Décret de Bayonne
Le décret de Bayonne du est une mesure prise par Napoléon Ier, dans le cadre de sa politique envers les Juifs, obligeant les citoyens juifs de France à avoir un nom de famille définitif et à le déclarer à la mairie[1] - [2].
Contenu du décret
Le décret impérial du 20 juillet 1808 impose aux Juifs de l'Empire de prendre un prénom et un nom de famille fixes.
Les dispositions du décret sont les suivantes :
- tous les Juifs résidant dans l'Empire français doivent prendre un prénom et un nom de famille fixes et sont tenus de le déclarer en mairie dans un délai de trois mois. Les Juifs qui s'installent en France disposent de trois mois à compter de leur arrivée pour se conformer à cette obligation.
- les noms de famille choisis ne doivent pas être des noms de l'Ancien Testament ni être des noms de villes.
- les prénoms doivent être choisis parmi ceux du calendrier chrétien ou parmi ceux des personnages connus de l'Histoire Ancienne (Loi du 11 Germinal An XI)
- les Juifs qui ne se conforment pas à ces dispositions sont passibles d'expulsion du territoire.
Contexte historique
Ce décret est l'une des nombreuses mesures prises par Napoléon Bonaparte visant à intégrer les Juifs dans la société française.
Conséquences du décret
Les Juifs étaient accusés d'avoir des noms changeants à chaque génération, ce qui ne permettait pas de retrouver des gens et encore moins de fixer les liens de parentés à l'intérieur d'une même famille et entre descendants et ascendants. En plus, il était interdit de prendre des noms hébraïques en tant que patronymes, mais également comme prénoms. Cependant, on constatera que cette interdiction ne sera pas respectée. Les patronymes que les Juifs d'Europe occidentale portent de nos jours ont ainsi été pris de façon définitive en 1808. De nombreux pays d'Europe, au-delà de l'Empire, prendront la même décision par la suite.
Bien que les Juifs d'Alsace aient été plus spécialement visés, puisqu'ils représentaient la moitié de la population juive de France, il était faux de prétendre qu'ils n'avaient pas de noms de famille. Les Bloch, Dreyfuss, Kahn, Lévy, Weill, Lion, etc. avaient bien un nom de famille en usage depuis des siècles, mais comme en général ils étaient assimilés à des parias on ne les connaissaient que sous leur sobriquet ou leur prénom, si ce n'est sous le prénom du père associé à celui du fils ou inversement. Là, nos compatriotes chrétiens d'Alsace étaient encore aimables, car trop souvent on connaissait nos coreligionnaires sous leur prénom complété par "Judt ", par exemple der Judt Leibele (le juif Yehouda). En recherchant des actes notariés d'avant 1808, on retrouve dans les index des registres de notaires un prénom hébraïque complété par "Judt".
Or, en recherchant l'acte lui-même, on constate que la signature apposée en fin d'acte précise le prénom suivi du nom de famille, d'autant moins sujet à caution que cette signature est écrite en caractères latins, éventuellement en gothique. Lorsque le juif en question est moins lettré, sa signature est en caractères hébraïques où le patronyme apparaît entièrement et souvent suivi par le lieu d'habitation (mi...).
En Alsace
Donc, en 1808, les Juifs d'Alsace feront enregistrer les patronymes qu'ils avaient depuis longtemps, et ceux dont le patronyme indiquait le lieu d'origine de leur ancêtre le plus lointain conserveront ce nom. Par exemple Worms ou Wormser. Dans d'autres cas, certains profiteront de l'occasion pour changer de nom de famille. Le plus connu est le cas de Wintzenheim (Haut-Rhin) où il y avait de très nombreux Lévy. Les détenteurs de ce nom se sépareront en Lévy pour une part, en Meyer ou en Epstein. Comment firent-ils pour choisir ces noms ? Nous n'en savons rien, mais on constate qu'il existait des Epstein en Europe de l'Est et que ceux-ci étaient aussi des Lévy. Hégenheim se distinguera aussi par des choix assez particulier pour cacher les origines lévites. On connaît aussi d'autres exemples de changement : des Lévy qui deviendront des Weill, rares cas de Weill ayant des origines lévites.
Dans le nord de l'Alsace, il se trouvera un employé d'état-civil qui se permettra d'affubler les juifs de la commune avec des noms et des prénoms à consonance italienne : Levino, Longini, Norphuro, Philanthropos, etc.
Dans le choix d'autres patronymes, ils prendront leur nom hébraïque transformé en allemand, exemple : Benyamin deviendra Wolff. Les Nephtali deviendront, selon le cas, Hirsch, Hirtz, Cerf, Zvi ou encore Zivy, avec toutes les autres variantes possibles. D'autres encore prendront leur profession comme patronyme, par exemple des chantres deviendront Singer (abréviation de Vorsinger), des sophers seront des Schreiber, des relieurs se transformeront en Binder, un marchand de rubans choisira de se faire appeler Bendelmann.
Comment se fit le choix du nom à travers les familles ? Nous ne le savons pas très bien, mais il est toutefois surprenant de constater que des familles relativement dispersées géographiquement adopteront le même patronyme. Il faut donc croire qu'il y eut au préalable une profonde concertation, bien que le téléphone n'existait pas à l'époque, ni les transports en commun autres que la diligence.
Mesures complémentaires
Certificats de non-usure
De nombreux chrétiens se plaignaient d'être victimes de l'usure pratiquée par les juifs. Il est vrai qu'auparavant, lorsque les dettes vis-à-vis des juifs étaient devenus trop importantes, la solution utilisée était de les expulser de la cité, de la province ou même du pays. La dette s'annulait automatiquement, puisque le juif créancier avait disparu de l'horizon. C'est ce qui explique toutes les expulsions qu'on connues nos ancêtres à travers les siècles.
De ce côté l'Alsace n'était pas en reste, la plus importante expulsion fut celle de 1349, les juifs étant accusés d'avoir empoisonné les puits, lors de la peste noire.
L'Alsace avait perdu près de 30 % de sa population à la suite de la guerre de Trente Ans (1618-1648), au point que Louis XIV - nouveau souverain - avait dû faire appel à des populations étrangères (d'Allemagne, de Suisse, d'Autriche plus de Huguenots Français) pour repeupler la province. C'est à ce moment que de nombreux juifs rhénans vinrent aussi s'établir en Alsace et y accroître la communauté juive. Ce qui fait que les Juifs avaient pratiquement autant d'ancienneté en Alsace que les chrétiens. Ils avaient en plus la reconnaissance du souverain, car ils avaient aidés les troupes royales - par leur fournitures aux armées - à combattre l'ennemi, en l'occurrence la Maison d'Autriche.
En quoi consistait l'usure ? Comme les banques n'existaient pas à l'époque, c'était le marchand juif - essentiellement le marchand de chevaux ou de bétail - qui devait faire crédit à son client paysan lorsqu'il lui fournissait des animaux ou encore lorsqu'il revendait une terre ou une ferme. Le paysan assurait le paiement essentiellement à la fin des récoltes et plus particulièrement à la St-Martin. Lorsque la récolte était mauvaise, le paysan n'avait plus qu'un recours : ne plus payer "son juif". On retrouve aux archives des commerçants juifs qui n'étaient pas encore payés au bout de trois, voire huit ans. Or, lorsqu'un crédit était effectué, cela devait se faire par acte notarié sous peine que la créance ne soit pas reconnue juridiquement. Par les actes notariés on retrouve les taux d'intérêts qui étaient demandés, en général 5%.
Devant les récriminations d'être exploités par les juifs, Napoléon 1er prendra une disposition qui a été nommé le "Décret infâme". En 1809, il impose à tous les juifs - et ceci aux seuls juifs - exerçant une profession commerciale ou industrielle, l'obligation d'obtenir un certificat de non-usure, afin de recevoir leur patente. Ce certificat, renouvelable chaque année, devra leur être remis par le maire de leur localité d'habitation.
Ce sera une occasion extraordinaire pour les maires d'assouvir leur supériorité sur leurs administrés juifs, voire une possibilité de se venger contre le juif devenu trop riche ou trop important à leurs yeux. On retrouve les dossiers, cité par cité, avec les commentaires du magistrat municipal. Ainsi à Muttersholtz (Bas-Rhin) par exemple, le maire traite 95 % de ses administrés juifs d'"usuriers". 95 % des commerçants juifs de cette ville devront donc arrêter l'exercice de leur profession de marchands de bestiaux ou de boucher. De quoi vont-ils pouvoir subsister ? Pour Mutzig, qui était le siège de rabbinat des Terres de l'Évêché de Strasbourg, sept commerçants vont se voir refuser le précieux document. Les sept vont faire un recours auprès du Préfet de Strasbourg. Un autre juif, industriel, fait aussi une pétition. Il indique que son entreprise d'orfèvrerie emploie 400 (quatre cents) personnes qui vont être sans emploi si le certificat ne lui est pas accordé.
Comme dans les familles juives des fils auront reçu ce certificat de non-usure, alors que leur père ne l'aura pas obtenu, cela va créer des difficultés relationnelles. Toutefois, comme les personnes qui auront été écartées d'une obtention de patente ne voudront pas mourir de faim, il ne leur restera plus qu'à exercer leur activité professionnelle sans payer leur patente.
L'animosité des maires, contre leurs administrés juifs du Bas-Rhin, sera tellement importante que le ministre des Finances de l'Empereur - le Baron Louis - s'adresse au Préfet pour avoir des explications sur la chute importante des rentrées d'impôts. Le préfet transmet au président de la Chambre de Commerce qui avoue que de très nombreux Maires ont refusé les "certificats de non-usure" par vengeance personnelle, bien que l'usure n'était pas avérée. Cette obligation de certificat sera supprimée, puisque trop coûteuse en pertes fiscales pour l'Empire.
Service militaire
A l'époque napoléonienne on n'était incorporé dans les armées que si on avait tiré un "mauvais numéro" lors de la conscription. Chaque appelé en puissance devait tirer un numéro, genre de loto, dont certains étaient dispensés de service militaire et d'autres devaient l'effectuer. Le "mauvais numéro" était celui qui vous obligeait d'aller à l'armée, le "bon numéro" vous en dispensait.
Par contre quand on avait tiré le "mauvais numéro" et lorsqu'on avait des moyens financiers relativement importants, il était possible de s'acheter un remplaçant, c'est-à-dire se faire remplacer contre monnaie sonnante et trébuchante par un conscrit dispensé du service armé - ayant tiré un "bon numéro" l'exemptant de service. Ceci à condition que le remplaçant fut dans le besoin, ou veuille guerroyer.
Ce procédé de remplacement était courant et les classes plus aisées en profitaient pour que leurs enfants n'aient pas à participer aux guerres de l'Empire. Ceci était la règle générale.
Toutefois, il était interdit aux juifs malchanceux de se faire remplacer ; ils devaient partir à la guerre. Finalement après de nombreuses demandes pour bénéficier des mêmes conditions que leurs concitoyens, et par mesure de "bienveillance", Napoléon 1er accepta que les conscrits juifs puissent se faire remplacer, à une seule condition, que le remplaçant fut juif.
On voit ainsi, dans les exemples qui précèdent, que Napoléon 1er, bien qu'originaire d'une région où les Juifs n'avaient jamais vécu, s'acclimata très rapidement à toutes les récriminations populaires contre les Juifs.
Liens externes
- « Décret de Bayonne », sur GenAmi
Références
- « Le nom juif face à la loi », sur Akadem.
- « L'état-civil moteur de l'intégration ou instrument de discrimination », sur Archives départementales de Vaucluse.