Inmo
Le Inmo est un texte du recueil Shōbōgenzō transcription d'un enseignement en 1242 de Maître Dôgen, fondateur du Zen Sôtô. Le texte aborde le thème de l'Éveil avec l'au-delà du langage, cet inexprimable : Inmo, terme sino-japonais qu'on peut traduire par Ça, ou Ainsité, ou Tel quel.
Titre
Véritable « tumulus sémantique[1] » Inmo est un terme sino-japonais composé de deux caractères, In (恁, la pensée réflexive, "se dire") et Mo (麼, proche du sens de l'interjection "quoi !" en fin de phrase)[2]. Il est parfois traduit par Ça, Tel-quel, ou Ainsité selon son rôle syntaxique dans la phrase. Associé à d'autres caractères, il est alors traduit par le français "-même"[3].
Cette polysémie n'est cependant qu'une apparence, due à la traduction qui révèle la différence des ontologies portées par les langues sino-japonaise et occidentales. Il correspond en effet à un concept unique du bouddhisme[5] mais intransmissible[1]. Il évoque la Totalité indifférenciée[3], l'indéfini par excellence[6]. Dépourvu de nature propre, vide de moi, Inmo ne doit surtout pas être compris dans le sens d' ipséïté (l'identité) ou d' idem (la continuité)[7].
Ce concept bouddhique enveloppe, d'une façon particulièrement soulignée par Dôgen, un caractère auto-référentiel, ou circulaire[5] : « au lieu de classer simplement le tel quel dans la catégorie de l'inexprimable, Dôgen va, tout au long de son exposé, s'engager pleinement dans l'acte de dire ce qui ne se dit pas, à savoir le tel quel. car c'est toujours dans la sphère de l'expression telle quelle que le tel quel se transmet au tel quel[8] ».
Présentation
Le Inmo est une instruction collective donnée par Dôgen, alors agé de 42 ans, à ses élèves du Koshoji en 1242, avant d'être transcrite par son disciple Ejô. À ce moment-là de sa vie, Dôgen était déjà un érudit en humanités chinoises (confucianisme, taoïsme), maîtrisant les doctrines bouddhistes (indienne, chinoise) et était un maître de méditation confirmé[10]. Dans Inmo, Dôgen aborde les thèmes de l'Éveil, de la Résonance, de la Sagesse[11].
Langage et Ça
Inmo aborde la théorie bouddhique des deux vérités, déjà exposée par Nagarjuna : la vérité de surface, conventionnelle, mondaine (les choses) et la vérité ultime (le Ça et la vision juste) mais qui sont, nous dit Dôgen les deux faces d'une même vérité[13] : « l'ordre atemporel du zazen dans sa radicalité du Rien réalisera alors de parfaites épousailles avec l'ordre temporel de la Loi du phénomène, sans mélange ni confusion[14] » Dôgen s'engage alors, tout au long de son exposé, dans l'acte de dire ce qui ne se dit pas[8] : le Ça au-delà du langage.
« Ce qui s'exprime dans le langage, nous ne pouvons l'exprimer par le langage[15] » : le langage est un système symbolique clos, et le Ça, la Nature (« ce qui est ainsi de par soi-même »), est elle-même close sur sa Résonance[n 1]. Mystère du langage, mystère du monde : la vérité de surface, les choses, s'expriment par la langage, mais la vérité ultime, le Ça, n'est exprimable qu'en ayant recours à l'allusion, à l'apophase, et au raisonnement tétralemnique qui, faisant taire tout savoir positif, mènent au-delà de l'affirmation et de la négation[16].
Mais le thème central de Dôgen n'est pas la parole ou la pensée, mais le nirvâna, l'accès subtil à la grande loi au-delà de toute doctrine, « le cœur-esprit sans forme du méditant sans moi[18] » où la problématique sujet / objet a complètement disparu[19], « car c'est toujours dans la sphère de l'expression telle quelle que le tel quel se transmet au tel quel[8] ». Ça, Inmo, est donc le nom donné provisoirement, le temps du discours, à la vacuité, au sans au-delà, à l'ultime. Mais les mots sont des hypostases éphémères, comme des filets que l'on jette après avoir capturé le poisson[n 2] - [20].
Bibliographie
- Dôgen (trad. du japonais), Shôbôgenzô : la vraie loi, trésor de l'oeil, t. 5, Vannes, Sully, , 443 p. (ISBN 978-2-35432-048-5)
- Yoko Orimo, Introduction, p. 113-117
- Dôgen (trad. Yoko Orimo), Inmo : Le tel quel, p. 118-130
- Yoko Orimo, L'éternité qui se dit comme présence, p. 299-343
- Yoko Orimo (préf. Pierre Hadot), Le Shôbôgenzô de maître Dôgen : Guide de lecture de l’œuvre majeure du bouddhisme Zen et de la philosophie japonaise, Sully, , 619 p. (ISBN 978-2-35432-127-7), p. 136-138
- Dôgen (trad. et commentaires : Charles Vacher), In-mo : ça, encre marine (ISBN 978-2-909422-90-9)
Notes
- [Par la Résonance] c'est-à-dire là où se poursuit, sans commencement ni terme, la coproduction en dépendance de la multitude des entités, doit exister la totalité, totalité réflexive comportant à l'intérieur d'elle-même une ouverture à l'infini[12]
- Métaphore courante dans le bouddhisme et le taoïsme
Références
- Charles Vacher, Introduction, p. 29
- Yoko Orimo, Introduction à Tel quel, p. 113
- Charles Vacher, Introduction, p. 30
- Charles Vacher, Introduction - Charles Vacher cite Barbara Cassin (Vocabulaire européen des Philosophies - Présentation page XVII - Seuil Le Robert 2004), p. 28-29
- Charles Vacher, Introduction, p. 31
- Charles Vacher, Introduction, p. 32
- Charles Vacher, Introduction, p. 34
- Yoko Orimo, Commentaires sur Le tel-quel, p. 138
- Yoko Orimo, p. 343
- Charles Vacher, Introduction, p. 8-9
- Yoko Orimo, Introduction à Tel quel, p. 117
- Yoko Orimo, p. 331-332
- Charles Vacher, qui cite la traduction de Nagarjuna par Guy Bugault, p. 21
- Yoko Orimo, Introduction au Guide, p. 50
- Yoko Orimo, qui reprend cette remarque de Wittgenstein (Tractatus 4.121), p. 331
- Charles Vacher, Introduction, p. 22
- Charles Vacher, Traduction, note 86, p. 170
- Charles Vacher, Traduction, note 37, p. 94
- Charles Vacher, Traduction, note 42, p. 102
- Charles Vacher, Traduction, note 7, p. 46