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Hussard noir

Hussard noir est le surnom donnĂ© aux instituteurs publics sous la IIIe RĂ©publique après le vote des lois scolaires dites « lois Jules Ferry Â» et le vote de la loi de sĂ©paration des Églises et de l'État, le 9 dĂ©cembre 1905. Cette expression a Ă©tĂ© inventĂ©e par Charles PĂ©guy[1].

Référents historiques

Du fait de son étymologie (« huszar » en hongrois), le mot "hussard" fait référence à l'efficacité et au dévouement du corps de cavalerie hongrois créé au XVe siècle.

Christian Bouyer, historien, écrit que « Péguy compare, avec son imagination enfantine, cet uniforme à celui du fameux cadre de Saumur »[2] dont la couleur noire fut décidée sous le règne de Louis-Philippe pour ce corps des cavaliers d'élite français.

Enfin, la référence aux fameux Hussards Noirs, l'escadron de cavalerie constitué pendant la Révolution en 1793 par la jeune République française semble mieux correspondre au propos de Charles Péguy[3].

Charles Péguy et les « hussards noirs » de l'École normale primaire de garçons d'Orléans

Charles Péguy en classe de philosophie au lycée d’Orléans en 1890-1891 (assis à droite)

C'est à Charles Péguy (1873-1914) que revient la paternité de l'expression « hussards noirs » à l'usage des enseignants dans L'Argent en 1913 lorsqu'il parle de ses souvenirs d'écolier en culotte courte à l'école primaire annexe de l'École normale de garçons d'Orléans qu'il fréquente de 1879 à 1885[3]. École annexe où venaient enseigner, en uniformes noirs, les élèves-maîtres en formation professionnelle qu'il décrit en ces termes :

« Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes, sévères, sanglés, sérieux et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. »

Puis, décrivant leur uniforme noir à pantalon, gilet, longue redingote et casquette plate noirs, il précise que « cet uniforme civil était une sorte d'uniforme encore plus sévère, encore plus militaire, étant un uniforme civique. » Pour lui, ces jeunes élèves-maîtres, âgés en fait de 17 à 20 ans, « étaient vraiment les enfants de la République, […] ces nourrissons de la République, […] ces hussards noirs de la sévérité… »

Et pour Charles Péguy alors âgé de quarante ans, « cette École normale semblait un régiment inépuisable. Elle était comme un immense dépôt, gouvernemental, de jeunesse et de civisme. Le gouvernement de la République était chargé de nous fournir tant de sérieux […]. Ces instituteurs étaient sortis du peuple, fils d'ouvriers, mais surtout de paysans et de petits propriétaires […]. Ils restaient le même peuple… »

Ce surnom vient donc, d'abord, de la couleur noire des uniformes des élèves-maîtres des écoles normales. Écoles normales créées selon la loi Guizot de 1833 pour les garçons[4] mais écoles normales revues et corrigées après la victoire des républicains aux élections de 1879 et l'arrivée de Jules Ferry au ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts puis à la présidence du Conseil[5]. De ce fait, en effet, la loi Bert de 1879 redéfinit les écoles normales qui deviennent obligatoires dans chaque département pour les garçons mais aussi maintenant pour les filles[6]. L'institution va alors bannir rapidement toute ornementation religieuse comme tout enseignement religieux pour se consacrer à sa nouvelle mission. De ces écoles normales sortent alors des instituteurs qui ont reçu une mission : instruire la population française. L'instituteur cherche en éducation civique à inculquer les valeurs républicaines, comme en témoignent de nombreux extraits de cahiers d'écoliers[7].

Et c'est ainsi que le jeune Charles Péguy, d'origine modeste, peut bénéficier d'une solide instruction primaire de 1879 à 1885 puis d'une bourse lui permettant d'être admis au lycée d'Orléans à partir de 1885[8].

Surnom des instituteurs publics

Les Elèves-maîtres de la promotion 1908-1911 de l'Ecole normale de garçons d'Orléans

La comparaison par Charles PĂ©guy des futurs instituteurs de son Ă©cole primaire annexe avec « des hussards noirs Â» tĂ©moigne bien de la mission confiĂ©e par la RĂ©publique aux instituteurs mais aussi aux institutrices. Une mission fondamentale : assurer l'instruction obligatoire, gratuite et laĂŻque de tous les garçons et de toutes les filles de France âgĂ©s de 6 ans rĂ©volus Ă  11 ans pour ceux admis au certificat d'Ă©tudes primaires ou Ă  13 ans pour les autres dans un cadre rĂ©publicain et civique. Et cela afin de « faire disparaĂ®tre la dernière, la plus redoutable des inĂ©galitĂ©s qui vient de la naissance, l'inĂ©galitĂ© d'Ă©ducation » comme l'avait dĂ©clarĂ© Jules Ferry dès 1870[9].

Mission que prĂ©cise en ces termes l'historien Serge Issautier[10] : « en 1879, avant le vote des lois laĂŻques, […] cet enseignement est prioritairement aux mains de l'Église et de ses congrĂ©gations. Et c'est Ă  la « superstition que les rĂ©publicains veulent arracher l'École. […] Mais il faut les moyens. Ce sera les Ă©coles normales car les rĂ©publicains ont pour objectif prioritaire l'enseignement primaire qui reçoit la masse des Ă©lèves. […] Les Ă©coles normales remplissent pleinement leur mission : former des maĂ®tres et maĂ®tresses d'Ă©cole pĂ©nĂ©trĂ©s de la dignitĂ© de leur mission, dans un esprit de dĂ©vouement obscur, de sacrifices librement consentis dans le respect des hiĂ©rarchies et de l'ordre social. Les rĂ©publicains se servirent alors de cette infanterie enseignante pour, en quarante ans, dĂ©manteler l'École catholique… » . Mais dĂ©mantèlement relatif car les associations (religieuses ou non) crĂ©Ă©es Ă  cet effet eurent alors toute libertĂ© pour crĂ©er et gĂ©rer lĂ©galement des Ă©coles privĂ©es dites « libres Â». »

VĂ©ritables missionnaires laĂŻques d'une rĂ©volution par la loi du système Ă©ducatif français, la ressemblance mĂ©liorative du corps des instituteurs avec une armĂ©e dĂ©vouĂ©e et disciplinĂ©e au service de la RĂ©publique participe des raisons expliquant le succès de ce surnom de « hussards noirs » Ă  connotation militaire.

De par cette mission autant que par leur statut de fonctionnaires (Ă  partir de 1889) et donc de petits bourgeois (de la petite bourgeoisie d'État), les « hussards noirs Â» reprĂ©sentaient tant une des Ă©lites de la nouvelle rĂ©publique qu'une autoritĂ© morale, civique et intellectuelle certaine. C'est le cas dans La Gloire de mon père et La Fille du puisatier de Marcel Pagnol[11].

Le surnom a par la suite été repris de diverses manières, et l'on a pu dire les hussards de la sévérité[3], les hussards de la République ou les hussards noirs de la République tant pour les instituteurs de la IIIe République que pour ceux des IVe et Ve Républiques.

Notes et références

  1. « Les hussards noirs de la République ou les combats pour l'école laïque », sur France Culture (consulté le )
  2. Christian Bouyer, page 164 dans la cinquième partie « Les hussards noirs de la République » dans La Grande aventure des écoles normales d'instituteurs, Le Cherche-Midi, Paris, 2003, 253 p. (ISBN 2-74910-124-7).
  3. « Les Hussards noirs de la République », sur France Culture (consulté le )
  4. « 28 juin 1833 - Guizot instaure un enseignement primaire public », sur herodote.net (consulté le )
  5. « LES LOIS SCOLAIRES DE JULES FERRY », sur senat.fr (consulté le )
  6. « dossiers d'histoire - Les lois scolaires de Jules Ferry », sur senat.fr (consulté le )
  7. collectif, Les livres de Morale de nos grands-mères, Paris, Archives et culture, , 256 p. (ISBN 978-2-35077-033-8), p. 9
  8. Service Ville d’art et d’histoire d'Orléans et Centre Charles Péguy, Laissez-vous conter Orléans. Charles Péguy, , 9 p. (lire en ligne).
  9. Jean-Claude Caron, « Jules Ferry, « De l’égalité d’éducation » », Parlement[s], Revue d'histoire politique,‎ , p. 115-123 (lire en ligne)
  10. Serge Issautier, « Un autre point de vue sur l'Ă©cole normale d'Avignon… Â» (contribution p. 200 Ă  208) dans Quelle Ă©cole et quels enseignants ?, Éditions L'Harmattan, Paris, 2006, 266 p. (ISBN 2-296-00604-3).
  11. « La laïcité dans les « Souvenirs d’enfance » de Marcel Pagnol », sur journal-du-droit-administratif.fr (consulté le )

Annexes

Bibliographie

  • Christian Bouyer, La grande aventure des Ă©coles normales d'instituteurs, Le Cherche-Midi, Paris, 2003, 253 p. (ISBN 2-74910-124-7).
  • Jacques Ozouf, Nous les maĂ®tres d'Ă©cole - autobiographies d'instituteurs de la Belle Époque, Collection folio/histoire, Éditions Julliard/Gallimard, Paris, 1973, 313 p. (ISBN 2-07-032749-3).
  • AndrĂ© Payan-Passeron, Quelle Ă©cole et quels enseignants ? - MĂ©tamorphoses françaises sur trois gĂ©nĂ©rations Ă  partir des 34 normaliens d'Avignon, Éditions L'Harmattan, Paris, 2006, 266 p. (ISBN 2-296-00604-3), voir sa fiche auteur aux Ă©ditions L'Harmattan ainsi qu'un aperçu de son ouvrage sur Google Livres .
  • Alain Vincent, Des hussards de la RĂ©publique aux professeurs des Ă©coles : l'Ă©cole normale, Éditions Alan Sutton, JouĂ©-lès-Tours, 2001, 128 p. (ISBN 2-84253-571-5).
  • Antoine Gavory, Hussard noir Ă  la campagne, Éditions L'escargot Savant.
  • CĂ©line Labrune-Badiane et Etienne Smith, Les hussards noirs de la colonie. Instituteurs et petites patries en AOF, Paris, Karthala, 2018, 706 p.

Articles connexes

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