Affaire du Poussin
L'affaire du Poussin (ou affaire Poussin) est une affaire ayant opposé, pendant prÚs de quinze ans, à l'occasion d'une vente aux enchÚres, la direction des Musées de France et les propriétaires d'un tableau ancien aujourd'hui identifié comme étant Olympos et Marsyas de Nicolas Poussin. Préempté et acquis pour un faible montant lors d'une vente aux enchÚres par le Musée du Louvre, il y est exposé de 1968 à 1987. AprÚs une longue bataille judiciaire, il est finalement restitué aux propriétaires. Il a, par la suite, longtemps été exposé chez Krugier à GenÚve et se trouverait aujourd'hui à la Galerie Coatelem de Paris[1].
Affaire du Poussin | |
Titre | Ăpoux Saint-Arroman c. RĂ©union des MusĂ©es nationaux et autres |
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Pays | France |
Tribunal | (fr) Cour de cassation PremiĂšre chambre civile |
Date | et |
DĂ©tails juridiques | |
Branche | Droit des contrats |
ProblĂšme de droit | Erreur sur les qualitĂ©s substantielles, conviction erronĂ©e des vendeurs quant Ă la paternitĂ© d'un tableau se rĂ©vĂ©lant a posteriori ĂȘtre de Nicolas Poussin. |
Solution | 1er arrĂȘt : Ayant Ă statuer sur la nullitĂ© de la vente d'un tableau pour erreur sur la substance, allĂ©guĂ©e par le vendeur, la Cour d'appel doit rechercher si au moment de la vente, le consentement du vendeur n'a pas Ă©tĂ© viciĂ© par sa conviction erronĂ©e, que le tableau ne pouvait pas ĂȘtre lâĆuvre du maĂźtre auquel l'acquĂ©reur, la RĂ©union des musĂ©es nationaux qui avait exercĂ© son droit de prĂ©emption, l'a par la suite attribuĂ©. Manque de base lĂ©gale la dĂ©cision qui, pour rejeter l'action en nullitĂ©, estime que l'erreur n'est pas Ă©tablie en raison du doute subsistant, quant Ă l'authenticitĂ© du tableau. 2nd arrĂȘt : Encourt la cassation la dĂ©cision qui, pour rejeter l'action en nullitĂ© de la vente d'un tableau pour erreur sur la qualitĂ© substantielle, dĂ©nie aux vendeurs le droit de se servir d'Ă©lĂ©ments d'apprĂ©ciation postĂ©rieurs Ă la vente pour prouver l'existence d'une erreur de leur part au moment de la vente. |
Voir aussi | |
Mot clef et texte | Vices du consentement, Erreur, Nullité du contrat Code civil : actuel art. 1132 (voir également ancien art. 1110 du Code civil). |
Lire en ligne | Civ. 1re, 22 février 1978, no 76-11551 et Civ. 1re, 13 décembre 1983, no 82-12237 |
Les débats quant à l'authenticité du tableau ont donné lieu à de nombreuses discussions sur le plan juridique et notamment autour de l'appréciation de la notion d'erreur sur la substance.
Les faits
Les Ă©poux Saint-Arroman sont propriĂ©taires d'un tableau ancien que la tradition familiale attribuait Ă Nicolas Poussin. En vue de vendre aux enchĂšres publiques celui-ci, ils font appel aux commissaires-priseurs de l'Ă©tude Maurice Rheims et RenĂ©-Georges Laurin. AprĂšs expertise du tableau, ce dernier se rĂ©vĂšle ne pas ĂȘtre de Nicolas Poussin mais de l'Ăcole des Carrache. Le 21 fĂ©vrier 1968, le tableau est donc modestement adjugĂ© au prix de 2200 F. Or, le jour mĂȘme, la direction des MusĂ©es de France use de son droit de prĂ©emption comme le lui reconnaĂźt la loi et acquiert le tableau. AprĂšs cette acquisition, le MusĂ©e du Louvre expose, Ă partir de 1969, la toile comme une Ćuvre de Nicolas Poussin.
Surpris par cette révélation, les époux Saint-Arroman assignent alors la direction des Musées de France en nullité de la vente pour erreur sur la substance.
La procédure
Cette affaire a donnĂ© lieu Ă une procĂ©dure particuliĂšrement tumultueuse. Elle a en effet fait l'objet de quinze ans de procĂ©dure de 1972 Ă 1987 : du Tribunal de grande instance de Paris en premiĂšre instance en passant par la Cour d'appel de Paris, la Cour d'appel d'Amiens, la Cour de cassation Ă deux reprises et mĂȘme le Tribunal des conflits.
Le Tribunal de grande instance de Paris
Saisi en premiĂšre instance, le Tribunal de grande instance de Paris donne raison aux Ă©poux Saint-Arroman.
Les juges font en effet valoir qu'au moment de la vente :
« il n'y a pas eu accord des contractants sur la chose vendue, les vendeurs croyant cĂ©der un tableau de l'Ă©cole des Carrache, tandis que la RĂ©union des musĂ©es nationaux estimait acquĂ©rir une Ćuvre de Poussin ; que la dĂ©fenderesse a bĂ©nĂ©ficiĂ© ainsi, grĂące Ă la grande supĂ©rioritĂ© de sa compĂ©tence artistique, de l'erreur sur la substance commise par ses cocontractants, telle qu'elle rĂ©sultait des mentions portĂ©es par eux sur le catalogue de l'HĂŽtel des ventes ; que cette erreur, parfaitement connue de la dĂ©fenderesse, a viciĂ© le consentement des vendeurs et que, par application de l'article 1110 du Code civil, la vente doit ĂȘtre dĂ©clarĂ©e nulle »[2]
Le Tribunal des conflits
Le Tribunal des conflits est saisi Ă la suite d'un conflit entre le prĂ©fet de Paris qui, par arrĂȘtĂ©[3], avait dĂ©clinĂ© la compĂ©tence de la Cour d'appel en invoquant le caractĂšre administratif du contrat et la Cour d'appel de Paris qui s'Ă©tait, quant Ă elle, reconnue compĂ©tente[4].
Le Tribunal des conflits dans une dĂ©cision du 2 juin 1975[5] annula l'arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral, donnant ainsi compĂ©tence Ă la Cour d'appel de Paris.
La Cour d'appel de Paris
La Cour d'appel de Paris infirme la position retenue en premiĂšre instance par le TGI de Paris. Les discussions portent principalement sur la question de l'authenticitĂ© du tableau. La RĂ©union des MusĂ©es nationaux argue ainsi de l'incertitude de l'attribution du tableau Ă Poussin alors mĂȘme que le conservateur du Louvre publiait dans la Revue du Louvre au moment de l'acquisition du tableau litigieux un article intitulĂ© « Un nouveau Poussin au Louvre ».
La Cour d'appel fait ainsi valoir que l'attribution du tableau à Poussin est trop hasardeuse en raison des positions non unanimes des spécialistes et de l'état du tableau (seulement 40 % de la peinture primitive ne subsiste).
Dans de telles conditions la Cour estime alors que la preuve n'est pas faite de l'authenticité de celui-ci et que les époux Saint-Arroman n'apportent pas la preuve de l'existence de l'erreur dont ils estiment avoir été victimes[6].
Le premier arrĂȘt de la Cour de cassation
La Cour de cassation casse la décision d'appel au visa de l'article 1110 du Code civil.
Elle estime ainsi que la Cour d'appel de Paris n'a pas donné de base légale à sa décision en ne recherchant pas si,
« au moment de la vente, le consentement des vendeurs n'avait pas Ă©tĂ© viciĂ© par leur conviction erronĂ©e que le tableau ne pouvait pas ĂȘtre une Ćuvre de Nicolas Poussin »[7].
La Cour d'appel d'Amiens
La Cour d'appel d'Amiens reprenant certains arguments de la Cour d'appel de Paris concernant l'incertitude autour de l'authenticitĂ© du tableau litigieux se focalise ensuite sur la question de l'erreur sur la substance. Elle fait valoir que l'erreur doit ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e au jour de la vente. Qu'ainsi il ne peut ĂȘtre constatĂ© de dĂ©sĂ©quilibre entre les vendeurs et la RĂ©union des MusĂ©es nationaux dans la mesure oĂč la prĂ©emption n'est intervenue qu'aprĂšs l'adjudication du tableau au profit d'un tiers (l'acheteur initial auquel s'est substituĂ© la RĂ©union des MusĂ©es nationaux). De sorte que la Cour d'appel d'Amiens infirme, Ă son tour, la position des juges de premiĂšre instance, en rejetant la demande d'annulation pour cause d'erreur[8].
Le second arrĂȘt de la Cour de cassation
La Cour de cassation décide au visa de l'article 1110 du Code civil de casser la décision de la Cour d'appel d'Amiens, elle fait valoir
« qu'en statuant ainsi, et en déniant aux époux Saint-Arroman le droit de se servir d'éléments d'appréciation postérieurs à la vente pour prouver l'existence d'une erreur de leur part au moment de la vente, la cour d'appel a violé le texte susvisé »[9].
La Cour d'appel de Versailles : l'Ă©pilogue
La décision de la Cour d'appel de Versailles marque la fin des interminables débats provoqués par la vente de ce tableau.
Elle conclut en expliquant que
« en croyant qu'ils vendaient une toile de l'Ăcole des Carrache, de mĂ©diocre notoriĂ©tĂ©, soit dans la conviction erronĂ©e qu'il ne pouvait s'agir d'une Ćuvre de Nicolas Poussin, alors qu'il n'est pas exclu qu'elle ait pour auteur ce peintre, [les Ă©poux Saint-Arroman] ont fait une erreur portant sur la qualitĂ© substantielle de la chose aliĂ©nĂ©e et dĂ©terminante de leur consentement qu'ils n'auraient pas donnĂ© s'ils avaient connu la rĂ©alitĂ© ; qu'il y a lieu en consĂ©quence, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcĂ© la nullitĂ© de la vente du 21 fĂ©vrier 1968 sur le fondement de l'article 1110 du Code civil, et, y ajoutant, d'ordonner la restitution du tableau Ă Mme Saint-Arroman et de donner acte Ă celle-ci de son engagement de restituer le prix perçu soit la somme de 2 200 F »[10].
L'apport de l'affaire Poussin
L'affaire Poussin s'est révélée riche en rebondissements autant pour les protagonistes que pour les juristes qui ont grandement débattu de la question. Cette affaire est considérée comme une grande affaire tant en raison de la notoriété des différents acteurs qu'à l'égard de la complexité des questions soulevées[11].
Elle prĂ©sente aussi une originalitĂ© particuliĂšre dans la mesure oĂč la demande d'annulation pour erreur ne porte pas sur la prestation du tiers contractant au demandeur mais Ă l'Ă©gard de sa propre prestation. Il est en effet plus frĂ©quent que le contractant argue de l'erreur de la prestation reçue que de sa propre prestation.
L'erreur sur la substance
L'erreur est généralement définie comme une représentation inexacte de la réalité. Mais, comme nous l'apprend l'affaire Poussin, il n'est pas nécessaire que cette réalité soit un fait certain, il suffit qu'il soit possible[11]. En effet, l'attribution du tableau à Nicolas Poussin n'est pas certaine elle est seulement probable, et pourtant la Cour de cassation admet qu'il s'agit bien là d'une discordance entre la conviction des vendeurs et la réalité.
Le moment de l'appréciation de l'erreur
L'autre apport de l'arrĂȘt Poussin porte sur le moment de l'apprĂ©ciation de l'erreur. Les qualitĂ©s de la chose (ici le tableau) doivent ĂȘtre apprĂ©ciĂ©es par les juges, au jour de la conclusion du contrat mais tout en tenant compte d'Ă©lĂ©ments postĂ©rieurs comme d'Ă©lĂ©ments antĂ©rieurs au contrat. En l'occurrence, la dĂ©couverte, postĂ©rieure Ă l'adjudication, de la possible attribution du tableau Ă Nicolas Poussin vient bien crĂ©er une discordance entre la croyance des Ă©poux Saint-Arroman au moment de la conclusion du contrat (le tableau est attribuĂ© Ă l'Ăcole des Carrache) et la rĂ©alitĂ© (il s'agit d'un tableau de Nicolas Poussin).
La sécurité juridique
Cette jurisprudence met nĂ©anmoins en danger la sĂ©curitĂ© juridique dans le milieu du marchĂ© de lâart. DĂšs lors quâun Ă©lĂ©ment nouveau est dĂ©couvert sur une Ćuvre le contrat de vente pourrait alors ĂȘtre remis en cause. Câest sans compter que le dĂ©lai de prescription de lâaction en nullitĂ© a pour point de dĂ©part la dĂ©couverte de lâerreur (article 1144 du Code civil, ancien article 1304 du Code civil).
Cette derniĂšre affirmation doit nĂ©anmoins ĂȘtre nuancĂ©e par le dĂ©lai butoir de lâarticle 2232 du Code civil qui prĂ©voit que « le report du point de dĂ©part [âŠ] ne peut avoir pour effet de porter le dĂ©lai de prescription extinctive au-delĂ de vingt ans Ă compter du jour de la naissance du droit ».
Notes et références
- « Un poussin à la riche histoire à la galerie Coatelem. »
- TGI de Paris, 13 décembre 1972 (D. 1973. 410, note Ghestin et Malinvaud, JCP 1973. II. 17377, note Lindon).
- ArrĂȘtĂ© du 4 fĂ©vrier 1975.
- CA Paris, 15 janvier 1975 (D. 1975. Somm. 80).
- TC, 2 juin 1975 (Gaz. Pal. 1975. 2. 572).
- CA Paris, 2 février 1976 (D. 1976. 325, concl. Cabannes, JCP 1976. II. 18358, note Lindon).
- Civ. 1re, 22 février 1978 (D. 1978. 601, note Malinvaud, JCP 1978. II. 18925, Defrénois 1978. 1346, obs. Aubert, RTD civ. 1979. 127, obs. Loussouarn).
- CA Amiens, 1er février 1982 (JCP 1982. II. 19916, note J. M. Trigeaud, Gaz. Pal. 1982. 1. 134, concl. Houpert, Defrénois 1982. 675, note Chatelain, RTD civ. 1982. 416, obs. Chabas).
- Civ. 1re, 13 décembre 1983 (D. 1984. 340, note Aubert, JCP 1984. II. 20186, concl. Gulphe).
- CA Versailles, 7 janvier 1987 (D. 1987. 485, note Aubert et chr. J.- P. Couturier, D. 1989. 23, JCP 1988. II. 21121, note Ghestin).
- TerrĂ© F., Lequette Y., Les grands arrĂȘts de la jurisprudence civile, t. 2, Paris, Dalloz, , 12e Ă©d., p. 147-148
Voir aussi
Bibliographie conseillée
- TerrĂ© F. et Lequette Y., Les grands arrĂȘts de la jurisprudence civile, Dalloz, 12e Ă©d., 2008, spĂ©c. n°147-148.
- Malinvaud, Recueil Dalloz, 1978, 601.
- Aubert, Defrénois, 1978, 1346.
- Loussouarn, Revue trimestrielle de droit civil, 1979, 127.
- Aubert, Recueil Dalloz, 1984, 340.
- Jacques Foucart-Borville, « De Carrache à Poussin », Connaissance des Arts, n° 428, octobre 1987, p. 37-38.
- Gulphe, La Semaine Juridique, 1984, II, 20186.
- Le Gallou C., "Poussin, Affaire Fragonard, Sargent et Monet : la palette de l'erreur s'enlumine", Revue Lamy Droit civil, 2008, no 50.
Autres affaires similaires
- Affaire Fragonard : Cass. 1re civ., 24 mars 1987, nÂș 85-15736, Bull. civ. I, nÂș 105, D. 1987, jur., p. 489, note Aubert J.-L., JCP G 1989, II, nÂș 21300, note Vieville-MiravetĂ© M.-F.
- La deuxiĂšme affaire Poussin (La fuite en Ăgypte) : Cass. 1re civ., 17 septembre 2003, no 01-15306, Bull. civ. I, no 183 p. 142.
- Affaire Monet par Sargent : Cass. 1re civ., 28 mars 2008, nÂș 06-10715, Bull. civ. I, no 95.