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L'Aliéniste (film, 1970)

L'AliĂ©niste (Azyllo Muito Louco) est un film brĂ©silien rĂ©alisĂ© par Nelson Pereira dos Santos, rĂ©alisĂ© en 1970. C'est l'adaptation d'un conte de l'Ă©crivain brĂ©silien Joaquim Maria Machado de Assis. Il fait partie de la sĂ©lection officielle en compĂ©tition au Festival de Cannes 1970.

L'Aliéniste

Titre original Azyllo Muito Louco
RĂ©alisation Nelson Pereira dos Santos
Scénario Nelson Pereira dos Santos d'après Machado de Assis
Pays de production Drapeau du Brésil Brésil
Genre comédie dramatique
DurĂ©e 100 minutes
Sortie 1970

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

Scénario

Le Padre Simão Bacarmarte arrive au village de Seraphim au cours du XVIIIe siècle. Il entreprend la rénovation de la Casa Verde pour en faire un asile de taille démesuré par rapport à celle du village, avec l’aide de Dona Evarista, richissime noble du lieu.

L’asile est vite occupĂ© par de nombreux habitants de Seraphim, en partie volontairement, en partie sous la contrainte : pour le Padre SimĂŁo, est folle toute personne ne prĂ©sentant pas un parfait Ă©quilibre de toutes ses facultĂ©s. Certains entrent Ă  l’asile pour fuir le travail : c’est une « manie Â» suffisante pour justifier leur internement.

PorfĂ­rio, fazendeiro qui veut avant tout la paix (ou plutĂ´t : que tous travaillent en paix pour lui…) fait libĂ©rer la population, mais accepte la proposition de SimĂŁo : faire interner la bonne sociĂ©tĂ© de Seraphim, toute aussi aliĂ©nĂ©e que le peuple, pour poursuivre l’expĂ©rience avec elle. Dès lors se constitue dans la Casa Verde un groupe dont la rĂ©union crĂ©e des tensions et un jeu de pouvoir inattendus. Les femmes parviennent dans un premier temps Ă  renverser SimĂŁo et son protecteur PorfĂ­rio, grâce Ă  l’appui du capitaine, mais celui-ci confisque la libertĂ© acquise pour son propre pouvoir.

Il fait ensuite libĂ©rer PorfĂ­rio, puis le juge, reprĂ©sentant de l’autoritĂ©. Ă€ la satisfaction gĂ©nĂ©rale, celui-ci dĂ©clare « Ă©lus Â» PorfĂ­rio et le capitaine, et PorfĂ­rio peut prendre sa première dĂ©cision de gouvernement : la poursuite du travail de l’aliĂ©niste. SimĂŁo va maintenant traiter individuellement les patients. Il est au terme de l’expĂ©rience surpris de ce que sa cure ne guĂ©risse personne, mais fasse apparaĂ®tre les vĂ©ritables dĂ©sĂ©quilibres de chacun. Le juge peut alors dĂ©clarer le Padre SimĂŁo traĂ®tre Ă  la religion et Ă  ses bienfaiteurs, et demander son internement Ă  la Casa Verde : il est finalement l’unique aliĂ©nĂ© de Seraphim.

Fiche technique

Distribution

  • Nildo Parente (Nildo_Parente (pt)) : père SimĂŁo Bacamarte
  • Isabel Ribeiro (Isabel_Ribeiro (pt)) : Dona Evarista
  • ArduĂ­no Colasanti (Arduino_Colasanti (pt)) : PorfĂ­rio
  • Irene Stefânia (Irene_Stefânia (pt)): amante de PorfĂ­rio
  • Leila Diniz : EudĂłxia
  • Nelson Dantas (NĂ©lson_Dantas (pt)) : le comptable
  • Manfredo Colasanti (Manfredo_Colasanti (pt)): le juge

Le conte de Machado de Assis

La confrontation de ce scĂ©nario avec celui du conte de Machado de Assis est riche d’enseignement : chez Machado de Assis, le docteur SimĂŁo Bacarmarte[1], passionnĂ© par l'aliĂ©nation mentale, s'installe Ă  ItaguaĂ­ et demande rapidement au Conseil municipal de construire et de lui confier un asile, la Casa Verde, pour y abriter les fous de la ville. Il en fait d'abord enfermer quelques-uns, puis de plus en plus, et entend bientĂ´t enfermer la quasi-totalitĂ© de la population de la ville. Cette extension dĂ©mentielle du champ de la folie dĂ©clenche une rĂ©volte de la population conduite par le barbier PorfĂ­rio, qui s’entend nĂ©anmoins avec SimĂŁo Bacamarte pour poursuivre l’expĂ©rience. Celui-ci fait Ă©voluer sa thĂ©orie : c’est la santĂ© mentale qui est une anomalie dans l’ocĂ©an de la folie, et la Casa Verde est vidĂ©e de ses occupants pour recueillir les esprits sains tant qu’il n’a pas trouvĂ© leur faille. Finalement, après avoir « guĂ©ri Â» tous les esprits sains en dĂ©tectant leur dĂ©sĂ©quilibre, SimĂŁo Bacamarte conclut qu’il est seul douĂ© d’un esprit raisonnable et Ă©quilibrĂ©, et s’interne seul dans son asile.

L’Aliéniste et le langage cinématographique

Nelson Pereira dos Santos exploite une articulation d’élĂ©ments inhabituelle au cinĂ©ma :

L’exploitation de la mise au point, frĂ©quemment « contre-nature Â», souligne la profondeur de l’image. De très nombreuses scènes secondaires, parallèles, parfois principales sont floues, bien que pouvant occuper Ă  l’occasion une part importante de l’image. La rĂ©volte des internĂ©s face Ă  une dĂ©risoire amorce de SimĂŁo, seule nette, dĂ©porte totalement l’intĂ©rĂŞt de la scène. Le panoramique lent et flou sur de vagues fantĂ´mes d’internĂ©s, se terminant sur le très gros plan de SimĂŁo, est un grand moment de cinĂ©ma. Cet usage de la mise au point insiste sur la « cinĂ©matographisation Â» de l’action et sur les relations s’instaurant entre les protagonistes du film.

L’usage de plus en plus constant, de plus en plus violent, des mouvements de caméra, devient insoutenable lorsque Simão réduit les internés à l’état d’herbivores. La perte de tout repère spatial crée chez le spectateur la répulsion vis-à-vis de la démence de la Casa Verde et de la destruction programmée des personnes par Simão.

Le travail du cadre parachève l'apport intrinsèque de l'image. Nelson Pereira dos Santos et Dib Lutfi font cadrer par la camĂ©ra tout ce que les limites de l’image peuvent introduire dans un film. Le jeu des cadres avec leur sujet prend Ă  lui seul une signification, peut-ĂŞtre pas rationnelle et explicable, mais sensible et esthĂ©tique. C’est ainsi que les cadres relativement classiques du dĂ©but sur SimĂŁo le cantonnent ensuite peu Ă  peu dans les marges du champ, puis dans des amorces profondĂ©ment dĂ©routantes. Ă€ mesure que les choses lui Ă©chappent, Ă  mesure qu’il est rĂ©vĂ©lĂ© dans propre dĂ©lire, SimĂŁo est peu Ă  peu Ă©vacuĂ© du champ au point d’être finalement « cadrĂ© hors cadre Â» dans des plans dont la prĂ©sence est d’autant plus forte.

L’exploitation originale de la musique, enfin, ne manque pas d’étonner. À l’exception de deux courtes musiques diégétiques (le violoncelle et la danse des internés faussement libérés), la musique pénètre le film tout le long de sa durée, s’intercalant occasionnellement dans le moindre silence d’un acteur, inondant le film de sa discordance et de son arythmie. Le film lui-même devient ainsi une partition musicale désaccordée sous l’empire d’une démence croissante.

On peut y ajouter la splendeur formelle des costumes et de la scĂ©nographie est appuyĂ©e par la lumière et la prise de vue de Dib Lutfi : chaque plan du film rĂ©sulte d’un travail rigoureux de composition des couleurs, des formes, joue sur la profondeur de plan… Non moins importants sont le cadre baroque du tournage en dĂ©cors naturels dans la ville de Paraty (RJ), et le jeu d’acteurs aussi prĂ©cis qu’à l’accoutumĂ©e dans les films de Pereira dos Santos, avec des mentions particulières pour la prĂ©sence de Nildo Parente (SimĂŁo) et pour la dĂ©mence toute en douceur d’Isabel Ribeiro (Dona Evarista) : L’aliĂ©niste est au bout du compte bouleversant de beautĂ© et de rigueur.

Intérêt et portée

Ce jeu de signes cinĂ©matographiques fait de L’aliĂ©niste une vĂ©ritable leçon de cinĂ©ma et un film majeur, d’autant qu’il n’est jamais gratuit : il est toujours mis au service de l’interrogation sur la folie.

Quatre-vingt dix ans sĂ©parent le livre du film : tous deux portent la marque de leur temps. Machado de Assis Ă©crit son texte Ă  l’époque (1881) de la consĂ©cration de Jean-Martin Charcot et des dĂ©buts de Sigmund Freud : il est passionnĂ© par la question de la folie et la normalitĂ©, par la « cĂ©sure qui Ă©tablit la distance entre la raison et la non-raison Â»[2]. En 1970, Pereira dos Santos n’interroge plus seulement la folie comme un dĂ©règlement individuel, il la replace dans son contexte social : il pousse l’interrogation sur les prĂ©occupations humaines vues au prisme de la folie : pouvoir, richesse, prestige… Chez Machado de Assis, le conte semblait un laboratoire mĂ©dical ; chez Pereira dos Santos, le film se fait laboratoire social.

L’évolution des fonctions de SimĂŁo (de mĂ©decin Ă  prĂŞtre) et de PorfĂ­rio (de barbier Ă  propriĂ©taire foncier), l’évolution du remplacement de la population internĂ©e (chez Machado de Assis, les sains d’esprit remplacent les dĂ©ments ; chez Pereira dos Santos la bonne sociĂ©tĂ© remplace le peuple), la place nouvelle prise par les femmes… : tout tĂ©moigne Ă©loquemment du changement d’époque et du changement de perspective. Les deux crĂ©ateurs n’en explorent pas moins Ă  leur manière et avec le langage propre Ă  leur art l’insoluble question de la folie et de la normalitĂ©.

Notes et références

  1. Le nom commun Bacarmarte dĂ©signe en portugais une arme Ă  feu (espingole ou un tromblon). Il est probablement dĂ©rivĂ© du français braquemart (Ă©pĂ©e Ă  courte lame), lui-mĂŞme empruntĂ© au nĂ©erlandais breecmes (couperet)...
  2. Michel Foucault, Folie et DĂ©raison. Histoire de la folie Ă  l'âge classique, Paris, Plon, 1961

Liens externes

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