Accueil🇫🇷Chercher

Nature morte aux fruits

Nature morte aux fruits est un tableau peint entre 1601 et 1605 et conservé en collection privée. Il est parfois attribué au peintre Caravage, bien que cette attribution soit loin de faire l'unanimité.

Nature morte aux fruits
Artiste
Date
Type
Technique
huile sur toile
Dimensions (H Ă— L)
83 Ă— 135 cm
Mouvement
Localisation
Commentaire
coll. privée

Historique

Cette œuvre attribuée à Caravage par certains historiens de l'art comme John Varriano[1] a été diversement datée entre 1601 et 1605[2]. Le tableau a été « redécouvert » en 1992 lors de son passage en vente aux enchères, attribué à « un suiveur de Caravage »[3]. Après avoir été exposé au public plusieurs années grâce à des prêts successifs dans divers musées américains et australiens, il repasse en vente publique en 2013, sous une attribution prudente à « l'école romaine » du début du XVIIe siècle[3].

Provenance

La prĂ©sence du tableau est attestĂ©e pour la première fois dans les collections du cardinal Barberini en 1671, comme « aux mains Â» du peintre. Si l’on ignore comment Barberini en est devenu le possesseur, on sait qu’il a achetĂ© une partie de la collection du cardinal Francesco Maria del Monte, premier mĂ©cène de Caravage, Ă  sa mort en 1627. Ce tableau pourrait donc avoir Ă©tĂ© une commande de del Monte. Une autre possibilitĂ© est qu’en 1644, le cardinal Antonio Barberini a hĂ©ritĂ© de la Nature morte aux fruits de son oncle, le pape Urbain VIII, grand mĂ©cène et collectionneur d’art chevronnĂ©. Il est Ă©tabli qu’Urbain VIII a acquis en 1603, alors qu’il Ă©tait encore cardinal, un certain nombre de tableaux directement Ă  Caravage. Partageant les mĂŞmes dimensions et de la mĂŞme palette que le Sacrifice d’Isaac — connu pour avoir fait partie de ce groupe et datant de la mĂŞme pĂ©riode dans la carrière de Caravage — la Nature morte aux fruits aurait facilement pu faire partie du lot.

Contexte

La Corbeille de fruits de Caravage, conservée à la Pinacothèque Ambrosienne de Milan.

Caravage est reconnu pour avoir inventé la nature morte moderne, un genre à ses débuts dans les premières années du XVIIe siècle à Rome où la nature morte existait à l’Antiquité, mais avait disparu au Moyen-Âge[4]. Bien que Caravage ait très fréquemment incorporé des éléments de nature morte dans ses œuvres, seules la Nature morte aux fruits et la Corbeille de fruits conservée à la Pinacothèque Ambrosienne de Milan ont été identifiées, à ce jour, comme natures mortes indépendantes dues au pinceau de Caravage. Tant l’extraordinaire virtuosité de son exécution que la complexité de signification proposée par sa composition ont valu à la Nature morte aux fruits d’être qualifiée par certains chercheurs d’« image capitale pour l’artiste » et de « premier chef-d’œuvre de la nature morte[5] ».

Description

La Nature morte aux fruits montre, Ă  gauche, divers fruits et lĂ©gumes â€” prunes, pĂŞches, pommes, poires, raisin — dans un panier en osier posĂ© sur une table en pierre, sous l’habituel puits de lumière forte mais douce tombant du haut Ă  gauche, « comme Ă  travers un trou dans le plafond[6] » dont Ă©tait coutumier Caravage dans son Ĺ“uvre. De grands melons, des courges et des citrouilles ; une pastèque et un potiron coupĂ©s ouverts de façon Ă  montrer l’intĂ©rieur, de longues gourdes tordues qui paraissent vouloir Ă©chapper Ă  l’espace bidimensionnel de la reprĂ©sentation, occupent la majeure partie de l’espace.

Analyse

Garçon mordu par un lézard, à la National Gallery de Londres.

Au premier degrĂ©, ce tableau peut se lire comme une Ă©tude de la texture, de la forme et de la lumière relevant du morceau de bravoure, la symbologie des fruits et des lĂ©gumes Ă©tait riche et complexe Ă  la Renaissance et, compte tenu de cet Ă©lĂ©ment, le fait que tant de tableaux caravagiens simples en apparence comportent, en fait, comme le Garçon mordu par un lĂ©zard, des messages codĂ©s. Plusieurs commentateurs ont notĂ© la suggestivitĂ© visuelle des fruits et des melons fraichement coupĂ©s, et les contorsions des courges protubĂ©rantes. Les botanistes affirment que les quelque dix-sept diffĂ©rentes espèces de fruits et lĂ©gumes dĂ©peints, y compris leurs prĂ©dations insectivores identifiables et les ravages de la maladie, dans la douzaine de tableaux laissĂ©e par le Caravage, offrent une perspective unique sur l’horticulture de son Ă©poque[7]. Dans la plupart de ces reprĂ©sentations, la signification iconographique du fruit est minime, mais dans la Nature morte aux fruits, le caractère sexuel du message est clair[8]. L’érotisation des figues, pĂŞches, melons, et autres courges Ă©tait une pratique particulièrement frĂ©quente Ă  l’époque allant de RaphaĂ«l (1483-1520) Ă  Caravage (1571-1610). Les melons, les grenades, les courges, les figues et les autres fruits sont disposĂ©s de manière Ă  suggĂ©rer l’intumescence sexuelle et la rĂ©ceptivitĂ© Ă  la pĂ©nĂ©tration. On remarque ainsi la tige du melon central dirigĂ©e vers une figue fendue et les deux gourdes charnues langoureusement posĂ©es sur deux melons qui bĂ©ent, « se portant, en quelque sorte, au-devant du dĂ©sir qu’ils font naitre[5] Â». Ce symbolisme sexuel ne laisse pas nĂ©anmoins d’être très ambigu dans la mesure oĂą le symbolisme sexuel qui s’attache Ă  un fruit comme la grenade est celui de la gĂ©nĂ©ration et de la fĂ©condation, mais il peut Ă©galement ĂŞtre assimilĂ© Ă  une bourse. Tout aussi Ă©quivoque est la figue, dont l’éclatement est Ă©vocateur du sexe fĂ©minin appelant Ă  la pĂ©nĂ©tration, mais dont l’aspect extĂ©rieur est souvent comparĂ© au scrotum. Il n’y a pas jusqu’à cette symbolique mĂŞme qui n’ait sa part d’amphibologie puisque les fruits dĂ©peints prĂ©sentent des signes de maladie : la pomme, fruit dĂ©fendu par excellence, s’avère ainsi piquĂ©e de vers ; quant Ă  la peau de la figue, elle prĂ©sente une excoriation suggestive de l’ulcère syphilitique. Dans la mesure oĂą son imagerie n’est plus confinĂ©e aux marges ou Ă©clipsĂ©e par la prĂ©sence humaine, l’érotisation de la nature morte atteint son apogĂ©e avec ce tableau qui constitue vĂ©ritablement la première nature morte Ă©rotique autonome de l’histoire de l’art moderne[9].

Notes et références

  1. (en) John L. Varriano, Caravaggio : The Art of Realism, University Park, Pennsylvania State University Press, 2010, XIII-183 p., p. 69.
  2. John T. Spike, spécialiste de Caravage, privilégie cette dernière date.
  3. (en) « Roman School, circa 1605-1610 : Still Life with Fruit on a Stone Ledge », sur Sotheby's (consulté le ).
  4. Connaissance des arts, vol. 524-526, Société d’études et de publications économiques, 1996, p. 18.
  5. Pierre Arnaud, Elisabeth Angel-Perez, Le Regard dans les arts plastiques et la littérature, coll. Sillages critiques, Paris, Presses Paris Sorbonne, 2003, 153 p. (ISBN 978-2-84050-296-8), p. 10
  6. On sait qu’à cette époque, Caravage était poursuivi en justice par son logeur qui l’accusait d’avoir fait un trou dans le plafond de la chambre qu’il louait, sans doute pour créer cet éclairage caractéristique de son œuvre.
  7. (en) David Winner, Al Dente : Madness, Beauty and the Food of Rome, Londres, Simon and Schuster, 2012, 304 p. (ISBN 978-0-85720-881-1).
  8. (en) John T. Spike, « Caravaggio erotico Â», FMR : the magazine of Franco Maria Ricci, no 15, 1995, p. 14-22.
  9. (en) John L. Varriano, Tastes and Temptations : Food and Art in Renaissance Italy, University of California Press, 2009, 259 p. (ISBN 978-0-52025-904-1), p. 123.

Articles connexes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.