DĂ©cade tragique
La décade tragique (« decena trágica » en espagnol) est un épisode sanglant de la révolution mexicaine qui opposa durant dix jours, du 9 au , au centre de la ville de Mexico, les forces loyales au président Francisco Madero à une insurrection de militaires conservateurs soutenus par l'ambassadeur des États-Unis. Elle se termina par la démission du président, qui fut assassiné trois jours plus tard.
Prologue
Après le renversement de Porfirio Diaz en 1910, Francisco Madero fut Ă©lu prĂ©sident du Mexique et tenta de rĂ©former le pays. Il se heurta cependant Ă d'anciens porfiristes qui n'avaient pas dĂ©sarmĂ©. Parmi ses principaux adversaires se trouvaient le gĂ©nĂ©ral Bernardo Reyes, qui avait Ă©tĂ© emprisonnĂ© après une insurrection en 1911, et FĂ©lix DĂaz, le neveu de l'ancien prĂ©sident Porfirio DĂaz, qui lui aussi se lança dans une rĂ©bellion qui Ă©choua en 1912. Face Ă l'instabilitĂ© politique, le prĂ©sident Madero accorda toujours plus de pouvoirs aux militaires[1], dont l'un des principaux reprĂ©sentants Ă©tait le gĂ©nĂ©ral Victoriano Huerta, Ă qui Madero faisait confiance depuis qu'il avait Ă©crasĂ© l'insurrection de Pascual Orozco. La situation au Mexique inquiĂ©tait les États-Unis, qui n'Ă©taient toutefois pas foncièrement hostiles au prĂ©sident. Il en allait tout autrement de Henry Lane Wilson, l'ambassadeur des États-Unis, issu des milieux d'affaires amĂ©ricains, qui haĂŻssait Madero. Le prĂ©sident Taft commit l'erreur de le laisser Ă son poste[2]. Il devint l'âme d'un complot pour renverser Madero.
Événements
Il avait Ă©tĂ© convenu que Madero serait destituĂ© et que Reyes lui succĂ©derait jusqu'Ă ce que des Ă©lections permettent Ă DĂaz d'accĂ©der au pouvoir. Ă€ l'aube du , le gĂ©nĂ©ral Manuel MondragĂłn (es) prit la tĂŞte de quelque 700 mutins de la caserne de Tacubaya Ă Mexico et se dirigea vers la prison de Santiago Tlatelolco pour libĂ©rer Bernardo Reyes et Felix DĂaz. Les Ă©vĂ©nements prirent immĂ©diatement une tournure violente, le gĂ©nĂ©ral qui commandait la prison, ayant refusĂ© d'obtempĂ©rer, fut abattu. Les mutins se dirigèrent vers la Plaza de la ConstitucĂon oĂą Reyes avait l'intention d'occuper le Palais national et de se proclamer prĂ©sident. Gustavo Madero, le frère du prĂ©sident, homme d'une grande Ă©nergie, avait convaincu le gĂ©nĂ©ral Lauro Villar (es) de se ranger du cĂ´tĂ© prĂ©sidentiel, neutralisant un premier groupe de rebelles. Reyes et ses hommes se heurtèrent Ă une rĂ©sistance inattendue de la part des troupes loyales Ă Madero. Au cours de la fusillade qui s'ensuivit, il y eut 400 morts, parmi lesquels de nombreux passants et Reyes lui-mĂŞme[3]. Les militaires sĂ©ditieux se retranchèrent alors dans la caserne de la Ciudadela.
Le prĂ©sident qui se trouvait au château de Chapultepec, se rendit au Palais national. Ne soupçonnant rien de la trahison de Huerta, il prit une sĂ©rie de dĂ©cisions qui lui furent fatales. Comme le gĂ©nĂ©ral Villar Ă©tait sĂ©rieusement blessĂ©[4], il confia Ă Huerta le commandement des troupes chargĂ©es de mater les rebelles menĂ©s par DĂaz après la mort de Reyes[5].
Au cours des deux jours qui suivirent, les adversaires s'observèrent. Le , les troupes prĂ©sidentielles lancèrent un assaut contre la caserne. Ces combats, au cours desquels on employa l'artillerie dans le centre historique de Mexico, firent 500 morts, parmi lesquels de nombreux civils. Le centre de la ville Ă©tait plongĂ© dans le chaos. MalgrĂ© leurs efforts, les troupes loyalistes n'arrivèrent pas Ă dĂ©loger les rebelles. L'ambassadeur amĂ©ricain, Henry Lane Wilson, prit prĂ©texte de cette situation pour menacer le prĂ©sident Madero d'une intervention amĂ©ricaine et rĂ©clamer sa dĂ©mission, prĂ©textant qu'il n'Ă©tait pas capable de protĂ©ger les vies et les biens des citoyens des États-Unis prĂ©sents Ă Mexico[6]. Huerta, de son cĂ´tĂ©, poursuivait son double jeu. MalgrĂ© la poursuite du siège de la Ciudadela (es), il n'empĂŞcha pas les soldats de Felix DĂaz de se procurer des vivres et des munitions[7].
Le , Gustavo Adolfo Madero (es), frère du prĂ©sident, fit arrĂŞter Huerta. Bien qu'on lui eĂ»t prĂ©sentĂ© des preuves de sa duplicitĂ© et de ses accointances avec Felix DĂaz[8], le prĂ©sident, pour des raisons inconnues, le fit libĂ©rer. Huerta lui promit de mettre fin Ă la rĂ©bellion en 24 heures.
Le , Francisco Madero fut arrêté par le général Aureliano Blanquet et emprisonné. De son côté, Huerta qui avait invité Gustavo Madero au restaurant Gambrinus, le fit également arrêter[9]. Le frère du président fut emmené à la Ciudadela, où, au terme d'une parodie de procès, il fut condamné à mort le . Avant son exécution, il fut soumis à un traitement barbare par des soldats déchaînés.
Entretemps, Huerta se rĂ©vĂ©la un maĂ®tre en matière de duplicitĂ© : alors qu'il avait Ă©tĂ© convenu par les conspirateurs que DĂaz deviendrait prĂ©sident, il exigea le poste pour lui-mĂŞme. En dĂ©pit de sa colère, Diaz se laissa convaincre par l'ambassadeur Wilson d'en passer par la volontĂ© du gĂ©nĂ©ral. Huerta s'empara alors du pouvoir, après avoir convaincu Madero de dĂ©missionner et lui avoir donnĂ© sa parole qu'il aurait la vie sauve et qu'il pourrait quitter le pays[10].
Épilogue
Le , l'épouse de Madero tenta d'intervenir auprès de l'ambassadeur Wilson. En vain. Sous prétexte qu'ils essayaient de fuir pendant leur transfert du palais national vers une prison, le président Madero et le vice-président Pino Suárez furent assassinés dans la nuit du 21 au 22[11]. Mort, Madero, qui avait été un président faible, fut élevé plus tard au rang de martyr et de symbole de la révolution.
Le , Abraham González Casavantes, ancien ministre de Madero et ancien gouverneur du Chihuahua, est lui aussi assassiné.
Bibliographie
- (en) Charles C. Cumberland, Mexican Revolution : Gensis under Madero, vol. 1, University of Texas Press, .
- (en) Alan Knight, The Mexican revolution : Porfirians, Liberals and Peasants, vol. 1, University of Nebraska Press,
- (en) Frank McLynn, Villa and Zapata. A Biography of the Mexican Revolution, Pimlico, , 459 p. (ISBN 0-7126-6677-X).
- Manuel Plana (trad. Bruno Gaudenzi), Pancho Villa et la révolution mexicaine, Casterman, .
Notes et références
- Knight 1990a, p. 465.
- McLynn 2001, p. 152.
- McLynn 2001, p. 153.
- Cumberland 1972, p. 234.
- Knight 1990a, p. 483.
- Knight 1990a, p. 486.
- McLynn 2001, p. 155.
- McLynn 2001, p. 156.
- McLynn 2001, p. 157.
- Knight 1990a, p. 488.
- Plana 1993, p. 31.