Hill c. Ăglise de scientologie de Toronto
Hill c. Ăglise de scientologie de Toronto [1] est un arrĂȘt de principe de la Cour suprĂȘme du Canada rendu en 1995 concernant la diffamation, oĂč la Cour suprĂȘme du Canada a interprĂ©tĂ© le droit ontarien de la diffamation en relation avec la Charte canadienne des droits et libertĂ©s.
AprĂšs examen, la Cour suprĂȘme du Canada a dĂ©terminĂ© qu'elle ne suivrait pas la norme de la « malveillance vĂ©ritable » Ă©noncĂ©e dans la cĂ©lĂšbre affaire de la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis de New York Times Co. v. Sullivan[2].
Les faits
Le 17 septembre 1984, Morris Manning, un avocat travaillant pour l'Ăglise de scientologie, et des reprĂ©sentants de cette Ăglise ont tenu une confĂ©rence de presse sur les marches du palais de justice de Toronto. Manning, vĂȘtu de sa toge d'avocat, a lu et commentĂ© les allĂ©gations contenues dans un avis de requĂȘte de l'Ăglise de scientologie, a fait savoir son intention d'intenter une procĂ©dure pĂ©nale pour outrage au tribunal Ă l'encontre d'un procureur de la Couronne, Casey Hill. La requĂȘte allĂ©guait que Hill avait induit un juge en erreur et avait enfreint les ordonnances scellant certains documents appartenant Ă la Scientologie dans l'affaire R. c. Ăglise de Scientologie de Toronto.
Au moment oĂč la dĂ©claration diffamatoire a Ă©tĂ© faite, Casey Hill travaillait comme avocat au Bureau des avocats de la Couronne, Division criminelle du ministĂšre du Procureur gĂ©nĂ©ral de la province de l'Ontario. Il avait donnĂ© des conseils Ă la Police provinciale de l'Ontario concernant un mandat obtenu le 1er mars 1983 qui autorisait une perquisition les 3 et 4 mars 1983 d'environ 250 000 documents, comprenant plus de 2 millions de pages de matĂ©riel, lesquels ont Ă©tĂ© saisis. Ces documents Ă©taient entreposĂ©s dans quelque 900 boĂźtes dans un immeuble de la Police provinciale de l'Ontario Ă Toronto
Lors de la procĂ©dure pour outrage au cours de laquelle les appelants demandaient une amende ou une peine d'emprisonnement contre le dĂ©fendeur, les allĂ©gations contre Hill ont Ă©tĂ© jugĂ©es complĂštement fausses et sans fondement. Hill a donc intentĂ© une poursuite en dommages-intĂ©rĂȘts en diffamation contre les appelants.
Les deux appelants ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s conjointement responsables de dommages-intĂ©rĂȘts gĂ©nĂ©raux de 300 000 $ et l'Ăglise de scientologie seule Ă©tait responsable de dommages-intĂ©rĂȘts compensatoires majorĂ©s Ă 500 000 $ et de dommages punitifs de 800 000 $. Le jugement a Ă©tĂ© confirmĂ© dans une dĂ©cision de 1993 de la Cour d'appel de l'Ontario.
Questions en litige
Les principales questions soulevĂ©es dans cet appel Ă©taient les suivantes : la common law en matiĂšre de diffamation Ă©tait-elle valide Ă la lumiĂšre de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s et l'octroi de dommages-intĂ©rĂȘts par le jury pouvait=il ĂȘtre maintenu?
Arguments de l'appelant
L'Ăglise de scientologie a soutenu que la common law relative Ă la diffamation au Canada n'avait pas Ă©voluĂ© avec la sociĂ©tĂ© canadienne. La common law avait trop insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger la rĂ©putation des demandeurs au dĂ©triment de la libertĂ© d'expression. Il s'agissait, selon eux, d'une restriction injustifiĂ©e imposĂ©e d'une maniĂšre qui ne peut ĂȘtre justifiĂ©e dans une sociĂ©tĂ© libre et dĂ©mocratique qui pourrait survivre Ă une contestation fondĂ©e sur l'article 1 de la Charte. Les appelants ont ajoutĂ© que si le critĂšre d'action gouvernementale Ă©tait insuffisant pour attirer l'examen de la Charte, les principes de la common law devraient ĂȘtre interprĂ©tĂ©s, mĂȘme dans une action de droit purement privĂ©, d'une maniĂšre compatible avec la Charte. Cela, ont-ils soutenu, ne pouvait ĂȘtre atteint que par l'adoption de la norme de responsabilitĂ© de « malveillance vĂ©ritable » trouvĂ©e par la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis dans l'affaire New York Times Co. v. Sullivan.
La dĂ©fense de l'immunitĂ© relative s'attache Ă l'occasion Ă laquelle la communication est faite, et non Ă la communication elle-mĂȘme. L'effet juridique de la dĂ©fense de l'immunitĂ© relative est de rĂ©futer l'infĂ©rence, qui dĂ©coule normalement de la publication de propos diffamatoires, qu'ils ont Ă©tĂ© prononcĂ©s avec malveillance. Lorsqu'il est dĂ©montrĂ© que l'occasion est privilĂ©giĂ©e, la bonne foi du dĂ©fendeur est prĂ©sumĂ©e et le dĂ©fendeur est libre de publier, en toute impunitĂ©, des propos qui peuvent ĂȘtre diffamatoires et faux Ă l'encontre du demandeur. L'immunitĂ© n'est cependant pas absolu et peut ĂȘtre surmontĂ©e si le motif dominant de la publication de la dĂ©claration est la malveillance vĂ©ritable ou expresse. (La malveillance, dans ce contexte, est Ă©tablie en montrant que le dĂ©fendeur a parlĂ© de façon malhonnĂȘte, ou en connaissant ou en ignorant tĂ©mĂ©rairement la vĂ©ritĂ©.)
L'immunitĂ© rĂ©elle peut Ă©galement ĂȘtre surmontĂ©e lorsque les limites du devoir ou de l'intĂ©rĂȘt ont Ă©tĂ© dĂ©passĂ©es. Le fait qu'une occasion soit privilĂ©giĂ©e ne protĂšge pas nĂ©cessairement tout ce qui est dit ou Ă©crit Ă cette occasion. Les informations communiquĂ©es doivent ĂȘtre raisonnablement appropriĂ©es dans le contexte des circonstances existant Ă l'occasion oĂč ces informations ont Ă©tĂ© donnĂ©es[3].
Jugement de la Cour suprĂȘme
Le pourvoi de l'Ăglise de scientologie est rejetĂ©.
Motifs du jugement
Dans deux jugements (une opinion majoritaire rĂ©digĂ©e par le juge Cory par les juges La Forest, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major, et un avis concordant Ă©crit par la juge L'Heureux-DubĂ©), la Cour a rejetĂ© ces arguments tout en continuant d'appliquer SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd. [4], Ă l'effet que la Charte ne peut pas rĂ©Ă©crire la common law, bien que la common law doive ĂȘtre interprĂ©tĂ©e conformĂ©ment aux principes gĂ©nĂ©raux de la Charte. Cela ne veut pas dire que la Cour devait nĂ©cessairement adopter la rĂšgle de diffamation de la « malveillance vĂ©ritable » issue de la jurisprudence amĂ©ricaine.
En refusant de modifier le droit canadien et de l'aligner davantage sur la norme de « malveillance réelle » du droit américain (à la suite de l'affaire New York Times Co. c. Sullivan), le juge Cory, écrivant au nom de la majorité, a déclaré (au paragraphe 138 ):
« La libertĂ© de parole, comme toute autre libertĂ©, est assujettie Ă la loi et doit ĂȘtre mesurĂ©e en regard de la nĂ©cessitĂ© essentielle pour les individus de protĂ©ger leur rĂ©putation. Les termes du juge Diplock dans Silkin c. Beaverbrook Newspapers Ltd., [1958] 1 W.L.R. 743, aux pp. 745 et 746, mĂ©ritent d'ĂȘtre rĂ©pĂ©tĂ©s: :
« La libertĂ© de parole, comme toute autre libertĂ©, est assujettie Ă la loi et doit ĂȘtre mesurĂ©e en regard de la nĂ©cessitĂ© essentielle pour les individus de protĂ©ger leur rĂ©putation [...] qu'elle mĂšne une vie publique ou non, Ă une rĂ©putation intacte, si elle le mĂ©rite et, d'autre part, [...] le droit du public [...] d'exprimer ses opinions honnĂȘtement et sans crainte sur des questions d'intĂ©rĂȘt public, mĂȘme si cela implique une critique sĂ©vĂšre du comportement des personnalitĂ©s publiques. »
Dans les motifs concordants de la juge L'Heureux-Dubé, son analyse de la question de l'application de la Charte à la common law est énoncée succinctement, au paragraphe 2 de son jugement :
« 2 En premier lieu, toutefois, afin de dissiper toute confusion possible quant Ă l'applicabilitĂ© de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s Ă la common law, cette question peut, Ă mon avis, se rĂ©duire simplement aux deux propositions suivantes, formulĂ©es pour la premiĂšre fois par le juge McIntyre dans l'arrĂȘt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., 1986 CanLII 5 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 573:
1. La Charte ne s'applique pas directement Ă la common law sauf dans la mesure oĂč elle constitue le fondement d'une action gouvernementale.
2. Quoique la Charte ne s'applique pas directement Ă la common law en l'absence d'une action gouvernementale, la common law doit nĂ©anmoins Ă©voluer de maniĂšre Ă ĂȘtre compatible avec les valeurs qui sousâtendent la Charte. (Dans le mĂȘme sens, voir R. c. Salituro, 1991 CanLII 17 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 654, Dagenais c. SociĂ©tĂ© Radio- Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835, et R. c. Park, 1995 CanLII 104 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 836, le juge L'HeureuxâDubĂ©.)
En d'autres termes, la rÚgle fondamentale est la suivante: en l'absence d'une action gouvernementale, la Charte ne s'applique qu'indirectement à la common law. »
Plus grand montant accordé en diffamation au Canada
Le montant accordé par le jury qui a été confirmé dans ce pouvoir était alors le plus grand montant accordé pour diffamation de l'histoire du Canada.
L'avocat Manning et l'Ăglise de scientologie ont Ă©tĂ© reconnus conjointement responsables de dommages-intĂ©rĂȘts compensatoires de 300 000 $. La scientologie Ă elle seule Ă©tait responsable de dommages-intĂ©rĂȘts majorĂ©s de 500 000 $ CA et de dommages punitifs de 800 000 $, donc le total des montants dus en responsabilitĂ© civile par la scientologie s'Ă©tablissait 1 600 000 $ . Ce n'est qu'en 2008 que ce record a Ă©tĂ© battu[5].
Voir aussi
- Prudâhomme v. Prudâhomme, 2002 CSC 85
- Néron Communication Marketing Inc. c. Chambre des notaires du Québec, 2004 CSC 53
Lien externe
Notes et références
- [1995] 2 RCS 1130
- 376 U.S. 254 (1964)
- Hill v. Church of Scientology of Toronto (1995) 2. R.C.S. 1130
- [1986] 2 RCS 573
- "Ex-pilot wins $3M defamation award". Ottawa Citizen. 29 février 2008. Archivé le 17 Novembre 2014.