Santiago Castro GĂłmez
Santiago Castro GĂłmez est un philosophe colombien.
Naissance | |
---|---|
Nationalité | |
Formation |
Université Santo Tomás (en) Université Eberhard Karl de Tübingen Université Johann Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le-Main |
Activités |
A travaillé pour |
---|
Biographie
Il a suivi une formation en philosophie à l'université Santo Tomás de Bogotá, puis à l'université de Tübingen et à l'université Goethe de Francfort-sur-le-Main, où il a obtenu respectivement une maîtrise puis un doctorat de philosophie.
Cet intellectuel, grand connaisseur des courants post modernes européens ou nord-américains et de la tradition philosophique de son continent, a participé de façon critique à la diffusion de la théorie décoloniale latino- américaine. Il enseigne à Bogotá, à la Pontificia Javeriana et a joué un rôle important dans l’institut Pensar qui dépend de cette université, y ouvrant une chaire d’Études Culturelles, à la fin du siècle dernier. Il a été professeur invité à l'université Duke, à l'université de Pittsburgh et à l'université Goethe de Francfort.
Idées
Penser les sciences sociales depuis l'Amérique latine
Dans les annĂ©es 1980, il a Ă©tĂ© un Ă©tudiant familier des discussions et de l’enseignement des intellectuels du groupe de Bogotá (es). Ces derniers introduisirent en Colombie la philosophie de la libĂ©ration, Ă la fin des annĂ©es soixante dix. Ă€ l'Ă©poque, il n'existait pas en Colombie de tradition latino-amĂ©ricaniste comparable Ă celle du PĂ©rou, du Mexique et de l'Argentine. Le groupe, de ce fait, se concentra au dĂ©but sur l'Ă©tude de l'histoire des idĂ©es latino-amĂ©ricaines, d'une part, et sur la de l’existence ou non d’une philosophie latino-amĂ©ricaine rapidement, l'idĂ©e que l'AmĂ©rique latine pouvait ĂŞtre un horizon situĂ© et concret de rĂ©flexions philosophiques dans un cadre interprĂ©tatif chrĂ©tien s'imposa.Le premier livre publiĂ© par Castro Gomez, Critica de la razĂłn latino-amĂ©ricana, en 1996, est le fruit de cette histoire. C'est une analyse critique du « latino-amĂ©ricanisme». L'auteur s’attache Ă y dĂ©crire ce discours pour le critiquer. En bon foucaldien, il affirme que « au lieu de nous interroger sur la vĂ©ritĂ© de l’identitĂ© latino-amĂ©ricaine, nous nous interrogeons maintenant sur l’histoire de la production de cette vĂ©ritĂ©. Ce qui est recherchĂ© n’est pas un rĂ©fĂ©rent porteur de vĂ©ritĂ© sur l’AmĂ©rique latine, mais un cadre interprĂ©tatif dans lequel cette vĂ©ritĂ© est produite et Ă©noncĂ©e (Castro GĂłmez, 1998). Dans ce livre, il assume une position mĂ©fiante vis a vis du projet rĂ©volutionnaire et des utopies en gĂ©nĂ©ral, interrogeant la portĂ©e de notions comme celle de peuple, ou de nation, prĂ©sentes dans les approches en « AmĂ©rique latine ». La notion de peuple lui semble liĂ©e Ă la question de l’identitĂ©, et l’utopie, Ă une volontĂ© de changement qui ne tient pas compte de l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© de la sociĂ©tĂ©. Il aborde en mĂŞme temps que l’œuvre de Rodolfo Kusch (es), Augusto Salazar Bondy (es) ou encore Leopoldo Zea Aguilar, reprĂ©sentants de la philosophie latino-amĂ©ricaine, la perspective du philosophe argentin Enrique Dussel et du sociologue AnĂbal Quijano. Dussel, pour sa critique puissante de l’eurocentrisme ; Quijano, pour son analyse centrĂ©e sur le rĂ´le axial de la colonisation dans la modernite et l’invention du concept de colonialitĂ© du pouvoir. Castro GĂłmez relève l’intĂ©rĂŞt de cette approche novatrice mais il est dĂ©jĂ critique Ă leur Ă©gard.
Généalogie de la colombianité
Dans la première dĂ©cennie du XXIe siècle, il publie des travaux qui rendent compte de sa proximitĂ© avec l'approche dĂ©coloniale, mais aussi de son analyse particulière du pouvoi, moins axĂ©e sur la domination, plus attentive aux microphysiques qu’a cette macrophysique du pouvoir qui caractĂ©rise l’approche dĂ©coloniale. InspirĂ© par la vision de Michel Foucault, le philosophe colombien va revenir sur les hĂ©ritages coloniaux en AmĂ©rique latine, et plus particulièrement, en Colombie. Il a recours Ă la mĂ©thode gĂ©nĂ©alogique du penseur français, qu’il applique au contexte colombien, publiant des travaux concernant la pĂ©riode coloniale, comme la Hybris del punto zero ou la pĂ©riode contemporaine, avec Tejidos OnĂricos.
Ă€ la diffĂ©rence des penseurs du courant dĂ©colonial avec lesquels il partage toujours certains positionnements, Castro GĂłmez s’attache Ă identifier Ă la spĂ©cificitĂ© du pouvoir en AmĂ©rique latine. Si un sociologue comme Quijano construit une rĂ©flexion très gĂ©nĂ©rale, sur le rĂ´le de la race dans la formation du monde moderne, Castro GĂłmez, lui, s’attache Ă comprendre par exemple comment dans une sociĂ©tĂ© donnĂ©e, la Colombie des XVIIe et XVIIIe siècles le racisme prend forme. La Hybris del punto cero est l’analyse de la formation de l’idĂ©ologie de la blanchitĂ© chez les Ă©lites colombiennes du XVIIIe siècle. Quant Ă Tejidos onĂricos, c’est un ouvrage dans lequel l’auteur s’intĂ©resse Ă la formation d’une subjectivitĂ© colombienne moderne, dans la droite ligne de l’histoire des gouvernementalitĂ©s. En montrant quels dispositifs de savoir pouvoir se mettent en place, il donne chair Ă des concepts comme ceux de colonialitĂ© du pouvoir et du savoir, et rĂ©alise une approche de type empirique peu frĂ©quente chez les reprĂ©sentants du courant dĂ©colonial.
Logiquement, il continue son travail de commentaire de l’œuvre foucaldienne. Il contribue à faire connaître la perspective du dernier Foucault, celui des séminaires de 78 à 85, avec son Historia de la gubernamentalidad ( 2010), étude minutieuse dans laquelle il suit le trajet de concepts foucaldien comme celui de biopolitique, remarquant avec pertinence la disparition de ce dernier à partir de Naissance de la biopolitique .Dans un article qui a été traduit et publié dans Penser l’envers obscur de la modernité, il montre que le philosophe français a une vision réductrice de l’histoire de la colonisation car il fait de cette dernière un effet de la modernité européenne, alors que cette modernité est indissociable de la colonisation du monde.
Une position originale
Sa connaissance du corpus postmoderne autant que de celui de la pensée critique latino-américaine font de lui un penseur difficilement contournable pour ceux ou celles qui désirent appréhender la richesse des perspectives critiques en Amérique latine. Son regard critique sur le courant décolonial, lui permet, et nous permet donc d’échapper aux écueils actuels : adhésion ou rejet. Dans une interview très récente, accordée en 2021 à un journal français, il disait se sentir toujours en dette avec la pensée du projet Modernité/Colonialité/ Décolonialité, tout en rejetant fermement certaines de leurs analyses ou prises de position.
« (...)parmi les réalisations du tournant colonial auxquelles je m’identifie encore, il y a les suivantes : la première est qu’il a contribué à rendre visible l’eurocentrisme endémique des sciences sociales et de la philosophie pratiquées en Amérique latine. En général, les sciences sociales opèrent avec des catégories d’analyse dérivées de la réalité sociale des pays européens une fois qu’ils sont passés par les processus d’industrialisation aux XVIIIe et XIXe siècles. Pour la modernité, il a été postulé que ces pays européens modernes étaient à l’avant-garde d’un processus historique supposé universel. C’est-à -dire que toutes les régions du monde devraient passer par les mêmes étapes historiques que les pays européens. C’est ce que nous appelons aujourd’hui le sophisme du développementaliste. Eh bien, bien que la théorie de la dépendance ait déjà démantelé plusieurs de ces hypothèses eurocentriques dans les années 1970, ce n’est qu’avec l’émergence de la pensée décoloniale que nous pouvons parler d’une conception radicalement différente de la modernité et des processus de modernisation dans les sciences sociales latino-américaines".
Mais il concluait également que, malheureusement, la pensée coloniale reconduit certains problèmes théoriques et politiques majeurs. Il critique « une vision macrosociologique de l’histoire, héritée du marxisme, qui comprend le pouvoir sous le paradigme de la domination », de « graves problèmes de compréhension des rouages de la dynamique historique au niveau local ». Il regrette la confusion opérée par trop de décoloniaux entre une critique nécessaire de l’universalisme occidental et le rejet finalement stérilisant de l’idée d’universel. D’autre part, il met en doute la chronologie du racisme établie par Quijano, qui fait démarrer le racisme au XVIe siècle, voyant là une de méconnaissance de la mise en place des processus historiques, ce à en quoi les travaux récents d’historiens comme Max Herring Torres, ou Jean-Frédéric Schaub lui donnent raison. Il est également critique de ce qu’il appelle l’Abyayalisme ( Abya Yala est le nom indigène, kuna, du continent américain, appellation qui est reprise par de nombreux mouvements indigènes) qui serait le fait d’intellectuels blancs ou métis, idéalisant les communautés dont ils parlent, sans y appartenir.
Dans ses derniers travaux et interventions, il effectue une relecture critique du penseur José Carlos Mariátegui chez lequel il trouve à la fois l'attention à la réalité spécifique de l’Amérique latine et l'ouverture à un universel qui ne soit pas une autre forme d'eurocentrisme
Publications
- El tonto y los canallas. Notas para un republicanismo transmoderno. Bogotá: Universidad Javeriana, 2018
- Revoluciones sin sujeto. Slavoj Zizek y la crĂtica del historicismo posmoderno. D.F., MĂ©xico : AKAL 2015
- Historia de la gubernamentalidad. Razón de estado, liberalismo y neoliberalismo en Michel Foucault. Bogotá: Siglo del Hombre Editores 2010
- Tejidos OnĂricos. Movilidad, capitalismo y biopolĂtica en Bogotá (1910-1930). Bogotá: Universidad Javeriana 2009
- GenealogĂas de la colombianidad: formaciones discursivas y tecnologĂas de gobierno en los siglos XIX y XX. Santiago Castro-GĂłmez y Eduardo Restrepo (editores), 2008
- Reflexiones para una diversidad epistémica más allá del capitalismo global. Santiago Castro-Gómez y Ramón Grosfoguel (editores). Siglo del Hombre Editores, 2007
- La poscolonialidad explicada a los niños. Editorial Universidad del Cauca, Popayán 2005
- La hybris del punto cero. Ciencia, raza e ilustración en la Nueva Granada (1750-1816). Bogotá: Universidad Javeriana 2005
- Indisciplinar las ciencias sociales. GeopolĂticas del conocimiento y colonialidad del poder (2002
- La reestructuración de las ciencias sociales en América Latina (2000)
- TeorĂa y práctica de la crĂtica poscolonial (1999)
- Teorias sin Disciplina. Latinoamericanismo, Poscolonialidad Y Globalizacion En Debate. Santiago Castro-gomez y Eduardo Mendieta, 1998
- CrĂtica de la razĂłn latinoamericana. Barcelona: Puvill Libros. 1996.
Articles traduits en français
- Castro-Gómez Santiago, «Le chapitre manquant d'Empire. La réorganisation postmoderne de la colonisation dans le capitalisme postfordiste. », Multitudes, 2006/3 (no 26), p. 27-49.
- Introduction de La hybris del punto cero. Science, race et Lumières en Nouvelle-Grenade (1750-1816); Revue d'Études décoloniales. 2017. Traduction Lissel Quiroz
- Chapitre 3. de La Hybris del punto cero. Science, race et Lumières en Nouvelle-Grenade (1750-1816); Revue d'Études décoloniales. 2017. Traduction Lissel Quiroz
- "Tournant décolonial, théorie critique et pensée hétérarchique".in Cahier Genre et Développement. 2019.
Liens externes
Claude Bourguignon Rougier. "Santiago Castro Gómez". In Un dictionnaire décolonial. Éditions Science et Bien commun. 2021.
Santiago Castro Gómez. "La pensée décoloniale en débat". Nouveaux cahiers du socialisme. 7 avril 2021.