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L'Adversaire (récit)

L'Adversaire est un récit d'Emmanuel Carrère publié en 2000 aux éditions P.O.L. Ce livre consacré à l'Affaire Romand a marqué en France un tournant de la littérature vers le genre dit de la non-fiction[1]. Il met fin à un cycle (une fascination pour la folie, la perte de l'identité, le mensonge) pour l'auteur qui le considère comme le livre jumeau de La Classe de neige[2].

L'Adversaire
Auteur Emmanuel Carrère
Pays France
Genre RĂ©cit / non-fiction
Éditeur P.O.L
Lieu de parution Paris
Date de parution
Nombre de pages 221
ISBN 2-86744-682-1

Résumé

Le récit a pour sujet l'affaire Jean-Claude Romand. Le , Jean-Claude Romand tue sa femme, en lui fracturant le crâne, et ses enfants, âgés de cinq et sept ans, à l'aide d'une carabine, ainsi que ses parents par le même moyen. Par la suite, il incendie volontairement sa demeure ainsi que les dépouilles et tente en vain de se suicider en avalant une dose de barbiturique. L'enquête révèle qu'il n'était pas médecin comme il le prétendait. Pendant dix-huit ans, Romand a menti à sa famille sur sa situation : il n'avait pas de travail. Lorsqu'un des membres de sa famille commence à comprendre son jeu il décide de tous les supprimer.

Emmanuel Carrère découvre ce fait divers dans un journal. Il est intrigué par l'incongruité de ce crime horrible perpétré par un homme a priori normal et sans histoire. Il décide de prendre contact avec le criminel. Il lui explique qu'il a l'intention de comprendre ce qu'il s'est passé et d'en tirer un livre. Au bout de deux ans, Romand lui répond courtoisement qu'il consent à ce projet et qu'il essaie lui-même de comprendre pourquoi il a commis ce crime qu'il regrette.

Pendant l'été 1996, le procès Romand a lieu à Bourg-en-Bresse. Emmanuel Carrère y assiste. C'est l'occasion pour lui de raconter la vie de l'accusé, de son enfance jusqu'à son crime. Il accorde beaucoup d'importance à la succession de mensonges que Romand va créer dans sa vie. Romand est condamné à la réclusion à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté de 22 ans. Carrère et Romand continuent à s'échanger des lettres où ce dernier raconte sa vie en prison et sa découverte de la foi. Il cherche une rédemption divine. Carrère va le voir trois fois en prison et entre en contact avec deux de ses amis, Bernard et Marie-France, visiteurs de prison.

Personnages

  • Emmanuel Carrère : narrateur et auteur du rĂ©cit.
  • Jean-Claude Romand : Père de famille et homme sans histoires qui ment sur son identitĂ© depuis dix-huit ans. Il tue ses parents, sa femme, ses enfants et son chien.
  • Florence Romand (nĂ©e Crolet): femme de Jean-Claude Romand et mère d'Antoine et de Caroline.
  • Luc Ladmiral : mari de CĂ©cile, père de Sophie, filleule de Jean-Claude Romand ; meilleur ami de Jean-Claude Romand.
  • AimĂ© Romand : père de Jean-Claude Romand et mari d'Anne-Marie Romand[3]. GĂ©rant d'une sociĂ©tĂ© forestière.
  • Corinne : Amie et maĂ®tresse de Jean-Claude Romand. Psychologue pour enfants, divorcĂ©e de RĂ©mi Hourtin, psychiatre, c'est une femme fatale.
  • Bernard et Marie-France : visiteurs de prison faisant partie d'un mouvement catholique appelĂ© les « intercesseurs ». Ils deviennent des proches et des amis de Jean-Claude Romand.

Roman ou récit ?

L'Adversaire apparaĂ®t comme un « pivot Â»[4] dans l’œuvre d'Emmanuel Carrère. Le romancier rentre Ă  partir de l'Ă©criture de ce rĂ©cit dans ce qu'il appelle la « phrase documentaire Â» qui est un mĂ©lange de travail documentaire et de rĂ©cit autobiographique[4]. Il y mĂŞle ainsi la subjectivitĂ© du rĂ©cit fictionnel Ă  l'objectivitĂ© du rĂ©cit factuel.

Carrère affirme que « L'Adversaire n'est pas un roman, c'est une non-fiction novel. L'agencement, la construction, l'Ă©criture font appel aux techniques romanesques mais ce n'est pas une fiction. Mon enjeu c'est la fidĂ©litĂ© au rĂ©el. Â»[2] mais bien que non-fictionnelle, cette Ĺ“uvre relève de la littĂ©rature[5].

C'est un récit original, une forme d'enquête journalistique menée par l'écrivain narrateur où se mêlent les faits et leurs analyses à une forme d'autobiographie de l'écrivain – assumant l'usage du « je » et de l'écriture intime – qui transparaît dans la description de sa vie et de ses réflexions intimes.

Écriture d'une enquête

Pour Ă©crire L'Adversaire, Emmanuel Carrère s'inspire d'un fait divers, celui de l'affaire Romand, une affaire criminelle impliquant Jean-Claude Romand, un homme sans histoires, ordinaire, qui, entre le 9 et le , assassine ses parents, sa femme et ses enfants âgĂ©s de 5 et 7 ans avant de tenter sans succès de se tuer lui-mĂŞme. L'auteur-narrateur cherche Ă  comprendre qui est vĂ©ritablement Jean-Claude Romand[6]. Il se prĂ©sente comme une « quĂŞte narrative d'une forme de vĂ©ritĂ© (psychologique, Ă©thique, mĂ©taphysique bien plus que policière) Â»[7].

L'auteur-narrateur y mène une véritable enquête :

  • Il prend contact par voie Ă©pistolaire avec Jean-Claude Romand et Ă©change avec celui-ci deux ans plus tard. Certaines lettres sont reproduites dans le rĂ©cit[8].
  • Il se rend sur les lieux de la vie de Jean-Claude Romand : « J'ai voulu voir les lieux oĂą il a vĂ©cu en fantĂ´me. Je suis parti une semaine, muni de plans qu'Ă  ma demande il avait dessinĂ©s avec soin, d'itinĂ©raire commentĂ©s que j'ai suivis fidèlement, en respectant mĂŞme l'ordre chronologique qu'il suggĂ©rait. [...] J'ai vu les hameaux de son enfance, le pavillon de ses parents, son studio d'Ă©tudiant Ă  Lyon, la maison incendiĂ©e Ă  PrĂ©vessin, la pharmacie Cottin oĂą sa femme faisait des remplacements, l'Ă©cole Saint-Vincent de Ferney. [...] J'ai traĂ®nĂ© seul lĂ  oĂą il traĂ®nait seul ses journĂ©es dĂ©sĹ“uvrĂ©es : sur des chemins forestiers du Jura et, Ă  Genève, dans le quartier des organisations internationales oĂą se trouve l'immeuble de l'OMS »[9].
  • Il rencontre des tĂ©moins de l'Affaire : Luc Ladmiral[10] Ă  Divonne
  • Il couvre le procès pour Le Nouvel observateur (« Pour ĂŞtre sĂ»r d'ĂŞtre bien placĂ©, je me suis fait accrĂ©diter aux assises de l'Ain par Le Nouvel Observateur »[11]) et relate des dialogues du procès (« Mais enfin, a demandĂ© la prĂ©sidente :pourquoi ? » [...] « On estime que vous ne rĂ©pondez pas vraiment Ă  la question »)[12]
  • Il rencontre l'avocat de la dĂ©fense : Me Abad[13].
  • Il rend visite Ă  Jean-Claude Romand en prison. « Je ne suis allĂ© le voir qu'une fois »[14]
  • Il consulte le dossier de Jean-Claude Romand[15].

L'Ă©criture journalistique :

Emmanuel Carrère dit avoir voulu oublier Truman Capote et son « roman symphonique de l'AmĂ©rique moderne Â» dĂ©cidant de « faire court avec le sĂ©rieux du journaliste de la façon la plus neutre possible Â»[2]. Son Ă©criture est simple et touche au dĂ©pouillement : « Mon Ă©criture tend au dĂ©pouillement. Les phrases doivent ĂŞtre conductrices d'Ă©lectricitĂ©. Plus elles sont simples, plus le courant passe. Ce n'est pas une règle gĂ©nĂ©rale. Juste ma pratique personnelle. Â»[2]

L'écrivain n'hésite également pas à adopter plusieurs points de vue à travers le discours indirect libre pour approcher une plus grande objectivité sur le portrait de Romand[5].

L'Ă©criture de l'enchevĂŞtrement

L'histoire de Romand mêlée à celle de Carrère et à son regard subjectif[16] :

L'impossibilité pour Carrère de s'identifier au personnage de Romand mais également à se placer en tant qu'auteur face à ce qu'il raconte le mène à écrire son propre point de vue, sa propre expérience : « Ce n'est évidemment pas moi qui vais dire "je" pour votre compte, mais alors il me reste, à propos de vous, à dire "je" pour moi-même. À dire, en mon nom propre et sans me réfugier derrière un témoin plus ou moins imaginaire ou un patchwork d'informations se voulant objectives, ce qui dans votre histoire me parle et résonne dans la mienne. »[17] Le narrateur mélange alors deux histoires, la sienne et celle de Jean-Claude Romand, afin de reconstituer le plus fidèlement possible toute l'histoire de ce personnage hors du commun.

La lecture de cette œuvre offre au lecteur un effet de double immersion et de contre-immersion[5]. En effet, la fonction narrative est perturbée par la gêne ressentie par l'auteur-narrateur qui tente d'écrire l'histoire de Jean-Claude Romand. Carrère intervient donc fréquemment dans le texte afin de manifester ses doutes, son malaise, ses perplexités[18].

Le projet d'écriture de Carrère se fonde sur une bipolarité : "raconter précisément" mais également "imaginer" afin de "comprendre"[7].

Non-fiction et RĂ©flexion :

Ce parallèle entre la vie du narrateur-écrivain et celle de Jean-Claude Romand permet d'offrir d'une part une écriture du quotidien en y mêlant l'ordinaire et l'extraordinaire et d'autre part une nouvelle réflexion sur l’individu « qui peine à se constituer en sujet singulier dès lors qu’il n’est déterminé que par sa façade sociale et sa routine.»[16].

Pourquoi L'Adversaire ?

L'Adversaire est l'un des noms donnés au diable dans la Bible, comme l'indique Carrère dans une interview[19].

Au procès, certains identifient Jean-Claude Romand au diable : « [...] l'avocat général est allé jusqu'à imaginer un plan diabolique, lucidement poursuivi, pour non seulement survivre mais encore être déclaré innocent. »[20]

Emmanuel Carrère se demande si Jean-Claude Romand n'est pas le jouet de l'Adversaire[21], de Satan, jusque dans sa conversion et son mysticisme : « [...] et en le voyant non comme quelqu'un qui a fait une chose épouvantable mais comme quelqu'un à qui quelque chose d'épouvantable est arrivé, le jouet infortuné de forces démoniaques. »[22]. « Qu'il ne joue pas la comédie pour les autres, j'en suis sûr, mais est-ce que le menteur qui est en lui ne la lui joue pas ? Quand le Christ vient dans son cœur, quand la certitude d'être aimé malgré tout fait couler sur ses joues des larmes de joie, est-ce que ce n'est pas encore l'Adversaire qui le trompe ? »[23]

Adaptations

Notes et références

  1. Clémentine Goldszal, « Aux frontières du réel : Comment la non-fiction a pris la relève du roman », Vanity Fair France, .
  2. « Interview d'Emmanuel Carrère », LIRE,‎ (lire en ligne, consulté le )
  3. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, Gallimard, Folio, , "Petite femme effacée qu'on a pris l'habitude de considérer malade sans savoir au juste de quelle maladie elle souffrait. Elle avait une mauvaise santé, elle se faisait du mauvais sang" p.52
  4. Christophe Reig, Alain Romestaing, Alain Schaffner (éds.), Emmanuel Carrère : le point de vue de l’adversaire, éd. Université Sorbonne Nouvelle, 2016, p. 140.
  5. « L'Adversaire d'Emmanuel Carrère : du storytelling journalistique au récit littéraire », sur crcl.paris-sorbonne (consulté le )
  6. Catherine, « L'Adversaire - Emmanuel Carrère », sur www.biblioblog.fr, (consulté le ).
  7. Frank Wagner, « Le "roman" de Romand », Roman 20-50, n°34, p.107-124,‎ (lire en ligne, consulté le )
  8. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, Gallimard, Folio, , 220 p., p.36-3, p. 39-40, p.203-204, p.205-206
  9. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, Gallimard, Folio, , p.45
  10. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, Gallimard, Folio, , p.203
  11. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, Gallimard, Folio, , p.46
  12. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, Gallimard, Folio, , p.77-78
  13. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, Gallimard, Folio, , p.73 "Le second jour, où on devait aborder le tournant décisif, j'ai pris le petit déjeuner avec Me Abad."
  14. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, Gallimard, Folio, , p.207
  15. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, Gallimard, Folio, , p.211
  16. Emilie Brière, « Le Laminage de l’événement et du quotidien. Quelle place pour l'individu dans L'Adversaire d'Emmanuel Carrère ? », Temps zéros n°1, (consulté le )
  17. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, Gallimard, Folio, , p.204
  18. Dominique Viart, Le roman français au tournant du XXIe siècle, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, , p. 293
  19. Claire Devarrieux, « Emmanuel Carrère : "Une instance psychique qui vous précipite dans cet espèce d'enfer". », Libération,‎ (lire en ligne)
  20. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, Gallimard, Folio, , p.200
  21. « Interview d'Emmanuel Carrère », Lire,‎ , "(...) j'avais l'impression que l'adversaire, c'était ce qui était en lui et qui, à un moment, a bouffé et remplacé cet homme. J'ai l'impression que, dans cette arène psychique qui existe en lui, se déroule un combat perpétuel. Pour le pauvre bonhomme qu'est Jean-Claude Romand, toute la vie a été défaite dans ce combat".
  22. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, éditions Gallimard, coll. « Folio », , p. 41
  23. Emmanuel Carrère, L'Adversaire, Gallimard, Folio, , p.219
  24. Présentation sur le site du Théâtre des Quartiers d'Ivry.

Liens externes

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