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’Ori tahiti

’Ori tahiti est une pratique artistique, sociale et culturelle de Tahiti et des Ăźles de la SociĂ©tĂ©. C’est la forme de danse la plus pratiquĂ©e dans l’ensemble polynĂ©sien, qui incarne l’identitĂ© culturelle tahitienne. Cette pratique regroupe les modes d’expression culturels les plus forts et les plus vifs de danse traditionnelle, de musique, d’art oratoire (’ƍrero), de chants traditionnels (hÄ«meme) et de costumes.

Danseuses tahitiennes
Danseuses tahitiennes

Le 9 octobre 2017, Le ’Ori, pratique artistique, sociale et culturelle de Tahiti et des Ăźles de la SociĂ©tĂ© [1] est soumise au ComitĂ© du patrimoine ethnologique et immatĂ©riel (CPEI)[2] pour l’évaluation de son inclusion dans l’inventaire national français du patrimoine culturel immatĂ©riel. Ainsi, cette pratique est incluse dans l'inventaire du patrimoine culturel immatĂ©riel en France[3] depuis le .

Spécificités du 'ori de tahiti et des ßles de la société[1].

DĂ©finition[1]

Le terme ’ori tahiti se traduit littĂ©ralement par « danse (’ori) tahitienne (tahiti) »[4]. En ce sens, il est indissociable de son origine, de son lien au sol et de la charge affective accordĂ©e Ă  l’enracinement culturel dans l’espace insulaire des Ăźles de la SociĂ©tĂ©.

En substance, le ’ori dĂ©signe une forme d’expression collective reposant sur une technique de danse traditionnelle. Il met en exergue une distinction des genres (hommes/femmes), d’une part, et une dissociation du corps, d’autre part, qui se traduit par un marquage du rythme par le bas du corps et par l’interprĂ©tation d’un thĂšme culturel par le haut du corps selon une esthĂ©tique propre Ă  Tahiti.

L’usage d’instruments traditionnels et de la langue tahitienne soutiennent une gestuelle rapportant les coutumes, les lĂ©gendes ou les mythes et confortent le lien Ă©troit existant entre le PolynĂ©sien et son univers. Les danseurs portent des costumes spĂ©cifiques constituĂ©s d’élĂ©ments issus de l’environnement naturel, dont l’agencement valorise les mouvements caractĂ©ristiques du ’ori. Les performances dansĂ©es s’articulent autour de chorĂ©graphies concertĂ©es nĂ©cessitant nombre de rĂ©pĂ©titions. Les reprĂ©sentations sont organisĂ©es en des circonstances fixĂ©es Ă  l’avance. Elles apparaissent comme « le complĂ©ment naturel de la plupart des manifestations collectives »[5] (Dictionnaire illustrĂ© de la PolynĂ©sie, Éditions de l'AlizĂ©, 1988).

Enfin, le terme gĂ©nĂ©rique de ’ori tahiti se dĂ©cline en cinq types de danses, dont chaque genre, que l’on peut considĂ©rer comme traditionnel, a son nom propre : ’ƍte’a, ’aparima, hivināu, pā’ƍ’ā et pāta’uta’u.

Le 'ori tahiti est Ă©galement connu et dĂ©signĂ©, plus trivialement, sous le nom de tāmĆ«rē, une dĂ©clinaison populaire et ludique de la danse.

La dualité corporelle (bas du corps/haut du corps)[1]

Les pieds et les balancements des hanches produisent le rythme de base ; la danse acquiert sa signification par les gestes des bras qui racontent une histoire. Chaque geste correspond Ă  l’expression d’un mot, d’une action ou d’un concept. Le thĂšme de la chorĂ©graphie ou les paroles du chant Ă©tant d’une importance capitale, les danses se concentrent sur les bras et le buste. Son expression donne lieu Ă  l’élaboration d’un « langage » poĂ©tique se renouvelant au grĂ© des textes rĂ©digĂ©s, vĂ©ritables supports des crĂ©ations chorĂ©graphiques. La gestuelle est tout aussi complexe que subtile. Loin de relever du mime, elle permet de dire l’indicible, de transcender les Ă©crits.

La dichotomie entre les mouvements féminins et masculins[1]

"Au sein du ’ori de Tahiti et des Ăźles de la SociĂ©tĂ©, les mouvements des hommes diffĂšrent de ceux des femmes, laissant apparaĂźtre deux styles chorĂ©graphiques bien distincts.[...]

GĂ©nĂ©ralement, les danseurs n’exĂ©cutent pas les mĂȘmes mouvements de la partie supĂ©rieure du corps que les danseuses, ni les mĂȘmes mouvements de la partie infĂ©rieure. En revanche, certains mouvements, diffĂ©rents dans la forme, peuvent avoir les mĂȘmes significations." (page 4)[1]

Les mouvements des femmes

La danse, dans sa version fĂ©minine, se caractĂ©rise par un maintien du dos et du buste qui libĂšre la mobilitĂ© du bassin. Ce dernier est actionnĂ© par la force motrice des pieds, ce qui se traduit par un jeu de jambes souple, renforcĂ© par la flexion alternĂ©e des genoux. En outre, le transfert du poids du corps, selon la jambe d’appui, permet Ă  la danseuse de prendre assise dans le sol et d’exĂ©cuter ses pas. Enfin, le ventre fait l’objet d’un travail minutieux, qui oscille entre contraction et relĂąchement musculaire. L’action du bassin s’en trouve accentuĂ©e, avec des variations dans l’ampleur des rotations ou des balancements ainsi que dans la rapiditĂ© d’exĂ©cution. En soi, les mouvements du bas du corps n’ont pas de significations prĂ©cises et relĂšvent de la performance ou de la synchronisation rythmique[1].

Le haut du corps se distingue par la dissociation des bras. Les membres supĂ©rieurs se meuvent avec fluiditĂ©. Chaque articulation est dĂ©veloppĂ©e partant du frottement du pouce contre l’index, Ă  l’ondulation gĂ©nĂ©rale des autres doigts et du poignet. Les coudes se plient et se dĂ©plient, ajoutant encore aux possibilitĂ©s de la gestuelle. Ce registre peut encore ĂȘtre affinĂ© grĂące Ă  l’accompagnement subtil de la tĂȘte, qui suit ou s’oppose aux gestes, et Ă  l’expression du visage et des yeux[1].

L'inventaire dressé en 2017 par le Conservatoire artistique de la Polynésie française - Te Fare Upa Rau[6], recense les pas suivants :

  • Tā’iri tāmau
  • Tā’iri toma
  • Fa’arapu
  • 'Afata
  • ’Amaha
  • Fa’ahe’e
  • Fa’arori (fa’a’ohu)
  • Fa’arĆ«rĆ«
  • Ha’amenemene
  • Haere tÄ«fene
  • Horo
  • Ne’e ’ānimara
  • Ne’e pārahi
  • Nu’u
  • Nu’u fa’atere
  • Nu’u tÄ«fene
  • Nu’u te’i
  • Ope
  • ’Ori ’ƍpĆ«
  • ’ƌtamu
  • Pa’ipa’i
  • Peipei
  • Tāhapehape
  • Tārou
  • Te’i
  • Toro
  • Tƍtoro
  • Tua-ne’e
  • TĆ«mami (’ami/’ami’ami/fa’a’ami’ami)
  • ’UÄ«
  • Varu
  • Vehe

Les mouvements des hommes

Les chorĂ©graphies des hommes exaltent la force physique et la combativitĂ©. Sauts, frappes, postures ouvertes et endurance dans les positions flĂ©chies renforcent l’imagerie de la virilitĂ©. On retrouve la dissociation entre les membres infĂ©rieurs et supĂ©rieurs. L’esthĂ©tisme de la gestuelle diffĂšre cependant des danseuses et reste fidĂšle Ă  une expression de la masculinitĂ© et donc moins fluide, peu axĂ©e sur l’ondulation des bras. Parfois, quelques mouvements de bassin interviennent au cours d’une chorĂ©graphie, mais ils accompagnent des prestations Ă  vocation parodique ou suggestive[1].

L'inventaire dressé en 2017 par le Conservatoire artistique de la Polynésie française - Te Fare Upa Rau[6], recense les pas suivants :

  • Pā’oti
  • ’Amaha
  • Fa’ahe’e
  • Haere pārahi
  • Haere tÄ«fene
  • Horo
  • HĆ«papi (tātu’e)
  • Ne’e ’ānimara
  • Ne’e pārahi
  • Nu’u
  • ’ƌpapa
  • ’Ori ’ƍpĆ«
  • ’ƌu’a ha’ape’e tĆ«f etu
  • ’ƌu’a ’ƍfati
  • ’ƌu’a pātia
  • Pātia
  • Taparuru
  • Tƍtoro
  • Tua-ne’e
  • Tu’e
  • TĆ«mami (’ami)
  • TĆ«tāperepere (peretete)
  • TĆ«te’i
  • Ueue
  • ’UÄ«
  • Vehe

Les représentations[1]

Un spectacle se structure autour d’un thĂšme Ă  partir duquel se construit la chorĂ©graphie scĂ©nique.

Deux catĂ©gories peuvent ĂȘtre distinguĂ©es :

  • les thĂšmes qui relatent les Ă©vĂ©nements historiques, font l’éloge d’un site naturel ou culturel ou racontent les mythes et les lĂ©gendes, puisant aux sources de la tradition orale et contribuant ainsi Ă  sa perpĂ©tuation. Le mouvement dansĂ© replace artiste et spectateur dans un contexte « traditionnel ». L’espace scĂ©nique permet de rĂ©activer et de retraduire en gestes une tradition orale figĂ©e dans les mĂ©moires. La thĂ©matique est enracinĂ©e dans le patrimoine polynĂ©sien : c’est le retour aux sources, rĂ©fĂ©rence d’une reconstruction identitaire. Dans cette catĂ©gorie, l’élaboration d’une prestation exige la lecture d’ouvrages, la recherche de personnes-sources et la visite de lieux chargĂ©s symboliquement.
  • les thĂšmes abstraits, qui, par essence, ne puisent pas dans la tradition orale et recouvrent tous les sujets non compris dans la premiĂšre catĂ©gorie. Ils traitent de faits de sociĂ©tĂ©, abordent une idĂ©e, un concept matiĂšre Ă  une rĂ©flexion contemporaine (par exemple, la tradition, sa perte et sa nĂ©cessitĂ©) ou s’appuient sur une fiction.

RepĂšres historiques[1]

La danse est une composante essentielle de la culture tahitienne. Le mot tahitien ’ori est issu du proto-polynĂ©sien koli qui a le sens reconstruit de « danser, se rĂ©jouir, ĂȘtre heureux ». Le protopolynĂ©sien, langue-mĂšre Ă  l’origine des 37 langues polynĂ©siennes contemporaines du Pacifique, est datĂ© d’environ -3000 ans, ce qui tĂ©moigne de l’anciennetĂ© du mot ’ori du tahitien, et sans doute de la pratique associĂ©e.

Les plus anciens tĂ©moignages Ă©crits sont ceux des navigateurs europĂ©ens. Le journal de James Cook et les gravures de John Webber, notamment, permettent d’avoir un aperçu de son importance Ă  Tahiti au XVIIIe siĂšcle. Les danses sont alors « nombreuses et diversifiĂ©es », comme le rapporte le missionnaire William Ellis. En tout, les explorateurs europĂ©ens en ont rĂ©pertoriĂ© dix-sept.

Certaines sont rĂ©servĂ©es aux femmes, d’autres aux hommes, d’autres enfin sont mixtes. Ces danses ont des caractĂ©ristiques communes : pratiquĂ©es au rythme des tambours et de la flĂ»te nasale, elles font beaucoup intervenir les hanches, les gestes de la main et les pas sont codifiĂ©s. Les observateurs Ă©trangers parlent souvent d’un rythme qui s’intensifie au fil de la reprĂ©sentation.

Si les danses sont source de plaisir, elles ne se rĂ©duisent pas Ă  un divertissement, elles participent aux rituels, rythment les principales Ă©tapes de la vie (naissance, mariage, funĂ©railles), et accompagnent les cĂ©rĂ©monies marquant le dĂ©but, l’apogĂ©e et la fin de la saison des rĂ©coltes. Ce sont parfois des saynĂštes satiriques. Elles ont aussi une fonction politique : c’est un moyen de sceller la paix, de cĂ©lĂ©brer une victoire, ou encore d’honorer la venue d’autres chefs. Selon l’importance de l’évĂ©nement, les costumes peuvent ĂȘtre trĂšs Ă©laborĂ©s : on Ă©voque des couronnes de cheveux tressĂ©s, des Ă©toffes vĂ©gĂ©tales (tapa), et des pendentifs de plumes.

En plus de ces danses pratiquĂ©es par l’ensemble de la population, des spectacles sont donnĂ©s par les ’Ari’oi, une confrĂ©rie de baladins, comprenant huit classes et dans laquelle on Ă©tait admis aprĂšs une sorte de noviciat. Leurs cĂ©rĂ©monies prenaient leur origine dans des lĂ©gendes concernant le dieu ’Oro. Des tatouages Ă©taient la marque distinctive de chaque classe. Les deux sexes Ă©taient admis dans la confrĂ©rie, mais on n'acceptait que des gens sans enfants. Les ’Ari’oi se dĂ©plaçaient d'Ăźles en Ăźles oĂč ils donnaient des spectacles nocturnes. Ces fĂȘtes Ă©taient l’occasion de repas pantagruĂ©liques qui laissaient souvent les Ăźles dĂ©munies de ressources pendant plusieurs mois.

TrÚs peu de temps aprÚs la conversion au christianisme, cette confrérie fut abolie.

Complexe et diversifiée, la danse tahitienne est alors souvent réduite à son caractÚre sexuel par les observateurs étrangers. Les premiers missionnaires protestants arrivés à Tahiti en 1797 cherchent rapidement à faire disparaßtre toute manifestation païenne, notamment la danse tahitienne.

AccusĂ©s de « troubler ce sĂ©jour » et de faire « croĂźtre le mal sur cette terre », « la danse et la musique ou chants inconvenants, tels que ceux qui accompagnent les danses », sont interdits en 1842 par la reine Pomare dans le code Tahitien pour cause « d’indĂ©cence et de dĂ©bauches ». Il est prĂ©cisĂ© que les danseurs et ceux qui se rassemblent pour les regarder danser risquent une amende de 50 brasses de travail par individu et 10 brasses d’étoffe Ă  confectionner pour les femmes.

AprĂšs la restauration du protectorat français (1845), le gouverneur Armand Joseph Bruat dĂ©cide de revenir sur ces interdictions pour s’attirer les faveurs de la population. Celle-ci accueille avec bonheur cet arrĂȘt, comme on peut le lire dans un article de L’OcĂ©anie française de 1845 : « Il y a trois semaines que la jeunesse indienne de Papeete et des districts environnants a commencĂ© ses manifestations de joie Ă  propos de la loi qui autorise enfin les danses du pays. » Mais cette rĂ©introduction des danses est trĂšs encadrĂ©e : « À huit heures du soir, toutes les ’upa’upa (divertissements) devront finir. » Rapidement, les autoritĂ©s restreignent encore davantage la pratique de la danse : elle n’est permise que dans certains lieux, le mardi et le jeudi uniquement. En outre, dĂšs 1848, certaines danses jugĂ©es indĂ©centes, dont celle appelĂ©e ’upa’upa, sont de nouveau interdites.

À ces lois et restrictions imposĂ©es par les missionnaires et par le pouvoir colonial s’ajoute une troisiĂšme menace pour la danse tahitienne : la transformation de la sociĂ©tĂ©, qui induit la disparition du sens de certaines danses, liĂ©es au systĂšme social. MalgrĂ© tout, la danse tahitienne n’a jamais disparu. En 1883, dans un article de L’OcĂ©anie française, on peut lire que la danse « n’est pas morte, mais [qu’]elle dĂ©croĂźt et s’affaisse ». « C’est dans les bois qu’on doit se transporter pour bien [la] juger », prĂ©cise l’auteur. L’annĂ©e suivante, en 1884, dans le mĂȘme journal, un reprĂ©sentant des Ă©lecteurs europĂ©ens, M. Martiny, note que « personne n’ignore que dans plusieurs quartiers de la ville existent des Ă©coles publiques de ’upa’upa qui fonctionnent en plein jour ». La population a donc rĂ©sistĂ© et trouvĂ© des moyens de contourner les interdictions. « On ne change pas en vingt-cinq ou trente ans l’ouvrage de plusieurs siĂšcles », affirmera EugĂšne Caillot, auteur d’une Histoire de la PolynĂ©sie orientale[7] (1910).

Plus aussi vibrante qu’à l’arrivĂ©e des explorateurs europĂ©ens, mais toujours vivante, la danse reprend sa place dans le cadre des cĂ©lĂ©brations du 14-Juillet, le tiurai, instaurĂ© en 1881. Il faut toutefois attendre onze ans pour assister au premier concours de « danses indigĂšnes ». D’aprĂšs Le Messager de Tahiti, c’est « la Great Attraction du programme de 1892 ». La danse devient un rendez-vous incontournable du tiurai ; entre 1920 et 1939, elle figure chaque annĂ©e au programme.

Mais les interdits ont laissĂ© des traces et c’est une version Ă©dulcorĂ©e des danses d’antan qui est proposĂ©e. Teuira Henry, auteur de Tahiti aux temps anciens, fait ainsi remarquer que la danse « ’ƍte’a a subi de telles transformations que les danseurs de l’ancien temps ne [la] reconnaĂźtraient certainement pas dans sa forme moderne ». On observe aussi sur les photographies prises au dĂ©but du XXe siĂšcle que les corps sont contraints : les femmes sont parĂ©es d’une longue robe missionnaire, qu’elles agrĂ©mentent de ceintures en coquillages ou en graines, et de couronnes de fleurs. MĂȘme chose pour les danseurs, qui portent un more (jupe en fibre vĂ©gĂ©tale) sur leur pantalon de costume.

Ce n’est que dans les annĂ©es 1950 que la danse tahitienne retrouve ses lettres de noblesse. Une institutrice, Madeleine Mou’a, opĂšre un tournant en crĂ©ant le premier groupe de danse professionnel, « Heiva ». Elle convainc les filles de bonne famille que danser n’a rien d’immoral et essaie de rĂ©pertorier les pas de danse traditionnels. Une tĂąche dĂ©licate, puisqu’aucune des dix-sept danses observĂ©es par les explorateurs n’a Ă©tĂ© dĂ©crite avec prĂ©cision. À sa suite, d’autres danseurs et chefs de groupe entreprennent ces recherches sur les mouvements et les pas de danse. Un nouveau cap est franchi avec le renouveau culturel des annĂ©es 1980. Ce travail de rĂ©appropriation de la danse s’illustre chaque annĂ©e lors du Heiva, qui succĂšde au Tiurai. Un rĂšglement gĂ©nĂ©ral est Ă©laborĂ©. Les danses traditionnelles y sont dĂ©finies, certains pas sont imposĂ©s, et le jury prĂ©cise sa grille de lecture : des points sont attribuĂ©s pour la musique, les costumes et le thĂšme. Comme dans l’ancien temps, la danse n’existe pas sans ces attributs. Un spectacle doit « illustrer un thĂšme historique, lĂ©gendaire, abstrait ou littĂ©raire contemporain, ĂȘtre inspirĂ© du patrimoine culturel, de l’environnement naturel, de la vie en sociĂ©tĂ© de la PolynĂ©sie française ». Chaque groupe de danse doit proposer un costume vĂ©gĂ©tal (Ă  base de vĂ©gĂ©taux secs ou fraĂźchement cueillis), et seuls certains instruments de musique sont autorisĂ©s.

Le Heiva est le plus grand Ă©vĂ©nement culturel de l’annĂ©e. Cette revitalisation se traduit par une forte augmentation de la pratique de la danse. Le Conservatoire, crĂ©Ă© en 1979, a depuis reçu pour mission de promouvoir les danses polynĂ©siennes. À ses cĂŽtĂ©s, de nombreuses Ă©coles de danses traditionnelles se sont ouvertes. Aujourd’hui, comme hier, la danse marque les principaux Ă©vĂ©nements de la sociĂ©tĂ© polynĂ©sienne. Elle sĂ©duit aussi de plus en plus d’étrangers grĂące aux tournĂ©es internationales effectuĂ©es par des danseurs professionnels.

La danse tahitienne se pratique dĂ©sormais sur les cinq continents et notamment au Japon, aux États-Unis et au Mexique.

Récits liés à la pratique[1]

La fascination pour la danse tahitienne est une constante, dont les premiĂšres traces ont Ă©tĂ© formalisĂ©es au contact avec les premiers navigateurs. Au-delĂ  du regard, souvent incrĂ©dule, des nouveaux arrivants, qui ne voient qu’un divertissement, les Ă©crits de la premiĂšre heure permettent d’entrevoir la pratique originelle de la danse, perdue depuis.

John Turbull, Voyage fait autour du monde en 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804[8] (Paris, Xerouet/DĂ©terville/Lenormant/Petit, 1807) livre une description des spectacles de danse, des instruments utilisĂ©s, et de la caste des ’Ari’oi. Il dĂ©crit notamment : « Un heva ou danse gĂ©nĂ©rale, succĂ©doit le soir Ă  ce spectacle. [
] Les femmes, au nombre de quatre-vingt-dix ou cent, se partageoient en deux cercles ; l’un composĂ© des habitantes de l’üle, et l’autre, des Ă©trangĂšres. [
] Chaque cercle avoit sa bande de musiciens. [
] Il me seroit impossible de dĂ©crire la variĂ©tĂ© des sons que les danseuses produisoient par une espĂšce de chant qui n’étoit accompagnĂ© de paroles qu’au commencement ».

En 1837, Jacques-Antoine Moerenhout entreprend une description des mƓurs des Tahitiens avant l’arrivĂ©e des EuropĂ©ens, Ă  partir d’une masse d’informations glanĂ©es dans ses lectures et au cours de ses nombreuses pĂ©rĂ©grinations. Il note, d’une part, le caractĂšre festif de ce qu’il appelle des « FĂȘtes gĂ©nĂ©rales », mais, d’autre part, il fait le lien avec le caractĂšre sacrĂ© de ces danses et leur lien avec la nature : « Il y avait, par an, quatre fĂȘtes trimestrielles, au renouvellement de chaque saison. [
] Les deux fĂȘtes religieuses les plus brillantes Ă©taient la fĂȘte des prĂ©mices et de la saison de fertilitĂ©. »

L’installation Ă  Tahiti des missionnaires de la London Missionary Society, arrivĂ©s le , leur permet de rĂ©aliser une observation plus approfondie, mais sous le prisme d’une morale europĂ©enne qui tente de s’imposer. Le pasteur Ellis dĂ©crit chacun des « amusements » des Tahitiens au cours de « leurs grandes rĂ©unions ou festivals nationaux » : « Leurs danses Ă©taient nombreuses et variĂ©es ; elles Ă©taient exĂ©cutĂ©es par les hommes et les femmes qui, le plus souvent, ne dansaient pas ensemble. Leurs mouvements Ă©taient gĂ©nĂ©ralement lents, mais rĂ©guliers et prĂ©cis ; pendant les danses, ils se servaient autant de leurs bras que de leurs pieds. Ils dansaient au son du tambour et de la flĂ»te ; et la danse Ă©tait habituellement accompagnĂ©e de chants et de romances. »

Concentrés sur la géographie, la topographie, la faune et la flore, les scientifiques qui accompagnent les expéditions de circumnavigation ne manquent pas de représenter dans leurs croquis et dessins la danse. Les gravures nous renseignent, pour la premiÚre fois, sur les formations, les postures et les costumes.

Plus tard, l’image de la danse est Ă©galement pleinement prĂ©sente dans la photographie, notamment par le biais de la carte postale. Les photographes de la premiĂšre heure, F. Homes, Mrs Hoare et Bopp Dupont, utilisent l’image de la danse dans leurs travaux. Cette thĂ©matique est une constante de l’image de la PolynĂ©sie française.

La danse s’impose aussi dans l’image animĂ©e : Tabu: A Story of the South Seas, de F.W. Murneau (1931) ; In the Wake of the Bounty, de Charles Chauvel, avec Errol Flynn (1933) ; Mutiny on the bounty, de Lewis Milestone, avec Carol Reed (1962). Au-delĂ  de l’intĂ©rĂȘt apportĂ© par la prĂ©sence du ’ori tahiti au scĂ©nario, ces images d’antan permettent, encore aujourd’hui, de constater l’évolution de la pratique, tant sur la technique de danse, que sur la chorĂ©graphie et la confection des costumes.

Enfin, la pratique de la danse tient aussi une bonne place dans la peinture comme chez Huzé et Pierre Kienlen.

Que ce soit dans les photographies et dans les productions audiovisuelles, Ă  l’instar de sa prĂ©sence dans la vie polynĂ©sienne, le ’ori tahiti est devenu indissociable de l’image de la destination PolynĂ©sie.

Personnalités liées

Notes et références

  1. Tamatoa Pomare Pommier (RĂ©dacteur de la fiche), Manouche Lehartel (EnquĂȘteurs, chercheurs ou membres du comitĂ© scientifique associĂ©), Michel Bailleul et Fabien Dinard, « fiche d'inventaire du patrimoine culturel immatĂ©riel ori tahiti : Le ’Ori, pratique artistique, sociale et culturelle de Tahiti et des Ăźles de la SociĂ©tĂ© », Fiche d'inventaire du patrimoine culturel immatĂ©riel servant de support pour l'inscription du Ori Tahiti au PCI national français en octobre 2017 disponible sur le site officiel du ministĂšre de la culture français. AccĂšs libre [PDF], sur www.culture.gouv.fr, (consultĂ© le )
  2. SĂ©verine Cachat et Isabelle Chave, « Le Centre français du patrimoine culturel immatĂ©riel : origines et Ă©volutions », In Situ. Au regard des sciences sociales, no 1,‎ (ISSN 2680-4972, DOI 10.4000/insituarss.483, lire en ligne, consultĂ© le )
  3. « Musiques et danses - MinistÚre de la culture », sur www.culture.gov.fr, (consulté le )
  4. « Dictionnaire de l'académie tahitienne », sur www.farevanaa.pf (consulté le )
  5. François Merceron, Dictionnaire illustrĂ© de la PolynĂ©sie française, Éditions de l'AlizĂ©,
  6. « Conservatoire artistique de la Polynésie française - Te Fare Upa Rau », sur www.conservatoire.pf (consulté le )
  7. EugÚne Caillot, Histoire de la Polynésie orientale,
  8. James Grant John Turnbull, Voyage fait autour du monde, en 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804, Chez Xhrouet ..., (lire en ligne)
  9. « Disparition de Louise Kimitete : hommage à une grande dame de la culture », sur La Présidence de la Polynésie française (consulté le )
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