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Gradient latitudinal de biodiversité

Le Gradient latitudinal de biodiversité, GLB (de l'anglais latitudinal diversity gradient, LDG ou latitudinal biodiversity gradient, LBG) est un paramètre environnemental censé rendre compte de l'augmentation de la richesse en espèces, ou biodiversité, des pôles aux tropiques laquelle se produit pour une grande variété d'organismes terrestres et marins [1]. Le GLB, l'un des modèles les plus largement reconnus en écologie[1], a été observé à des degrés divers dans l’histoire biologique de la Terre[2]. Une tendance parallèle a été observée avec l'altitude (gradient altimétrique de biodiversité )[3], bien que cela soit moins bien étudié[4].

Carte de Gradient latitudinal de biodiversité des vertébrés terrestres
(Mannion 2014)

Expliquer le gradient latitudinal de biodiversité est considéré comme l’un des grands défis contemporains de la biogéographie et de la macroécologie (Willig et al. 2003, Pimm et Brown 2004, Cardillo et al. 2005)[5]. La question « Qu'est-ce qui détermine les modèles de diversité des espèces ? » figurait parmi les 25 principaux thèmes de recherche pour l'avenir identifiés dans le numéro du 125e anniversaire de Science en juillet 2005. Il y a pas de consensus parmi les écologistes sur les mécanismes sous-jacents au modèle, et de nombreuses hypothèses ont été proposées et débattues. Une étude de 2003 a noté que parmi les nombreuses énigmes associées au GLB, la relation causale entre les taux d'évolution moléculaire et la spéciation reste à démontrer[6].

Comprendre la répartition mondiale de la biodiversité est l'un des objectifs les plus importants pour les écologistes et les biogéographes. Au-delà des objectifs purement scientifiques et de la satisfaction de la curiosité, cette compréhension est essentielle pour des questions pratiques d'importance majeure pour l'humanité, telles que la propagation des espèces envahissantes, le contrôle des maladies et de leurs vecteurs, et les effets probables du changement climatique mondial sur le maintien de la biodiversité (Gaston 2000). Les zones tropicales jouent un rôle de premier plan dans la compréhension de la répartition de la biodiversité, car le taux de dégradation de leur habitat et de leur perte de biodiversité sont exceptionnellement élevés[7].

Le modèle dans le passé

Si le GLB est un modèle notable chez les organismes actuels, décrit qualitativement et quantitativement, étudié à divers niveaux taxonomiques, à travers différentes périodes et dans de nombreuses régions géographiques (Crame 2001), il a également pu être observé à des degrés divers dans les âges anciens, probablement en raison de différences de climat au cours des différentes phases de l'histoire de la Terre. Certaines études indiquent qu'il y avait un fort GLB, particulièrement dans les taxons marins ; par contre d'autres études indiquent que le GLB avait peu d'effet sur la distribution des animaux des taxons terrestres[2].

Hypothèses pour étayer le modèle

Bien que les nombreuses hypothèses visant à explorer le GLB soient étroitement liées et interdépendantes, la plupart d'entre elles peuvent être regroupées en trois hypothèses générales. Certaines de ces hypothèses peuvent elles-mêmes se subdiviser en hypothèses de second niveau :

  • Les hypothèses liĂ©es aux espaces gĂ©ographiques :
    • Hypothèse de l'effet de domaine intermĂ©diaire ;
    • Hypothèse de l'aire gĂ©ographique ;
    • Hypothèse espèce-Ă©nergie ;
    • Hypothèse de la duretĂ© du climat ;
    • Hypothèse de stabilitĂ© climatique.
  • Les hypothèses liĂ©es Ă  l'Ă©volution :
    • Hypothèse de la perturbation historique ;
    • Hypothèse du taux d'Ă©volution ;
    • Hypothèse du temps Ă©volutif effectif.
  • Les hypothèses biotiques c'est-Ă -dire liĂ©es Ă  la biologie des espèces.

Hypothèses spatiales / superficielles

Cinq hypothèses majeures se basent uniquement sur les caractéristiques spatiales et les propriétés des aires de répartition géographiques des tropiques :

Hypothèse de l'effet de domaine intermédiaire

Cette hypothèse repose sur les modèles informatiques de Cowell et Hurt (1994) ainsi que de Willing et Lyons (1998) qui semblent montrer que, si les aires de répartition des espèces étaient mélangées au hasard à l'intérieur d'un domaine géographique délimité exempt de gradients environnementaux, les aires de répartition des espèces auraient tendance à se chevaucher davantage vers le centre du domaine que vers ses limites, créant un pic de richesse spécifique « à mi-domaine ». Ce constat qui a été qualifié d'« effet de domaine intermédiaire » (Mid-Domain Effect, MDE) est controversé à la fois dans son concept que dans son application réelle[5] - [8], certains auteurs rapportent en effet qu'il y a peu de correspondance entre les modèles de diversité latitudinale prévus et observés (Bokma and Monkkonen 2001, Currie and Kerr, 2007, Diniz-Filho et al. 2002, Hawkins and Diniz-Filho 2002, Kerr et al. 2006).

Hypothèse de l'aire géographique

Terborgh (1973) affirme que les zones tropicales constituant le plus grand biome, ces zones peuvent abriter davantage d'espèces ; celles-ci ayant des taux d'extinction plus faibles, (Rosenzweig 2003), elles seraient donc plus susceptibles de subir une spéciation allopatrique, ce qui augmenterait leur taux de spéciation (Rosenzweig 2003). La combinaison entre taux d'extinction plus faibles et taux élevés de spéciation conduirait à des niveaux élevés de richesse en espèces dans les zones tropicales.

Une critique de cette hypothèse est que même si les tropiques sont le plus étendu des biomes, les biomes successifs au nord des tropiques ont tous à peu près la même superficie. Ainsi, si l'hypothèse de l'aire géographique est correcte, ces régions devraient toutes avoir à peu près la même richesse en espèces, ce qui n'est pas le cas comme l'indique le fait que les régions polaires contiennent moins d'espèces que les régions tempérées (Gaston et Blackburn 2000). Pour expliquer cela, Rosenzweig (1992) a suggéré que si les espèces à répartition partiellement tropicale étaient exclues, le gradient de richesse au nord des tropiques disparaîtrait. Blackburn et Gaston 1997 ont testé l'effet de l'élimination des espèces tropicales sur les modèles latitudinaux de la richesse en espèces aviaires dans le Nouveau Monde et ont constaté qu'il existe effectivement une relation entre la superficie terrestre et la richesse en espèces d'un biome une fois que les espèces à prédominance tropicale sont exclues.

Peut-être un défaut plus grave dans cette hypothèse est l'argument avancé par certains biogéographes qui suggèrent que les tropiques terrestres ne sont pas, en fait, le plus grand biome, et donc cette hypothèse ne serait pas une explication valable au gradient latitudinale de diversité des espèces (Rohde 1997, Hawkins et Porter 2001). En tout état de cause, il serait difficile de défendre les tropiques en tant que « biome » plutôt que les régions géographiquement diverses et disjointes qu'elles englobent réellement.

Il a été démontré que l'effet de la superficie sur les modèles de biodiversité dépend de l'échelle, cette dernière ayant une conséquence plus forte sur les espèces à petites aires géographiques par rapport aux espèces à grandes aires de répartition lesquelles sont davantage affectées par d'autres facteurs tels que le "domaine intermédiaire" et / ou la température[5].

Hypothèse espèce-énergie

L'hypothèse espèce-énergie suggère que la quantité d'énergie disponible est un facteur limitant de la richesse du système. Ainsi, une énergie solaire accrue (avec une abondance d'eau) aux basses latitudes entraîne une augmentation de la productivité primaire nette (issue de la photosynthèse). Cette hypothèse propose que plus la productivité primaire nette est élevée, plus il y aura d'individus et plus il y aura d'espèces dans une zone. En d'autres termes, cette hypothèse suggère que les taux d'extinction sont réduits vers l'équateur en raison de populations plus nombreuses soutenues par une plus grande quantité d'énergie disponible dans les zones tropicales ; dans ces zones les taux d'extinction plus faibles conduiraient à l'émergence d'un plus grand nombre d'espèces.

Hypothèse de la dureté du climat

Cette hypothèse liée au climat stipule que le GLB peut exister simplement parce que peu d'espèces peuvent physiologiquement tolérer des conditions à des latitudes plus élevées qu'aux basses latitudes, car les premières sont plus froides et plus sèches que les secondes. Currie et al. (2004) ont critiqué cette hypothèse en affirmant que, s'il est clair que la tolérance climatique peut limiter la répartition des espèces, il apparaît que certaines espèces sont souvent absentes des zones dont elles pourraient tolérer le climat[9].

Hypothèse de stabilité climatique

À l'instar de l'hypothèse de la dureté du climat, la stabilité du climat serait à l'origine du gradient de biodiversité. Le raisonnement qui conduit à cette hypothèse consiste à supposer que si un environnement fluctuant est susceptible d'augmenter le taux d'extinction ou d'empêcher la spécialisation, un environnement constant peut permettre aux espèces de se spécialiser sur des ressources alimentaires prévisibles, leur permettant d'avoir des niches plus étroites et ainsi faciliter leur spéciation. Le fait que les régions tempérées ont des conditions saisonnières plus variables sur les échelles de temps géologiques suggère que les régions tempérées devraient donc avoir moins de diversité d'espèces que les tropiques.

Les critiques de cette hypothèse soulignent le fait qu'il existe de nombreuses exceptions à l'hypothèse selon laquelle la stabilité du climat signifie une plus grande diversité des espèces. Par exemple, on sait que la faible diversité des espèces se produit souvent dans des environnements stables tels que le sommet des montagnes tropicales. De plus, de nombreux habitats présentant une grande diversité d'espèces tout en vivant sous des climats saisonniers, y compris de nombreuses régions tropicales lesquelles ont des précipitations très variables selon l'époque de l'année (Brown et Lomolino 1998).

Hypothèses historiques et évolutives

Trois hypothèses principales sont liées aux explications historiques et évolutives de l'augmentation de la diversité des espèces vers l'équateur :

L'hypothèse de la perturbation historique

L'hypothèse des perturbations historiques propose que la faible richesse en espèces des latitudes plus élevées est une conséquence d'une période de temps insuffisante pour que les espèces colonisent ou recolonisent des zones en raison de perturbations historiques telles que la glaciation (Brown et Lomolino 1998, Gaston et Blackburn 2000). Cette hypothèse suggère que la diversité dans les régions tempérées n'a pas encore atteint l'équilibre et que le nombre d'espèces dans les régions tempérées continuera d'augmenter jusqu'à saturation (Clarke et Crame 2003).

L'hypothèse du taux d'évolution

L'hypothèse du taux d'évolution soutient que des taux d'évolution plus élevés sous les tropiques ont entraîné des taux de spéciation plus élevés et donc une diversité accrue aux basses latitudes (Cardillo et al.2005, Weir & Schluter 2007, Rolland et al. 2014). Des taux d'évolution plus élevés sous les tropiques ont été attribués à des températures ambiantes plus élevées, des taux de mutation plus élevés, un temps de génération plus court et / ou des processus physiologiques plus rapides (Rohde 1992, Allen et al.2006) et une pression de sélection accrue d'autres espèces qui évoluent elles-mêmes[10]. Des taux plus rapides de microévolution dans les climats chauds (c.-à-d. basses latitudes et altitudes) ont été observés pour les plantes (Wright et al. 2006), les mammifères (Gillman et al. 2009) et les amphibiens (Wright et al. 2010). Si l'on suppose que des taux de microévolution plus rapides entraînent des taux de spéciation plus rapides, ces résultats suggèrent que des taux d’évolution plus rapides dans les climats chauds ont presque certainement une forte influence sur le GLB. Des recherches supplémentaires doivent être menées pour déterminer si les taux de spéciation sont effectivement plus élevés sous les tropiques. Comprendre si le taux d'extinction varie avec la latitude sera également important pour savoir si cette hypothèse est ou non étayée (Rolland et al. 2014).

L'hypothèse du temps évolutif effectif

L'hypothèse du temps évolutif effectif suppose que la diversité est déterminée par le temps évolutif pendant lequel les écosystèmes ont existé dans des conditions relativement inchangées, et par la vitesse d'évolution directement déterminée par les effets de l'énergie environnementale (température) sur les taux de mutation, les temps de génération et la vitesse de sélection (Rohde 1992). Elle diffère de la plupart des autres hypothèses en ne postulant pas une limite supérieure de la richesse en espèces fixée par divers facteurs abiotiques et biotiques ; en d'autres termes il s'agit d'une hypothèse de non-équilibre supposant un espace de niche largement non saturé. Rohde admet que de nombreux autres facteurs peuvent également jouer un rôle dans la formation de gradients latitudinaux de richesse en espèces. L'hypothèse est cependant étayée par de nombreuses preuves, en particulier les études d'Allen et al. (2006) et Wright et al. (2006).

Hypothèses biotiques

Les hypothèses biotiques affirment que les interactions écologiques des espèces telles que la compétition, la prédation, le mutualisme et le parasitisme sont plus fortes sous les tropiques et ces interactions favorisent la coexistence des espèces et leur spécialisation, conduisant à une plus grande spéciation dans les tropiques. Ces hypothèses sont problématiques car elles ne peuvent pas être la cause immédiate du GLB car elles ne parviennent pas à expliquer pourquoi les interactions entre les espèces seraient plus fortes sous les tropiques.

Un exemple d'une telle hypothèse affirme que la plus grande intensité de la prédation et l'existence de prédateurs plus spécialisés dans les tropiques ont contribué à l'augmentation de la diversité dans ces zones (Pianka 1966). Cette intense prédation pourrait réduire l'importance de la concurrence (voir principe d'exclusion compétitive), permettre un plus grand chevauchement des niches et favoriser une plus grande richesse de proies. Alors que des expériences à grande échelle suggèrent que la prédation pourrait être plus intense sous les tropiques[11] - [12] cela ne peut pas être la cause ultime d'une grande diversité tropicale car cela ne permet pas d'expliquer ce qui donne lieu à la richesse des prédateurs sous les tropiques.

Plusieurs études n'ont pas réussi à observer des changements cohérents dans les interactions écologiques en fonction de la latitude (Lambers et al. 2002)[1]. Ces études suggèrent que l'intensité des interactions entre les espèces n'est pas corrélée avec le changement de la richesse des espèces selon la latitude.

Synthèse et conclusions

Il existe de nombreuses autres hypothèses liées au GLB, mais les hypothèses évoquées donnent un bon aperçu des enjeux débattus. Il est important de noter que bon nombre de ces hypothèses sont similaires et dépendent les unes des autres. Par exemple, les hypothèses évolutives dépendent étroitement des caractéristiques climatiques historiques des tropiques.

La généralité du gradient de diversité latitudinale

Une méta-analyse approfondie de près de 600 gradients latitudinaux provenant de la littérature publiée a testé la généralité du GLB à travers différents organismes, habitats et caractéristiques régionales[1]. Les résultats ont montré que le gradient latitudinal se produit en milieu marin, les écosystèmes terrestres et d’eau douce, dans les deux hémisphères. Le gradient est plus prononcé chez les taxons plus riches (c'est-à-dire les taxons ayant le plus d'espèces), les organismes plus grands, dans les écosystèmes marins et terrestres par rapport aux écosystèmes d'eau douce, et aux échelles régionale. La pente du gradient (la quantité de changement de la richesse en espèces avec la latitude) n'est pas influencée par la dispersion, le niveau trophique attaché à la physiologie animale (homéothermie ou ectothermie), l'hémisphère nord ou sud ou la plage latitudinale d'étude.

Les recherches n'ont pas pu directement mettre en défaut ou privilégier l'une des hypothèses ci-dessus, cependant, les résultats des études menées suggèrent qu'une combinaison énergie / climat et caractéristiques physiques des zones, contribuent probablement au gradient latitudinal des espèces. Les exceptions notables à cette tendance comprennent les insectes ichneumonidae, les oiseaux de rivage, les manchots et le zooplancton d'eau douce.

Robustesse des données

L'un des principaux postulas concernant les GLB et les modèles de richesse en espèces est que les donnĂ©es sous-jacentes (c'est-Ă -dire les listes d'espèces Ă  des emplacements spĂ©cifiques) sont complètes. Cependant, dans la plupart des cas, ce postula n'est pas satisfait. Par exemple, les schĂ©mas de diversitĂ© des parasites sanguins des oiseaux suggèrent une plus grande diversitĂ© dans les rĂ©gions tropicales, cependant, les donnĂ©es peuvent ĂŞtre faussĂ©es par un sous-Ă©chantillonnage dans des zones fauniques riches telles que l'Asie du Sud-Est et l'AmĂ©rique du Sud[13]. Pour les poissons marins, qui font partie des groupes taxonomiques les plus Ă©tudiĂ©s, les listes actuelles d'espèces sont extrĂŞmement incomplètes pour la plupart des ocĂ©ans du monde. Ă€ une rĂ©solution spatiale de 3° (environ 350 km2), moins de 1,8% des ocĂ©ans du monde ont plus de 80% de leur faune piscicole actuellement dĂ©crite[14].

Conclusion

La question macroécologique fondamentale dont dépend la théorie du GLB est « Qu'est-ce qui cause les modèles de richesse en espèces ? ». La richesse en espèces dépend en fin de compte de tous les facteurs immédiats qui affectent les processus de spéciation, d'extinction, d'immigration et d'émigration. Alors que certains écologistes continuent de rechercher le mécanisme primaire ultime qui cause le gradient latitudinal de richesse biologique, de nombreux écologistes suggèrent plutôt que ce modèle écologique est susceptible d'être généré par synergie de plusieurs mécanismes (Gaston et Blackburn 2000, Willig et al.2003, Rahbek et al. 2007). Pour l'instant, le débat sur la cause du GLB se poursuivra jusqu'à ce qu'une étude révolutionnaire fournisse des preuves concluantes, ou qu'il y ait un consensus général sur le fait que de multiples facteurs contribuent à ce phénomène.

Notes et références

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Latitudinal gradients in species diversity » (voir la liste des auteurs).
Références
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Voir aussi

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