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Brown & Sharpe

Brown & Sharpe, qui fut du XIXe siècle à 1945 l'un des leaders mondiaux de l'industrie des machines-outils, n'est plus aujourd'hui qu'une filiale de Hexagon Metrology Inc., une multinationale spécialisée dans les instruments de mesure et la métrologie. Dans le domaine de la mécanique de précision, le renom de cette société est tel qu'il reste attaché, dans le monde anglo-saxon, à de nombreux étalons et standards industriels, parmi lesquels :

Le site historique de la compagnie Brown & Sharpe Co. Ă  Providence, dans l'Ă©tat de Rhode Island.

Depuis son rachat par Hexagon Metrology en 2001, Brown and Sharpe s'est recentrée exclusivement sur la métrologie [1].

Histoire

De la fondation (1833) Ă  la Grande Guerre

Joseph Brown, fils du fondateur de la société.

Les ateliers de mécanique Brown & Sharpe, créés à Providence (Rhode Island) en 1833, équipèrent la Nouvelle-Angleterre des premiers tours à usiner non-importés du Royaume-Uni. David Brown et Lucian Sharpe, avec leur brevet de fraiseuse universelle (1862), révolutionnèrent le marché de la machine-outil. Peu à peu, ils diversifièrent leur production, depuis la fabrication de gabarits et de moules jusqu'aux instruments de mesure à usage industriel (pieds à coulisse, micromètres, etc.).

Années de croissance

Affiche promotionnelle pour la fraiseuse universelle Brown & Sharpe (1862).

En 1872, la sociĂ©tĂ© s'Ă©tablit sur une parcelle de 13 ha du faubourg de Smith Hill, entre Main Street et les quais de Woonasquatucket. Le premier bâtiment Ă©tait un immeuble de bureaux d'une superficie de 6 100 m2 : cet Ă©difice, aux dimensions Ă©normes pour l'Ă©poque[2], une ossature en charpente mĂ©tallique et bĂ©ton non armĂ©, fut dessinĂ© par un ingĂ©nieur de la sociĂ©tĂ©, Thomas McFarlane[2], en 1872. Au fil des annĂ©es, le site se couvrit de magasins et de services : hangars, dĂ©chetterie, commerces de machines, de bois de charpente, quincailleries et mĂŞme un barbier[2]. Jusqu'en 1914, Brown & Sharpe Ă©tait le premier fabricant mondial de machines-outils[2] : cette entreprise familiale nĂ©e dans un pays en pleine croissance Ă©conomique joua un rĂ´le dĂ©cisif dans la banalisation de machines comme les fraiseuses, les micromètres, les tours Ă  usiner et Ă  fileter, dans toutes les branches de l’industrie[3], etc.

L'Entre-deux-guerres

Comme Ingersoll Rand, Looghead et d'autres constructeurs américains, Brown & Sharpe subit les bouleversements du cycle économique au cours de ces deux décennies : après l'apogée lié aux commandes de la Grande Guerre, ils durent faire face à la récession post-Première Guerre mondiale qui déboucha sur la Dépression de 1920-1921. L'euphorie des Années folles fut de courte durée, et la Grande Dépression menaçait de sonner le glas de la société.

Mais avec le boom de l'activitĂ© industrielle nĂ© de la politique de relance de Roosevelt puis de la demande des industries de guerre, la compagnie finit par employer jusqu'Ă  11 000 ouvriers en 1945.

Modernisation et compromis (1945-1980)

L'heure de fermeture ; les ouvriers quittent l'usine en fin de journée (1940).

Au sortir de la Deuxième guerre mondiale, Henry D. Sharpe Jr. prit la succession de son père à la présidence de Brown & Sharpe Manufacturing Co., et chercha à en faire une entreprise résolument moderne. Par un programme d'investissement de 4 millions de dollars étalé sur trois ans, de 1954 à 1957, il rénova l’usine-mère de Providence (Rhode Island) et par la même occasion mit un terme à la fabrication de modèles désuets ou peu compétitifs : machines à coudre, tondeuses de finition, et tours à usiner manuels, pour se consacrer à la production en série de tours à commande numérique. En phase avec les théories de management de l'époque, Sharpe réorganisa la compagnies en départements ayant chacun une autonomie d'investissement et des objectifs de rentabilité propres. Brown & Sharpe connut alors une expansion internationale, et ouvrit ses premières succursales outre-Atlantique, notamment celle de Plymouth (Angleterre) en 1955. De 1957 à 1961, elle prit le contrôle de plusieurs concurrents du secteur de la mécanique industrielle, dont le plus important était Double A Products Co.

ConsĂ©quence de ce changement de stratĂ©gie, l'usine, devenue trop petite, dut s'Ă©tendre au sud du centre historique de Providence. Dès 1964, Brown & Sharpe, comme d'autres industries anciennes de Providence, dut s'expatrier de la ville et transporter ses ateliers dans la banlieue de North Kingstown (Rhode Island). Ces relocalisations ne furent possibles que grâce Ă  la dĂ©mocratisation de l'automobile familiale, qui suivit la guerre, et devait alimenter la croissance des faubourgs de Providence tout au long des annĂ©es 1950. La nouvelle usine, baptisĂ©e Precision Park en rĂ©fĂ©rence Ă  la tradition d'excellence de Brown & Sharpe dans la mĂ©canique de prĂ©cision, comportait 65 000 m2 de surface amĂ©nageable. Contrairement Ă  la vieille usine de Providence, Precision Park n'avait qu'un seul Ă©tage, ce qui facilitait le rĂ©amĂ©nagement de l'espace intĂ©rieur et la rĂ©organisation des ateliers au grĂ© des commandes.

MalgrĂ© les compressions d'effectifs rendues nĂ©cessaires par la baisse d'activitĂ© du secteur de l'armement, la sociĂ©tĂ© employait encore quelque 3 394 ouvriers en 1976 : ce taux d'emploi rĂ©sultait d'une politique de compromis entre les syndicats et le patronat permettant de faire face aux alĂ©as de la demande au cours des rĂ©cessions des annĂ©es 1970. Pour le PrĂ©sident Sharpe, comme pour son successeur Don Roach, la nĂ©gociation avec les syndicats Ă©tait dictĂ©e par la nature cyclique de la demande en machines-outil et la baisse continue de l'activitĂ© industrielle en Nouvelle-Angleterre.

La grande grève (1981-1982)

Mais malgrĂ© une stratĂ©gie visant Ă  fidĂ©liser les compĂ©tences et Ă  maintenir le niveau des effectifs, Brown & Sharpe dut envisager des adaptations impopulaires auprès du personnel : en 1981, Don Roach voulut imposer aux machinistes de tourner sur diffĂ©rents postes de travail ; il se heurta Ă  certains employĂ©s qui voyaient lĂ  un risque de rogner sur certains privilèges liĂ©s Ă  l’anciennetĂ© : 1 600 ouvriers syndiquĂ©s Ă  l’International Association of Machinists District Lodge 64 dĂ©sertèrent leur poste de travail, initiant ce qui allait s'avĂ©rer comme la plus grande grève de l’histoire du pays, et l'une des plus dramatiques pour les salariĂ©s. L’hostilitĂ© envers les grĂ©vistes dĂ©passa le problème de la stratĂ©gie industrielle de l'entreprise, pour remettre en cause la spĂ©cificitĂ© du personnel du site historique de Rhode Island. L'altercation entre les ouvriers et le patronat parut au grand jour non seulement dans la remise en cause de l'organisation des conditions de travail au niveau national, mais aussi lors des Ă©vĂ©nements du 22 mars 1982, oĂą un piquet de 800 grĂ©vistes fut pris Ă  partie par la police de l'État et de la ville, qui fit mĂŞme usage de gaz lacrymogène. Devant l'indignation publique, le gouverneur J. Joseph Garrahy dut prĂ©senter des excuses publiques pour avoir laissĂ© la police agir aussi brutalement. MalgrĂ© la poursuite de la grève, le mouvement de revendication s'Ă©tiola bientĂ´t. Il faudra attendre encore 1998, soit près de dix-sept ans après l'altercation du 22 mars, pour que la Cour suprĂŞme (en) de Rhode Island relaxe la compagnie Brown & Sharpe de l'accusation d'atteinte au droit de grève. Mais Ă  ce moment, Brown & Sharpe et ses employĂ©s les plus âgĂ©s s'Ă©taient depuis longtemps retirĂ©s des usines de Rhode Island.

Tout au long de ce procès interminable, Brown & Sharpe poursuivit sa mutation : au cours des annĂ©es 1980 et 1990, elle se spĂ©cialisa dans les machines Ă  mesurer tridimensionnelles, version moderne des micromètres qui avaient fait la fiertĂ© de la sociĂ©tĂ© pendant plus d'un siècle. Mais l'abandon du marchĂ© des machines-outils et la spĂ©cialisation s'avĂ©ra une erreur, qui se traduisit par des pertes croissantes culminant avec un dĂ©ficit de 14,6 millions de dollars en 1990. Dès 1993, l'usine de North Kingstown voyait ses effectifs fondre Ă  700 employĂ©s, contre 2 000 en 1982 et mĂŞme plus de 3 500 en 1976. En 1994 Brown & Sharpe racheta l'entreprise italienne DEA spĂ©cialisĂ©e dans les machines Ă  mesurer tridimensionnelles, mais elle-mĂŞme vit Ă  son tour la quasi-totalitĂ© de ses actifs (locaux, brevets, machines) rachetĂ©s en 2001 par Hexagon AB. Aujourd'hui Brown & Sharpe Manufacturing Co. est gĂ©rĂ©e par le dĂ©partement MĂ©trologie d’Hexagon AB, qui a d'ailleurs recrutĂ© pour elle-mĂŞme les principaux experts de la vieille sociĂ©tĂ© de Providence. Les instruments de mesure Brown & Sharpe sont dĂ©sormais assemblĂ©s par TESA-Suisse, autre filiale de Hexagon AB[1].

Notes et références

  1. « Hexagon Metrology History », HexagonMetrology.com, (consulté le )
  2. « The Foundry Brown & Sharpe Manufacturing », sur Art in Ruins (consulté le ).
  3. Le récit détaillé de l'expansion des produits Brown & Sharpe est donné dans le livre de Joseph W. Roe, English and American Tool Builders, McGraw-Hill, (réimpr. 1926) (lire en ligne), p. 202–215.

Bibliographie

  • (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de l’article de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Brown & Sharpe » (voir la liste des auteurs).
  • Joseph Wickham Roe, English and American Tool Builders, New Haven (Connecticut), Yale University Press, (rĂ©impr. 1926 par McGraw-Hill, New York et Londres; et par Lindsay Publications Inc.) (ISBN 978-0-917914-73-7, lire en ligne).
  • L.T.C. Rolt, Tools for the Job : a Short History of Machine Tools, Londres Cambridge (Massachusetts), B. T. Batsford, LCCN 6512439, (rĂ©impr. MIT Press sous le titre « A Short History of Machine Tools ») .

Liens externes

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