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Charte du Manden

La charte du Manden, charte du Mandé[1], ou encore, en langue malinké, Manden siguikan, est la transcription d'un contenu oral, lequel remonterait au règne du premier souverain Soundiata Keïta qui vécut de 1190 à 1255.

La Charte du Mandén, proclamée à Kouroukan Fouga *
Image illustrative de l’article Charte du Manden
Pays * Drapeau du Mali Mali
Liste Liste représentative
Année d’inscription 2009
* Descriptif officiel UNESCO

Il existe deux textes de la charte, provenant des travaux menés à partir des années 1970 par Wa Kamissoko et Youssouf Tata Cissé : le Serment des chasseurs, qui remonterait à 1222, et la Charte de Kouroukan Fouga, qui remonterait à 1236, et aurait été solennellement proclamée le jour de l'intronisation de Soundiata Keïta comme empereur du Mali. Le premier discours serait l'inspirateur du second[2].

La charte du Manden est considéré par les Mandenkas (peuples qui ont en commun la langue mandingue) comme l'une des plus anciennes références concernant les droits fondamentaux. Sa reconnaissance par l'UNESCO confirme sa valeur juridique et sa portée universelle[3].

Depuis 2009, la charte du Manden est insctite par l'UNESCO sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l'humanité.

Origine

Œuvre de lettrés, ce texte en forme de serment est connu dans deux versions : l'une datée de 1222 et comportant sept chapitres : le Serment des chasseurs, l'autre de 1236 et comportant quarante-quatre articles : la Charte de Kouroukan Fouga. Ces deux versions ont été retranscrites à partir de travaux conduits depuis les années 1960 auprès de griots dépositaires de ces récits, appartenant en particulier à la confrérie des chasseurs.

En 1949, le lettrĂ© guinĂ©en Souleymane Kante publie une compilation de 130 règles juridiques qu'il date de 1236 et situe Ă  « Kurukan Fuga ». En 1960, Djibril Tamsir Niane publie Sunjata ou l’épopĂ©e mandingue, traduction en français d'un rĂ©cit oral produit par Mamadou Kouyate qui Ă©voque la construction d'un corpus juridique Ă  « Koroukan fouga ». En 1998, Ă  l'occasion d'un atelier sur la collecte et la sauvegarde du patrimoine oral africain, organisĂ© Ă  Kankan (GuinĂ©e) par l’Agence pour la francophonie et le CELTHO, Siriman KouyatĂ© compose un texte de 44 articles Ă  partir de plusieurs rĂ©cits oraux qu'il date de 1236. Enfin, Youssouf Tata CissĂ© publie le Testament de Sunjata puis le Serment des chasseurs, d'après des rĂ©cits de Wa Kamissoko qu’il date de 1222. Le Serment des chasseurs est renommĂ© Charte du MandĂ© en 2007[4].

Contenu de la Charte

Après un préambule « à l'adresse des douze parties du Monde et au nom du Mandé tout entier », la charte mentionne sept paroles, qui sont autant d'entêtes d'articles de la charte :

  • « Une vie est une vie » ; « Une vie n'est pas plus ancienne ni plus respectable qu'une autre vie, de mĂŞme qu'une autre vie n'est pas supĂ©rieure Ă  une autre vie » ;
  • « Que nul ne s'en prenne gratuitement Ă  son voisin, que nul ne cause du tort Ă  son prochain, que nul ne martyrise son semblable » ;
  • « Le tort demande rĂ©paration » ;
  • « Pratique l'entraide » ;
  • « Veille sur la patrie » ;
  • « La faim n'est pas une bonne chose, l'esclavage n'est pas non plus une bonne chose » ;
  • « La guerre ne dĂ©truira plus jamais de village pour y prĂ©lever des esclaves ; c'est dire que nul ne placera dĂ©sormais le mors dans la bouche de son semblable pour aller le vendre ; personne ne sera non plus battu au MandĂ©, a fortiori mis Ă  mort, parce qu'il est fils d'esclave » ;
  • « Chacun est libre de ses actes, dans le respect des interdits des lois de sa patrie ».

Selon les transcripteurs de la charte du Manden, l'abolition de l'esclavage fut une œuvre maîtresse de Soundiata Keïta et de l'Empire du Mali. On trouverait dans cette charte les notions de respect de la vie humaine, de droit à la vie, les principes d'égalité et de non-discrimination, de liberté individuelle, de justice, d'équité et de solidarité. En contestant l'esclavage, elle identifierait la violence des situations comme précédant la violence de la guerre.

Patrimoine culturel national et international

Le , le gouvernement malien a adopté en Conseil des ministres un projet de décret portant le classement de la Charte du Manden dans le patrimoine culturel national[2].

La Charte du Mandén, proclamée à Kouroukan Fouga a été inscrite en 2009 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l'UNESCO[5] - [6].

DĂ©bats

La charte du Manden fait l'objet d'un intérêt marqué en Afrique de l'Ouest et en particulier au Mali[7]. Son ancienneté prétendue en fait un argument localement fort pour lutter contre l'esclavage[8]. D'un point de vue historique elle soulève de nombreuses questions, à commencer par celle de la fiabilité des sources orales, de leur reconstruction et de leur réinterprétation durant l'histoire[9].

Pourfendeurs

L'authenticité de cette charte est contestée par deux universitaires : Jean-Loup Amselle[4] et Francis Simonis[10], qui estiment qu'il s'agit d'une reconstruction contemporaine inspirée par l'idéologie afrocentriste. Pour Jean-Loup Amselle, de plus, « comparer la charte de Kurukan Fuga au “Bill of Rights” et à la “Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen” n’a pas grand sens [… car] cette charte ne marque en aucune façon le surgissement d’un soulèvement contre une monarchie absolue […] ou une préoccupation relative aux droits de l’individu, quels qu’ils soient. […] Cette charte concerne exclusivement la passation de pactes ou d’alliances entre groupes »[11].

DĂ©fenseurs

Pour l'anthropologue Éric Jolly :

« Certes, on peut dire que l’Unesco a patrimonialisé - et d’une certaine façon figé - un texte qui est en fait un mixte du Serment des Chasseurs et de la Charte de Kurukan Fuga. Mais je ne parlerai pas d’invention pour autant. Ce sont des textes qui se sont transformés au fil du temps en fonction des enjeux du moment et des revendications des différents groupes qui défendent ce type de charte. Il n’y a pas d’invention, il y a plutôt transformation. Comme dans tout récit de la littérature orale, il ne faut pas voir dans ces textes la traduction d’une réalité historique objective mais plutôt celle de points de vue politiques, voire d’une philosophie politique complexe. C’est cela qui les rend intéressants. »[12]

Selon Noël Sanou, maitre de conférences de sciences du langage au département de lettres modernes de l’Université Joseph Ki-Zerbo :

« Le fait même qu’en des espaces sémio-anthropologiques si distants dans l’espace géographique et si éloignés dans les coutumes par le fait de syncrétismes locaux, de plus en plus balkanisés dans les espaces d’États-nations fragmentant les grands ensembles identitaires d’antan, des versions d’une même histoire, d’un même «conte», d’une même «invention» – pour paraphraser les nihilistes – existent et traversent le temps, traversent les dialectes, les migrations, plus de sept siècles après, devrait ramener la Raison à plus de modestie et d’acuité critique. Que les traditionnistes du Burkina, de la Casamance, de Kankan aient inventé en même temps la mémoire historique et discursive d’une charte, c’est un conte que content les controverseurs ! »[2]

Sur l'abolition de l'esclavage

Seydou Camara a écrit à propos de l'épopée de Soundiata Keita :

« Le schéma idéologique mis en place répond à la situation dominante de ceux qui l'ont construit et vise à consolider celle-ci. Ce modèle qui donne de l'organisation sociale une image simplifiée répartit les hommes en trois catégories : les hôôrôn (hommes libres) spécialistes du pouvoir, de la guerre et de la production, les nyamakala (gens dits de caste inférieure) à qui la société délègue le soin de la sauvegarde et de l'enseignement de l'histoire, et les jôn (esclaves) aux rôles multiples. […] Le schéma que nous évoquons ici reflète avant toutes les structures globales d'une société guerrière et dissimule les tensions entre les trois catégories sociales, sous couvert d'un échange équilibré de services mutuels. De plus, il justifie, par l'accomplissement de ces services, les inégalités de fait, l'oisiveté et l'opulence des tenants du pouvoir et des nyamakala leurs alliés, les obligations de labeur qui pèsent sur les jôn et l'exploitation dont ces derniers sont l'objet. Enfin ce reflet idéologique rassure dans la mesure où il vise à stabiliser les structures dont il montre l'image dans l'intérêt des élites qui occupent leur sommet. Cette idéologie de la société, qui est en effet résolument conservatrice, conçoit les divisions dont elle décrit l'ajustement comme des « ordres », c'est-à-dire des groupes considérés comme immuables, délimités par des frontières difficiles à franchir[13]. »

L'état de la société décrit dans la geste de Soundiata contredit fortement le texte de la charte. À cet égard, le deuxième texte, la charte de Kurukanfuga, parfois assimilée à celle de Manden, et qui daterait de 1236, telle que retranscrite en 1998 par le CELTHO, (Centre d’études linguistiques et historiques par la tradition orale), ne mentionne pas l'abolition de l'esclavage mais seulement dans son article 20 l'obligation pour les maîtres de se comporter humainement.

Notes et références

  1. La Charte du Mandé et autres traditions du Mali, 2003.
  2. Noël Sanou, « La Charte du Mandé : reconfigurations textuelles et mémorielles », Afroglobe, vol. 1, no 1 Avril/Mai,‎ , p. 72–105 (ISSN 2564-0038, lire en ligne, consulté le )
  3. « UNESCO - Étude de cas individuelle », sur ich.unesco.org (consulté le )
  4. Amselle, 2011.
  5. « La Charte du Mandén, proclamée à Kouroukan Fouga : Inscrit en 2009 (4.COM) sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité », Listes, sur UNESCO - Patrimoine culturel immatériel (consulté le ).
  6. « La Charte du Mandén, proclamée à Kouroukan Fouga », sur ich.unesco.org
  7. maliweb.net :: Charte du Manden ou de Kurukanfuga : Le ministère de la Culture ouvre le débat
  8. PDF/Full%20English%20Slavery%20in%20Niger.pdf
  9. Voir ainsi à propos de l'épopée de Soundiata, Seydou Camara, "La tradition orale en question", Cahiers d'études africaines, 144, 1996, p. 775 : "Au fur et à mesure que le texte était véhiculé par les nyamakala, il se transformait selon les intérêts de chacun".
  10. Simonis, 2012.
  11. Amselle, 2011, p. 452.
  12. « Les chartes africaines, de Kurukan Fuga à Nairobi (1236 (?)-1981) : épisode 2/4 du podcast Une histoire des déclarations des droits de l'homme », sur France Culture (consulté le )
  13. Seydou Camara, « La tradition orale en question », Cahiers d'études africaines, n°144, 1996, p. 785. [lire en ligne]

Voir aussi

Bibliographie

  • Moussa Fanta KOUROUMA, La charte de kouroukan-fouga : simple patrimoine culturel immatĂ©riel de l'humanitĂ© ou un texte juridique qui devrait inspirer ?, (lire en ligne)

Textes

  • La Charte du MandĂ© et autres traditions du Mali, calligraphies d'Aboubacar Fofana, traduction Youssouf Tata CissĂ© et Jean-Louis Sagot-Duvauroux, Albin Michel, 2003 (ISBN 222613736X)
  • Youssouf Tata CissĂ©, Wa Kamissoko, La grande geste du Mali - Des origines Ă  la fondation de l'empire, Paris, Karthala, coll. « Hommes et SociĂ©tĂ©s »
  • Youssouf Tata CissĂ©, Wa Kamissoko, Soundjata, la gloire du Mali, Paris, Karthala, coll. « Hommes et SociĂ©tĂ©s »
  • Djibril Tamsir Niane, Sunjata ou l’épopĂ©e mandingue, 1960

Analyses

  • CELTHO (collectif), La Charte de Kurukan Fuga. Aux sources d'une pensĂ©e politique en Afrique, Paris, L’Harmattan / Conakry (GuinĂ©e), SociĂ©tĂ© africaine d’édition et de communication, 2008
  • Jean-Loup Amselle, « L’Afrique a-t-elle “inventé” les droits de l’homme ? », Syllabus Review, 2 (3), 2011, p. 446-463, tĂ©lĂ©charger le PDF
  • Éric Jolly, « L’épopĂ©e en contexte Variantes et usages politiques de deux rĂ©cits Ă©piques (Mali/GuinĂ©e) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2010/4, p. 885-912, voir en ligne
  • Djibril Tamsir Niane, « Recherches sur l'Empire du Mali au Moyen Ă‚ge », Recherches africaines, n°1, janvier 1959 p. 6-56, en ligne sur Guinee.net. L'article ne mentionne pas que la tradition ait transmis de façon prĂ©cise les principes fondateurs de l'empire mandingue
  • NoĂ«l Sanou, « La Charte du MandĂ© : reconfigurations textuelles et mĂ©morielles », Afroglobe, vol. 1, no 1 Avril/Mai,‎ , p. 72–105 (lire en ligne)
  • Francis Simonis, « L'âme de l'Afrique - ÉpopĂ©e, contes et lĂ©gendes », Le Point RĂ©fĂ©rences, novembre-dĂ©cembre 2012, pages 70 et 71
  • Francis Simonis, « Le griot, l’historien, le chasseur et l’Unesco », Ultramarines, n° 28, 2015, tĂ©lĂ©charger le PDF

Articles connexes

Liens externes

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