Compendium du Syrianus Magister
Le compendium de Syrianus (ÎŁÏ ÏÎčαΜÏÏ) Magister (ÎŒÎŹÎłÎčÏÏÏÎżÏ)[1], connu aussi sous le nom d'anonyme byzantin, est un manuel militaire de lâEmpire romain dâorient, mieux connu sous le nom dâEmpire byzantin, rĂ©digĂ© en grec et datant vraisemblablement du IXe siĂšcle.
Ce manuel est divisĂ© en trois traitĂ©s distincts : De re strategica (ΠΔÏ᜶ ÏÏÏαÏηγÎčÎșáżÏ), Rhetorica militaris et Naumachia (ÎÎ±Ï ÎŒÎ±ÏίαÎč). Ces trois traitĂ©s portaient sur diffĂ©rents Ă©lĂ©ments dâune campagne militaire, les tactiques et stratĂ©gies qui peuvent ĂȘtre adoptĂ©es, que soit sur terre ou sur mer en passant par les discours pour motiver les troupes. Malheureusement, une grande partie de lâĆuvre a Ă©tĂ© perdue si bien quâil est difficile dâen identifier lâauteur, de mĂȘme que la date de rĂ©daction[2].
Syrianos Magistros
Durant le IXe siĂšcle, lâEmpire est entourĂ© dâadversaires : dans les Balkans, le Royaume bulgare qui a infligĂ© Ă Byzance une dĂ©faite importante Ă Pliska en 811 au cours de laquelle lâempereur NicĂ©phore I est tuĂ© ; dans lâest, lâEmpire affronte les puissances islamiques[3]. Cela a amenĂ© les Byzantins Ă redĂ©velopper et inventer de nouvelles approches pour faire la guerre. Syrianus Ă©tait un thĂ©oricien militaire dâun certain renom et Constantin VII avait donc recommandĂ© le compendium Ă son fils Romain II, comme texte thĂ©orique durant lâexpĂ©dition militaire que ce dernier a menĂ©e en Asie Mineure dans la premiĂšre moitiĂ© du Xe siĂšcle[1].
Au IXe siĂšcle, les mĂ©thodes de guerres offensives amĂšnent une transformation importante dans lâorganisation des armĂ©es. On commence Ă voir apparaitre des armĂ©es qui priorisent lâoffensive, ce qui mena Ă des tactiques plus complexes et des stratĂ©gies plus Ă©laborĂ©es[4]. LâĂ©criture du compendium durant cette pĂ©riode de transformation a fait quâil a pu sâadapter Ă cette nouvelle rĂ©alitĂ© et câest la raison pour laquelle Romain II sây est intĂ©ressĂ© durant sa campagne. Cette nouvelle approche de la guerre par les Byzantins a pour consĂ©quence de complexifier les unitĂ©s et les Ă©quipements militaires utilisĂ©s durant les campagnes, et cela permet une plus grande diversitĂ© dans les manĆuvres militaires et les stratĂ©gies qu'aux VIIe et VIIIe siĂšcles, oĂč prĂ©dominaient les stratĂ©gies dĂ©fensives.
Syrianus a dĂ©fini deux types de stratĂ©gies dans son texte : la stratĂ©gie dĂ©fensive consiste pour le gĂ©nĂ©ral Ă protĂ©ger son peuple et ses terres, tandis que la stratĂ©gie offensive vise Ă attaquer le peuple et les terres de son agresseur[5]. Une telle distinction entre les stratĂ©gies apparaĂźt pour la premiĂšre fois dans le texte de Syrianus et montre bien lâimportance, pour lâĂ©criture de son manuel militaire, de lâĂ©poque de changements dans laquelle il a vĂ©cu.
Ces transformations proviennent du fait que, durant le VIIe siĂšcle, lâEmpire islamique se met Ă conquĂ©rir les anciens territoires de lâEmpire byzantin et cela mĂšne Ă la nĂ©cessitĂ© de rĂ©formes pour faire face Ă ce nouvel ennemi. Le traitĂ© sur les combats navals, la Naumachia, a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par les Byzantins en rĂ©action aux forces navales arabes, crĂ©Ă©es Ă partir de 649[6] - [7]. Lâapparition de cette nouvelle puissance navale dans la sphĂšre dâinfluence de Byzance a rendu nĂ©cessaire la mise en place de stratĂ©gies militaires navales, contrairement Ă la situation antĂ©rieure oĂč tout lâeffort portait sur les combats terrestres. Le compendium de Syrianus Magister analyse donc les diffĂ©rents problĂšmes auxquels les commandants militaires de cette Ă©poque Ă©taient confrontĂ©s. Malheureusement, seulement trois traitĂ©s de lâauteur sont parvenus jusquâĂ nous.
HypothĂšses sur la datation de lâĆuvre
Au dĂ©but, le nom de Syrianus nâĂ©tait associĂ© quâavec le Naumachia, mais plusieurs historiens ont rĂ©ussi, en comparant le style d'Ă©criture des trois traitĂ©s, Ă dĂ©montrer qu'ils avaient Ă©tĂ© Ă©crits par le mĂȘme auteur[8]. Cette similitude a donc permis de rassembler les diffĂ©rents Ă©lĂ©ments dâune Ćuvre stratĂ©gique des plus complexes, Ă lâexception des quelques parties qui sont encore manquantes.
Les historiens ont dâabord cru que lâĆuvre de Syrianus datait du VIe siĂšcle, mais Ă la suite des articles de Barry Baldwin (en) (1988), et de Douglas Lee et Jonathan Shepard (en) (1991), cette datation a Ă©tĂ© remise en question et on penche maintenant pour des dates plus tardives, compte tenu des faiblesses de la premiĂšre datation[8]. Par contre, les deux articles en question ne nous donnent pas une date prĂ©cise et il aura donc fallu attendre lâarticle de Philip Rance en 2008 pour avoir plus dâarguments en faveur dâune date plus tardive. Rance avance lâhypothĂšse que le manuel de Syrianus aurait Ă©tĂ© Ă©crit au IXe siĂšcle[9] et il donne de nombreux exemples pour appuyer cette datation plus rĂ©cente. Le premier argument concerne les mĂ©thodes utilisĂ©es pour la crĂ©ation des camps militaires, qui nâont Ă©tĂ© observĂ©es quâaux Xe et XIe siĂšcles. Le second argument porte sur lâutilisation de boucliers de la grandeur dâun homme dont des Ă©quivalents ne sont pas apparus dans les textes avant le IXe siĂšcle. Le troisiĂšme argument est liĂ© Ă lâutilisation des plaques de mĂ©tal pour protĂ©ger les sabots des chevaux (lâauteur indique cependant que cet argument-lĂ nâa quâun trĂšs faible poids). Son quatriĂšme argument tourne autour du fait que le compendium de Syrianus apparait dans un codex crĂ©Ă© sous la direction de Basile le Parakoimomenos aux environs de 959 et que la version du compendium qui apparait dans ce codex nâa subi aucune Ă©dition, si bien que Rance avance lâhypothĂšse que lâĆuvre de Syrianus est contemporaine de lâouvrage de Basile. Le dernier argument prĂ©sentĂ© repose sur lâabsence dâerreurs qui se retrouvent normalement dans des copies de textes traduits de la majuscule vers la minuscule et câest la raison pour laquelle Rance avance lâhypothĂšse que le texte original avait Ă©tĂ© Ă©crit avec la minuscule. Ces cinq arguments, en sus des arguments qui avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s, ont amenĂ© les historiens Ă Ă©mettre lâhypothĂšse que le compendium de Syrianus Magister avait Ă©tĂ© Ă©crit au IXe siĂšcle et non au VIe siĂšcle.
Georgios Theotokis prĂ©sente aussi son propre argumentaire en faveur dâune datation pour le milieu du IXe siĂšcle. Lâun de ses points est la prĂ©sence du terme kataphraktoi (cataphractaire)[10] dans les Ă©crits de Syrianus. Ce terme ne fait son apparition dĂ©finitive quâau milieu du Xe siĂšcle pour dĂ©signer un type spĂ©cifique de cavalerie lourde, mais Syrianus l'a plutĂŽt utilisĂ© pour parler de la cavalerie lourde en gĂ©nĂ©ral. Il nâen demeure pas moins que la date exacte de la crĂ©ation de cet ouvrage militaire est toujours inconnue.
De re strategica
Le premier traitĂ© porte le nom De re strategica (ΠΔÏ᜶ ÏÏÏαÏηγÎčÎșáżÏ) et sa date de crĂ©ation fut dâabord fixĂ©e au VIe siĂšcle, plus prĂ©cisĂ©ment durant le rĂšgne de Justinien (527-565)[11]. Quant Ă son auteur, il Ă©tait anonyme puisque la premiĂšre page du traitĂ© avait Ă©tĂ© perdue et câest ainsi que deux historiens du XIXe siĂšcle, Köchly et RĂŒslow, ont identifiĂ© lâauteur de ce traitĂ© en utilisant le terme dâanonyme byzantin[12]. En 1882, Karl Konrad MĂŒller (de) fait le lien avec le manuel concernant les tactiques navales, la Naumachia (ÎÎ±Ï ÎŒÎ±ÏίαÎč) et ce nâest que lorsque Alphonse Dain a dĂ©couvert un manuscrit faisant rĂ©fĂ©rence au manuel naval et au nom de lâauteur, quâon a pu connaitre celui-ci, Syrianus (ÎŁÏ ÏÎčαΜÏÏ), ainsi que son poste administratif, Magister (ÎŒÎŹÎłÎčÏÏÏÎżÏ).
Ce premier traitĂ© militaire compte 47 chapitres portant surtout sur les diffĂ©rentes tactiques et stratĂ©gies liĂ©es aux guerres terrestres. On y retrouve des Ă©lĂ©ments qui concernant lâĂ©tat (ΠολÎčÏΔία) et son fonctionnement, avant dâaborder vĂ©ritablement la stratĂ©gie (ÏÏÏαÏηγÎčÎșÎź) elle-mĂȘme[13]. Des exemples de tactiques dĂ©fensives prĂ©sentĂ©s dans lâouvrage concernent la dĂ©fense de ville et la gestion des populations civiles en temps de guerre. Syrianus prĂ©sente une solution originale pour lâĂ©poque en recommandant de prĂ©parer une place pour les rĂ©fugiĂ©s, entre la premiĂšre et la seconde fortification, afin quâils participent Ă la dĂ©fense tout en Ă©vitant que la ville ne soit surpeuplĂ©e dans ces moments difficiles. Selon Syrianus, le but des dĂ©fenseurs Ă©tait dâassurer la sĂ©curitĂ© des civils tout en repoussant les ennemis[14], ce qui montre bien lâhĂ©ritage du passĂ© de Byzance, beaucoup plus dĂ©fensif. Cette Ćuvre, outre la dĂ©fense de positions fortifiĂ©es, prĂ©sente une analyse des situations et des exemples du passĂ© et fait aussi un tour dâhorizon des opĂ©rations sur le terrain, incluant les opĂ©rations dâespionnage et de reconnaissance, les tactiques de combats, lâĂ©quipement et lâentrainement des troupes, comme le bouclier de grandeur dâhomme destinĂ© aux troupes de front[15]. Le texte permet de voir les mĂ©thodes de guerre employĂ©es Ă lâĂ©poque, comme la crĂ©ation et lâusage de plaque de mĂ©tal sous les fers des chevaux pour pouvoir charger au travers dâun champ de chausse-trape, piĂšges utilisĂ©s par les forces arabes pour protĂ©ger leur campement, et ainsi permettre Ă leur cavalerie de charger les Arabes[16].
LâĆuvre sâinspire grandement dâouvrages plus anciens sur les tactiques militaires, comme la Tactica Theoria d'Ălien le Tacticien (AD 106-113), tandis que les exemples de manĆuvres militaires sont tirĂ©s des diffĂ©rents conflits passĂ©s, surtout ceux des guerres entre Grecs et Perses, ainsi que ceux entre Rome et Carthage. Le traitĂ© comporte aussi des portions sur la fortification, le signalement grĂące au feu, la traversĂ©e de riviĂšre par une armĂ©e et lâutilisation des archers. Philipe Rance avance aussi la possibilitĂ© quâune section du texte portant sur les engins de siĂšge a Ă©tĂ© perdue[17].
Rhetorica militaris
Le Rhetorica militaris porte pour sa part sur lâutilisation de la rhĂ©torique sur le champ de bataille pour encourager les troupes et sur les Casus belli. Syrianus y explique que la bataille pour la dĂ©fense des villes et des terres est nĂ©cessaire. Cette idĂ©e de protĂ©ger ce qui nous appartient se retrouve trĂšs souvent dans lâĆuvre de Syrianus : « he who whishes to fight must first look after ÏÎŹ ÎżáŒ°ÎșΔáżÎ±[13] ». Un autre Ă©lĂ©ment de grande importance de ce traitĂ© concerne les nombreuses rĂ©fĂ©rences dans le reste de son Ćuvre, comme le fait que les Perses sâautomutilaient pour tenter dâinfiltrer les camps byzantins. De tels exemples se retrouvent donc dans le Rhetorica militaris en lien avec des Ă©lĂ©ments expliquĂ©s dans le De re strategica (ΠΔÏ᜶ ÏÏÏαÏηγÎčÎșáżÏ).
Une autre caractĂ©ristique unique du Rhetorica militaris est le fait quâil est lâun des premiers Ă intĂ©grer une approche beaucoup plus religieuse dans ses stratĂ©gies et ses discours. Lâabondance de textes dâinspiration chrĂ©tienne dans cette partie de son Ćuvre montre, comme Monica White lâexplique dans son ouvrage, que Syrianus croyait quâil Ă©tait essentiel dâutiliser la foi des troupes lors des discours de ralliement des hommes[18]. Il fait dâailleurs appel au zĂšle religieux des troupes pour les encourager Ă se battre plus fĂ©rocement, allant mĂȘme jusquâĂ comparer ces hommes avec JĂ©sus qui avait subi le supplice de la croix pour eux et quâen consĂ©quence, ils devaient donc ĂȘtre prĂȘts Ă se battre et Ă©ventuellement Ă mourir pour le Christ. Syrianus encourage aussi les commandants Ă utiliser la bible pour en tirer des exemples de batailles victorieuses afin dâencourager les hommes en comparant les soldats qui vont se battre et mourir pour lâEmpire Ă des martyrs se battant pour la foi chrĂ©tienne. Cette prĂ©sence et ces rĂ©fĂ©rences Ă la religion chrĂ©tienne sont uniques et ne se retrouvent dans aucun autre de ses Ă©crits connus, ce qui semble volontaire, puisque ces discours religieux ne concernaient que la motivation et le moral des hommes et non les tactiques et stratĂ©gies[18].
Syrianus avait divisĂ© les discours aux troupes en diffĂ©rentes catĂ©gories bien distinctes, chacune servant un but bien prĂ©cis : le topique du discours, les raisons sur la nĂ©cessitĂ© de se battre, les points principaux concernant lâadmonition, les preuves de cette admonition et les arguments en faveur de la guerre. Cette division du discours diffĂšre en certains points de celles adoptĂ©es par dâautres auteurs. Il nâen demeure pas moins que le but principal de ce traitĂ© Ă©tait dâencourager certains comportements sur le champ de bataille et d'en dĂ©courager dâautres, qui sont donc condamnĂ©s par les admonitions et leurs preuves[19]. Cette vision de Syrianus, unique pour son Ă©poque, se retrouve aux XIe et XIIe siĂšcles. Comme Antoine Meylan lâexplique dans son mĂ©moire de maitrise PensĂ©e et pratique militaires byzantines aux XIe et XIIe siĂšcles : « Ils se manifestent aussi bien dans la rhĂ©torique impĂ©riale que dans le culte des saints militaires, l'utilisation de la liturgie aux armĂ©es ou l'emploi d'objets religieux, croix, icĂŽnes et reliques au combat[20]. »
Naumachia
Le Naumachia (ÎÎ±Ï ÎŒÎ±ÏίαÎč) porte sur la guerre navale. Selon Philip Rance, câest le seul traitĂ© de guerre navale qui nous est parvenu de lâantiquitĂ©. Certains ont avancĂ© une thĂ©orie, qui ne peut ĂȘtre prouvĂ©e prĂ©sentement, selon laquelle Syrianus aurait Ă©crit le Naumachia Ă partir dâun traitĂ© naval d'ĂnĂ©e le Tacticien (350-340 BC). Le Naumachia fait le tour des diffĂ©rents Ă©lĂ©ments qui sont liĂ©s Ă la guerre navale, comme les manĆuvres de trirĂšmes classiques. La majoritĂ© de ses connaissances sont cependant tirĂ©es de manuels militaires anciens, ce qui rend son contenu quelque peu archaĂŻque[21]. Un de ses Ă©lĂ©ments les plus importants, outre les formations et les manĆuvres navales, concerne les diffĂ©rentes mĂ©thodes de communication en mer, ce qui nous permet de mieux comprendre le fonctionnement dâune flotte militaire. Lâun de ces mĂ©canismes de communication Ă longue distance est lâhĂ©liographe, qui utilise la rĂ©flexion de la lumiĂšre du soleil pour transmettre des messages, en plus de lâutilisation des mĂ©thodes conventionnelles telles que les drapeaux, la fumĂ©e, etc.[22].
Ce traité a été utilisé par Léon VI pour la création de son propre manuel sur la guerre navale[23] - [24].
Références
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Bibliographie
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