Faire ripaille
« Faire ripaille » signifie boire et manger avec excès. Selon le Trésor de la langue française, le mot est un dérivé du verbe « riper », « gratter[1] », probablement emprunté au moyen néerlandais (ou peut-être déjà issu de l'ancien bas francique) « rippen », « tirailler, palper[2] », avec suffixe « -aille ».
Le Dictionnaire historique de la langue française d'Alain Rey précise : « Le mot est d'abord employé dans la locution “faire la ripaille chez quelqu'un”, appliquée aux soldats qui vont manger et s'approvisionner chez les paysans et les bourgeois, peut-être d'après l'idée de “racler les plats[3]”. »
Origine alternative
Selon certains historiens et la tradition orale, l'expression française « faire ripaille » proviendrait du château de Ripaille à Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie, qui se trouve dans le Chablais savoyard, sur la rive française du lac Léman. Elle est couramment attribuée à Voltaire, qui ironisait sur la vie austère que menait, dit-on, au château de Ripaille, au XVe siècle, le duc Amédée VIII de Savoie, (antipape de 1439 à 1449 sous le nom de « Félix V »), avec six anciens compagnons d’armes :
« Au nord de cette mer [le Léman] où s'égarent mes yeux, Ripaille, je te vois. Ô bizarre Amédée ! Est-il vrai que dans ces beaux lieux, Des soins et des grandeurs écartant toute idée, Tu vécus en vrai sage, en vrai voluptueux, Et que, lassé bientôt de ton doux ermitage, Tu voulus être pape et cessa d'être sage ? »
— Voltaire, Épitre LXXXV. p. 363-364
Le château de Ripaille et l'immense domaine de chasse qui autrefois y était rattaché ont appartenu aux ducs de Savoie. C'était le lieu de mémorables festins, d'où cette formulation explicite passée dans le langage courant.
Les Chablaisiens rejettent cette interprétation de Voltaire et expliquent que l'origine de “ripaille” viendrait du mot “ripes”, qui autrefois voulait dire “broussailles”.
D'autres érudits, plus sérieusement, affirment que « ripaille » vient du voisinage du lac, car le château borde ses rives : « A ripa Lemani lacûs Ripalia. » Voir Dictionnaire étymologique de la langue françoise (Paris, 1750, volume 2) qui indique :
« Ripaille. Faire ripaille. On prétant que cette façon de parler a pris ſon origine de Ripaille, lieu agréable dans la Savoye, où Amédée de Savoye, qui fut depuis Félix V. Antipape, ſe retira ; & où il mena une vie délicieuſe. Mr Aubery dans l’Eloge de ce Félix V. Gobelin & Monſtrelet adjouſtent, que dans ce ſuperbe & délicieux hermitage de Ripaille, il ſe fit ſervir d’excellens vins, & des viandes exquiſes, au lieu d'eau de fontaine & de racines d'arbres, dont ſe nourriſſoient les anciens Hermites. D’où quelques-uns ont eſtimé qu’eſtoit venu le commun proverbe faire ripaille, pour dire faire bonne chere. Le P. Labbe, dans ſes Etymologies Françoiſes, 2. partie, page 122. Ripaille ; d'où eſt venu le proverbe ; eſt un chaſteau ſur le bord du lac de Genêve : à ripa Lemani lacus, Ripalia ; lieu délicieux, & ſéparé du bruit , & de la converſation des hommes, où ſe plaiſoit Amé, premier Duc de Savoye, devant qu'il fuſt Felix V. le dernier des Antipapes qui ſe ſont élevez contre le S. Siège Apoſtolique. »
Du temps d'Amédée VIII, les banquets et festins étaient grandioses, comme en témoigne son maitre-queux, dont la renommée et le prestige d'alors se sont maintenus jusqu'à nos jours : sa mémoire et son savoir-faire sont précieusement conservés par les gens du métier au sein de l'association Maîstre Chiquart[4]. Sa réputation avait gagné toute l'Europe après l'écriture en 1420 Du Faist de Cuysine dont le manuscrit se trouve aux Archives cantonales de Sion, en Valais (Suisse).
Maître Chiquart y avait rassemblé minutieusement ses recettes (jours gras, jours maigres) et tout ce qui est relatif au personnel et à l'organisation précise des festins et banquets. Ainsi, Du Faist de Cuysine indique notamment de prévoir ces quantités énormes de viande (il en est de même pour les autres ingrédients) :
« 100 bœufs de haute graisse, 130 moutons également de haute graisse, 120 porcs ; et pour chaque jour durant la fête, cent petits porcelets, tant pour rôtir que pour d’autres préparations et 60 gros porcs de haute graisse, salés, pour larder et préparer des mets en potage… Et il faut avoir pour chaque jour de cette fête : 200 cabris et agneaux, 100 veaux, 2 000 pièces de volailles et 6 000 œufs. Et il faut que vous ayez affaire à des fournisseurs de volaille ingénieux, diligents et prévoyants : qu’ils aient 40 chevaux pour aller en divers endroits afin d’obtenir : des chevreuils, des lièvres, des lapins, des perdrix, des faisans, de petits oiseaux (autant qu’ils pourront trouver sans restriction), des oiseaux de rivière (tout ce qu’on pourra en trouver), des pigeons, des grues, des hérons et tous les oiseaux sauvages — tout ce qu’on trouvera de quelconque sauvagine. Et de ceci, qu’ils s’en occupent durant 2 mois ou 6 semaines avant la fête, et qu’ils soient revenus ou aient transmis ce qu’ils auront pu trouver trois ou quatre jours avant cette fête, que ces venaisons puissent être faisandées et mises chacune en l’état approprié. »
Ce qui donne une bonne idée de la notion du terme « ripailler ».
Cette expression, est aussi à l'origine d'un adage en latin très usité autrefois : « Facere ripaliam, hoc est indulgere ventri » (« Faire ripaille, c'est soigner son ventre »). Mais il faut aussi souligner qu'une partie de ces savoureux festins était généreusement offerte à la population locale qui s'en régalait…
Notes et références
- « Ripaille », étymologie, www.cnrtl.fr.
- « Riper », étymologie, www.cnrtl.fr.
- Alain Rey, Marianne Tomi, Tristan Hordé et Chantal Tanet, Dictionnaire historique de la langue française, SNL, Le Robert, 1998, p. 3257.
- « L'association Maître Chiquart », www.oldcook.com (consulté le 28 février 2019).