Contes de Yamato
Les Contes de Yamato (性ćç©èȘ, Yamato monogatari) forment un monogatari (conte ou roman) japonais datant de la seconde moitiĂ© du Xe siĂšcle. Son auteur est inconnu, mais Ă©tait probablement proche des centres littĂ©raires de la cour de lâempereur. LâĆuvre, recueil dâanecdotes (setsuwa) centrĂ©es sur un ou plusieurs poĂšmes, appartient au genre du uta-monogatari qui mĂ©lange prose et poĂ©sie waka.
PrĂ©sentation de lâĆuvre
Le genre de lâuta-monogatari
Uta-monogatari dĂ©signe un genre littĂ©raire populaire Ă la cour de Heian au Japon, oĂč se mĂȘlent poĂ©sie (uta) et roman (monogatari). Plus prĂ©cisĂ©ment, il sâagit de recueils dâanecdotes ou contes illustrant un ou de plusieurs poĂšmes waka, et introduisant gĂ©nĂ©ralement la maniĂšre dont il a Ă©tĂ© composĂ© ainsi que son auteur[1]. Lâuta-monogatari et la poĂ©sie waka se dĂ©veloppent au Japon Ă partir du dĂ©but de lâĂ©poque de Heian ; en effet, la rupture des relations avec la Chine (en raison de la chute de la glorieuse dynastie Tang) favorise lâĂ©mergence du goĂ»t national, alors que lâĂ©criture chinoise (kanji) dominait jusque-lĂ [2]. Ainsi, il apparaĂźt au IXe siĂšcle une forme dâĂ©criture plus simple et intuitive que le chinois : les kanas ; les aristocrates, et plus particuliĂšrement les dames (lâĂ©criture chinoise Ă©tant rĂ©servĂ©e aux hommes), sâapproprient cette nouvelle forme dâĂ©criture pour dĂ©velopper une littĂ©rature rĂ©ellement japonaise sur la vie, les amours et les intrigues Ă la cour, qui sâexprime Ă travers les nikki (journaux intimes), monogatari (roman ou contes) et la poĂ©sie waka[3] - [4]. Les Contes de Yamato illustrent bien vers le milieu du Xe siĂšcle le dĂ©veloppement de la prose qui culmine quelques dĂ©cennies plus tard avec le Dit du Genji (environ an 1000, à « la plus grande pĂ©riode de la littĂ©rature japonaise »)[2].
Les Contes de Yamato sont ainsi formĂ©s de 173 anecdotes centrĂ©es sur des poĂšmes, ainsi que deux appendices et quelques rajouts ultĂ©rieurs. Une premiĂšre version aurait Ă©tĂ© Ă©crite vers 951-952, et complĂ©tĂ©e aux alentours de lâan 1000 ; si lâauteur reste inconnu, divers Ă©lĂ©ments tendent Ă indiquer quâil sâagissait dâun aristocrate de la cour[5].
Le contexte dâĂ©criture des Contes reste encore obscur. La vie Ă la cour de Heian est communĂ©ment dĂ©crite par son raffinement, lâimportance de lâesthĂ©tique et du goĂ»t[6] ; il apparaĂźt que les aristocrates se divertissaient en composant et commentant des poĂšmes ou en narrant dâanciens contes. Il est possible quâils aient commencĂ© Ă compiler ces anecdotes en recueils du mĂȘme type que les Contes de Yamato[2]. Ă lâĂ©poque de leur confection, la poĂ©sie waka Ă©tait trĂšs prisĂ©e dans lâentourage de lâempereur retirĂ© Uda, oĂč lâon composait et commentait communĂ©ment[7]. RenĂ© Sieffert Ă©crit ainsi : « Mais quand tout le monde est poĂšte, les bons poĂštes nâen sont que plus rares et que plus prisĂ©s, et lâon ne manquera pas de guetter et de relever la moindre parole de quiconque se sera fait une rĂ©putation en la matiĂšre. Et surtout lâon se dĂ©lectera Ă en parler, Ă se rĂ©pĂ©ter et Ă commenter lâhistoire de chaque poĂšme[8]. »
Les Contes de Yamato figurent parmi les premiers exemples de composition liĂ©e ou tan-ranga : un poĂšte composait le dĂ©but dâun poĂšme et laissait Ă un second le soin de le complĂ©ter. Ce genre de composition devient courant aux Ă©poques ultĂ©rieures[9].
Lien avec les Contes dâIse
Il apparaĂźt pour la plupart des spĂ©cialistes que le format des Contes de Yamato sâinspire trĂšs fortement des cĂ©lĂšbres Contes d'Ise[10]. Dame Ise apparaĂźt dâailleurs dans les sections 1 et 147, et au moins six sections y font clairement rĂ©fĂ©rences[7] - [11]. Toutefois, plusieurs spĂ©cialistes jugent les Contes de Yamato moins intĂ©ressants que ceux dâIse, car les textes sont plus restreints Ă lâanecdotisme de la vie recluse Ă la cour, et par consĂ©quent sâadressent surtout aux aristocrates dâalors, sans sâintĂ©resser Ă la beautĂ© intrinsĂšque des poĂšmes[7].
Ă la diffĂ©rence des Contes dâIse, un grand nombre de personnages diffĂ©rents, souvent figures historiques dâalors, y apparaissent donc et les anecdotes nâont pas de rĂ©els liens entre elles[12].
Pour Richard Bowring, les Contes de Yamato auraient aussi pu ĂȘtre rĂ©digĂ©s au sein du cercle de lâempereur retirĂ© Uda en rĂ©ponse au Gosen WakashĆ«, qui mettait lui Ă lâhonneur les meilleurs poĂštes de la tentaculaire famille Fujiwara[7].
RĂ©cit
Les Contes de Yamato sont centrĂ©s sur la vie et la cour de Heian et la composition de poĂšme. La premiĂšre partie est dominĂ©e par la poĂ©sie waka ; les introductions en prose rapportent le contexte de lâĂ©criture de chaque poĂšme et leur auteur. Les thĂšmes chers Ă la cour portaient par exemple sur les promotions, les mariages, les histoires dâamour et bien sĂ»r les liaisons clandestines. La seconde partie prĂ©sente le rĂ©cit majoritairement en prose, bien que les poĂšmes restent trĂšs prĂ©sents, et met en scĂšne des personnages ou hĂ©ros de lĂ©gende[2].
Les deux appendices sâinspirent directement du Dit de HeichĆ« (ćčłäžç©èȘ, HeichĆ« monogatari), rĂ©digĂ© entre 959 et 965, bien que le rĂ©cit soit plus concis et prĂ©sente quelques divergences. Le Dit de HeichĆ« narre la vie de Taira no Yoshizake, appartenant Ă la famille impĂ©riale, qui figure parmi les trente-six poĂštes immortels du Japon. Toutefois, le rĂ©cit sâattache grandement Ă dĂ©crire les nombreuses liaisons amoureuses du personnage ; pour M. Tahara, lâauteur en fait une figure pathĂ©tique[13].
Les Contes font un rĂ©cit vivant de la vie Ă la cour Ă lâĂ©poque de Heian primitif (IXe-Xe)[12]. Ils renseignent Ă©galement sur la maniĂšre dont Ă©taient crĂ©Ă©s les poĂšmes, notamment le choix dâun contexte qui Ă©tait primordial[7]; il sâagit Ă©galement dâune des premiĂšres sources historiographiques sur le dĂ©veloppement de la peinture yamato-e, car ils mentionnent lâillustration de poĂšmes par des peintures sur paravents ou rouleaux de papier[14].
Influences
Diverses anecdotes des Contes de Yamato ont Ă©tĂ© adaptĂ©es pour le thĂ©Ăątre nĂŽ (voir Motomezuka) ou ont servi dâinspiration pour des peintures ou estampes.
Notes et références
- (en) Helen Craig McCullough, Classical Japanese Prose : An Anthology, Stanford University Press, , 578 p. (ISBN 978-0-8047-1960-5, lire en ligne), p. 8.
- (en) Mildred Tahara, « Yamato Monogatari », Monumenta Nipponica, vol. 27, no 1,â , p. 1-37 (rĂ©sumĂ©).
- (en) Donald H. Shively et William H. McCullough, The Cambridge History of Japan : Heian Japan, vol. 2, Cambridge University Press, , 754 p. (ISBN 978-0-521-22353-9, lire en ligne), p. 13.
- Edwin Oldfather Reischauer (trad. Richard Dubreuil), Histoire du Japon et des Japonais : Des origines Ă 1945, t. 1, Seuil, , 3e Ă©d. (ISBN 978-2-02-000675-0), p. 58-59.
- (en) Terry Kawashima, Writing Margins : The Textual Construction of Gender in Heian and Kamakura Japan, Harvard Univ. Asia Center, , 352 p. (ISBN 978-0-674-00516-7, lire en ligne), p. 66-68.
- (en) Richard K. Payne, « At Midlife in Medieval Japan », Japanese Journal of Religious Studies, vol. 26, nos 1-2,â , p. 135-157 (rĂ©sumĂ©).
- (en) Richard Bowring, « The Ise Monogatari: A Short Cultural History », Harvard Journal of Asiatic Studies, vol. 52, no 2,â , p. 401-480 (rĂ©sumĂ©).
- René Sieffert, « Préface », dans Contes de Yamato suivis du Dit de Heichû, Publications orientalistes de France, (ISBN 271690121X)
- (en) Haruo Shirane, Traditional Japanese Literature : An Anthology, Beginnings to 1600, Columbia University Press, , 1255 p. (ISBN 978-0-231-13697-6, lire en ligne), p. 874-875.
- (en) William George Aston, A History of Japanese Literature, Simon Publications LLC, (ISBN 978-1-931313-94-0, lire en ligne), p. 88-91.
- (en) Narihira Ariwara, A Study of the Ise-monogatari, vol. 1, Mouton, , p. 142-143.
- « Yamato monogatari », Encyclopédie Larousse (consulté le ).
- (en) Mildred Tahara, « HeichĆ«, as Seen in Yamato Monogatari », Monumenta Nipponica, vol. 26, nos 1-2,â , p. 17-48 (rĂ©sumĂ©).
- Christine Shimizu, LâArt japonais, Flammarion, coll. « Tout lâart », , 448 p. (ISBN 978-2-08-013701-2), p. 146-148.
Annexes
Bibliographie
- René Sieffert, Contes de Yamato suivis du Dit de Heichû, POF, 1979.
- Saowalak Suriyawongpaisal, Intertextuality in the âYamato monogatari playsâ of the NĂŽ theater, UniversitĂ© Harvard, 1995 (thĂšse).
- Toshiko Abe, æ ĄæŹć€§ćç©èȘăšăăźç 究 (lit. « Recherche sur les Ă©crits du Yamato monogatari »), Sanseido, 1954-1970.
- Tadanori Yanagida, 性ćç©èȘăźç 究 (lit. « Une Ă©tude du Yamato monogatari »), Kanrin shobo, 1994.
Articles connexes
Lien externe
- (ja) Manuscrits anciens mis en ligne par lâuniversitĂ© Waseda