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L'Être et le Code

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L'Être et le Code est un essai de Michel Clouscard. C'est l'étude de la genèse matérielle et conceptuelle d'un ensemble historique qui donnera naissance à la société capitaliste. Cette œuvre aborde l'histoire du jugement idéologique et a fourni à son auteur de nombreux concepts critiques pour prendre position dans les débats idéologiques et philosophiques de la modernité.

L'étude des relations entre les classes sociales et la genèse du jugement idéologique

Dès sa thèse de doctorat, Michel Clouscard entend donc s'atteler au projet inachevé de Karl Marx : l'étude des relations entre classes sociales, le lien entre l'intersubjectivité et les rapports de production. C'est donc l'étude du procès de production d'un ensemble précapitaliste, avant la Révolution Industrielle et avant la Révolution Française. Son ambition est de décoder l'histoire des relations sociales comme l'histoire de la philosophie grâce aux données objectives sur les rapports politiques qu'apportent les rapports de production, c'est-à-dire les principes du droit dont Marx a montré qu'ils expriment l'économie politique.

Michel Clouscard propose les relations dialectiques entre l'histoire des rapports économiques des classes sociales et l'histoire des rapports idéologiques entre celles-ci, étant entendu que la conscience des classes dominées - illettrées - ne trouve pas de codification aussi structurée que celle des classes dominantes - lettrées - et qu'elle est comme la masse manquante de l'histoire intellectuelle. Certes, les crises idéologiques affleurent toujours et émaillent des productions comme les pièces de Molière qui révèlent les enjeux de classe.

Ayant rencontré Lucien Goldmann, l'auteur du Dieu Caché, il s'inspire des méthodes de la sociologie littéraire de celui-ci et confronte les réalités infrastructurales pour écrire une histoire inédite du cheminement conceptuel et idéologique du Haut-Moyen Âge jusqu'à la Fin de l'Ancien Régime. Et surtout des contradictions jugulées par la codification intellectuelle et idéologique des classes dominantes qui retarde l'émergence d'une expression structurée du vécu de classes et des contradictions sociologiques étouffées sous l'Ancien Régime.

Il produit notamment une critique du rationalisme de Descartes. Il s'attache à étudier le lien entre la méthode philosophique cartésienne dans le traité Les Passions de l'âme et la réalité des enjeux de la classe ascendante - la bourgeoisie de robe - à laquelle appartient le fondateur de l'idéalisme en philosophie. Michel Clouscard illustre ainsi sa thèse selon laquelle l' être social produit par les rapports de production contient aussi la codification de la subjectivité de l'individu par les classes dominantes mais que celle-ci ne correspond qu'à la réalité de classe de celui qui l'énonce.

En ce sens, il montre toute l'antériorité logique de la démarche de Marx sur l'analyse psychanalytique du discours : les désirs, les interdits et les significations du sujet sont avant tout à entendre en relation avec son être de classe, avant d'apporter son discours dans une instance d'analyse qui abstrait et évacue la réalité des rapports politiques pour comprendre le discours. C'est cette étude approfondie de l'intersubjectivité dans l'histoire qui permettra à Clouscard de polémiquer notamment contre le modèle d'analyse linguistique de Lacan et plus généralement contre l'idéalisme philosophique. L'imaginaire de l'individu exprime aussi son lien au réel social. Clouscard n'aura de cesse de montrer l'évacuation de la réalité sociale infrastructurale dans l'économie subjective de Lacan, replaçant ce déni comme le signe immanent de la pratique de l'entendement propre aux intérêts de classes des individus appartenant aux couches supérieures de la société.

L'Edit de la Paulette : l'impensé de la naissance de la connivence de classe entre bourgeoisie et noblesse

Michel Clouscard cherche donc l'impensé sociologique, l'inconscient politique dans les réalités politiques de cette période et l'étude des textes lui fournit de nombreux matériaux qu'il ordonne. En ce sens, l'étude de Goldmann sur Jean Racine fournit effectivement le primordium ou l'archétype pour ce travail de fond qui permet à Michel Clouscard d'aborder une étude systématique sur une très longue période pour mettre en lumière les signes des conflits sociaux dans les productions idéologiques : religion, art, philosophie.

Michel Clouscard n'a de cesse de montrer le parcours des classes dominantes de l'Histoire Française. En particulier, l'émergence de la classe bourgeoise qui échappe à la "servilité", conquiert des droits politiques fondamentaux en échange de sa gestion - l'Édit de la Paulette - puis devient un rouage essentiel de l'Ancien Régime. La dialectique du maître et de l'esclave hégélienne est ici illustrée avec l'exemple de la fin de l'hérédité des charges. La vénalité des charges dénote la dépendance de la noblesse envers la bourgeoisie de robe - Mazarin, Richelieu - qui activent la centralisation monarchiste. Sur fond de conflit dynastique, la bourgeoisie a tiré son épingle du jeu. L'Edit de la Paulette, accordé en 1604 est la plus grande et la plus secrète conquête de la bourgeoisie - de robe. Cette conquête permet à la classe bourgeoisie de gagner une autonomie relative au sein de l'Ancien Régime et donne naissance à la bourgeoisie de culture dont Montesquieu, Voltaire ou Diderot seront les représentants. Michel Clouscard montre que l'Édit de la Paulette est une étape décisive dans l'histoire des rapports de force entre les classes sociales.

La société d'Ancien Régime avant 1789 : la relation de complémentarité de la bourgeoisie et de la noblesse

Dans la période ultérieure, un nouveau relationnel de classes s'établit et les œuvres de Molière sont émaillées d'exemples du système de la parenté des classes dominantes : Le Bourgeois gentilhomme, etc. La noblesse et la bourgeoisie sont alors dans une relation de complémentarité : " Disons cette connivence existentielle en termes dialectiques : se poser en s'opposant produit thèse et antithèse. L'autre devient ainsi nécessaire. Thèse et antithèse sont en une relation d'engendrement réciproque. " [1] Cette connivence permet de proposer une genèse de l'entendement idéologique et du consensus.

En fin de parcours, Michel Clouscard situe alors les débats philosophiques du XVIIe et des Lumières comme la résultante de cette connivence de la classe des serfs émancipés devenus gestionnaires et matérialistes pour affermir leurs prérogatives sociales - la bourgeoisie de robe - et la classe des guerriers devenus courtisans et oisifs, trafiquants leurs titres et influences mondaines pour maintenir leur rang. Certes, deux systèmes de pensées apparemment irréductibles se font face : la théocratie absolutiste et le matérialisme positiviste des Lumières. Les controverses intellectuelles des classes lettrées abordent très marginalement la question du rapport entre toutes les classes sociales - rapport de production - mais portent la trace de l'usage de différentes postures philosophiques pour le conflit mondain qui permet à la bourgeoisie et à la noblesse de revendiquer le bon usage de la jouissance des rapports sociaux.

Mais, derrière la critique de la superstition, chère à Voltaire, point le conflit des rapports de forces entre les nouvelles classes dominantes. Conflit qui n'est pas exacerbé jusqu'à la rupture car derrière cette apparence une " farouche identité du Même, qui est le combat pour le pouvoir, [ qui ] ne fait que cacher la connivence profonde de la collaboration de classes, au niveau des mœurs, du vécu, de l'existentiel. Car si les deux consensus s'engendrent l'un contre l'autre, c'est l'un et l'autre qui engendrent l'Ancien Régime, une société de privilèges qui instaure un nouveau système relationnel, commun à la noblesse décadente, à la bourgeoisie d'argent ascendante, à la bourgeoisie de culture : le libertinage" [2]

Michel Clouscard s'inspirera avec pertinence de cette étude de la connivence des nouvelles couches supérieures de la société. Il montrera ensuite la même dualité de complémentarité à l'œuvre dans la gestion du système capitaliste après 1945, notamment dans Néo-fascisme et Idéologie du Désir où il attaque l'idéologie de la "libération des mœurs" et de la "révolution par la transgression" dans laquelle ont trempé de nombreuses figures comme Herbert Marcuse, Gilles Deleuze, Felix Guattari.

Rousseau et les Encyclopédistes : l'auteur du Contrat Social isolé contre les défenseurs de la Monarchie Constitutionnelle ?

Cette étude de la connivence des deux classes dominantes lui permet de proposer une lecture qui montre notamment l'unité de l'ensemble du projet de Rousseau, autant homme de lettres, de sentiments que penseur socialiste. Car, pour Michel Clouscard, Rousseau est l'auteur du Contrat Social, salué comme le Newton de la morale par Kant car il a tendu à annuler la pertinence même des fondements des débats de son temps. " La conscience moderne [ de Rousseau ] naît de cette critique réciproque des deux termes constitutifs du mode de production féodal. En fin de parcours historique, ce mode de production est figé en une contradiction qui ne fait qu'éterniser un mode de production dépassé " [3]

Le matérialisme positiviste et la théocratie absolutiste : une dualité de complémentarité

Si Rousseau a participé aux travaux de l'Encyclopédie, Clouscard montre bien ce qui l'opposait aux conceptions de l'équipe de Diderot. Certes, le projet intellectuel des Encyclopédistes visait à remettre en question radicalement les représentations idéologiques et politiques de l'Ancien Régime. En ce sens, l'hostilité à la théocratie absolutiste est réelle en se traduisant par la lutte contre la superstition, l'arbitraire, etc.

Cependant, Clouscard montre aussi la connivence politique essentielle entre la bourgeoisie éclairée et la noblesse décadente. Rousseau répond donc aux deux entités qui - certes - s'opposent dans leurs rivalités de classes et leurs attributions respectives dans le système politique de l'Ancien Régime, mais se rejoignent sur l'essentiel : la gestion d'une société héritière des rapports de force et d'oppression.

L'Être et le Code et la suite du travail de Michel Clouscard

Contextualiser et montrer l'exemplarité de l'émergence du discours critique Rousseau

Michel Clouscard reviendra notamment sur sa lecture de la signification de l'apparition de la figure de Rousseau dans l'Ancien Régime. Il développera principalement celle-ci dans Critique du Libéralisme Libertaire, d'abord édité sous le titre de Rousseau ou Sartre. Il montre ce qui unit et ce qui distingue Rousseau et Kant dans la genèse de la conscience moderne d'où découle l'apparition de figures comme Hegel, Marx, etc.

L'Être et le Code fournit la recherche qui étaye la compréhension des classes sociales concrètes, débarrassées de leurs revendications identitaires. Au contraire, pour Clouscard, les classes sociales sont restituées à partir de la progressive négation de leur étymologie sociale et en explorant leur situation sociale objective. Ainsi, dans la perspective de cette œuvre, Rousseau saisit parfaitement les forces sociales et donc idéologiques en présence, trouve les dénominateurs communs de leurs oppositions et propose d'explorer une troisième voie.

L'histoire de France proposée par Michel Clouscard propose donc d'explorer tous les non-dits fournit par la confrontation de l'économie politique concrète aux composantes originales du corps social et du corps-sujet. La sensibilité, l'entendement idéologique, le mœurs expriment l'existentiel humain au sein des rapports de production. Ils sont autant que les besoins matériels l'objet des considérations de Rousseau au sujet de l'égalité et de la volonté générale. C'est la dialectique du frivole et du sérieux qui permet de penser le rapport d'immanence entre l'économie politique et l' "économie humaine", de penser la totalité des enjeux de lutte des classes, de mettre en relation les rapports de production et les rapports mondains dont la dialectique sur-détermine la pratique du désir notamment. (Clouscard utilisant à ce propos l'anthropologie de René Girard sur le mimétisme concurrentiel)

De l'Être et le Code à l'épistémologie des Métamorphoses de la Lutte des Classes

Ainsi, sa lecture de Rousseau s'appuie sur cette histoire inédite de l'Histoire de France et permet à l'auteur d'unifier clairement la production diversifiée de Rousseau. Car Rousseau est autant l'auteur de Du contrat social que de la Nouvelle Héloïse. Compris sous le rapport de la signification conceptuelle de leurs thématiques et projets respectifs plus que sur l'actualité de leurs vues pour la société contemporaine actuelle, Clouscard montre l'unité de ces œuvres de Rousseau derrière leur apparente hétérogénéité. En effet, les problématiques de l'Ancien Régime ne sont pas simplement sociales mais tout autant relationnelles.

Clouscard tire de cet aboutissement critique les fondements même de sa réflexion sur un "nouveau progressisme". Et la pensée qu'il en retire permet de proposer d'accomplir un socialisme à conceptualiser. De telles réflexions sur la dialectique entre corps social et corps-sujet lui permettent ensuite de penser les défis de la modernité au sein de la dialectique de la société de classes et d'individus en situation d'êtres de classe. L'auteur unifie ainsi politiquement des problématiques très hétérogènes dans son projet politique, ce dont il s'explique à nouveau dans Métamorphoses de la Lutte des Classes en marquant le lien indissociable entre le Traité de l'Amour Fou ou le Parlement du Travailleur Collectif. C'est la première conceptualisation systématique de la dialectique du frivole et de sérieux

Modalités de la soutenance de thèse

Cette thèse fut soutenue devant un jury de thèse composé notamment d'Henri Lefebvre — très favorable à cette étude — et de Jean-Paul Sartre — qui dans une lettre à Henri Lefebvre note que "L'Être et le Code témoigne d'une entreprise très ambitieuse. Mais à mon avis, c'est cette ambition même qui rend le livre valable (...) Il s'agit d'effectuer une totalisation véritable, rendant compte de tout, même de l'individuel (...) Son grand mérite revient à indiquer les meilleures conditions pour que l'histoire se révèle concrètement pour ce qu'elle est : une totalisation en cours".[4].

Cette œuvre a été d'abord refusée en France et fut publiée en Belgique, aux Éditions Moutons en 1972.

Liens externes

Notes et références

  1. Critique du Libéralisme Libertaire, Paris, Delga, p. 23
  2. Critique du Libéralisme Libertaire, Paris, Delga, p. 27
  3. Ibid. op cité. p. 30.
  4. Les éditions Delga 38, « L’Etre et le Code – Les éditions Delga » (consulté le )