Accueil🇫🇷Chercher

Charles VI (opéra)

Charles VI est un opéra en cinq actes et sept tableaux de Fromental Halévy, sur un livret de Germain et Casimir Delavigne créé à l'Académie royale de musique (salle Le Peletier) le . Dernier grand succès du compositeur à l'Opéra de Paris, l’œuvre ne s'est pas maintenue au répertoire et on ne compte qu'une production au XXe siècle (à Marseille en 1901) et une seule représentation au XXIe siècle (en 2005 au théâtre impérial de Compiègne).

Charles VI
Description de cette image, également commentée ci-après
Charles VI et Odette de Champdivers, tableau d’Eugène Delacroix (vers 1825)
Genre Opéra
Nbre d'actes 5 actes et 7 tableaux
Musique Fromental Halévy
Livret Germain et Casimir Delavigne
Langue
originale
Français
Durée (approx.) 4 h
Dates de
composition
1842-1843
Création
Académie royale de musique (salle Le Peletier)

Argument

L’action se passe au début du XVe siècle, à Paris et dans ses alentours.

Acte I

L’intérieur d’une métairie. Une porte au fond, deux fenêtres et deux portes latérales

  • No 1 ChĹ“ur « Tu vas partir, te voilĂ  grande dame » et scène : un groupe de jeunes filles entoure Odette, appelĂ©e Ă  la cour pour prendre soin du roi Charles VI, atteint de dĂ©mence. Elle sera accompagnĂ©e par son père, Raymond, qui de son cĂ´tĂ© souhaite ardemment le dĂ©part des troupes anglaises qui occupent le pays.
  • No 2 Chant national « La France a horreur du servage » : après qu’Odette a quittĂ© la pièce pour les ultimes prĂ©paratifs, Raymond entonne un chant guerrier proclamant que « Jamais en France, l’Anglais ne rĂ©gnera ». Il est rejoint par des paysans puis par le Dauphin (futur Charles VII), dĂ©guisĂ© en Ă©cuyer, qui vient rendre visite Ă  Odette dont il est tombĂ© amoureux. Une petite troupe de soldats anglais vient interrompre le chant des partisans français et les esprits s’échauffent rapidement.
  • No 3 ChĹ“ur de chasse « La fanfare de chasse » : la tension retombe cependant avec l’arrivĂ©e de la reine Isabeau de Bavière qui participe Ă  une chasse en compagnie du duc de Bedford. Le Dauphin se cache afin de ne pas ĂŞtre reconnu par sa mère.
  • No 4 Duo « Respect Ă  ce roi qui succombe » : Isabeau vient s’assurer de la parfaite obĂ©issance d’Odette Ă  son Ă©gard. Elle reconnaĂ®t parmi les bijoux de la jeune fille un cadeau qui ne peut avoir Ă©tĂ© fait que par le Dauphin. DĂ©sireuse de capturer ce fils rebelle Ă  son autoritĂ©, elle fait jurer Ă  Odette de le retenir le plus longtemps possible lorsqu’il viendra la voir afin de pouvoir le faire mettre aux arrĂŞts comme traĂ®tre Ă  la couronne. Odette, ignorant toujours qu’il s’agit du Dauphin, promet d’obĂ©ir Ă  la reine.
  • No 5 Duo « Gentille Odette, Eh! quoi ton cĹ“ur palpite » : troublĂ©e d’apprendre que celui qu’elle aime est un traĂ®tre, Odette repousse le Dauphin, sorti de sa cachette dès le dĂ©part de sa mère. Il finit par lui avouer sa vĂ©ritable identitĂ©. RĂ©alisant que tout amour est impossible, elle dĂ©cide nĂ©anmoins de consacrer sa vie Ă  dĂ©fendre les intĂ©rĂŞts du jeune homme afin qu’il puisse ĂŞtre couronnĂ© roi. En attendant, elle l’aide Ă  s’enfuir juste avant que la troupe de soldats anglais, prĂ©venue par la reine, ne fasse irruption.

Acte II

Un salon de l’hôtel Saint-Pol.

  • No 6 Entracte et scène « Gloire au maĂ®tre, gloire aux chanteurs » : alors que les courtisans fĂ©licitent un groupe de chanteurs qui vient d’exĂ©cuter un numĂ©ro, Isabeau fait relire Ă  Bedford un acte dĂ©shĂ©ritant le Dauphin et transmettant la couronne au jeune fils du roi d’Angleterre Henri V. Elle assure que l’acte sera signĂ© par Charles VI le soir mĂŞme.
  • No 7 Villanelle et air « Quand le soleil montre en riant son front » : les chanteurs entonnent une villanelle, puis Isabeau exauce le souhait de Bedford de l'entendre chanter Ă  son tour.
  • No 8 Ballet : le chant cède la place Ă  la danse et toute la cour exĂ©cute successivement une pavane, une mascarade et une bourrĂ©e.
  • No 9 Scène et chĹ“ur « Mylord, Messieurs, le banquet vous attend » : des serviteurs ouvrent trois portes au fond du salon qui donnent sur une grande salle oĂą est dressĂ©e une longue table chargĂ©e de victuailles. Tous les convives vont festoyer tandis que le salon reste dĂ©sert.
Duo des cartes lors de la création en 1843 avec Rosine Stoltz dans le rôle d'Odette et Paul Barroilhet dans celui de Charles VI.
  • No 10 Scène et romance « J'ai faim! que font-ils donc, tout le monde m'oublie » : Charles VI entre alors et tient des propos incohĂ©rents sur la reine et lui-mĂŞme, entrecoupĂ©s de crises de terreur liĂ©es Ă  des rĂ©miniscences du bal des ardents.
  • No 11 Romance « Ah qu'un ciel sans nuages » : Odette rejoint le roi pour lui annoncer qu'elle a organisĂ© le lendemain dans le jardin de son père un rendez-vous secret avec son fils le Dauphin. Charles VI, plongĂ© dans des pensĂ©es morbides, semble inaccessible.
  • No 12 Duo des cartes « Eh! bien puisque les morts au plaisir sont rebelles » : Odette lui propose alors de jouer aux cartes. Charles VI, qu'Odette laisse gagner, s'Ă©chauffe progressivement, imaginant que les figures des cartes Ă  jouer sont les chevaliers qu'il commande, remportant bataille sur bataille, vengeant ainsi la dĂ©faite d'Azincourt.
  • No 13 Trio et final « Un intĂ©rĂŞt puissant commande que le roi » : la reine revient, accompagnĂ© de Bedford, et chasse Odette. Promettant au roi qu'Odette ne lui sera rendue que s'il signe le traitĂ© dĂ©shĂ©ritant le Dauphin, Charles VI s'exĂ©cute. Toute la cour assiste alors Ă  la proclamation par Bedford de l'acte que vient de signer le roi.

Tableau 1

Une tente devant la maison de Raymond, le père d'Odette.

  • No 14 Entracte et chĹ“ur « Chantons verre en main » : des Ă©tudiants boivent et chantent dans la maison de Raymond tandis que le Dauphin se demande avec anxiĂ©tĂ© si son père pourra le reconnaĂ®tre.
  • No 15 RĂ©citatif et air « Les joyeux Ă©coliers! pourtant combien d'entr'eux » : le Dauphin espère nĂ©anmoins que son père retrouve ses esprits, sachant qu'il ne peut plus rien attendre de sa mère. Raymond revient avec les Ă©tudiants qui se dĂ©clarent prĂŞts Ă  se battre contre les Anglais pour dĂ©fendre les intĂ©rĂŞts du Dauphin.
  • No 16 ChĹ“ur « Grand Dieu qui rends Ă  la nature » : Charles VI arrive, accompagnĂ© d'Odette et de quelques bourgeois. La jeune fille prĂ©sente son père au roi, en lui rappelant qu'il vient de le nommer gardien de la basilique Saint-Denis en rĂ©compense de ses services passĂ©s. Songeant qu'il s'agit de la nĂ©cropole des rois de France qu'il rejoindra un jour, Charles VI replonge dans ses pensĂ©es morbides.
  • No 17 Trio « Un infortunĂ© qu'Ă  vingt ans poursuit » : après le dĂ©part des bourgeois, Odette fait entrer le Dauphin. Après quelques moments d'Ă©garement, Charles VI finit par reconnaĂ®tre son fils.
  • No 18 Scène et cavatine « FĂŞte maudite! et qui fera rĂ©pandre » : Odette reçoit l'ordre de ramener le roi Ă  l'hĂ´tel Saint-Pol pour qu'il assiste Ă  la fĂŞte donnĂ©e en l'honneur du fils d'Henri V, appelĂ© Ă  devenir le prochain roi de France.
  • No 19 Quatuor « De leur triomphe passager il faut supporter » : Charles VI ne souhaite pas s'y rendre puisqu'il vient de reconnaĂ®tre son fils, le Dauphin, comme son vĂ©ritable hĂ©ritier. Odette le convainc nĂ©anmoins de cacher ses vĂ©ritables sentiments afin de ne pas Ă©veiller les soupçons et compromettre le projet d'Ă©vasion qu'elle a imaginĂ© pour lui. Échappant Ă  l'emprise de la reine, Charles pourrait alors prendre, avec son fils, la tĂŞte de fidèles Ă  sa cause pour chasser les troupes anglaises du pays.

Tableau 2

Procession des troupes anglaises devant l'hôtel Saint-Pol : décor du deuxième tableau de l'acte III lors de la création de l'opéra en 1843.

Une rue de Paris sur laquelle s'élève le perron de l'hôtel Saint-Pol.

  • No 20 ChĹ“ur et marche « Pompe de deuil, lugubre fĂŞte » : le cortège anglais dĂ©file devant l'hĂ´tel Saint-Pol oĂą se tient toute la cour, avec Ă  sa tĂŞte le roi, la reine et Odette. L'irritation de Charles VI va croissant devant cette manifestation de puissance et l'attitude triomphante de son Ă©pouse. Alors que le jeune fils d'Henri V s'approche du roi pour recevoir le baiser de paix, ce dernier le repousse en jurant que « jamais en France, jamais l'Anglais ne règnera ».
  • No 21 Final « Vive le roi! vive la France! » : la foule des Parisiens manifeste son approbation tandis que la reine, furieuse, menace Charles VI et Bedford ordonne Ă  ses troupes de les protĂ©ger du peuple en colère.

Acte IV

La chambre Ă  coucher du roi.

  • No 22 Entracte et air « Sous leur sceptre de fer ils ont tout comprimĂ© » : Odette rĂ©affirme son vĹ“u d'aider le Dauphin sans rien attendre en retour lorsque surviennent la reine et Bedford. Isabeau ordonne Ă  la jeune fille de venir la rejoindre dès que le roi sera endormi.
  • No 23 Scène « Au roi je demande raison » : Charles VI entre Ă  son tour. Une violente altercation l'oppose Ă  Bedford et Ă  Isabeau, le roi leur reprochant d'avoir profitĂ© de sa folie pour lui faire signer l'acte dĂ©shĂ©ritant son fils. Il dĂ©chire le document et les chasse.
Odette chante une ballade à Charles VI pour l'aider à s'endormir : scène de la création en 1843 avec Rosine Stoltz dans le rôle d'Odette et Paul Barroilhet dans celui de Charles VI.
  • No 24 Scène et ballade « Chaque soir Jeanne sur la plage » : restĂ© seul avec Odette, Charles VI souhaite rĂ©entendre les dĂ©tails de son Ă©vasion qui doit avoir lieu le soir-mĂŞme. Toute l'opĂ©ration dĂ©butera dès qu'Odette chantera Ă  la fenĂŞtre de la chambre du roi son air prĂ©fĂ©rĂ©, prĂ©venant ainsi le Dauphin qui veille au dehors.
  • No 25 Prière « Quand le sommeil sur lui descend » : en attendant, Odette conseille au roi de se reposer un peu et lui chante une berceuse pour l'endormir. Elle quitte ensuite la chambre du roi pour rejoindre la reine comme cette dernière le lui a ordonnĂ©.
  • No 26 Scène des spectres « Qu'ai-je entendu, quels lugubres murmures » : Charles VI, qui faisait semblant de dormir, entend soudain de sinistres grincements. Plusieurs esprits surgissent dans sa chambre, Ă©clairĂ©e par une lumière spectrale. L'un d'entre eux, se prĂ©sentant comme celui qui l'avait prĂ©venu, il y a plusieurs annĂ©es de cela, d'un complot dans la forĂŞt du Mans, l'avertit que son fils, le Dauphin, veut l'assassiner. Tous disparaissent, laissant le roi seul et terrorisĂ©.
  • No 27 Final « A moi! sauvez mes jours » : profondĂ©ment Ă©branlĂ©, Charles VI appelle au secours. Isabeau, qui a organisĂ© toute la scène des spectres, accourt avec Bedford et Odette. PersuadĂ© que son fils veut le tuer, le roi rĂ©vèle Ă  la reine les dĂ©tails du projet d'Ă©vasion. Celle-ci se met Ă  la fenĂŞtre et chante la mĂ©lodie qui sert de signal. Le Dauphin entre par la fenĂŞtre et est aussitĂ´t arrĂŞtĂ©. Charles VI, au comble de la dĂ©mence, exige que son fils soit mis Ă  mort.

Tableau 1

La nuit, sur les rives de la Seine Ă  Paris.

  • No 28 Entracte et couplets « A minuit, le seigneur de Nivelle » : les amis du Dauphin attendent que celui-ci revienne avec le roi. Ils passent le temps en chantant autour d'un feu.
  • No 29 Scène et chĹ“ur « Sur ce fer, devant Dieu » : ils sont progressivement rejoints par d'autres partisans du Dauphin et tous jurent qu'ils n'auront de repos qu'une fois tous les Anglais hors de France.
  • No 30 Scène et cavatine « Ce n'est point une faible femme » : Raymond surgit et informe toute la troupe que le roi a de nouveau perdu la raison et que le Dauphin, capturĂ©, sera exĂ©cutĂ© le lendemain Ă  Saint-Denis. Tous sont profondĂ©ment abattus. Odette leur commande alors de rejoindre sans tarder la basilique et de se tenir prĂŞts.

Tableau 2

Décor du deuxième tableau de l'acte V lors de la création de l'opéra en 1843.

Intérieur de la basilique de Saint-Denis.

  • No 31 Final « Meurtrier renonce Ă  tes droits » : le Dauphin entend la sentence de mort prononcĂ©e contre lui par Charles VI en prĂ©sence de la reine et de Bedford. Odette s'interpose avec l'aide des partisans du Dauphin. Les soldats anglais, d'abord surpris, s'apprĂŞtent au combat. Dans le tumulte, Charles VI semble soudain recouvrer la raison et impose le silence. Il prophĂ©tise la mort prochaine de Bedford, les funĂ©railles sans pompe d'une reine Isabeau abandonnĂ©e et haĂŻe de tous et l'Ă©popĂ©e victorieuse d'une jeune vierge appelĂ©e Ă  disparaĂ®tre « dans des torrents de flamme et de fumĂ©e ». Il s'effondre soudain, mort. Le Dauphin s'empare d'une Ă©pĂ©e et proclame que « jamais en France, jamais l'Anglais ne règnera » tandis que le peuple et les chevaliers lui prĂŞtent serment.

Création

L’œuvre est créée à l'Académie royale de musique (salle Le Peletier) le et constitue le « dernier grand succès »[B 1] du compositeur à l'Opéra de Paris, ses créations ultérieures pour « le Grande Boutique » (le Juif errant en 1852 et la Magicienne en 1858) ne parvenant pas à gagner les faveurs du public.

La mise en scène est luxueuse et s'attache à respecter la vérité historique « avec un soin extrême »[B 2]. Le cortège des Anglais au deuxième tableau de l'acte III est décrit par Théophile Gautier de la façon suivante:

« Le spectacle de cette procession est réellement des plus magnifiques, et se fait admirer même après les splendeurs de la Juive. C'est un luxe inimaginable de casques, de cuirasses, d'armures d'acier et d'or, de chevaux, de bannières, de blasons, que l'Opéra seul peut offrir avec cet éclat et cette exactitude. On y voit même des canons de l'époque, composés de barres de fer reliées par des cercles, avec leurs roues pleines et leurs affûts contournés[B 3]. »

Interprètes de la création

Rôle Tessiture Distribution de la création (1843)
Charles VI baryton Paul Barroilhet
Isabeau de Bavière soprano Julie Dorus-Gras
Odette contralto Rosine Stoltz
Le Dauphin ténor Gilbert Duprez
Le duc de Bedford baryton Jean-Baptiste-Bazille Canaple
Raymond basse Nicolas-Prosper Levasseur
L’homme de la forêt du Mans baryton Eugène Massol

Maquettes des costumes

  • Maquette de costume pour le Dauphin
    Maquette de costume pour le Dauphin
  • Maquette du premier costume pour Odette
    Maquette du premier costume pour Odette
  • Maquette de costume pour le roi Charles VI
    Maquette de costume pour le roi Charles VI
  • Maquette du premier costume pour la reine Isabeau de Bavière
    Maquette du premier costume pour la reine Isabeau de Bavière
  • Maquette de costume pour le duc de Bedford
    Maquette de costume pour le duc de Bedford
  • Maquette du second costume pour la reine Isabeau de Bavière
    Maquette du second costume pour la reine Isabeau de Bavière
  • Maquette du second costume pour Odette
    Maquette du second costume pour Odette

RĂ©ception critique

Si la critique célèbre de façon à peu près unanime la beauté des décors et des costumes ainsi que l'interprétation (Paul Barroilhet et Rosine Stoltz sont particulièrement distingués dans les rôles respectifs de Charles VI et d'Odette), l’œuvre en elle-même recueille des avis généralement favorables sans déchaîner l'enthousiasme. Heinrich Heine résume le sentiment général en écrivant que le compositeur et son librettiste « ne sont jamais tombés ni l'un ni l'autre dans le genre tout à fait mauvais, comme il arrive parfois au génie d'une originalité excessive; ils ont toujours produit quelque chose d'agréable, de beau, de respectable, d'académique, de classique »[B 4].

Dessin de presse représentant le deuxième tableau de l'acte V lors de la création de l'opéra en 1843.

L'hymne patriotique « Guerre aux tyrans ! » devient vite populaire[B 1], mais « les pages les plus appréciées de la partition (...) sont celles de la démence de Charles (...) et du duo avec Odette à l'acte II »[B 2]. Dans le Siècle, H. Lucas salue « les savantes qualités qui ont fait la fortune des précédentes compositions de M. Halévy »[B 5], même si ce dernier « n'a pas droit à des éloges aussi complets que nous aurions voulu pouvoir lui adresser », selon le Corsaire[B 6]. Pour le Ménestrel, « M. Halévy travaille trop vite, ce qui ne s'accorde en aucune façon avec la sobriété généralement constatée de son imagination mélodique. On ne devrait confier des poèmes à M. Halévy que de loin en loin, seul moyen de lui faire amasser ainsi une quantité suffisante de mélodies »[B 7]. Le Constitutionnel est davantage laudateur: s'il reconnaît que les « mille beautés fortes ou délicates (...) se dérobent à la première audition, sous les formes sévères de l’œuvre », elles « se révèlent une à une aux représentations suivantes et achèvent la conquête du public. Il en sera de Charles VI comme de la Juive et de la Reine de Chypre, qui ont gagné de jour en jour leur immense succès »[B 6]. De même, H. Blanchard dans la France musicale reprend l'idée selon laquelle « le talent [du compositeur] est comme ces forêts vierges, vivaces, riches, dans lesquelles il n'est pas facile de pénétrer, mais qui n'en renferment pas moins tous les trésors d'une végétation forte et puissante »[B 8].

Pour A. Arnould dans le Commerce, « la partition de Charles VI (...) est de la belle, grande et sérieuse musique, toujours admirablement écrite et souvent inspirée »[B 9]. Dans le Courrier français, F. Soulié regrette qu' « on ne rencontre nulle part [dans le livret] la passion qui intéresse et émeut. Heureusement que M. Halévy a rempli beaucoup de ces vides par une musique large, pleine et presque toujours originale »[B 10]. Pour le critique de la Quotidienne, « il y a dans chaque acte un ou deux morceaux qui décèlent le grand compositeur »[B 10]. Le Journal des débats politiques et littéraires affirme que « la musique de Charles VI ne le cède pas aux meilleures productions de M. Halévy. On y retrouve d'un bout à l'autre l'art de manier les grandes masses chorales et instrumentales, l'art tout aussi difficile de relever les plus petits détails par de riches et piquantes harmonies, la mélodie puissante, noble, quelquefois bizarre et contournée, qui distinguent l'auteur de la Juive et de l’Éclair »[B 11].

Maquette de décor en volume du deuxième tableau de l'acte V représentant l'intérieur de la basilique Saint-Denis, par Édouard Desplechin.

D'autres avis sont plus acerbes. Ainsi, le Journal des artistes estime que « l'opéra en cinq actes de MM. Casimir Delavigne et Halévy est une chose fort ennuyeuse à entendre et très fatigante à voir » et qu'il « restera sur l'affiche tant qu'on ira par curiosité, car on ne peut y aller deux fois »[B 12]. Dans le National, G. Hequet admet qu' « il y a dans la partition quelques morceaux dont le mérite est incontestable (...). Mais, dans un opéra en cinq actes, est-ce assez de ces quelques morceaux? »[B 9].

Rien ne trouve grâce aux yeux du critique de Satan : ni les chanteurs, distribués en dépit du bon sens (le rôle de la « terrible Isabeau » est confié à la « douce et chaste Mme Dorus » alors que la volcanique et passionnée Rosine Stoltz doit incarner « une jeune fille timide et sainte entre toutes »; « la puissante voix de Barroilhet [est] enseveli[e] dans le corps d'un moribond »; quant au « vigoureux » Duprez, on lui confie le rôle « terne, languissant, indécis » du Dauphin qui « n'arrive jamais que pour s'en aller »), ni les costumes (qualifiés de « malheureux », voire de « tout bonnement affreux »), ni la mise en scène (« on a déjà vu tant de fois les mêmes chevaliers sur les mêmes chevaux, les mêmes archers, les mêmes hommes d'armes, les mêmes pages, que les yeux éprouvent le besoin de voir autre chose »); dans le livret, « point de situations dramatiques, rien qui n'émeuve et surprenne, attendrisse ou passionne »; quant à la musique, « l'oreille a-t-elle pu saisir une fraîche mélodie, un air franc, une inspiration musicale nette et limpide, une de ces phrases qui se chantent au fond de l'âme, qui se gravent étincelantes dans la mémoire, que la foule émue s'en va la nuit murmurant et qui donnent à une œuvre le baptême de la popularité? Le souvenir cette fois cherchait et ne trouvait pas »[B 13].

Principales représentations après la création

L’œuvre est représentée 61 fois à l'opéra de Paris entre 1843 et 1850 (dans une version révisée à partir du 4 octobre 1847)[B 14]. Une nouvelle production débute le 5 avril 1870 au Théâtre Lyrique avec Rosine Bloch dans le rôle d'Odette, mais l'opéra n'y connaîtra que 22 représentations[B 15].

Charles VI est également représenté en français à Bruxelles (à partir du 2 octobre 1845), La Haye (25 avril 1846), La Nouvelle-Orléans (22 avril 1847), Buenos Aires (4 mai 1854), Batavia (27 avril 1866), Barcelone (29 avril 1871), Mexico (19 janvier 1882) et Marseille (8 avril 1901). Des productions en allemand ont lieu à Hambourg (13 février 1851) et en italien à Milan (16 mars 1876)[B 16].

Il faudra attendre 2005 pour que l’œuvre soit reprise au théâtre impérial de Compiègne pour une unique représentation.

Analyse

Selon Leich-Galland[B 17], Charles VI constitue une tentative de renouveler, sur la scène de l'opéra, les succès rencontrés par Casimir Delavigne au théâtre avec des pièces patriotiques, célébrant la pérennité du royaume de France. Le choix de Halévy pour composer la musique semblait tout indiqué puisque lui-même est un monarchiste convaincu (à Londres, en 1850, il tiendra à rendre visite à un Louis-Philippe déchu et exilé). Si le « patriotisme pré-barrésien du livret »[B 18] a pu rencontrer l'assentiment des autorités de l'époque, il n'est pas certain qu'il en ait été de même de son « anglophobie forcenée »[B 18] au moment où le gouvernement s'engage sur la voie de l'Entente cordiale (le premier séjour de la reine Victoria en France à l'invitation de Louis-Philippe a lieu en septembre 1843, soit six mois après la création de l'opéra). Il est même possible que cette nouvelle orientation de la diplomatie du pays ait constitué un frein pour remonter trop souvent un opéra où est stigmatisé comme traitre à la patrie le personnage d'Isabeau de Bavière qui cherche à s'entendre avec les Anglais.

Duo des cartes lors de la création en 1843 avec Rosine Stoltz dans le rôle d'Odette et Paul Barroilhet dans celui de Charles VI.

Le désir de célébrer la royauté conduit le librettiste à prendre de très grandes libertés avec la vérité historique[B 18], faisant ainsi d'Odette de Champdivers une préfiguration de Jeanne d'Arc et des Parisiens de fervents partisans du futur Charles VII. Il évacue également toute histoire d'amour de son opéra[B 18] et tente, sans en avoir tout à fait les moyens, de lui donner des accents shakespeariens en transformant Charles VI en un « autre roi Lear »[B 2] et en introduisant une scène avec des spectres. Encore ne s'agit-il que d'un « fantastique en trompe l’œil »[B 19] résultant d'une mise en scène échafaudée par la reine Isabeau pour discréditer le Dauphin auprès de son père et faire sombrer définitivement la raison du roi. Néanmoins, « l'apparition dans la forêt du Mans, le duo où Odette de Champdivers distrait le roi en lui apprenant à jouer aux cartes, les scènes de folie sont empreintes d'une émotion vraie »[B 1].

Lors de la seule reprise contemporaine de l’œuvre au théâtre impérial de Compiègne en 2005, les critiques indiquent que cette résurrection « est loin de manquer d'intérêt ». Si « le livret regorge de poncifs », « les personnages s'avèrent plutôt attachants et bien caractérisés » et « l'histoire n'est pas mal ficelée ». « La partition, hâtivement composée, frise souvent le pompiérisme » et semble « interminable », mais on entre « facilement dans cette œuvre inégale, peu originale mais prodigue en bons moments de théâtre comme de musique »[B 20]. D'autres, plus enthousiastes, célèbrent « une œuvre de large dimension (...) témoign[ant] de bout en bout d'une inspiration généreuse et d'une réelle habileté »[B 18].

Discographie

Fichiers audio
Charles VI, « C'est grand pitié » (air de Charles VI à l'acte II)
Henri Albers. Enregistré en 1910.
Charles VI, « Guerre aux tyrans » (chant national de Raymond à l'acte I)
André Gresse. Enregistré en 1914.
Des difficultés à utiliser ces médias ?
Des difficultés à utiliser ces médias ?
Des difficultés à utiliser ces médias ?
  • 2010 – Duo des cartes de l'acte II « Eh ! bien, puisque les morts au plaisir sont rebelles » interprĂ©tĂ© sur le CD Patrie ! Duets from French romantic operas par Hjördis ThĂ©bault, Pierre-Yves Pruvot et l'Orchestre philharmonique de Košice sous la direction de Didier Talpain – Brilliant Classics 94321 (1CD)

Annexes

Notes et références

Bibliographie

  • [Arnould, Blanchard, Hequet et al. 1843] Auguste Arnould, Henri Blanchard, Gustave Hequet et al., « Charles VI », dans J. L'Henry (dir.), Annales dramatiques : archives du théâtre : journal officiel de la SociĂ©tĂ© des auteurs et compositeurs de l'Association des artistes dramatiques, Paris, (lire en ligne), p. 85-91
  • [Bordry 2011] Guillaume Bordry, « Un fantastique en trompe-l’œil : les spectres de l’histoire dans Charles VI de Jacques Fromental HalĂ©vy », dans TimothĂ©e Picard et HervĂ© Lacombe (dir.), OpĂ©ra et fantastique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, (ISBN 9782753513242)
  • [Borel (dir.) 1843] Francisque Borel (dir.), « Charles VI Ă  l'opĂ©ra », Satan, no 23,‎ (lire en ligne)
  • [Cormier 2005] Brigitte Cormier, « Charles VI, une rĂ©surrection courageuse », forumopera.com,‎ (lire en ligne)
  • [Deloge 2005] Vincent Deloge, « Charles VI », forumopera.com,‎ (lire en ligne)
  • [Gautier 1858-1859] ThĂ©ophile Gautier, Histoire de l'art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, t. 3, Bruxelles, 1858-1859, 349 p. (lire en ligne), p. 23-32
  • [Heine 1855] Heinrich Heine, Lutèce : lettres sur la vie politique, artistique et sociale de la France, Paris, , 420 p. (lire en ligne)
  • [C.L. 1843] C.L., « Chronique théâtrale », Journal des artistes, vol. 1, no 14,‎ , p. 218-220 (lire en ligne)
  • [Lajarte 1878] ThĂ©odore Lajarte, Bibliothèque musicale du Théâtre de l'OpĂ©ra : Catalogue historique, chronologique, anecdotique, t. 2, Paris, Librairie des bibliophiles, , 350 p. (lire en ligne)
  • [Leich-Galland 2003] Karl Leich-Galland, « Charles VI », dans JoĂ«l-Marie Fauquet (dir.), Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, (ISBN 2-213-59316-7), p. 254-255
  • [Loewenberg 1978] (en) Alfred Loewenberg, Annales of Opera 1597-1940, Londres, John Calder, (lire en ligne)
  • [Lovy 1843] Jules Lovy, « Charles VI (deuxième article) », Le MĂ©nestrel, no 481,‎ (lire en ligne)
  • [J.M. 1843] J.M., « Première reprĂ©sentation de Charles VI », Journal des dĂ©bats politiques et littĂ©raires,‎ (lire en ligne)
  • [MĂ©nĂ©trier 1987] Jean-Alexandre MĂ©nĂ©trier, « L'Amour triste : Fromental HalĂ©vy et son temps », L'Avant-scène OpĂ©ra, no 100 « La Juive »,‎ , p. 4-12 (ISSN 0764-2873)
  • [Walsh 1981] (en) T.J. Walsh, Second Empire Opera: The Théâtre Lyrique Paris 1851–1870, New York, Calder Publications Ltd, , 384 p.

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.