Ce qu'il advint du sauvage blanc
Ce qu'il advint du sauvage blanc est un roman de François Garde publié le aux éditions Gallimard. Il obtient la même année le prix Goncourt du premier roman, le grand prix Jean-Giono[1] et le prix Amerigo-Vespucci[2].
Historique
Ce livre est inspiré d'une histoire vraie, celle de Narcisse Pelletier, un marin vendéen abandonné sur une île pendant dix-sept ans, et revenu en France en 1861.
Résumé
Au milieu du XIXe siècle, un jeune matelot français, Narcisse Pelletier, âgé de dix-huit ans, se retrouve abandonné sur une côte sèche et inhabitée du nord de l'Australie. Après quelques jours, alors qu'il est sur le point de mourir de soif et de faim, il rencontre une vieille femme aborigène qui le nourrit. Petit à petit, il est intégré à sa tribu et restera dix-sept années avec eux, jusqu'à ce qu'un navire anglais le retrouve. Les marins le ramènent au gouvernement d'Australie, où il rencontre Octave de Vallombrun, membre de la société française de géographie, qui est fasciné par cet homme revenu à l'état sauvage et ayant oublié sa langue. Octave prend sous son aile le « sauvage blanc », il lui réapprend la langue française et les mœurs civilisées. Leur relation amicale évolue au fil du temps.
Personnages
- Narcisse Pelletier : c'est un jeune matelot français, venant d'une famille pauvre de cordonniers vendéens. Il a dix-huit ans quand la goélette Saint-Paul l'abandonne sur les côtes désertes du nord de l'Australie. Il va vivre pendant dix-sept ans avec les aborigènes qui le recueillent, jusqu'à son retour à la civilisation.
- Octave de Vallombrun : membre de la société française de géographie, n'ayant jamais pu être explorateur, il est issu d'une famille noble et riche. Octave est fasciné par Narcisse, il s'en occupe et veut l'étudier.
La relation entre les deux personnages évolue : elle est un peu froide au début car Narcisse ne parle pas (plus) la même langue qu'Octave qui a des difficultés à obtenir des informations sur ce qu'il a vécu. Avec le temps, ils deviennent plus proches car Narcisse parle à nouveau un peu français ; Vallombrun est même prêt à financer des expéditions en Australie pour retrouver la descendance de Narcisse. Cependant, celui-ci supporte mal les questions incessantes qu'on lui pose. On assiste finalement à une dispute qui les séparera définitivement.
Prix et distinctions
Analyse
Ce roman est écrit sous une forme spécifique : les chapitres alternent entre le récit de l'aventure de Narcisse en Australie chez les aborigènes et les lettres écrites par Octave, adressées au président de la société de géographie, expliquant ses expériences avec Narcisse. C'est un roman qui mêle donc le genre épistolaire et le roman d'aventure.
Narcisse refuse de répondre aux questions d'Octave et finit par lui expliquer que « parler, c'est mourir ». On peut l'expliquer par le fait que, pour lui, remettre des mots sur ce qu'il a enduré est insoutenable, et il ne veut pas revivre toutes ces aventures pour pouvoir évoluer à nouveau dans le monde civilisé. Parler, c'est aussi trahir celui qu'il était avec la tribu, ne plus être le sauvage blanc qu'il est devenu, comme il a cessé d'être français quand il s'est mis à parler avec les sauvages ; or, Narcisse ne veut pas « mourir » une nouvelle fois.
Ce roman soulève certaines questions d'ordre psychologique sur la manière dont on peut oublier sa vie passée. En vivant dans une tribu, Narcisse oublie la langue et la manière de vivre qu'il avait avant, ce qui fait naître une réflexion sur les fondements de l'identité.
Le roman permet également de réfléchir sur la différence entre les civilisations. Narcisse et Octave sont des hommes du XIXe siècle et leur vision des sauvages est pleine de préjugés. Pour eux l'homme blanc est supérieur et les autres civilisations doivent l'imiter. On peut se demander si ces préjugés ont vraiment disparu aujourd'hui. L'auteur dénonce ainsi le regard scientifique sur les humains, l'observation d'Octave qui déshumanise Narcisse. Celui-ci n'est libre que lorsqu'il s'enfuit loin de ce regard inquisiteur car ayant enfin compris et réfléchi sur ce qu'est l'identité d'un individu peu importe sa couleur, Narcisse n'accepte plus d'entendre ces préjugés qu'ont les gens de « la race supérieure » envers les populations de couleur et plus particulièrement envers son nouveau peuple, sa nouvelle mère.
Ce roman porte également sur l'évolution d'un être humain, qui dépend ici des différentes influences que le mode de vie et la société peuvent apporter. Le jeune héros du roman est transformé vers une autre identité, avant de subir un retour presque forcé à l'identité européenne. Ce retour apparaît au lecteur comme impossible.
Critiques de la description des aborigènes
Bien que son roman décrive l'accueil de Narcisse Pelletier par une tribu aborigène, François Garde a déclaré n'avoir pas fait de recherches sur la tribu en question et laissé parler son imagination sur le sujet : « Pour le roman, je n’ai pas voulu me documenter. Mes sauvages ne sont pas vrais[3] » ; « J’aurais pu faire des recherches dans les archives, l’histoire orale, étudier l’ethnologie des aborigènes du nord-ouest de l’Australie. Mais cette méthode eut certainement étouffé mon imaginaire[4]. » Il précise aussi qu'il ne considère pas que le sujet de son roman soit les aborigènes mais plutôt la vision anthropologique du XIXe siècle : « Le roman ne traite pas des Aborigènes, il évoque le regard occidental sur les cultures lointaines. Les caractéristiques de la tribu évoquée dans le roman empruntent à divers peuples du Pacifique, ou plutôt aux grands noms de l’ethnologie du Pacifique. […] La vérité de cette histoire n’est pas celle d’une enquête anthropologique, elle est dans l’incapacité du XIXe siècle – voire au-delà – de penser la différence des cultures[4]. »
Son approche a cependant été critiquée par l'Australienne Stephanie Anderson, traductrice et éditrice du récit Chez les Sauvages : dix-sept ans de la vie d'un mousse vendéen dans une tribu cannibale (1858-1875) publié par Constant Merland au XIXe siècle et racontant le passé de Narcisse Pelletier[5]. Dans deux lettres ouvertes, elle s'indigne de la description anthropologique proposée par Garde. Pour elle, le succès du roman révèle que « les vieux stéréotypes sur les Aborigènes d’Australie sont encore bien vivant dans le monde littéraire français[6] » et elle évoque « une fantaisie qui se révèle cumuler les pires des clichés possibles sur les Aborigènes tels qu’on pouvait les lire en Europe au XIXe siècle[7]. » Elle a connaissance des arguments de l'auteur sur sa non-documentation mais perçoit tout de même son travail comme problématique : « Bien que Garde prenne soin dans ses entretiens d’insister sur le fait que sa « tribu » est fictionnelle, il la situe bien entendu là où des communautés aborigènes vivent aujourd’hui[6]. » Pour elle, sa description renforce des stéréotypes sur les Aborigènes, contient des scènes « offensantes », notamment la scène de viol, et fait écho au mythe du bon sauvage[7].
Éditions
- Éditions Gallimard, 2012 (ISBN 978-2070136629).
Notes et références
- « Le prix Giono récompense François Garde », Le Nouvel Obs, 16 octobre 2012.
- Lauréats du Prix Amerigo-Vespucci, site officiel.
- « Entretien exclusif avec François Garde ! », sur Chronobook, (consulté le )
- « Entretien avec François Garde », la Cause Littéraire, (consulté le )
- (en) Shino Konishi et Maria Nugent, « Pelletier: the Forgotten Castaway of Cape York by Stephanie Anderson, 370 pp, Melbourne Books, Melbourne, 2009, (ISBN 9781877096679) (pbk), $39.95 », Aboriginal History, no 34,‎ (lire en ligne)
- « Littérature en colonialisme : sauvages ou Aborigènes ? », SOGIP - EHESS, France, (consulté le )
- « Questions concernant « Ce qu’il advint du sauvage blanc » (Gallimard, 2012), de François Garde, lauréat du Prix Goncourt du Premier Roman », Association Française d'Ethnologie et d'Anthropologie, (consulté le )