Aspectivité
L'aspectivité est un concept, d'abord appliqué à l'art de l'Égypte antique, selon lequel l'artiste représente la définition de l'objet représenté et non son aspect visible.[2]
En découle la représentation de certaines parties du sujet en vue frontale et d'autres de profil. Cela était particulièrement utilisé, dans l'art égyptien, sur les représentations des corps humains où les jambes/pieds et la tête étaient dessinés de profil tandis que les yeux et les épaules restaient dessinés de face.
Une représentation aspective s'oppose à une représentation perspective, c'est-à -dire conforme à ce qu'on voit depuis un seul point de vue[3].
Histoire du concept
L'étymologie d'aspect, signifiant à l'origine « regard, vue », a fourni, avec d'autres préfixes et suffixes, une quantité de néologismes dont l'usage oriente en retour l'idée d'« aspect » : prospective, rétrospective, introspection, etc.
Au XVIIe siècle, la théorie de la représentation en peinture oppose aspect et prospect. Le peintre Nicolas Poussin avance que la peinture est un moyen de communiquer des idées : il ne faut pas se contenter de montrer l'aspect du sujet concret mais organiser le tableau en vue du prospect, c'est-à -dire de la réflexion sur son sujet abstrait. Cette conception l'oppose au Caravage, qui se donne pour objectif de représenter au plus près de la perception visuelle — dédaignant de guider le spectateur vers une idée abstraite[4], mais ce n'est sans doute pas le fond de l'histoire[5]. Le Poussin, en écrivant « le simple aspect est une opération naturelle, et que ce que je nomme le Prospect est un office de raison qui dépend […] de l'œil, du rayon visuel, et de la distance de l'œil à l'objet[6] », lie le prospect à la vision du dessinateur en perspective, tandis que l'aspect relève de la vision naïve.
L'égyptologue Emma Brunner-Traut a défini au XXe siècle l'« aspectivité », l'adhésion de la représentation au concept de l'objet, s'opposant à la représentation perspective, fondée sur le point de vue qui met en relation l'espace et la surface de la représentation. H. G. Fischer, R. Tefnin, J. Winand, D. Laboury et D. Farout ont ensuite poussé la réflexion sur ces bases[7].
Principes de l'aspectivité
Selon le dossier-pédagogique de l'exposition Des animaux et des pharaons du Louvre-Lens, « L’aspectivité désigne l’effet de « non perspective » si caractéristique de l’art égyptien. Les représentations valant pour la réalité, rien de ce qui existe ne doit être absent du dessin, tout ce qui «est» doit être figuré »[8]
Les règles sont issues de la relation qui unit l’art et l’écriture dans la pensée égyptienne : elles forment, selon l’égyptologue Henry George Fischer, « une unité qui est sans pareille dans toute l’histoire mondiale" Ainsi, les règles, comme la primauté de l'organisation hiérarchique sur l'organisation harmonique ou chronologique, de l'écriture hiéroglyphique s'appliquent à la représentation picturale[9].
Bibliographie
- (de) Emma Brunner-Traut, « Die Aspektive », dans Von ägyptischer Kunst, Wiesbaden, , 4e éd..
- (de) Emma Brunner-Traut, « Aspektive », dans Lexikon der Ägyptologie, vol. I, , p. 474-488.
- Dominique Farout, « Image, temps et espace dans l’Ancienne Égypte », Égypte Afrique & Orient, no 55,‎ , p. 3-22.
- Fischer, H. G., L’écriture et l’art de l’Égypte ancienne, Collège de France, Essais et conférences, Paris, 1986.
- Shäfer H. , Principles of Egyptian Art, Oxford, 1974.
- Through Ancient Eyes: Egyptian Portraiture, Catalogue d'exposition, Birmingham Museum of Art Birmingham, Alabama
- Winand, J., L’image dans le texte ou le texte dans l’image ? : Le cas de l’Égypte ancienne, dans Visible, 2 (2), 2006, p. 143-161.
Notes et références
- « Notice ».
- « L'aspectivité consiste à représenter simultanément tous les aspects et attributs du sujet afin d'en établir une définition », D. Farout, "Image, temps et espace dans l'ancienne Egypte", EAO 55, p. 17.
- Elena Oulie, L'aspective sur la céramique attique du VIIIe siècle av. J.-C. au premier quart du VIe siècle av. J.-C., (lire en ligne).
- Louis Marin, « La lecture du tableau d'après Poussin », Cahiers de l'AIEF, no 24,‎ , p. 251-266 (lire en ligne), p. 254.
- (en) Jonathan Unglaub, « Poussin's Reflection », The Art Bulletin, College Art Association, no 3,‎ 2004 volume=86, p. 505-528 (lire en ligne)
- Lettre à François Sublet de Noyers, 1642, dans Nicolas Poussin lien auteur1=Nicolas Poussin, André Félibien (éditeur, 1685) et Charles Jouanny (éditeur), Correspondance de Poussin, t. 5, Paris, coll. « Archives de l'art français » (lire en ligne), p. 143.
- Dominique Farout, « Sens dessus dessous ou comment montrer ce qui est caché », Pallas [En ligne], 92 | 2013, mis en ligne le 29 novembre 2013, consulté le 03 janvier 2017. URL : http://pallas.revues.org/111 ; DOI : 10.4000/pallas.111
- DES ANIMAUX ET DES PHARAONS, Louvre-Lens, 5/12/2014 - 9/03/2015 (lire en ligne)
- Farout 2013, p. 7.