Chat-vampire de Nabeshima
Le chat-vampire de Nabeshima est une légende japonaise mettant en scène un chat qui absorbe le sang d'une victime féminine et usurpe ensuite son identité, afin de séduire l'homme amoureux de la jeune fille. Cette légende s'inscrit dans la plus large thématique du chat au Japon, animal auquel est consacré un folklore important dans ce pays
La thématique du chat au Japon
Les chats arrivent au Japon au VIe siècle en même temps que la doctrine bouddhiste, mais leur réelle introduction date du , date de l'anniversaire de l'empereur Ichijo, qui reçut un chat pour ses treize ans. L'image du chat a beaucoup évolué au Japon où il est considéré tantôt comme porte bonheur pour son pelage écaille de tortue, tantôt comme maléfique. Le succès du chat est si important dans le pays qu'une loi du XVIIIe siècle interdit l'enfermement et le commerce de l'animal[1]. Certaines histoires racontent que les Japonais câlinaient tant leurs chats que ces derniers finirent par ne plus chasser les souris et les rats et se mirent à proliférer à tel point que les Japonais durent peindre des chats sur les murs de leur maison pour chasser les rongeurs[2].
Le chat est bien représenté dans l'art japonais, d'abord sous les traits d'un écaille de tortue blanc, puis de plus en plus comme des chats blancs et des chats sans queue : le bobtail japonais. De grands peintres se sont illustrés dans la représentation des chats, comme Utagawa Hiroshige ou Utagawa Kuniyoshi[3]. Utamaro allie toujours les chats avec les belles femmes[3], ce qui se retrouve dans les poèmes japonais, où le chat est étroitement associé à la grâce de la femme. Symbole de la sensualité, du désir, le chat représente également le charme et la décadence[4].
«
Dans les ténèbres de cette ville immense
Seule dort l'ombre d'un chat bleu […]
L'ombre bleue d'un bonheur que je poursuis.»
— Sakutarō Hagiwara, Le Chat bleu[4]
Toutefois, il existe également une version sombre et inquiétante du chat, issue de la tradition populaire. Parmi celle-ci, il y a Aïnous le chat revenant, le chat né des cendres d'un monstre, et celui à deux queue d'Okabe. Pierre Loti évoque également dans ses Japoneries d'automne une ronde de chats se réunissant dans un jardin isolé les nuits d'hiver, au clair de lune[5]. Le chat-vampire de Nabeshima est une légende, très racontée au cours de l'ère Edo, qui met en scène un chat démon ou un chat vampire s'attaquant à la famille des Nabeshima[4].
La légende
O Toyo est la plus ravissante femme qui soit de tout l'Empire et est la favorite du prince Nabeshima de Hizen. Le sommeil d'O Toyo est régulièrement troublé par le rêve d'un gros chat qui l'épie. Une nuit, alors qu'elle se réveille en sursaut, elle voit deux yeux phosphorescents qui l'observent. Terrifiée, elle ne peut pas proférer une parole ni appeler de l'aide. Un énorme chat noir lui saute à la gorge et l'étrangle. Il traîne le cadavre de la favorite jusqu'au jardin et l'enterre. Puis, revenant dans la chambre, il prend l'aspect physique de celle qu'il vient de tuer.
Nabeshima lui-même ne s'aperçoit pas de la métamorphose tant la nouvelle O Toyo ressemble à l'ancienne. Tandis qu'il continue à fréquenter la fausse O Toyo, le prince tombe malade : son visage est livide, il ressent perpétuellement une immense fatigue. Son corps ne porte aucune blessure. Les médecins, appelés à son chevet, parlent de « langueur » sans pouvoir émettre de diagnostic plus précis. Le mal s'aggrave : le prince fait des cauchemars affreux dont il ne se souvient pas le lendemain. Sa raison vacille. La princesse, sa femme, décide de le faire veiller par des hommes en armes.
Chaque nuit, tous les hommes postés pour la garde s'endorment en même temps. Le jeune soldat Itô Sôda se présente et demande timidement la permission de veiller sur le prince qu'il tient en grande estime. La nuit suivante, Itô Sôda figure parmi les gardes chargés de protéger le prince en entourant sa couche. Il voit ses camarades céder au sommeil l'un après l'autre et lui-même a les paupières lourdes. Il s'entaille le genou de son poignard afin que la douleur le tienne éveillé. Chaque fois qu'il s'engourdit, il remue le couteau dans la plaie et réussit à garder les yeux ouverts.
Tout à coup, les portes de la chambre ou repose le prince glissent silencieusement[6]. Une femme d'une grande beauté entre dans la pièce ; le vaillant jeune homme reconnait O Toyo. Avec la souplesse fluide d'un félin, elle se glisse entre les gardes et s'approche du prince endormi. Itô Sôda se dresse et s'interpose entre la femme et le prince. Il en est de même chaque fois que la dame veut trop s'approcher de la couche où repose Nabeshima. À l'aube, la femme disparaît.
Le soldat fait son rapport : il est chaleureusement félicité, d'autant plus que pour la première fois depuis longtemps, le prince se sent reposé. La nuit suivante, Itô Sôda est encore de garde. Le manège se répète mais il empêche toujours la magnifique femme de s'approcher du prince. Les nuits suivantes, elle ne revient plus. Les gardes restent éveillés. Le prince reprend des forces. Tout le palais est en fête.
Itô Sôda estime qu'il n'a pas fini sa tâche. Il fait annoncer à O Toyo qu'il lui apporte un message du prince et tandis qu'elle ouvre la missive, le guerrier tire son sabre et lui tranche la tête. Sur le sol gît non pas le cadavre d'une jeune femme mais, la tête coupée, un gros chat noir. Le chat-vampire qui, nuit après nuit, venait boire le sang du prince. Une autre version de la légende explique que le chat réussit à s'échapper dans les montagnes, et qu'il fut abattu lors d'une battue organisée par le prince guéri[7].
Symbolique
La légende du chat vampire est issue du shintoïsme, religion la plus ancienne du Japon. Le gros chat noir représente ici l'esprit de la Nature, qui non seulement consume les hommes mais prend son apparence[8].
Autres chats vampires
- Une légende judéo-espagnole raconte que Lilith pouvait prendre la forme d'un chat-vampire qui suçait le sang des nourrissons[3].
Adaptations
Le film d'horreur japonais Kuroneko de Kaneto Shindō est inspiré de la légende du chat vampire[9].
Notes et références
- (fr) Dr_Rousselet-Blanc1992">Dr Rousselet-Blanc, Le Chat, Larousse, , 11 p. (ISBN 2-03-517402-3), « Le chat hier et aujourd'hui ».
- (fr) Paul-Henry Carlier, Les Chats, Paris, Nathan, , 255 p. (ISBN 2-09-284243-9), « Les chats d'Asie ».
- (fr) Dr Bruce Fogle (trad. de l'anglais), Les Chats, Paris, Gründ, , 320 p. (ISBN 978-2-7000-1637-6).
- (fr) Maurice Delcroix et Walter Geerts, « Les Chats » de Baudelaire, Presses universitaires de Namur, , 347 p. (ISBN 978-2-87037-068-1, lire en ligne).
- Édouard Brasey, La Petite Encyclopédie du merveilleux, Paris, éditions Le Pré aux clercs, , 435 p. (ISBN 978-2-84228-321-6), p. 222.
- À cette époque, les portes étaient coulissantes avec des « carreaux » en papier de riz. Cette façon de faire était une sécurité lors des tremblements de terre fréquents dans le pays.
- (en) « NightmareFuel:Folklore And Urban Myths », sur http://tvtropes.org/ (consulté le ).
- (en) Scott Foutz, « The Vampire Cat of Nabeshima - Old Tales of Japan », sur http://www.sarudama.com/, (consulté le ).
- (en) « Asian Horror Encyclopedia: V », sur http://www.angelfire.com/ (consulté le ).
Annexes
Articles connexes
Liens externes
- Félicien Chalaye, « Le Chat-vampire » in Contes et légendes du Japon. Fernand Nathan, 1933. Précédé d'une introduction.
- Maurice Dubar (1845-1928), Le Japon pittoresque (extrait). Plon, 1879. Précédé d'une introduction.
- (en) (fr) Comparaison de quatre versions de la légende.
- (en) The Vampire Cat of Nabeshima - Old Tales of Japan.
Bibliographie
- Tales of Old Japan, A.B. Mitford, Wordsworth Édition Limited, 2000, (ISBN 1 84022 510 6).