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Philistinisme

Le philistinisme est un concept développé par le poète et critique culturel anglais Matthew Arnold dans son essai Culture et anarchie (Culture and Anarchy en version originale) puis repris par la politologue, journaliste et philosophe allemande Hannah Arendt, dans son recueil La Crise de la culture (ou Between Past and Future pour la version originale).

Le terme est antérieur à sa redéfinition conceptuelle par Arnold et Arendt. Basiquement, un philistin se dit de quelqu'un qui est fermé aux arts, aux lettres, et aux inventions[1]. Ce mot provient de l'allemand Philister et était autrefois employé comme expression par les étudiants allemands afin de désigner les individus étrangers à l'université (c'est-à-dire les bourgeois, la classe marchande)[2]. C'est aussi ce que les Grecs appelaient l' apeirokalia à savoir une forme de vulgarité, et un manque d'expérimentation, de connaissance des belles choses (qui ont la capacité d'émouvoir).

Chez Arnold

Dans Culture and Anarchy, Matthew Arnold divise la société de l'Angleterre de son époque en trois classes : la classe aristocratique, la classe moyenne et la classe ouvrière. Il nomme les membres de la classe moyenne « philistins » et les caractérise par leur goût de l'argent et du confort matériel. Il écrit :

« S'il n'y avait pas cet effet de purification exercé sur nos esprits par la culture, le monde entier, l'avenir comme le présent, appartiendrait inévitablement aux Philistins. Les personnes qui croient le plus que notre grandeur et notre bien-être sont prouvés par le fait que nous sommes très riches, et qui consacrent le plus leur vie et leurs pensées à devenir riches, sont ceux que nous appelons les Philistins. La culture dit : "Considérez donc ces gens, leur manière de vivre, leurs habitudes, leurs manières, le ton même de leur voix ; regardez-les attentivement ; observez la littérature qu'ils lisent, les choses qui leur procurent du plaisir, les mots qui sortent de leur bouche, les pensées qui font le mobilier de leur esprit ; est-ce qu'une quantité quelconque de richesse vaudrait la peine d'être possédée à la condition de devenir comme ces gens en la possédant ?". »
Culture et anarchie (1869)

Chez Arendt

Le philistinisme théorisé par Hannah Arendt se scinde en deux branches :

  • le philistinisme inculte
  • le philistinisme cultivé

Le philistinisme inculte

Le philistinisme inculte est une notion définie par Arendt telle qu'un « état d'esprit qui juge de tout en termes d'utilité immédiate et de valeurs matérielles et n'a donc pas d'yeux pour des objets et des occupations aussi inutiles que ceux relevant de la nature et de l'art »[2]. C'est ainsi le sens que l'on retrouvait chez les Grecs, et chez les étudiants allemands évoqués précédemment.

Le monde selon Arendt est ce qui unit les hommes dans leurs désaccords, clivages et divergences, ce qui leur est commun, ce qui créé un lien entre eux, et ce qu'ils partagent. Ce monde n'est autre que l'esprit, et l'ensemble de ses œuvres (art et culture) dans la mesure où l'apparence de l'esprit est la beauté.

Ainsi, celui qui se désintéresse des arts et de la culture, se désintéresse des choses belles, émancipatrices, sources d’élévation, de libération et d'unité. Il se préoccupe davantage des choses matérielles, monnayables, rentables et ne fait pas d'efforts de pensée. Ces incultes sont décrits par Hannah Arendt comme de « simples faiseurs d'argent ».

Le philistinisme cultivé

Le philistin cultivé, lui, est tout autre, dans la mesure où il s'intéresse effectivement à la culture, mais pour des raisons perçues comme illégitimes par Arendt, et qui sont loin de celles inhérentes et propres aux grandes œuvres de l'esprit humain.

En effet, cette notion renvoie à l'ensemble des personnes qui utilisent les biens culturels comme instrument, comme un moyen au service de leur élévation dans les rangs sociétaux. Ils portent certes un intérêt à la culture, mais ce n'est que pour nourrir les passions sociales que sont la recherche de pouvoir et de prestige. Ils consacrent ainsi du temps à l'étude des œuvres uniquement pour en tirer des bénéfices symboliques, une position sociale qu'ils jugent supérieure, en servant des intérêts narcissiques. Ce sont des intellectuels qui font preuve d'un comportement snob, ou encore hautain, puisqu'ils utilisent l'art (à l'instar d'une monnaie ou d'une marchandise échangeable), pour se distinguer, appartenir aux classes dirigeantes et pour jouir d'un sentiment de domination. Ce processus se traduira par exemple lorsque le philistin cultivé instruira un autre individu, sur une notion méconnue par ce dernier. Il aura alors l'impression de briller dans le regard de l'autre, de susciter l'admiration (tant convoitée)[3]. Ce mécanisme social sera cependant effectué de manière désavouée et cachée par le masque du désintéressement[3]. « Dans cette lutte pour une position sociale, la culture commença à jouer un rôle considérable : celui d'une des armes, sinon la mieux adaptée, pour parvenir socialement et s'éduquer »[2]. L'art devient une clef au développement, à l'éducation et à l'enrichissement personnel, quand il devrait être une clef à la contemplation et à l'expression d'émotions. « Ce peut être aussi utile, aussi légitime de regarder un tableau en vue de parfaire sa connaissance d'une période donnée, qu'il est utile et légitime d'utiliser une peinture pour boucher un trou dans un mur »[2].

De plus, Arendt précise que ce comportement s'observe dans la société, ou encore la bonne société, c'est-à-dire les couches de la population qui disposent de plus de richesses et de temps libre (elles correspondent à la bourgeoisie et l'aristocratie du XIXe siècle).

Arendt affirme que cette utilisation particulière de l'art, et ces finalités qui lui sont octroyées, détournent le philistin du réel message, et de la réelle portée de l’œuvre, à savoir : « le pouvoir d'arrêter notre attention et de nous émouvoir »[2].

Pierre Bourdieu

Pierre Bourdieu va encore plus loin dans cette analyse de la distinction esthétique, en estimant que c'est là la seule raison d'être de l'art. Selon sa thèse (exposée dans son ouvrage La Distinction publié en 1979), les distinctions du beau et du laid, du noble et du vulgaire, sont uniquement des distinctions de classe et reflètent les rapports de domination sociétaux. Le monde culturel n'existerait et ne serait conçu que pour ce jeu social dissimulé et calculateur[3].

Notes et références

  1. Éditions Larousse, « Définitions : philistin - Dictionnaire de français Larousse », sur www.larousse.fr (consulté le )
  2. Hannah Arendt, La Crise de la culture, Gallimard, , 380 p., p 258-259
  3. Simone Manon, 10 leçons sur : la liberté, Samuel Bernardet, , 188 p., Chapitre 4 et 6

Lien externe

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