Crise de gouvernance des Dominicaines du Saint-Esprit
De 2010 à 2021, l'Institution des Dominicaines du Saint-Esprit a connu une crise de gouvernance qui est liée à différentes erreurs de gestion commises par les Mères prieures ainsi que des erreurs d'évaluations commises par la Curie romaine, notamment des conflits d'intérêts[1]. Ces erreurs ont été progressivement corrigées avec une implication personnelle du pape François, qui les a reconnues dans une lettre envoyée le aux Mères de l'Institution.
Période 2010-2013 : direction assurée par Mère Marie Hyacinthe
Mère Marie Hyacinthe, prieure générale, souhaite faire canoniser Victor-Alain Berto, le fondateur de l'Institut. Certaines religieuses ne partagent pas ce souhait en raison de « gestes équivoques » commis par le père Berto. Il s'ensuit un malaise interne au sein de l'organisation[2].
Par ailleurs, certaines jeunes sœurs souffrent de problèmes psychologiques. La Mère prieure fait appel à l’aumônier de Pontcallec, le père François Cadiet, pour pratiquer des exorcismes. Ceux-ci laisseront des traces psychologiques sur certaines sœurs (principalement les novices), qui quitteront toutes le couvent. Plusieurs années plus tard, l'aumônier, qui sera auditionné par la justice canonique et la justice civile, prétendra avoir reçu implicitement l'autorisation de pratiquer ces exorcismes de la part de l'évêque de Vannes, Raymond Centène, ce que ce dernier dément.
Période 2013-2016 : direction assurée par Benoît-Dominique de La Soujeole
Compte tenu du caractère traditionaliste des Dominicaines du Saint-Esprit, qui utilisent encore le latin pour la messe, leur institution est placée sous la tutelle de la Commission pontificale Ecclesia Dei qui avait été créée pour s'occuper des communautés pratiquant la forme extraordinaire du rite romain. Cette commission charge un de ses membres, Patrick Descourtieux, d'une visite canonique. Descourtieux constate les problèmes de gouvernance. Sur sa proposition, la Commission décide de révoquer la direction de l'Institut et charge le père dominicain Benoît-Dominique de La Soujeole de diriger l'Institut et d'enquêter sur les faits reprochés à l'abbé Berto[2].
La Soujeole ramène le calme au sein des Dominicaines. Il récolte de nombreux témoignages au sujet du père Berto et rédige un rapport de 1 500 pages qui conclut « qu’aucun acte pédophile ne peut être reproché à l’abbé Berto » mais, concernant les « gestes équivoques » il n'est pas possible « de donner avec certitude un jugement sur leur gravité morale »[2] - [3]. Ce rapport est publié en .
La Commission pontificale Ecclesia Dei conclut à l'innocence de l'abbé Berto, révoque brutalement Benoît-Dominique de La Soujeole et nomme une prieure générale, mère Marie Pia, sans la faire assister par un conseil et sans conseiller spirituel.
Ces décisions de la Commission seront critiquées en 2021 par l'Église catholique pour trois raisons.
- Dans sa lettre du , le pape François estimera que « la réhabilitation sans nuance de votre fondateur ne peut pas être maintenue en raison d’éléments apparus » depuis 2020[3].
- La Commission n'aurait pas dû renvoyer Benoît-Dominique de La Soujeole, dont l'intervention avait été un succès. Selon Henry Donneaud, visiteur apostolique en 2021, « On l’a brusquement déjugé comme un malpropre, en 2016, pour d’obscures raisons. Le Saint-Siège ne traite pas d’ordinaire de la sorte ceux qui travaillent à son service »[3].
- La Commission a « nommé une prieure générale, mère Marie Pia, sans qu’elle soit assistée d’un conseil sur lequel appuyer son autorité, une situation contraire aux règles de la vie religieuse »[3]. Ce faisant, elle laissait la Mère prieure prendre seule des décisions importantes et contestables ultérieurement.
Période 2016-2019 : direction assurée par Mère Marie Pia
Deux sœurs subissent des agressions sexuelles de la part d'une sœur plus ancienne, non dénoncés aux autorités. Aucun accompagnement des victimes n'est mis en place. L'inaction de la mère Prieure sera sanctionnée en 2020.
2019 : direction assurée par Mère Marie de Saint-Charles
En , la Commission pontificale Ecclesia Dei est supprimée, transformée en un bureau de la Congrégation pour la doctrine de la foi dirigé par Patrick Descourtieux[4]. Celui-ci continue à assurer la tutelle de l'Institut.
La même année, Mère Marie de Saint-Charles est élue prieure générale.
En , le pape François confie au cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques, la responsabilité d'une visite apostolique effectuée par deux visiteurs : Dom Jean-Charles Nault et mère Emmanuelle Desjobert, qui seront remplacés par Henry Donneaud en . L'autorité de Marc Ouellet est contestée par certaines religieuses qui estiment dépendre de la Congrégation pour la doctrine de la foi, mais confirmée le par le pape.
En , des mesures de mises à l'écart sont prises à l'égard de Mère Marie Pia (3 mois) et de Mère Marie de Saint-Denis (8 mois), et exclusion pour au moins 3 ans de Mère Marie Ferréol confirmée par décret pontifical du . Très affectée par cette exclusion dont elle affirme ne pas connaître les raisons, Marie Ferréol (née Sabine Baudin de la Valette) « se réfugie » en l'abbaye Sainte-Cécile de Solesmes, et ce jusqu'en , date à laquelle elle rejoint l'abbaye Notre-Dame de Randol, ce qui lui permet de se rapprocher de ses parents, nonagénaires[5].
L'exclusion de Marie Ferréol de la vie religieuse
Les causes du renvoi de Marie Ferréol n'ont été précisées que vaguement par l'Église catholique, qui indique toutefois qu'il ne s'agit pas d'une affaire de mœurs[6] - [7]. Des conflits d'intérêts sont mis en avant par les journalistes de L'Homme nouveau, du Monde et du Journal de Montréal[8]. En effet, l'une des dominicaines du Saint Esprit, Mère Marie de l'Assomption (Émilie de Vigouroux d’Arvieu), est docteure en théologie[9] et proche de Marc Ouellet qui a assisté à sa soutenance et a préfacé l'édition de sa thèse[10] - [5]. Beaucoup de dominicaines — dont Mère Marie Ferréol — ne partagent pas sa vision du thomisme. En outre, à plusieurs reprises, d'après Ariane Chemin du journal Le Monde[5], Mère Marie de l'Assomption a publiquement fait preuve d'« animosité » et tenu « des propos virulents » à l'égard de Mère Marie Ferréol. Or, outre d'être une amie du cardinal Ouellet, Mère Marie de l'Assomption est également très proche de Dom Jean-Charles Nault, abbé de Saint-Wandrille et visiteur apostolique nommé par le cardinal en personne. Conseillée par Maître Adeline le Gouvello, avocate au barreau de Versailles, Mère Marie Ferréol fait appel auprès du Saint-Siège[11], mais le pape François ne change pas de position et conclut le débat par sa lettre de décembre 2021.
À la suite de cela, elle réapparaît en sous le nom de « sœur Marie de la Valette » dans le diocèse de Tyler, dans l'est du Texas, où elle travaille à la Bishop Thomas K. Gorman Catholic School (en)[12].
Lettre du pape du 23 décembre 2021
Le 23 décembre 2021, le pape François adresse une lettre personnelle très ferme[13]. aux religieuses, qui leur est lue le :
- Le pape affirme s'être penché personnellement sur leurs problèmes.
- Il confirme l'autorité de Marc Ouellet sur le monastère, et confirme implicitement les mesures disciplinaires à l'égard de Mère Marie Ferréol.
- Il évoque, sans la nommer, les défaillances de la Commission pontificale Ecclesia Dei :
Références
- Des visiteurs étaient très proches des certaines mères.
- Loup Besmond de Senneville et Céline Hoyeau, « Le pape demande pardon aux religieuses de Pontcallec pour les défaillances de la Curie », La Croix,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- « Dominicaines du Saint-Esprit : le pape François a pris « personnellement les décisions qui s’imposaient » », Famille Chrétienne,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- « Mgr Descourtieux en charge du continent « Tradition » à la Congrégation de Foi : un signe vers la FSSPX ? », Homme Nouveau,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- Ariane Chemin, « « Je tremble d’être définitivement chassée de ma vocation » : chez les dominicaines du Saint-Esprit, une religieuse dans la tempête », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- « Deuxième communiqué suite aux conclusions de la Visite Apostolique », sur Dominicaines du Saint-Esprit,
- « « Ce n’est pas une question d’idées, ni un problème de mœurs », dit l’Institut Saint-Thomas d’Aquin », Le Télégramme,‎ (lire en ligne)
- Normand Lester, « Intrigue vaticane. Deux religieuses et Mgr Ouellet », sur Le Journal de Montréal (consulté le )
- Émilie De Vigouroux d’Arvieu (préf. cardinal Marc Ouellet), Nature et grâce chez Saint Thomas d'Aquin : l'homme capable de Dieu, Les Plans-sur-Bex (Suisse), Parole et Silence, coll. « Bibliothèque de la revue thomiste. Section Etudes », (lire en ligne).
- Ariane Chemin, « Le Vatican confirme l’expulsion sans explication de mère Marie Ferréol, religieuse de Pontcallec », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- Jeanne Smits, « Tempête chez les Dominicaines du Saint-Esprit. Notre enquête. », L'Homme nouveau,‎ (lire en ligne)
- (en) Mike Lewis, « Vatican investigates controversial Texas Bishop », Where Peter Is,‎ (lire en ligne, consulté le )
- « Communiqué : lettre du pape François aux Dominicaines du Saint-Esprit », sur Dominicaines du Saint-Esprit, (consulté le )
- Bridget Ryder, « Pope Francis Steps up for Traditionalist Nuns Caught in Failed Visitation », The European Conservative,‎ (lire en ligne)