Approche lacanienne de la psychose
L' approche lacanienne de la psychose est reliée chez le psychanalyste français Jacques Lacan à la notion qu'il introduit de la forclusion du Nom-du-pÚre, traduction d'un des emplois par Sigmund Freud, notamment dans le cas de L'homme aux loups, du terme de Verwerfung au sens de « rejet ». Dans la terminologie lacanienne, la forclusion désigne une carence radicale de la fonction paternelle (pÚre symbolique), dont la conséquence majeure est un retour dans le réel de ce qui est forclos du symbolique.
Dans l'approche lacanienne clinique des psychoses, la dynamique du transfert joue un rĂŽle essentiel et permet au thĂ©rapeute, par la parole, d'inscrire dans le champ du symbolique du langage le signifiant que le psychotique ne peut pas y inscrire lui-mĂȘme en tant que sujet.
La forclusion du Nom-du-pĂšre
La forclusion, dont Jacques Lacan introduit le terme en traduisant ainsi le mot Verwerfung (rejet) qu'emploie Sigmund Freud, est pour le psychanalyste français un mode de dĂ©fense « Ă l'origine du fait psychotique »[1]: il diffĂ©rerait du mĂ©canisme de dĂ©fense propre Ă la nĂ©vrose qui suppose le refoulement. Selon Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, la notion lacanienne de forclusion dĂ©signerait le « rejet primordial d'un âsignifiantâ fondamental (par exemple: le phallus en tant que signifiant du complexe de castration) hors de l'univers symbolique du sujet »[1].
Référence à Freud : L'homme aux loups
Du point de vue d'une « filiation freudienne », telle que Lacan l'invoque pour promouvoir cette notion, le psychanalyste français s'appuie surtout sur le cas de L'homme aux loups oĂč reviennent le verbe verwerfen et le substantif Verwerfung dans le texte de Freud[1].
D'aprĂšs ValĂ©rie Pera Guillot, Lacan sâarrĂȘte dans sa lecture du cas de L'homme aux loups de Sigmund Freud, sur « lâhallucination du doigt coupĂ© », qui reprĂ©sente Ă ses yeux « une coupure dâexpĂ©rience », formule qu'il emploie pour dĂ©crire lâĂ©preuve traversĂ©e par le patient de Freud. Celui-ci se remĂ©more une scĂšne vĂ©cue Ă lâĂąge de cinq ans : il joue avec son couteau et soudain il remarque quâil sâest coupĂ© profondĂ©ment le petit doigt. Saisi d'effroi, il nâose rien dire. AprĂšs un certain temps, il constate toutefois, en regardant son doigt, quâil nâa rien[2]. Pour rendre compte de cette « coupure d'expĂ©rience », comme il la nomme, Lacan retient que « quelque chose de primordial quant Ă lâĂȘtre du sujet [...] a Ă©tĂ© rejetĂ© », c'est-Ă -dire nâa pas Ă©tĂ© symbolisĂ© et nâa pas Ă©tĂ© refoulĂ©, contrairement Ă ce qui se passe dans la nĂ©vrose[2].
Application dans le champ des psychoses
Selon Jean-Claude Maleval, lâinvestigation lacanienne de la psychose part de lâhypothĂšse dâune lĂ©sion dans le champ du symbolique (le langage propre au sujet) : « un signifiant y fait dĂ©faut ». Il nâest pas refoulĂ©, mais forclos. NâĂ©tant pas articulĂ© dans le symbolique, il fait retour en surgissant dans le rĂ©el. De plus, ce signifiant nâest pas quelconque : il porte la fonction paternelle[3]. Maleval considĂšre en effet que cette « fonction paternelle », a dĂ©jĂ Ă©tĂ© dĂ©gagĂ©e par Freud « comme essentielle pour assurer la structure du sujet »[3]. Et pour cet auteur, le prĂ©cepte lacanien dâaprĂšs lequel « lâanalyste ne doit pas reculer devant la psychose » » (Lacan, Ornicar ?, avril 1977) n'est pas Ă interprĂ©ter en termes dâhĂ©roĂŻsme thĂ©rapeutique, mais plutĂŽt Ă entendre comme une incitation à « se confronter aux difficultĂ©s posĂ©es par la conduite de la cure des psychotiques », en cherchant Ă Ă©laborer un maniement spĂ©cifique du transfert[3].
Approche clinique
En suivant Lacan, Ginette Michaud observe que dans la psychose, l'acte psychanalytique se situe du cĂŽtĂ© du thĂ©rapeute : « Câest le thĂ©rapeute qui va inscrire, par sa parole, le signifiant que le psychotique ne peut pas inscrire »[4]. Cela se produit « par le biais du transfert »[4]. Dans le genre de cure qu'est la cure d'un patient psychotique, il s'agit d'abord de construire « l'espace d'un transfert », ce qui demande « patience, disponibilitĂ© et engagement durable »[4].
Références
- Laplanche et Pontalis, 2007, p. 163-164.
- Valérie Pera-Guillot, « Les psychoses. Introduction à la lecture du Séminaire III », sur le site de l'E.C.F., consulté le 9 septembre 2020, [lire en ligne]
- Jean-Claude Maleval, La forclusion du Nom-du-PĂšre, Seuil, Paris, 2000, p. 80, 22.
- Ginette Michaud, « Transfert dissocié et objets dans la cure », La clinique lacanienne, 2009/1 (n° 15), p. 23-41, DOI : 10.3917/cla.015.0023. [lire en ligne]
Voir aussi
Textes de référence
- Jacques Lacan,
- De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Seuil, coll. « Points essais »,
- Dâune question prĂ©liminaire Ă tout traitement possible de la psychose ; Ăcrits, Seuil,
- Séminaire sur les psychoses, Paris, Seuil, coll. « Séminaires de Jacques Lacan »
- « Ouverture de la section clinique : questions et réponses », Ornicar, n° 9, 1977, p. 12.
Ătudes
(Dans l'ordre alphabétique des noms d'auteurs)
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- Frédérique Berger, « Naissance du sujet et structure de la psychose », Cahiers de psychologie clinique, 2007/2 (n° 29), p. 51-70, DOI : 10.3917/cpc.029.0051. [lire en ligne]
- J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse (1967), entrée: « Forclusion », Paris, P.U.F., 8e édition, 1984, (ISBN 2 13 038621 0); PUF-Quadrige, 1re édition, 1997, (ISBN 2 13 048789 0), 5e édition, 2007 : p. 163-167 (ISBN 2-13054-694-3)
- Rosine Lefort, Robert Lefort, Les structures de la psychose : L'enfant au loup et le Président, Paris, Seuil, 1998.
- Jean-Claude Maleval, La forclusion du Nom-du-PĂšre, Seuil, Paris, 2000, (ISBN 2020373777)
- Ginette Michaud,
- Figures du Réel. Clinique psychanalytique des psychoses, Préface de Jean Oury, Collection L'Espace analytique, Denoël, 1999, recension de Françoise Savelli, Le Carnet Psy, N° 50, p. 23-24, [lire en ligne]
- Essai sur la schizophrĂ©nie et le traitement des psychoses, t. 1 L'impossible rĂ©alitĂ©, Paris, Ăres, coll. « La clinique du transfert », , 286 p. (ISBN 9782749203638), DOI : 10.3917/eres.micha.2005.01. [lire en ligne]
- « Transfert dissocié et objets dans la cure », La clinique lacanienne, 2009/1 (n° 15), p. 23-41, DOI : 10.3917/cla.015.0023. [lire en ligne]
- Jean-Claude Polack, « Ăpreuves de la psychose », In: ChimĂšres. Revue des schizoanalyses, N°40, automne 2000, Le bruit du temps, p. 1-8, DOI : https://doi.org/10.3406/chime.2000.1202, sur le site de PersĂ©e, consultĂ© le 15 septembre 2020, [lire en ligne]
- Elisabeth Roudinesco et Michel Plon, Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Fayard, coll. « La PochothÚque », (1re éd. 1997) (ISBN 978-2-253-08854-7), p. 477-480 (forclusion)
Articles connexes
Lien externe
- ValĂ©rie Pera Guillot, « Les psychoses. Introduction Ă la lecture du SĂ©minaire III », Ăcole de la cause freudienne, site de l'ECF consultĂ© le 15 septembre 2020,