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Comité olympique cubain

Le Comité olympique cubain (en espagnol, Comité Olímpico Cubano) est le comité national olympique de Cuba, fondé en 1937. Le Comité international olympique l'a reconnu en 1955.

ProlégomÚnes olympiques a cuba (1900-1926)

L'escrimeur Ramon Fonst

MalgrĂ© son sous-dĂ©veloppement sportif apparent, Cuba se fait remarquer par le ComitĂ© international olympique grĂące Ă  ces performances sportives et notamment celles de l’escrimeur (fleuret et Ă©pĂ©e) Ramon Fonst Segundo aux Jeux Olympiques de Paris 1900 et de Saint Louis 190476. Fils d’un riche propriĂ©taire terrien, il remporta quatre mĂ©dailles d’or et une d’argent, devenant l’un des deux seuls escrimeurs de l’histoire Ă  avoir remportĂ© trois titres olympiques individuels dans son sport Ramon Fonst est encore aujourd’hui considĂ©rĂ© comme le plus grand escrimeur latino-amĂ©ricain de tous les temps et vĂ©nĂ©rĂ© Ă  Cuba au mĂȘme titre que le champion du monde d’échecs Jose Raul Capablanca (1888-1942)[1].

Au-delĂ  du cadre purement sportif de l’exploit, la performance de Fonst engendra une certaine fiertĂ© nationale Ă  Cuba. En dĂ©pit du fait qu’il n’était pas officiellement envoyĂ© par son pays lors de ces Ă©preuves, les inscriptions se faisant Ă  titre individuel ou via un club jusqu’en 1908, ces victoires souvent sur les AmĂ©ricains attirĂšrent l’attention sur sa nationalitĂ©. Lui-mĂȘme d’ailleurs mettait en valeur son Ăźle de Cuba comme jamais elle ne l’avait Ă©tĂ© jusqu’ici dans l’histoire du sport international[1]. Cette revendication de l’identitĂ© nationale trouve un Ă©cho dans la population cubaine qui, Ă  l’aube d’une nouvelle vague d’occupation amĂ©ricaine (1905-1909), se rappelle aux idĂ©aux indĂ©pendantistes inaboutis de JosĂ© MartĂ­. En ce sens, on peut postuler que les dirigeants politiques cubains ont pu prendre conscience de l’occasion olympique dĂšs cette pĂ©riode.

Cuba propose d'accueillir les JO 1916 et 1920

Au-delĂ  de l’absence de Cuba aux trois Ă©ditions olympiques de 1908, 1912, et 1920, un Ă©lĂ©ment vient alimenter la thĂšse que le CIO et l’olympisme sont reprĂ©sentĂ©s Ă  Cuba au cours de cette pĂ©riode.En effet les mĂ©moires de Coubertin relatent que Cuba (La Havane) et les États-Unis auraient proposĂ© d’ĂȘtre des alternatives Ă  l’organisation des Jeux de 1916 initialement prĂ©vus Ă  Berlin, mais fortement compromis avec l’enlisement de la guerre dĂšs 1915. Une candidature que Cuba renouvellera pour les JO de 1920 comme l’écrit Coubertin : « le comitĂ© qui se constituait Ă  La Havane Ă©tait moins affirmatif (qu’Atlanta, Cleveland, Philadelphie), plus conscient des difficultĂ©s, mais en mĂȘme temps assurĂ© de l’appui des pouvoirs publics, y compris celui du chef de la RĂ©publique, le prĂ©sident Menocal »[2].

Coubertin a refusĂ© ces offres, prĂ©fĂ©rant annuler l’Olympiade de 1916 plutĂŽt que de confier l’organisation Ă  un pays amĂ©ricain ou aux YMCA, une organisation de jeunesse amĂ©ricaine d’inspiration protestante qui mise sur le sport pour faire progresser l’influence des États-Unis dans le Pacifique et en AmĂ©rique latine en particulier. Toutefois, Coubertin restait convaincu que l’ébauche de candidature de La Havane « aide(rait) Ă  la conquĂȘte du sud AmĂ©rique »[2].

La mission olympique d’Henri de Baillet-Latour en AmĂ©rique latine (1922-1923)

Le membre du CIO pour la Belgique Henri de Baillet-Latour s’implique pour la diffusion de l’idĂ©ologie olympique Ă  travers le monde. À la faveur de l’accord entre Coubertin et Elwood Brown, prĂ©sident de l’alliance mondiale des YMCA, qui prĂ©voit le patronage du CIO pour les Jeux d’AmĂ©rique du Sud en Ă©change d’un membre au CIO pour les pays participants, Baillet-Latour se rend en AmĂ©rique latine pour assister Ă  ces Jeux et mieux les contrĂŽler. GrĂące Ă  l’assistance et aux rĂ©seaux des YMCA, Baillet-Latour voyage d’ Ă  entre l’Uruguay, l’Argentine, le Chili, le PĂ©rou, le Mexique et Cuba, qui n’avait pu prendre part aux jeux rĂ©gionaux pour des raisons mĂ©connues. Il insiste dans chaque pays sur l’importance d’une adhĂ©sion au Mouvement olympique et fĂ©dĂšre de potentiels nouveaux membres pour le CIO. Selon lui, cette campagne s’est avĂ©rĂ©e concluante : « I am very satisfied with my mission in America, I believe I have reached good results and have left the IOC in a very good situation in those new countries »[3]. Un sentiment qui sera confirmĂ© immĂ©diatement lors de l’olympiade de Paris 1924 avec la participation de plus de 160 athlĂštes en provenance de Cuba, de l’Argentine, du BrĂ©sil, du Chili, du Mexique, de l’Équateur et de l’Uruguay notamment. C'est ainsi que l'on peut parler de « Latin American Olympic Explosion » pour caractĂ©riser ce phĂ©nomĂšne[3].

En l’espace de deux annĂ©es, cinq CNO sont crĂ©Ă©s en AmĂ©rique latine et sept personnages sont recrutĂ©s pour devenir les nouveaux membres du CIO pour leurs pays respectifs. Parmi eux, Porfirio Franca y Alvarez de la Campa qui devient en 1923 le premier membre du CIO pour Cuba.

Franca, premier membre du CIO pour Cuba

Membre du gouvernement provisoire qui dirigea cuba pendant 5 jours Ă  la suite du renversement de Carlos Manuel de CĂ©spedes y Quesada (4 au ) et banquier de renom, Franca possĂšde aussi une grande expĂ©rience du sport cubain puisqu’il est l’un des fondateurs et prĂ©sident d’honneur du Vedado Tennis Club, un membre rĂ©putĂ© de l’Union Athletica des Amateurs de Cuba (UAAC), de l’Amateur Baseball League ou encore de la FĂ©dĂ©ration d’Escrime[4]. À l’image de tous les membres recrutĂ©s par Coubertin puis Baillet-Latour lors de leurs prĂ©sidences, il est issu de la haute sociĂ©tĂ©, sinon un aristocrate, suffisamment dotĂ© en capitaux Ă©conomiques pour se consacrer Ă  la diffusion de l’olympisme.

Le décret du 13 août 1926

Sous l’impulsion, de Franca, de l’UAAC, et de son cinquiĂšme prĂ©sident Gerardo Machado y Morales, Cuba se dote de son premier dĂ©cret prĂ©sidentiel en faveur de la crĂ©ation d’un organe sportif Ă©tatique le [5].

Élu en 1925 selon le slogan « Eau, Routes & Écoles », Machado se veut un prĂ©sident ambitieux, rĂ©formateur, dĂ©sireux de faire de son pays la « Suisse des CaraĂŻbes ». RĂ©putĂ© ultrapatriotique, il veut voir son pays glorifiĂ© dans les premiers Jeux d’AmĂ©rique centrale et des CaraĂŻbes en octobre de la mĂȘme annĂ©e Ă  Mexico. Cette compĂ©tition s’offre Ă  Cuba comme une vitrine, comme une occasion de visibilitĂ© inespĂ©rĂ©e et tant rĂȘvĂ©e depuis les espoirs déçus de l’indĂ©pendance.

AnimĂ© certes par des volontĂ©s politiques, le dĂ©cret no 1337 de Machado n’en est pas moins fondateur pour le ComitĂ© olympique cubain et son premier prĂ©sident, Porfirio Franca. ConcrĂštement, le dĂ©cret promet la crĂ©ation d’une institution, le Conseil National des Jeux de Sport CentramĂ©ricains, avec ses quatre membres :

- Le délégué du CIO à Cuba (Franca),

- Le représentant de la Commission Nationale pour le Tourisme,

- Le représentant du gouvernement cubain,

- Le représentant de la Commission Athlétique des Amateurs de Cuba,

Ce nouvel organe se voit confier les missions suivantes :

- Établir les conditions de la participation de Cuba aux Jeux centramĂ©ricains,

- Gérer les fonds alloués à cet effet,

- DĂ©signer un ComitĂ© National olympique qui devra gĂ©rer la partie technique de l’organisation.

Le contenu de ce dĂ©cret rĂ©vĂšle que le prĂ©sident conçoit la place de Cuba dans le Mouvement olympique avant tout Ă  l’échelle rĂ©gionale, comme en tĂ©moigne le nom de l’organe principal crĂ©Ă© : Conseil National des Jeux de Sport CentramĂ©ricains. RelĂ©guĂ© au second plan, le COC se rĂ©vĂšle plus un outil ponctuellement administratif et organisationnel au service de la dĂ©lĂ©gation cubaine qu’un outil politique pour s’insĂ©rer durablement dans le Mouvement olympique et structurer voire dĂ©velopper le sport cubain. Ses prĂ©rogatives exclusivement orientĂ©es vers les Jeux centramĂ©ricains et non vers les Jeux Olympiques tĂ©moignent d’une application stricte des conseils de Baillet-Latour pour le dĂ©veloppement du sport cubain d’abord Ă  Ă©chelle rĂ©gionale pour tendre vers l’international par la suite. On pourrait y lire aussi un esprit d’indĂ©pendance vis-Ă -vis du CIO et des Jeux Olympiques, comme le prouve la crĂ©ation en 1928 de la Coupe du monde de football par l’Uruguay.

UNE PÉRIODE DE TÂTONNEMENTS (1926-1950's)

Cuba affectionne les Jeux centraméricains

De sorte Ă  dĂ©velopper le sport Ă  Cuba, Franca propose La Havane comme ville hĂŽte de la deuxiĂšme Ă©dition des Jeux d’AmĂ©rique Centrale et des CaraĂŻbes[3]. La capitale cubaine, moins chĂšre, plus accessible et moins Ă©levĂ©e que Mexico (2250 mĂštres) doit offrir les conditions idĂ©ales pour un accroissement de la participation et des retombĂ©s mĂ©diatiques et symboliques. NommĂ© directeur du comitĂ© d’organisation en sus de sa place de prĂ©sident du COC, Franca mĂšne avec succĂšs cette campagne aux cĂŽtĂ©s de son conseiller spĂ©cial Ramon Fonst, rĂ©pondant aux inquiĂ©tudes de Baillet Latour sur la capacitĂ© organisationnelle de l’üle[6]: 9 pays et 632 athlĂštes rĂ©pondent prĂ©sents[7]. On notera que Cuba semble avoir nouĂ© un attachement particulier Ă  cette compĂ©tition, l’organisant deux fois en 1930 et 1984 et devenant le pays avec le plus de mĂ©dailles d’or Ă  ce jour (1854) parmi les 32 nations ayant au moins Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©es une fois[8].

Une incapacité structurelle pour la participation aux JO

Alors en bonne voie, ce processus d’acculturation Ă  la participation et Ă  l’organisation de grands Ă©vĂ©nements sportifs va ĂȘtre mis Ă  mal par la situation politique dans le pays affectant les budgets allouĂ©s au sport. De mĂȘme que pour Los Angeles 1932 oĂč Cuba n’a pas proposĂ© de concurrent pour cause de difficultĂ©s budgĂ©taires, Franca ne conçoit pas comme essentielle et judicieuse une participation Ă  Berlin en 1936[9]. Dans ses rapports au CIO, il fait Ă©tat des difficultĂ©s Ă©prouvĂ©es par Moenck pour obtenir les 57 000 dollars nĂ©cessaires Ă  la participation de la dĂ©lĂ©gation cubaine aux troisiĂšmes Jeux centramĂ©ricains de 1935 Ă  San Salavador. De plus, et hormis son Ă©quipe de tireurs, aucune autre Ă©quipe ne semble prĂȘte pour rivaliser avec les meilleurs mondiaux. En ce sens, il ne veut pas mettre en pĂ©ril la participation de Cuba aux Jeux d’AmĂ©rique Centrale et des CaraĂŻbes de Panama 1938, la prioritĂ© rĂ©gionale, pour aller « faire un tour »[9] Ă  Berlin en 1936

La démission de Franca

C’est ainsi que le CIO a perdu son interlocuteur originel Ă  Cuba, dĂ©sormais impliquĂ© plus durablement dans le comitĂ© d’organisation des Jeux centramĂ©ricains. AprĂšs deux annĂ©es sans interlocuteur Ă  Cuba, Baillet Latour semble perdre patience et fait part de sa tentation de ne pas remplacer Franca du fait du manque d’intĂ©rĂȘt de Cuba pour les Jeux Olympiques : « We have decided that at least for the time being no delegate for the I.O.C will be appointed to Cuba. We do not see the necessity, as the leading spirit in your country seems to be more in favor of participating in local events of minor importance »[10].

Une initiative du gouvernement BrĂč

Alors que la transition de l’échelle rĂ©gionale Ă  l’échelle internationale semble avoir Ă©tĂ© ratĂ©e par Cuba, la prĂ©sidence de Federico Laredo BrĂč (1936-1940) marquĂ©e par de rĂ©formes sociales (pensions, assurances sociales, salaires minimums, autorisation des syndicats) donne un nouvel Ă©lan Ă  l’olympisme cubain. En effet, le CIO reçoit le un dĂ©cret annonçant la crĂ©ation d’un nouveau ComitĂ© olympique cubain selon une forme qui confĂšre plus de pouvoir Ă  ce gouvernement progressiste. Peu aprĂšs, le [11], Iglesias (un membre de l'UAAC proche du pouvoir) annonce au CIO qu’il est le prĂ©sident d’un COC nouvellement formĂ© et que Franca est remplacĂ© par le docteur Francisco Trelles Y Portillo au poste de membre du CIO Ă  Cuba.

Une décision subie par le CIO

Contraire aux articles 17 et 2 des statuts du CIO qui stipulent respectivement que les CNO doivent ĂȘtre instituĂ©s par les membres du CIO pour ledit pays et que ces membres sont recrutĂ©s par le CIO lui-mĂȘme[12], ce vice de procĂ©dure d’Iglesias qui inverse le rapport de force semble surprendre autant que contrarier et le CIO[12].

Quoi qu’il en soit, l’effet de cette lettre n’est pas celui escomptĂ© par Iglesias puisque Baillet Latour dĂ©clare la nullitĂ© des dĂ©cisions prises au nom du CIO et notamment la nomination de Trelles. Finalement, Franca parraine Miguel A. Moenck le pour le poste de membre du CIO Ă  Cuba : « In doing that, I firmly believe he is the right man for the place, as no one else has the knowledge of sports, athletic organizations and international relations that he is recognized to have. He is an excellent organizer and frequently consulted about athletic problems »[13]. AprĂšs avoir Ă©tĂ© impliquĂ© dans la presque intĂ©gralitĂ© des fĂ©dĂ©rations du pays, Moenck cĂšde officiellement sa place de prĂ©sident du COC Ă  Iglesias (1939-1941) pour rejoindre le CIO en .

Le décret no 1509

MalgrĂ© ce qui s’apparente Ă  une vexation du CIO qui n’avait pas Ă©tĂ© prĂ©venu que l’ancien COC avait Ă©tĂ© remplacĂ©, ce dĂ©cret fondateur no 1509 du [14] Ă©manent certainement de la main du prĂ©sident BrĂč apparaĂźt porteur d’espoir pour le CIO. En effet, il permet un Ă©largissement des objectifs du COC pour une participation aux Jeux Olympiques comme demandĂ© par le CIO.

CONSIDÉRANT : Il est impĂ©ratif de crĂ©er un organe technique permanent chargĂ© de l’organisation, de la direction, de la sĂ©lection et de la formation du personnel sportif qui reprĂ©sentera Cuba Ă  la fois aux Jeux Olympiques et aux Jeux centramĂ©ricains.

EN CONSÉQUENCE : Dans l'exercice des pouvoirs qui me sont confĂ©rĂ©s, et par proposition du SecrĂ©taire d’État Ă  l'Éducation :

PREMIÈREMENT : L’organisation, la direction, la sĂ©lection et l’entraĂźnement des Ă©quipes sportives qui reprĂ©senteront Cuba aux Jeux Olympiques et aux Jeux CentramĂ©ricains seront confiĂ©s Ă  une organisation technique permanente dĂ©nommĂ©e COMITE OLYMPICO CUBANO.

DEUXIÈMEMENT : Le COMITE OLYMPICO CUBANO sera composĂ© de sept membres nommĂ©s comme suit : (A) Un nommĂ© librement par le SecrĂ©taire d’État Ă  l'Éducation.

(B) Un nommé par le représentant à Cuba du Comité international olympique.

(C) Un nommĂ© par le SecrĂ©taire d'État Ă  l'Éducation parmi les membres de l'Union Athletica des Amateurs de Cuba (UAAC)

(D) Quatre choisis par le SecrĂ©taire Ă  l'Éducation parmi la liste des candidats envoyĂ©e par les organisations sportives suivantes :

1 - Organismes sportifs de renommée internationale pratiquant les sports inclus dans les Jeux Olympiques ou Centraméricains à l'exception de ceux qui dépendent de quelque maniÚre que ce soit de l'Union Athletica des Amateurs de Cuba.

2 - Entités sportives masculines ou féminines composées de quatre clubs ou plus, pratiquant au moins deux des sports inclus dans les Jeux Olympiques ou centraméricains et ayant été organisés depuis deux ans ou plus.

Le Comité olympique cubain sera entiÚrement renouvelé tous les quatre ans, étant entendu que ses membres exerceront leurs fonctions sans récompense et à titre honorifique.

TROISIÈME : Le ComitĂ© olympique cubain Ă©tablira un ensemble de rĂšgles qui devront ĂȘtre appliquĂ©es, Ă  la fois avec l’approbation du SecrĂ©taire d’État Ă  l’Éducation et avec les deux tiers de ses membres.


La forme, celle du dĂ©cret-loi, est rĂ©vĂ©latrice de la prise de contrĂŽle du sport par le pouvoir prĂ©sidentiel. Comme prĂ©cisĂ© dans les dispositions transitoires, ce dĂ©cret restera en vigueur jusqu’à ce que le CongrĂšs puisse adopter le projet de loi correspondant, signe que le lĂ©gislatif travaille probablement Ă  la rĂ©alisation d’une loi, mais que l’exĂ©cutif ne veut/peut pas attendre. Ainsi le prĂ©sident cubain affiche une ambition pour le COC qui dĂ©passe largement les prĂ©rogatives qui lui avaient Ă©tĂ© confiĂ©es dans le cadre du Conseil National des Jeux de Sport CentramĂ©ricains de Machado.

En absorbant le Conseil National des Jeux de Sport CentramĂ©ricains, le nouveau COC devient une institution puissante aux mains du gouvernement et bientĂŽt d’Iglesias, un vĂ©ritable relais des politiques gouvernementales par le biais du SecrĂ©taire d’Etat Ă  l’Éducation. Tout cela, probablement, Ă  la dĂ©faveur des Ă©lites conservatrices qui dirigeaient jusqu’alors le sport cubain comme l’UAAC. Ainsi la rĂ©glementation pour la composition du bureau du COC confirme cette idĂ©e : six des sept membres du COC seront choisis par le SecrĂ©taire d’État Ă  l’Éducation, en opposition Ă  la Charte olympique et sa volontĂ© de dissociation du sport et du politique. L’UAAC qui bĂ©nĂ©ficiait jusqu’ici d’un pouvoir prĂ©pondĂ©rant sur la gestion du sport cubain ne possĂšde plus qu’un siĂšge au COC.

Le CIO forcé à la discrétion

Alors qu’une nouvelle relation CIO/COC semblait pouvoir s’instaurer sur la base de ce COC plus structurĂ©, la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) va mettre un nouveau coup d’arrĂȘt Ă  la rĂ©gularisation du COC selon les principes de la Charte olympique. En effet, le Comte Baillet-Latour est bloquĂ© dans la Belgique occupĂ©e et doit cĂ©der la gestion des affaires courantes Ă  son vice-prĂ©sident, le suĂ©dois Edström, avant sa mort en 1942. Le cas de Cuba comme celui de beaucoup d’autres nations est mis de cĂŽtĂ© pour concentrer les efforts sur les JO d’Helsinki de 1940 finalement annulĂ©s. Pendant les annĂ©es de guerre, l’Allemagne nazie de Göbbels tenter d’unifier selon son idĂ©ologie le sport europĂ©en. Le CIO peine Ă  rĂ©sister et Ă©corne son image du fait de son approbation du nazisme. Il lui faudra quelques annĂ©es de discrĂ©tion pour Ă©viter le processus de dĂ©nazification et prĂ©tendre retrouver une certaine lĂ©gitimitĂ© dans les relations internationales, peut-ĂȘtre jusqu’à la prĂ©sidence d’Avery Brundage (1952-1972)[15].

Le COC s'Ă©mancipe

Pour autant, le nouveau COC au budget probablement plus important que le prĂ©cĂ©dent, soutient la participation des dĂ©lĂ©gations pour Londres 1948 (53 athlĂštes[16]), Helsinki 1952 (29 athlĂštes[17]), Melbourne 1956 (16 athlĂštes dont une femme[18]) et Rome 1960 (12 athlĂštes[19]). Seul Figuerola dĂ©croche une mĂ©daille d’argent en athlĂ©tisme en 1948. MĂȘme si les rĂ©sultats aux Jeux Olympiques peuvent ĂȘtre jugĂ©s dĂ©cevants, les successifs gouvernements cubains semblent avoir une rĂ©elle volontĂ© de dĂ©velopper l’excellence sportive sur l’üle. Le nouveau COC gĂšre de front les participations Ă  toutes les Ă©preuves sous la direction ou le patronage du CIO, que ce soit les JO, les jeux rĂ©gionaux centramĂ©ricains de 1946 (Barranquilla/Colombie) puis de 1950 (Guatemala) et aussi pour les nouveaux jeux panamĂ©ricains qui voient s’affronter tous les pays des continents nord et sud confondus. CrĂ©Ă© Ă  l’initiative de Brundage pour pallier l’absence de JO pendant la Seconde Guerre mondiale, la premiĂšre Ă©dition se dĂ©roule finalement en 1951 Ă  Buenos Aires, et voit Cuba finir troisiĂšme nation devant le BrĂ©sil ou encore le Mexique[20].

Le coc et les dictateurs (1952-1963)

Un immersion "sultanique"

Figure du pouvoir depuis plus d’une dĂ©cennie dĂ©jĂ , Fulgencia Batista a repris la prĂ©sidence par la force en 1952 afin d’imposer une dictature violente. CatĂ©gorisĂ©e comme « sultanique » par AndrĂ© Gounot[21]dans la mesure oĂč elle ne comporte aucune dimension de mobilisation idĂ©ologique que les JO pourraient glorifier Ă  l’image de l’Allemagne nazie, la dictature de Batista repose sur la satisfaction des intĂ©rĂȘts personnels des dirigeants suprĂȘmes. L’autoritĂ© doit ĂȘtre complĂšte. ContrĂŽler le ComitĂ© olympique cubain, c’est contrĂŽler l’organe de rayonnement sportif du pays ainsi que les enjeux financiers qui en dĂ©coulent.

DÚs 1954, Batista veut contrÎler le COC et décide de remplacer le président Iglesias par Miranda, son beau-frÚre, ce dernier cooptant ses pairs dans le comité exécutif du COC[21].

La réaction de Moenck et du CIO

Devenu membre de la commission exĂ©cutive du CIO en 1953, Moenck, qui entretient de trĂšs bonnes relations avec Brundage, l’alerte immĂ©diatement des dĂ©rives du dictateur cubain qui fait aller le COC Ă  l’encontre de la rĂšgle 25 de la Charte olympique prĂ©voyant l’indĂ©pendance et l’autonomie des CNO par rapport Ă  leur gouvernement. Si le CIO doit faire respecter ses fondements, il doit aussi faire valoir sa capacitĂ© Ă  coopter des membres qui lui ressembles socio-politiquement, c’est-Ă -dire des Ă©lites traditionnelles et conservatrices.

Le COC de Batista doit dĂ©sormais faire face Ă  un lobby conservateur emmenĂ© par le CIO, incarnĂ© par Moenck aux cĂŽtĂ©s de l’UAAC. Contraint d’organiser des Ă©lections pour lĂ©gitimer dĂ©mocratiquement sa place ainsi que son nouveau comitĂ© exĂ©cutif aux yeux du Mouvement olympique, Miranda enclenche une course Ă  la corruption en vue du scrutin de [21]. De l’autre cĂŽtĂ©, de nombreux Ă©changes de lettres tĂ©moignent de l’important travail de lobbying rĂ©alisĂ© par Brundage et Moenck pour rassurer les fĂ©dĂ©rations et maintenir leurs fidĂ©litĂ©s.

Finalement, Miranda perd l’élection et doit rendre sa prĂ©sidence au nouveau prĂ©sident Narcisco Camejo Estrella. Brundage fĂ©licite Moenck d’avoir « gagnĂ© la bataille », « une victoire remarquable pour le Mouvement olympique »[22]. Fort de ce succĂšs, le COC est officiellement reconnu par Brundage le , et pourra participer aux prochaines compĂ©titions olympiques comme membre de la grande famille olympique.


Un climat révolutionnaire

Tendue depuis le dĂ©but de l’annĂ©e 1956, la situation politique Ă  Cuba ne va faire que se dĂ©grader contraignant le travail de Moenck ainsi que ses participations aux rassemblements de la commission exĂ©cutive du CIO de Stockholm 1956 et Tokyo 1958[23]. Ses correspondances avec Brundage Ă©voquent la duretĂ© de la vie Ă  Cuba, les meurtres, les pillages, sa crainte d’abandonner sa famille ainsi que l’accentuation de la censure qui va l’empĂȘcher de quitter le pays dĂšs 1956. Alors que la RĂ©volution bat son plein, les opposants sont poussĂ©s Ă  l’exil. Parmi eux, on note Porfirio Franca Echarte, le fils du premier prĂ©sident du COC et lui-mĂȘme prĂ©sident du COC depuis 1958. OpposĂ© au castrisme, il s’exil Ă  Porto Rico ou il occupe la prĂ©sidence du ComitĂ© olympique portoricain pour dĂšs 1960. Ainsi le CIO comme le COC ont Ă©tĂ© paralysĂ©s pendant ces annĂ©es de RĂ©volution[23].

L'INDER absorbe le COC

L'adhĂ©sion de Castro au socialisme se matĂ©rialise par la centralisation de la gestion des affaires publiques et donc sportives par un parti unique officiel et son leader au sein d’un État fort. DĂšs 1961, le lider maximo donne naissance Ă  l’Institut National des Sports et de l’Éducation Physique et RĂ©crĂ©ative (INDER), une structure centralisatrice nationale calquĂ©e du modĂšle soviĂ©tique devant organiser la participation sportive en encourageant Ă  la compĂ©tition. PensĂ© comme une structure Ă  part entiĂšre par le dĂ©cret de 1937, reconnu comme indĂ©pendant et conforme par le CIO en 1955, le COC devient un outil au service des politiques de l’INDER, revenant une nouvelle fois sous le contrĂŽle direct du gouvernement, castriste cette fois.

L'impossible résistance

Le CIO n’a plus de canal de renseignement Ă  Cuba et, isolĂ©, ne peut donc pas mettre en place de stratĂ©gie de dĂ©fense comme ce fut le cas contre Batista. Brundage tente de faire pression sur Castro en ne reconnaissant plus le COC comme lĂ©gitime, mais cette tentative n’a guĂšre d’effet[23]. De son cĂŽtĂ©, Castro Ă©vite l’erreur faite par son prĂ©dĂ©cesseur, celle de court-circuiter le cheminement dĂ©mocratique du vote pour la prĂ©sidence du COC. En ce sens, il s’attire le soutien de Manuel. G. Guerra, un haut cadre de l’administration sportive qui fut prĂ©sident de l’UAAC et vice-prĂ©sident du COC, et fait subir Ă  Iglesias une « terrible repression »[23] pour que celui-ci abandonne sa prĂ©sidence et quitte le pays. C’est chose faite le [23], et avec lui, c’est la rĂ©sistance Ă  l’INDER et au sport d’État qui disparaĂźt.

Guerra remporte les Ă©lections consĂ©cutives au dĂ©part d’Iglesias, devenant prĂ©sident du COC, un poste qu’il occupera jusqu’en 1997, les statuts de l’institution ne prĂ©voyant pas de limite de mandats successifs. Cette longĂ©vitĂ© qui tĂ©moigne de la confiance de Castro explicite aussi le rapport qu’entretien le leader des rĂ©volutionnaires avec le comitĂ© olympique : c’est un lieu de pouvoir qui est suffisamment digne d’intĂ©rĂȘt pour ĂȘtre contrĂŽler par un alliĂ© fidĂšle et pĂ©renne Ă  sa tĂȘte. Un alliĂ© qui saurait s’effacer lorsque Castro sentirait le besoin de gĂ©rer lui-mĂȘme les affaires olympiques.

Enfin, l’immersion des rĂ©volutionnaires dans le monde de l’olympisme apparaĂźt complĂšte aprĂšs la mort de Moenck en 1969 puisque le CIO coopte Guerra en 1973[24] pour qu’il devienne le nouveau membre du CIO pour Cuba. Bien qu’il soit castriste, sa longue carriĂšre de haut dirigeant du sport mondial notamment Ă  la tĂȘte de la fĂ©dĂ©ration internationale de Baseball a dĂ» jouer en sa faveur auprĂšs d'un CIO contraint par les logiques de la Guerre froide.

LE COC INSTRUMENTALISÉ PENDANT LA GUERRE FROIDE (1960's-1992)

Une forte contestation de la légitimité du COC

Selon de nombreux opposants au rĂ©gime castriste, le COC doit ĂȘtre exclu du Mouvement olympique du fait de trois infractions majeures Ă  la charte olympique : le COC paie ses athlĂštes, le COC est communiste, le COC est au service de l’État[23].

Le COC paie ses athlĂštes

PremiĂšrement, le CIO a exigĂ© des preuves Ă  l’INDER que les athlĂštes sous la responsabilitĂ© du COC pendant les compĂ©titions olympiques n’étaient pas payĂ©s de sorte Ă  se mettre en conformitĂ© avec le principe de l’amateurisme. En , le chancelier Otto Mayer joint dans une correspondance une liste d’athlĂštes probablement payĂ©s et demande des certificats pour dĂ©fendre chacun d’entre eux[25]. Cuba mettra plus de dix ans Ă  rĂ©pondre favorablement Ă  tous les noms, rĂ©pondant Ă  chaque relance du CIO que les recherches Ă©taient en cours de traitement[26].

Le COC est communiste

DeuxiĂšmement, une critique concerne l’aspect communiste du COC. Si Brundage dĂ©plore le fait que le sport soit un terrain d’affrontement, il ne peut en revanche condamner Cuba pour son orientation politique, la charte olympique dĂ©fendant ses membres de « discrimination en raison de la race, de la religion ou de l’affiliation politique »[27]. Une situation dĂ©licate pour ce prĂ©sident ouvertement anticommuniste, d’autant plus qu’un puissant bloc rassemblĂ© autour de l’URSS se construit au CIO.

Le COC est au service de l'Etat

La critique la plus pertinente juridiquement aux yeux du CIO concerne les liens entre le COC et l’État : selon les dĂ©tracteurs de Cuba, le COC serait au service du rĂ©gime. D’abord, c’est la participation aux Games of the New Emerging Forces (GANEFO), une compĂ©tition regroupant les nations Ă©mergentes principalement tiers-mondistes devant faire de l’ombre aux CIO, qui va nourrir le dĂ©bat[28]. L’IndonĂ©sie, suspendue du Mouvement olympique pour avoir refusĂ© la participation de la RĂ©publique de Chine (TaĂŻwan) aux quatriĂšmes Jeux asiatiques, accueille alors Cuba et quelques autres nations pour la premiĂšre des deux seules Ă©ditions de la compĂ©tition en 1962. Intimement politique selon Brundage, la participation aux GANEFO ne peut ĂȘtre couplĂ©e d’une participation aux JO, si bien qu’il dĂ©cide de suspendre tous les athlĂštes ayant pris part Ă  cet Ă©vĂ©nement et profĂšre cette menace Ă  l’encontre de Cuba[29]. Guerra lui rĂ©pond qu’aucun athlĂšte n’avait pris part aux GANEFO, seulement des « travailleurs », et aucune sanction ne fut prise[30].

Dans le mĂȘme temps, l’Union Sportive de Cuba Libre, une association d’anciens athlĂštes cubains exilĂ©s en Floride, inonde le CIO de courriers pendant prĂšs d’une dĂ©cennie de sorte Ă  prouver que les athlĂštes du COC sont des ambassadeurs de l’État. Au total, ce sont plus de 140 rapports gouvernementaux subtilisĂ©s aux rĂ©volutionnaires et quelques centaines de coupures de presse dĂ©nonçant la propagande gouvernementale qui sont envoyĂ©s Ă  Lausanne[31]. Toutes sortes d’accusations y sont profĂ©rĂ©es Ă  l’encontre des Cubains : des distributions de tract pro-castristes lors des jeux rĂ©gionaux de Kingston en 1962, l’emprisonnement d’une athlĂšte dissidente tentant de s’échapper en 1962, ou encore le fait que Guerra serait un agent communiste infiltrĂ©. Enfin, un livret de propagande dĂ©nonce l’endoctrinement de l’INDER qui choisirait les athlĂštes en fonction de leur allĂ©geance au communisme.

L'impuissance du CIO

Face Ă  cette quantitĂ© d’élĂ©ments Ă  charge contre le gouvernement cubain, Brundage ne sĂ©vit pas. Bien que le COC ne soit pas innocent, ces accusations sont selon lui le fruit d’une minoritĂ© perdante de la RĂ©volution et comportent un aspect trop propagandiste pour ĂȘtre retenues[32]. Ainsi, il ne peut qu’adresser de nombreuses lettres au COC pour le menacer de poursuite en cas de nouvelle interfĂ©rence entre le gouvernement et le fonctionnement du COC, donnant un sentiment d’impuissance face Ă  l’immersion du politique. Cuba ne tremble pas et nie en bloc ces accusations retournant les mĂȘmes reproches aux États-Unis[33].

Composer avec Castro, leader auto-proclamé des non-alignés

RĂ©ticent Ă  l’idĂ©e de punir le COC, le CIO va subir les attaques de Castro envers ses principes durant toute la Guerre froide, les Ă©vĂ©nements du Cerro Pelado en 1966 [7] ou les boycotts de 1984 et 1988 Ă©tant les plus marquants.

Une légitimité sportive

Tandis que la dĂ©cennie 1960 a Ă©tĂ© celle des grandes rĂ©formes du sport cubain, la dĂ©cennie 1970 consacre les premiers exploits sur les scĂšnes rĂ©gionale, internationale et olympique. En effet, dĂšs 1971 aux Jeux panamĂ©ricains de Cali (Colombie), le pays atteint la deuxiĂšme place au tableau des mĂ©dailles, seulement devancĂ© par les États-Unis. Une performance fiĂšrement saluĂ©e par Castro, d’autant plus qu’elle va s’inscrire dans une rĂ©gularitĂ© remarquable avant la consĂ©cration : Cuba finira au moins deuxiĂšme au tableau des mĂ©dailles pour les dix Ă©ditions suivantes, s’offrant mĂȘme la premiĂšre place en 1991 lors de l’édition de La Havane.

Au-delĂ  de cette rĂ©ussite sportive Ă  l’échelle rĂ©gionale, ce sont les rĂ©sultats aux Jeux Olympiques qui vont permettre Ă  Castro de dĂ©montrer la rĂ©ussite de son modĂšle. DĂ©jĂ  Ă  Mexico 1968, Cuba avait amorcĂ© son ascension vers l’Olympe avec 4 mĂ©dailles d’argent, son deuxiĂšme plus haut total aprĂšs Saint-Louis 1904. L’aboutissement intervient lors de l’édition suivante Ă  Munich, dans la discipline qui symbolise le mieux le virage socialiste du sport cubain : la boxe. C’est ainsi que Teofilo Stevensen dĂ©croche la premiĂšre mĂ©daille d’or rĂ©volutionnaire en finale des poids lourds contre le Roumain Ion Alexe. Glanant devant un public conquis la premiĂšre de ses trois mĂ©dailles d’or olympiques, Stevenson marque alors l’arrivĂ©e de Cuba dans le tableau des grandes puissances du sport mondial : lors de cette Ă©dition, la dĂ©lĂ©gation cubaine finira 14e sur 126 nations engagĂ©es avec 8 mĂ©dailles dont trois en or pour la boxe cubaine, soit autant que le total de tous les pays d’AmĂ©rique latine rĂ©unis. La dynamique est enclenchĂ©e, et chaque olympiade permet de prendre conscience de la progression de Cuba : 13 mĂ©dailles Ă  MontrĂ©al 1976, 20 Ă  Moscou 1980. Certes, c’est le sport soviĂ©tique qui atteint des sommets Ă  cette pĂ©riode, l’URSS terminant premiĂšre Ă  huit des dix olympiades Ă©tĂ© et hiver organisĂ©es entre 1972 et 1988 (deuxiĂšme Ă  Sarajevo 1984, pas de participation Ă  Los Angeles 1984).

GrĂące Ă  ces rĂ©sultats, le rĂ©gime castriste bĂ©nĂ©ficie d’une certaine lĂ©gitimitĂ© et crĂ©dibilitĂ©, dont il n’hĂ©site pas Ă  se vanter, encore ici en 1984, dans ses correspondances avec le CIO et Samaranch : « Les efforts et les rĂ©sultats de nos athlĂštes, entraĂźneurs et officiels techniques nous ont permis d’obtenir une place de choix dans le milieu sportif d’AmĂ©rique centrale, panamĂ©ricain et mondial, et nous ont conduits Ă  occuper des positions importantes au sein de nombreuses fĂ©dĂ©rations et organisations sportives internationales »[34]. « Fort de l’autoritĂ© »[34] que lui confĂšre ce prestige sportif, Castro va tenter d’imposer Cuba comme un membre incontournable du Mouvement olympique, une ambition qui commence par des critiques et un boycott en 1984.

Une critique d'inspiration socialiste pour dépasser le silence du boycott 1984

Quatre ans aprĂšs les Jeux de Moscou 1980 boycottĂ©s par prĂšs de 51 nations, l’URSS se positionne en faveur de reprĂ©sailles similaires pour l’édition de 1984 Ă  Los Angeles. PrĂ©textant des lacunes dans le dispositif de sĂ©curitĂ© amĂ©ricain et une crainte envers le sentiment antisoviĂ©tique de la population, le Bloc de l’Est n’engage pas d’athlĂštes, sauf la Roumanie. Outre l’URSS, ce sont 14 autres pays qui dĂ©clinent l’évĂšnement, et parmi eux, Cuba

Pour autant, et mĂȘme si Castro apparaĂźt tributaire de ce boycott, il n’en est pas moins dĂ©cidĂ© Ă  exploiter la situation pour revendiquer ces propres intĂ©rĂȘts. Ainsi, il se permet d’exposer sa vision de la situation olympique Ă  Samaranch : « au cours de ces derniĂšres annĂ©es, des Ă©lĂ©ments Ă©trangers au sport sont intervenus dans les JO, consĂ©quence des gains obtenus par le biais de la tĂ©lĂ©vision, la publicitĂ© et d’autres facteurs. Ce n’est pas sans raison que les Jeux Ă  Los Angeles ont Ă©tĂ© qualifiĂ©s de “Jeux du dollar” »[35]. Rappelant au prĂ©sident du CIO les principes de la charte olympique selon laquelle « les Jeux Olympiques sont non lucratifs »[35], il dit que ces derniers ont Ă©tĂ© « violĂ©s et bafouĂ©s »[35].

Castro dĂ©nonce la commercialisation, la marchandisation des JO orchestrĂ©e par Samaranch. Selon lui, cette prise de position en faveur de l’entrĂ©e des sportifs professionnels dans le Mouvement olympique et donc pour la fin de l’amateurisme « dĂ©value complĂštement l’essence de l’Olympisme »[35] et ne va profiter qu’aux pays dĂ©veloppĂ©s : « les pays pauvres et sous-dĂ©veloppĂ©s n’auront jamais la possibilitĂ© de se voir confier l’organisation de manifestations sportives de cette nature »[35].

Des revendications au nom des non-alignés

Du 3 au s’est tenu Ă  La Havane le VIe Sommet des pays non alignĂ©s. Trouvant ses origines dans la confĂ©rence de Bandung de 1955, cette initiative intergouvernementale, qui vise initialement Ă  protĂ©ger ces membres de l’influence des États-Unis et de l’URSS compte Ă  l'Ă©poque 95 pays membres.

Quoique trĂšs liĂ©e Ă  l’URSS, Cuba joue pourtant sur les deux tableaux et souhaite se poser comme le leader de la troisiĂšme voie. Fidel Castro, grand artisan du bon dĂ©roulement de ce sommet affiche alors ses intentions d’actions : « S’il s’agit de dĂ©fendre l’indĂ©pendance et le rĂŽle spĂ©cifique, prestigieux, toujours constructif et toujours plus influent dans la vie internationale des non-alignĂ©s, pour qu’on Ă©coute la voix Ă©nergique et juste de nos peuples, Cuba sera en premiĂšre ligne pour dĂ©fendre ces principes »[36]. C’est en ce sens et selon cette mĂȘme dynamique de protection des non-alignĂ©s anti-impĂ©rialistes que Cuba se positionne comme un acteur central des Jeux Olympiques de SĂ©oul 88. L’enjeu pour le CIO semble alors de s’accorder directement avec Fidel Castro, et non plus avec le COC semble-t-il dĂ©passĂ© par l’enjeu diplomatique depuis quelques annĂ©es dĂ©jĂ , pour Ă©viter qu’il ne fĂ©dĂšre un groupe de dissidents.

Plusieurs critiques sont alors Ă©mises par Castro :

1) Le choix de SĂ©oul 1988

Castro exprime sa tristesse face Ă  la « guerre meurtriĂšre qui coĂ»ta la totale destruction de la CorĂ©e du Nord et la vie de centaines de milliers de ses enfants »[35], en plus de diviser « artificiellement et arbitrairement en deux parties »[35] le pays. Au cours d’un paragraphe engagĂ©, il dĂ©nonce l’absence des libertĂ©s, des droits sociaux et des droits de l’Homme au sud. Dans les faits, les propos de Castro semblent relativement fondĂ©s puisqu’effectivement, le gĂ©nĂ©ral Chun Doo-hwan a pris le pouvoir par un coup d’État militaire en , avant de dissoudre l’AssemblĂ©e nationale et de faire proclamer dĂšs la loi martiale Ă  tout le pays. Des milliers d’opposants sont assassinĂ©s tandis que le prĂ©sident amĂ©ricain Jimmy Carter est accusĂ© de soutenir le pouvoir en place. À la vue de ce triste bilan, il ne croit pas que les Jeux Olympiques vont permettre une quelconque paix, rĂ©unification, harmonie ou collaboration. C’est en ce sens qu’il suggĂšre Ă  Samaranch une idĂ©e qui pourrait sauver la face du Mouvement olympique : « La solution rĂ©side peut-ĂȘtre dans la dĂ©cision courageuse, constructive et prudente de rĂ©partir les Jeux Olympiques en 1988 de maniĂšre plus Ă©quitable ou Ă  peu prĂšs Ă©quitable entre les deux CorĂ©es en fonction des possibilitĂ©s et des intĂ©rĂȘts de chacune »[35].

Aux termes d’ñpres discussions entre le CIO, le COC et les deux CorĂ©es, durant lesquelles un accord pour la coorganisation fut proche d'ĂȘtre trouvĂ©[37], Castro annonce finalement qu'il boycott l'olympiade 1988 emmenant dans son sillages l'Ethiopie et les Seychelles. « La CorĂ©e du Sud est un pays fasciste », Ă©crit Castro[38].

Les considĂ©rations strictement sportives sont Ă©clipsĂ©es par ce discours politique qui nuit une nouvelle fois Ă  la rĂ©unification du Mouvement olympique. Il y a un saisissant contraste dans les correspondances entre les dĂ©clarations de bonnes intentions et de sympathie vis-Ă -vis du CIO et la subite position de fermeture dĂ©finitive pour ce qui concerne la participation Ă  SĂ©oul 88. L’impression dominante Ă  la lecture est celle d’une hostilitĂ© de Cuba Ă  l’égard du bon dĂ©roulement des JO de 1988, car si le CIO doit faire des efforts et des concessions en sa faveur, Cuba n’accepte d’en faire aucune de son cĂŽtĂ© maintenant une position binaire rĂ©alistement intenable dans les relations internationales : tout ce que Castro demande, ou rien. Au lendemain de ces diffĂ©rends, la relation entre le CIO et Cuba apparait trĂšs tendue, et Samaranch annonce le 88 qu’il coupe les fonds allouĂ©s au COC pour non-contribution Ă  la progression du Mouvement olympique[39]. La vraisemblable rĂ©ussite de ces Jeux, Ă  la fois dans les domaines sportifs et sĂ©curitaires, contribuera autant Ă  faire connaĂźtre au monde entier la CorĂ©e du Sud qu’à discrĂ©diter la critique Ă©mise par Fidel Castro.

2) La légitimité de l'ONU

À la faveur de son poids grandissant dans les relations internationales et donc dans le Mouvement olympique, de sa position d’acteur incontournable pour un succĂšs de SĂ©oul 88, Castro a tentĂ© de remettre en cause plus que la libĂ©ralisation Ă©conomique de l’olympisme mais la lĂ©gitimitĂ© mĂȘme du CIO Ă  dominer et rĂ©gir le sport international dĂšs 1985.

En effet, le tiers-monde peut paraĂźtre dĂ©laissĂ© par le CIO qui, s’il a soutenu les initiatives de Jeux rĂ©gionaux pour le dĂ©veloppement du sport, n’a accordĂ© qu’une seule fois l’organisation des JO en dehors des pays riches, Ă  Mexico 1968. « Il faut faire en sorte que les pays du tiers monde aient Ă©galement le droit d’organiser des olympiades »[39] demande alors Castro, de sorte que ces pays bĂ©nĂ©ficient des recettes des rencontres sportives. Pour lui, l’« assignation de 200 millions de dollars Ă  l’État le plus riche du pays le plus riche du monde (suite Ă  LA84) est une preuve des faiblesses et des conceptions anachroniques de CIO »[39] alors que ce qu’il manque au Sud, « c’est le dĂ©veloppement Ă©conomique et social, les installations sportives [
] la nourriture, non pas seulement pour de grandes masses de la population, mais parfois mĂȘme pour les athlĂštes »[39]. Enfin, et comme pour n’épargner aucune dimension de l’institution olympique, ce sont aussi les membres du CIO qui sont pris Ă  partie par le leader cubain. DĂ©noncĂ©s comme des « comtes, de(s) marquis, de(s) millionnaires »[40] au service d’une « mafia »[40] oligarchique et autocratique dans un article de 1985, ils sont confrontĂ©s Ă  la non-reprĂ©sentativitĂ© de leur statut de membres des Ă©lites mondiales.

Ainsi ce plaidoyer populiste d’inspiration marxiste typique des propos de Fidel Castro dĂ©nonce une forme de nĂ©o-colonialisme permise par un Mouvement olympique qui entrevoit les faiblesses de ses fondements aristocratiques. De sorte Ă  permettre Ă  l’olympisme de se saisir d’enjeux modernes selon une perspective plus juste, solidaire et Ă©galitaire, Castro propose plusieurs agencements allant d’une rĂ©forme de l’institution Ă  une transmission de compĂ©tence Ă  l’ONU qui signifierait la fin du CIO en tant que tel.

PremiĂšrement donc, Castro propose une rĂ©forme du CIO pour plus de reprĂ©sentativitĂ©. Partant du constat que la cooptation permet Ă  certains pays d’avoir plusieurs membres au CIO alors qu’ils n’ont que peu d’athlĂštes, Castro souhaite que chaque pays soit reprĂ©sentĂ© au CIO par un dĂ©lĂ©guĂ© Ă©lu sous l’égide de l’ONU[41].

Si le CIO refuse cette requĂȘte, Castro propose alors que l’ONU se saisisse de la question pour rĂ©organiser et diriger le Mouvement olympique en crĂ©ant un organe similaire Ă  celui de l’OMS ou de l’UNICEF. « Je suis un partisan convaincu que les Nations Unies [
] doivent s’intĂ©resser au sport et s’en occuper comme elles le font pour la science, l’éducation, la culture, la santé  », dĂ©clare-t-il[41].

LE COC DEPUIS LA CHUTE DE L'URSS (1990's-)

Les JO de Barcelone 1992

Épisode le plus connu de l’histoire olympique cubaine, la performance exceptionnelle des Jeux Olympiques de Barcelone 1992 rĂ©vĂšle et crĂ©dibilise dĂ©finitivement Cuba au monde. Lors de cette XXVĂšmes Ă©dition des JO d’étĂ© de l’ùre moderne, Cuba fait son grand retour dans la compĂ©tition aprĂšs les boycott de 184 et 1988 en se hissant Ă  la cinquiĂšme place du tableau des mĂ©dailles avec 31 mĂ©dailles dont 14 en or, seulement devancĂ© par des grandes puissances sportives : l’Équipe unifiĂ©e de l’ex-URSS, les États-Unis, l’Allemagne et la Chine. Avec ses neuf titres en boxe, la dĂ©lĂ©gation cubaine impressionne autant qu’elle fascine des observateurs sous le charme de cette technique, cette fougue, cet atypisme venu des CaraĂŻbes.

Parmi ces ambassadeurs, on note l’un des plus grands champions de boxe de l’histoire, Felix Savon, qui glanait avec une dĂ©concertante aisance en 1992 le premier de ses trois titres de champion olympique de boxe, complĂ©tant son palmarĂšs de sextuple champion du monde. Son refus de devenir professionnel pour affronter Mike Tyson dans un combat hautement lucratif fait Ă©cho Ă  la cĂ©lĂšbre dĂ©claration de T. Stevenson, autre gloire de la boxe cubaine deux dĂ©cennies plus tĂŽt : « Pourquoi aurais-je besoin de dix millions de dollars quand j’ai onze millions de Cubains derriĂšre moi ? »[42].

À l’instar de ces champions, c’est la dĂ©lĂ©gation cubaine qui renvoie cette image de modestie, d’humilitĂ© et de simplicitĂ© lors de ces Jeux Olympiques qui consacrent Cuba comme une grande nation du sport et de l’olympisme. Comparativement au total de 58 mĂ©dailles obtenues jusqu’ici par Cuba lors de ses treize participations aux Olympiades d’étĂ©, cette moisson de 1992 apparaĂźt comme une performance comptable extraordinaire et crĂ©dibilise la mĂ©thode cubaine Ă  l'aube d'un avenir vraisemblablement plus dur.

Une baisse de l'influence du COC

Pour autant, il apparaĂźt intĂ©ressant de se demander si le COC de Castro ne s'est pas fourvoyĂ© lors de l'Ă©pisode de JO de 1988, ne parvenant pas Ă  fĂ©dĂ©rer un boycott de masse et se froissant avec un CIO pourtant prĂȘt Ă  faire des concessions. Tandis que l'influence de Cuba dĂ©cline Ă  mesure que la Guerre froide s'estompe, et alors qu'une longue pĂ©riode de crise Ă©conomique plonge lĂźle dans une certaine dĂ©tresse humanitaire, son influence dans le Mouvement olympique s'efface aussi. Les bons rĂ©sultats sportifs diminuent, et, depuis 2015, Cuba n'a plus de membre au CIO pour son pays...

Références

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  32. ACIO, Lausanne, Brundage Ă  l’UDCL, le 17 Mai 1965, puis le 8 AoĂ»t 1967 et enfin le 15 DĂ©cembre 1967. Archives cubaines, correspondances 1963-1968 (Union Deportiva de Cuba Libre).
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