a, dans ces provinces, des hommes acquittĂ©s par les tribunaux et qui sont toujours en prison. Il a Ă©tĂ© introduit une nouvelle loi en vertu de laquelle tous les hommes pris les armes Ă la main seront fusillĂ©s. C'est ce qu'on appelle une guerre barbare, une guerre sans quartier. Si votre conscience ne vous dit que vous ĂȘtes en train de vous vautrer dans le sang, je ne sais plus comment m'exprimer »[4].
En revanche, ceux qui rĂ©ussissent Ă Ă©viter le peloton d'exĂ©cution ne peuvent plus ĂȘtre jugĂ©s par les tribunaux militaires et ils sont soumis Ă la justice ordinaire[3], qui, selon les modifications apportĂ©es au code pĂ©nale piĂ©montais en 1859, ne prĂ©voit plus l'application de la peine de mort pour les crimes politiques[5].
La loi Pica, suspendant la garantie des droits constitutionnels couverts par le Statut albertin, est destinée à combler ce « vide », soustrayant les suspects de brigandage aux tribunaux civils en faveur des tribunaux militaires.
Brigandage et camorra
La loi Pica, dont le titre est « ProcĂ©dure pour la rĂ©pression du brigandage et des camorristes dans les Provinces infectĂ©es » est la premiĂšre disposition lĂ©gislative de l'Ătat unitaire dans lequel il est envisagĂ© le crime de camorrites[6].
Outre l'introduction du crime de brigandage, la loi 1409/1863 définit le périmÚtre de l'ordre public incluant aussi les actes criminels commis par le secteur naissant du crime organisé. La loi Pica introduit également, pour la premiÚre fois, la peine d'assignation à résidence, devenant, par ces deux aspects, le précurseur de la grande production législative destinée à combattre les crimes de la mafia qui caractérisent le XXe siÚcle[7].
Légiférant cependant, sur la proto-mafia et le brigandage par une seule loi, le Parlement italien a associé de maniÚre inapproprié les activités de simples actes de banditisme au brigandage politique anti-unitaire et légitimiste[8].
Mesures législatives
En application de la loi Pica, les tribunaux militaires reçoivent la compĂ©tence en matiĂšre de crimes de brigandage dans les provinces dĂ©finies comme « infestĂ©es par le brigandage » (arrĂȘtĂ© royal du )[9].
Selon la loi, toutes personnes armĂ©es, trouvĂ©es dans un groupe d'au moins trois personnes, peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des brigands et par consĂ©quent, jugĂ©es par une cour martiale[10].
Des milices de volontaires peuvent ĂȘtre crĂ©Ă©es pour pourchasser les brigands et il est Ă©tabli des primes pour chaque brigand arrĂȘtĂ© ou exĂ©cutĂ©[11].
Les peines des condamnĂ©s vont de l'emprisonnement, aux travaux forcĂ©s, Ă la peine de mort[12]. Sont punis de la peine de mort (ou aux travaux forcĂ©s Ă perpĂ©tuitĂ©, dans le cas de circonstances attĂ©nuantes), tous ceux qui opposent une rĂ©sistance armĂ©e Ă l'arrestation, tandis que ceux qui ne s'opposent pas Ă l'arrestation peuvent ĂȘtre punis aux travaux forcĂ©s Ă perpĂ©tuitĂ© ou Ă une peine limitĂ©e de travaux forcĂ©s (en cas de circonstances attĂ©nuantes). Les sanctions applicables augmentent au cas oĂč les auteurs sont reconnus coupables d'autres crimes[12]. Ceux qui fournissent de l'aide et du soutien de toute nature aux brigands peuvent ĂȘtre punis Ă une peine limitĂ©e de travaux forcĂ©s ou Ă de l'emprisonnement (en cas de circonstances attĂ©nuantes)[13]. Sont punis Ă la dĂ©portation, tous ceux qui ont rejoint, mĂȘme momentanĂ©ment, un groupe qualifiĂ© de brigands[5]. Ă l'inverse, il est prĂ©vu des mesures de clĂ©mence pour ceux qui se prĂ©sentent spontanĂ©ment aux autoritĂ©s. Enfin, le crime d'incitation au brigandage est instituĂ©[5].
La loi prévoit en outre la peine de détention à domicile pour les vagabonds, les personnes sans emploi fixe, les suspects de complicité, les camorristes et les partisans, et ce jusqu'à un an de réclusion[14].
Dans les provinces dĂ©signĂ©es « infectĂ©es », des conseils d'inquisiteurs sont instituĂ©s qui comprennent le prĂ©fet, le prĂ©sident du tribunal, le procureur du Roi et deux citoyens de la DĂ©putation provinciale[11] qui ont pour fonction d'Ă©tablir la liste des personnes suspectĂ©es et qui doivent ĂȘtre arrĂȘtĂ©es ou, en cas de rĂ©sistance. La prĂ©sence sur la liste est en soi une preuve pour l'accusation. En essence[15], des allĂ©gations sans fondement ou mĂȘme une vengeance privĂ©e permet de rendre une personne suspecte[6].
La loi a également un effet rétroactif, en d'autres termes, il est possible d'appliquer la loi Pica pour des crimes antérieures à la promulgation de la loi[2].
Avec les modifications ultĂ©rieures, la loi Pica est Ă©tendue Ă la Sicile, bien que le brigandage lĂ©gitimiste des provinces napolitaines en soit absent. L'objectif du gouvernement est de combattre le phĂ©nomĂšne de refus de la conscription. Les insoumis, leurs parents et mĂȘme leurs concitoyens (par le biais de l'occupation militaire des villes et villages) peuvent ĂȘtre poursuivis[16]. La suspension des droits constitutionnels, s'accompagne de mesures comme la punition collective pour les crimes individuels et le droit de reprĂ©sailles contre les villages : la notion de « responsabilitĂ© collective » est introduite[16].
Le contexte social et politique
DĂ©jĂ au cours de la discussion au Parlement, l'hypothĂšse selon laquelle la proposition de Pica peut conduire Ă des erreurs et de l'arbitraire de toutes sortes est avancĂ©e[17] : le sĂ©nateur Ubaldino Peruzzi note que la mesure est « la nĂ©gation de toute libertĂ© politique »[17]. Ă la main de fer proposĂ© par la droite historique, le sĂ©nateur Luigi Federico Menabrea propose une alternative. Menabrea, comme solution au mĂ©contentement populaire et aux insurrections qui ont suivi l'annexion des Deux-Siciles au Royaume d'Italie, propose d'allouer 20 millions de lires pour la rĂ©alisation dâĆuvres publiques dans le Sud[18]. Le plan de Menabrea ne connait pas de suite, le parlement italien employant la maniĂšre forte[18].
En général, la lutte contre le banditisme emploie un important « contingent de la paix » : au début 120 000 hommes, soit prÚs de la moitié de l'effectif de l'armée, puis en réduction jusqu'à atteindre le nombre de 50 000 hommes[19] - [20] - [21].
En substance, la loi ne fait aucune distinction entre les voleurs, les meurtriers, les paysans, les complices réels ou présumés[22]. La loi Pica, par les exécutions, les arrestations et les morts au combat, élimine dans le pays environ 14 000 brigands ou présumés tels[22] (jusqu'à , 12 000 arrestations et déportés, et 2 218 condamnations à mort[23]). La seule année de 1865 voit 55 condamnations à mort, 83 aux travaux forcés à vie, 576 à une peine limitée de travaux forcés et 306 à l'emprisonnement[23]. Malgré une telle rigueur, la loi Pica ne réussit pas à apporter les résultats que le gouvernement s'est fixé[11] : l'activité insurrectionnelle et le brigandage persistent au-delà de 1865 pour durer jusqu'en 1870[24].
Notes et références
- (it) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en italien intitulĂ© « Legge Pica » (voir la liste des auteurs).
Notes
Références
- Martucci, 1980, p. 36
- D'Addio, 1966, p. 136
- D'Addio, 1966, p. 208
- Patrick Keyes O'Clery 2000, p. 528
- Roberto Martucci
- Gigi Di Fiore 1966, p. 70
- Mauro Ronco et Salvatore Ardizzone 2007, p. 663
- Giovanni De Matteo 2000, p. 23
- Martucci, 1980, p. 134
- Martucci, 1980, p. 122
- Luigi Zini 1869, p. 1114
- Martucci, 1980, p. 129
- Martucci, 1980, p. 176
- Martucci, 1980, p. 127
- Martucci, 1980, p. 137
- Salvatore Lupo 2004, p. 49
- Carlo Belviglieri 1868, p. 93-94
- Franco Molfese 1966, p. 283
- Piero Bevilacqua 2003, p. 64
- Luigi Torres 2003, p. 268
- Pier Carlo Boggio 1862, p. 57
- Mario Iaquinta 2002, p. 63
- « La "Legge Pica": fucilazioni, lavori forzati e domicilio coatto », sur brigantaggio.net (consulté le )
- Cesare Cesari 2002, p. 165.
Article connexe
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- (it) Piero Bevilacqua, Breve storia dell'Italia meridionale : dall'Ottocento a oggi, Rome, Donzelli, (ISBN 88-900785-2-9, lire en ligne), p. 64.
- (it) Giovanni De Matteo, Brigantaggio e Risorgimento : legittimisti e briganti tra Borbone e i Savoia, Naples, Guida, , 380 p. (ISBN 88-7188-345-4)
- (it) Mauro Ronco et Salvatore Ardizzone, Codice penale ipertestuale. Leggi complementari. Commentario con banca dati di giurisprudenza e legislazione, Assago, Utet Giuridica, , 2515 p. (ISBN 978-88-598-0135-1 et 88-598-0135-4, lire en ligne)
- (it) Roberto Martucci, Corso di storia delle istituzioni politiche, UnitĂ 8, UniversitĂ degli Studi di Macerata (lire en ligne)
- (it) Roberto Martucci, Emergenza e tutela dell'ordine pubblico nell'Italia liberale, Bologne, il Mulino, .
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- (it) Torres, Il brigantaggio nell'Abruzzo Peligno e nell'alto Sangro : 1860-1870, Alexandrie, Majell, (ISBN 88-900785-2-9)
- (it) Patrick Keyes O'Clery, La rivoluzione italiana. Come fu fatta l'UnitĂ della nazione, Milan, Ares, (ISBN 88-8155-194-2)
- (it) Mario Iaquinta, Mezzogiorno, emigrazione di massa e sottosviluppo, Cosence, Luigi Pellegrini Editore, , 239 p. (ISBN 88-8101-112-3, lire en ligne)
- (it) Mario D'Addio, Politica e magistratura (1848-1876), Milan, GiuffrĂš Editore, .
- (it) Gigi Di Fiore, Potere camorrista : quattro secoli di malanapoli, Naples, Guida, , 276 p. (ISBN 88-7188-084-6, lire en ligne)
- (it) Franco Molfese, Storia del brigantaggio dopo l'UnitĂ , Milan, Feltrinelli,
- (it) Salvatore Lupo, Storia della mafia : dalle origini ai giorni nostri, Rome, Donzelli, , 339 p. (ISBN 88-7989-903-1, lire en ligne)
- (it) Carlo Belviglieri, Storia d'Italia dal 1814 al 1866, vol. 5, Milan, Corona e Caimi Editori, (lire en ligne)
- (it) Luigi Zini, Storia d'Italia dal 1850 al 1866, vol. I, t. II, Milan, Guigoni, (lire en ligne)
- (it) Pier Carlo Boggio, Una pagina di storia, Turin, Tipografia Favale, (lire en ligne)