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Troubles du voisinage en droit français

Les troubles du voisinage sont des faits susceptibles de perturber l'entente entre deux ou plusieurs individus vivant à proximité (dits voisins).

En droit, il existe deux concepts jurisprudentiels qui permettent d'appréhender ces troubles :

L'abus de droit

La théorie de l'abus de droit est la premiÚre à avoir vu le jour au sein de la jurisprudence civile française.

Naissance de l'abus de droit

La naissance du premier critĂšre constitutif de l'abus de droit remonte Ă  un arrĂȘt de la chambre des requĂȘtes datant du surnommĂ© arrĂȘt « Des sources Saint-Galmier Â».

Dans cet arrĂȘt, deux propriĂ©taires mitoyens, l’un exploite les sources de Saint-Galmier, l’autre non. Ce dernier s’adresse Ă  l’exploitant en proposant de lui vendre son terrain. L’exploitant dĂ©cline l’offre. Le particulier va creuser pour arriver Ă  la source et la gĂȘner pour que l’exploitant soit obligĂ© de lui racheter le terrain. Action en justice, le propriĂ©taire disposait de son terrain. Pour reprocher ce comportement, la chambre des requĂȘtes semble bloquĂ©e puisqu'en effet, le principe de l’absolutisme du droit de propriĂ©tĂ© est un obstacle fort en droit civil. Dans cette affaire, la chambre note cependant la prĂ©sence d'un « abus de droit Â», crĂ©ation prĂ©torienne d'une nouvelle limitation du droit de propriĂ©tĂ©. Par cet arrĂȘt, La chambre des requĂȘtes met en place le premier critĂšre de l'abus de droit, l'intention de nuire.

Dans un arrĂȘt de la chambre des requĂȘtes datant du (C.cas, Req. ) surnommĂ© l'arrĂȘt « ClĂ©ment-Bayard », la chambre des requĂȘtes Ă©tend les critĂšres constitutifs de l'abus de droit.

Dans cet arrĂȘt sont en conflit deux propriĂ©taires mitoyens, le premier faisant s'envoler de son terrain des ballons dirigeables, le second ne supportant pas le passage de ces objets volants sur son terrain lors de leurs dĂ©collages et atterrissages. Pour mettre fin Ă  ces survols, il va Ă©riger sur son fonds un amas de carcasses de bois et de ferrailles aux extrĂ©mitĂ©s pointues propres Ă  percer les ballons du premier, Adolphe ClĂ©ment-Bayard .

Lorsqu'un ballon est percé par le dispositif, Clément-Bayard assigne son voisin en réparation du préjudice subi.

Pour sa dĂ©fense, l'auteur du dispositif ayant eu raison du ballon dirigeable de M. Bayard invoquera le caractĂšre absolu du droit de propriĂ©tĂ© (art. 544 du Code civil). En effet, il prĂ©tend ĂȘtre libre d'utiliser son fond comme il l'entend dans la mesure oĂč cette utilisation ne va pas Ă  l'encontre des lois et des rĂšglements. C'est-Ă -dire que selon lui, le fait d'Ă©riger sur son fonds une structure inutile et propre Ă  endommager les ballons dirigeables de son voisin relĂšve de son droit d'usage.

L'affaire est portĂ©e jusque devant la Cour de cassation qui fera finalement droit Ă  la demande de ClĂ©ment-Bayard. Pour justifier leur dĂ©cision, les juges de la chambre des requĂȘtes vont Ă©voquer le fait que la structure en question Ă©tait totalement dĂ©pourvue d'utilitĂ©, qu'elle a Ă©tĂ© Ă©rigĂ©e dans l'intention de nuire au propriĂ©taire du fonds voisin et qu'au regard de cela le propriĂ©taire a « abusĂ© de son droit ».

Cette conception sera par la suite reprise par la jurisprudence pour arbitrer des litiges similaires.

Les éléments constitutifs de l'abus de droit

L'application de la théorie de l'abus de droit nécessite deux conditions cumulatives :

  • l'action doit ĂȘtre dĂ©pourvue d'utilitĂ© ;
  • l'action doit relever d'une intention de nuire.

La présence de ces deux critÚres est souverainement appréciée par le juge en fonction du cas qui lui est soumis.

Les limites de l'abus de droit

La principale limite de cette conception jurisprudentielle est qu'elle se confond avec le principe de la responsabilité civile délictuelle (Art. 1240 du code civil (ex-1382)[1]). Selon ce principe, toute action fautive d'un individu qui cause à autrui un dommage, oblige cet individu à le réparer.

L'autre limite de cette conception est qu'elle ne permet pas d'arbitrer l'ensemble des situations de trouble du voisinage. Par exemple, elle ne prend pas en compte les actions nuisibles qui ont une utilité légitime pour leurs auteurs.

Aussi cette conception sera abandonnée par la jurisprudence au cours du dernier quart du XXe siÚcle au profit de celle plus flexible des troubles anormaux du voisinage.

Les troubles anormaux du voisinage

L’arrĂȘt fondateur de cette thĂ©orie est un arrĂȘt rendu par la Cour de cassation en date du . Dans un arrĂȘt du , la troisiĂšme chambre civile de la Cour de cassation va reconnaĂźtre que cette thĂ©orie est indĂ©pendante de l'existence d'une faute. Dans un autre arrĂȘt du , la Cour de cassation vient formuler un principe autonome selon lequel « nul ne doit causer Ă  autrui un trouble anormal du voisinage »[2]. Le propriĂ©taire voisin a l'obligation de ne pas causer un dommage excĂ©dant la mesure habituelle inhĂ©rente au voisinage.

Fondement de cette théorie

Dans un premier temps, cette thĂ©orie Ă©tait fondĂ©e sur le droit commun de la responsabilitĂ© civile (ancien art. 1382[3], aujourd'hui 1240). Face Ă  des problĂšmes de preuves, notamment de la preuve de la faute, la jurisprudence a par la suite dĂ©gagĂ© une responsabilitĂ© objective : une responsabilitĂ© sans faute.

La jurisprudence applique dÚs lors un principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ou encore excédant les inconvénients normaux du voisinage ». On peut alors parler de la naissance d'un droit à une qualité et une tranquillité de vie.

L'analyse de cette jurisprudence amĂšne Ă  quelques prĂ©cisions. La relation de voisinage est entendue largement (elle s'applique pas qu'aux zones contiguĂ«s sinon aux zones susceptibles d’ĂȘtre troublĂ©es) et de maniĂšre traditionnelle il s'agit d'une immixtion sur le fonds voisin.

La jurisprudence a, dans les annĂ©es 2005 voulu Ă©tendre le nombre de dĂ©biteurs potentiels et ce, en Ă©tendant le champ des bĂ©nĂ©ficiaires et des auteurs de cette thĂ©orie. En ce qui concerne les bĂ©nĂ©ficiaires, tous les occupants voisins peuvent s'en prĂ©valoir, un locataire y compris. Concernant l'auteur du dommage, la Cour de cassation a dĂ©veloppĂ© l'idĂ©e de voisin occasionnel, ce qui donne lieu Ă  l'application de cette thĂ©orie aux constructeurs si le trouble rĂ©sulte de la rĂ©alisation d'un chantier par exemple. Une limite doit cependant ĂȘtre apportĂ©e. Le constructeur doit ĂȘtre l'auteur direct du dommage.

Donc cette thĂ©orie implique trois personnes : le voisin victime, le maĂźtre d'ouvrage, et le constructeur. La victime peut dĂšs lors agir contre ces deux derniers solidairement ou sĂ©parĂ©ment. NĂ©anmoins si le maĂźtre d'ouvrage est attaquĂ© il pourra alors se retourner contre le constructeur par le biais d'un recours subrogatoire.

Régime juridique de cette théorie

C'est une question de fait relevant de l'apprĂ©ciation souveraine des juges du fond. En l'absence de critĂšres prĂ©cis, les juges devront apprĂ©cier au cas d’espĂšce quelle est la limite que ne doit pas dĂ©passer le propriĂ©taire voisin pour que le trouble ne soit pas d'une certaine gravitĂ©. Par ailleurs, les juges retiennent un caractĂšre continu et permanent du trouble. Ils prendront alors en considĂ©ration les donnĂ©es de temps et de lieux.

Si le trouble anormal est traditionnellement constitué par l'existence d'un certain dommage, la Cour de cassation a reconnu l'existence d'un trouble anormal résultant d'un risque de dommages (Cass. 2e chambre civile, , no 03-10434 ; - , no 04-10362).

La théorie des troubles anormaux du voisinage instituant un cas de responsabilité sans faute prouvée, la Cour de cassation a pu juger que « le respect des dispositions légales n'exclut pas l'existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage » (Cass. 3e chambre civile, , no 03-19759).

Les causes d’exonĂ©rations : il y en a trois ici :

  • l'antĂ©rioritĂ© : uniquement pour les activitĂ©s agricoles industrielles, artisanales ou commerciales prĂ©existantes (art. L112-16 du code de la construction). À dĂ©faut on ne peut lĂ©gitimement l'admettre comme cause d’exonĂ©ration, elle Ă©quivaudrait Ă  admettre une servitude de nuisance. Cette exonĂ©ration d'antĂ©rioritĂ© est enfin doublement conditionnĂ©e. Elle doit ĂȘtre conforme aux lois et rĂšglements et doit se poursuivre dans les mĂȘmes conditions, sans aggravations.
  • le fait du tiers consĂ©cutif d'une force majeure
  • la faute de la victime

Pour finir, l'avant-projet de réforme du droit des biens en date du crée dans son titre 5 un titre « des relations de voisinage ». Le régime est précisé au chapitre 1 du titre V de l'avant projet afin d'éviter que les troubles soient trop ouverts à des troubles occasionnels.

Notes et références

  1. Code civil - Article 1240 (lire en ligne)
  2. « Cour de cassation », sur courdecassation.fr (consulté le ).
  3. Code civil - Article 1382 (lire en ligne)

Voir aussi

Articles connexes

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