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NĂ©okantisme

Le néokantisme, qui ne doit pas être confondu avec l'idéalisme allemand (post-kantisme (en) en anglais), est un courant de la pensée philosophique allemande qui occupe la scène universitaire des années 1870 jusqu'aux premières décennies du XXe siècle.

Il serait plus précis de ne pas parler de la tradition néokantienne, car il y avait plusieurs courants très différentiables. Les deux principales écoles étaient :

  1. L'Ă©cole dite de Marbourg au sein de l'universitĂ© de Marbourg fondĂ©e par Hermann Cohen et continuĂ©e par Paul Natorp et (au moins jusqu'en 1920) Ernst Cassirer ;
  2. L'école dite du sud-ouest ou de Baden fondée par Wilhelm Windelband et systématiquement développée par Heinrich Rickert[1].

Le néokantisme est souvent identifié à l'école de Marbourg, du fait de la présence de H. Cohen et de Cassirer, les principaux philosophes de ce courant.

Il y eut des néokantismes tant par la diversité des auteurs que des thèmes abordés allant de la théorie de la connaissance, la logique, l'histoire, la psychologie, la culture, l'éthique entre autres. Ce courant de pensée n'est pas un simple retour, mais essentiellement l'approfondissement de la philosophie kantienne dans trois directions :

Il est difficile de dĂ©finir prĂ©cisĂ©ment le nĂ©okantisme de par sa position et son rĂ´le dans l'histoire de la philosophie. Ainsi que l'a Ă©crit Ernst Cassirer, dans un article de 1928 : « Ă€ mon avis, il n'y a pas de concept qui soit aussi peu clairement circonscrit que celui de nĂ©okantisme […]. On ne doit pas dĂ©terminer le concept « nĂ©okantisme Â» de façon substantielle mais fonctionnelle[4]. »

En 1913, Heidegger soutint sa thèse doctorale La doctrine du jugement dans le psychologisme sous la direction de Rickert, principal philosophe de l'école de Baden[5].

Avec l'arrivée de Hitler au pouvoir en 1933, les cercles néokantiens se dispersèrent et ses principaux philosophes émigrèrent.

Ce courant de pensée eut une influence déterminante sur la philosophie de la fin du XIXe siècle et constitue le point de départ de l'ontologie chez Heidegger d'une part, du positivisme logique de Carnap d'autre part.

Michel Foucault, auteur pour sa thèse de doctorat d'une traduction de l'anthropologie d'un point de vue pragmatique de Kant ainsi que d'une « Introduction à l'anthropologie kantienne »[6], est à bien des égards néo-kantien ainsi que l'a fait remarquer Gilles Deleuze[7] :

« […] après tout, Kant avait Ă©tĂ© le premier philosophe Ă  construire l’homme, Ă  partir et sur, deux facultĂ©s hĂ©tĂ©rogènes. Une facultĂ© de rĂ©ceptivitĂ© – et, après tout le visible ressemble bien Ă  une rĂ©ceptivitĂ© – et une facultĂ© de spontanĂ©itĂ©, et après tout l’énoncĂ© dont nous avons vu qu’il Ă©tait dĂ©terminant, qu’il avait le primat, ressemble bien Ă  une espèce de spontanĂ©itĂ©. Donc nĂ©cessitĂ© d’une confrontation avec Kant sous la question gĂ©nĂ©rale : peut-on dire que Foucault est, d’une certaine manière, nĂ©o-kantien ? »

Contexte historique : le grand discrédit de la philosophie au XIXe siècle

Le XIXe siècle fut marqué par l'hégémonie de l'école hégélienne et l'intellectualisme allemand. Après la mort de Hegel, la philosophie fut l'objet d'un discrédit dont on a peu idée de nos jours[8]. Alors qu'elle se voulait le fleuron de la science, elle fut considérée dans les années 1850 et suivantes, comme sa honte, certains allant même jusqu'à vouloir la voir disparaître. Il faut dire que le développement de la science et le sectarisme de l'école hégélienne furent telles que la philosophie ne trouvait plus sa place, pis, elle ne permettait pas de répondre aux développements sociaux, historiques, politiques[9] - [10].

Face Ă  l'effondrement de l'idĂ©alisme spĂ©culatif, Ă  la fin du XIXe siècle et les problèmes thĂ©oriques que posait le dogmatisme matĂ©rialiste en vogue Ă  l'Ă©poque, on assiste au choix de repartir de celui qui fut le fondateur du criticisme : Kant. Zeller donna le premier le mot d'ordre, « Retour Ă  Kant Â» en 1862[11]. Otto Liebman ouvrit Ă©galement la voie avec son ouvrage Kant et les Ă©pigones (Kant und die Epigonen) [12] publiĂ© en 1865, dont chacun des chapitres se terminait par la formule « il faut retourner Ă  Kant Â». Ce retour semblait la seule issue pour sortir la philosophie de son ornière. En effet, le criticisme kantien permet de penser les sciences et la place de la raison dans la pensĂ©e humaine. Ainsi naquit le nĂ©okantisme, voie philosophique entre l'idĂ©alisme spĂ©culatif et le dogmatisme matĂ©rialiste.

Éléments historiques

École de Marbourg

Il est d'usage d'attribuer la naissance du nĂ©okantisme Ă  Hermann Cohen lors de la publication, en 1871, de Kants Theorie der Erfahrung (La ThĂ©orie kantienne de l'expĂ©rience) mĂŞme si on trouve des Ă©lĂ©ments dĂ©jĂ  chez Lange, Liebmann ou Helmholtz. Il est considĂ©rĂ© comme le fondateur de l'Ă©cole dite de Marbourg, qui a fortement mis l'accent sur les mathĂ©matiques. Leur devise met l'accent sur les modes de conceptions du savoir : « C'est la production mĂŞme qui est le produit (Erzeugen) »[13].

Cohen a critiquĂ© le psychologisme dans lequel la comprĂ©hension de la pensĂ©e kantienne du sujet avait Ă©voluĂ©. Pour Cohen, la connaissance existe indĂ©pendamment du sujet[14]. Cohen s'inscrit initialement dans une continuitĂ© philologique de Kant pour progressivement adopter une position indĂ©pendante assez idĂ©aliste.

Le deuxième reprĂ©sentant majeur de l'Ă©cole de Marbourg, Paul Natorp s'est principalement intĂ©ressĂ© aux fondements logiques des sciences exactes, rejetant l'existence des « choses en soi Â».

Karl Vorländer fut marxiste. Il mit l'accent sur la philosophie de l'histoire. Les travaux de Rudolf Stammler ont principalement portĂ© sur les questions sociales et jurisprudentielles de mĂŞme que Walther SchĂĽcking qui s'est intĂ©ressĂ© au droit international dans la continuation des Ă©crits de Kant sur la paix. Il eut une influence dĂ©cisive sur le dĂ©veloppement du droit constitutionnel au XXe siècle.

Ernst Cassirer est considĂ©rĂ© comme le dernier reprĂ©sentant de l'Ă©cole de Marbourg et du nĂ©okantisme, mĂŞme si bon nombre de ses Ĺ“uvres majeures furent rĂ©digĂ©es et publiĂ©es après son dĂ©part d'Allemagne. Il Ă©labora, au travers d'une Ĺ“uvre abondante, une philosophie de la connaissance, et de l'histoire. Son Ĺ“uvre majeure La philosophie des formes symboliques vise Ă  rendre compte de la façon dont l'ĂŞtre humain construit ses reprĂ©sentations du monde au travers du mythe, du langage et de la science qui permettent de lui donner un sens. La pensĂ©e produit des formes symboliques du monde qui dĂ©signent des relations plutĂ´t que des objets[15].

École du sud-ouest

L'école du sud-ouest ou de Baden du néo-kantisme fut surtout orientée vers une philosophie des valeurs.

Ses reprĂ©sentants principaux Ă©taient Wilhelm Windelband et Heinrich Rickert.

Principales doctrines

Épistémologie et construction du savoir

L'intĂ©rĂŞt de Kant provient de diffĂ©rents aspects de sa pensĂ©e. D'abord et avant tout, son intĂ©rĂŞt pour les sciences de la nature, alors que l'idĂ©alisme spĂ©culatif prĂ©tendait les supplanter. L'expĂ©rience (en tant qu'expĂ©rience vĂ©cue, Erfahrung) a une place centrale chez Kant, et reste compatible avec les sciences de la nature et leur mĂ©thode. C'est un de ses avantages dĂ©cisifs. Par ailleurs, Kant ne prĂ©tend pas que la totalitĂ© des choses soit connaissable comme l'avaient affirmĂ© les hĂ©gĂ©liens. Le dogmatisme spĂ©culatif, qui fut l'une des causes principales du discrĂ©dit de la philosophie, Ă©tait Ă©vacuĂ© de la philosophie par ce retour Ă  Kant. Par ailleurs, le dogmatisme matĂ©rialiste qui Ă©tait alors en vogue, Ă©tait Ă©galement battu ainsi en brèche, assimilĂ© lui aussi Ă  un dogmatisme. En effet, l'esprit n'y avait plus de place. La doctrine kantienne permettait de redonner sa place au sujet connaissant, mais Ă©galement Ă  l'expĂ©rience. La « logique transcendantale Â» de Kant permettait d'articuler et rendre compte des prĂ©supposĂ©s mĂ©thodologiques et philosophiques des sciences positives de l'Ă©poque, qu'il s'agisse des sciences de la nature ou des sciences de l'esprit[16].

Il ne faut pas voir le néokantisme comme un retour au confort du kantisme pur et dur, mais bien plus comme le retour au dernier point fixe pour frayer une nouvelle voie à la philosophie. La philosophie de Kant, sa conception du temps et de l'espace d'abord et avant tout, est marquée par l'émergence de la physique moderne de Newton s'appuyant sur les théories mathématiques. Celles-ci avaient considérablement progressé au XIXe siècle. De plus, la physique était en plein bouleversement avec l'émergence de la théorie de la relativité et de la physique quantique. Enfin, la biologie avait considérablement progressé. La philosophie ne pouvait rester indifférente à tous ces bouleversements de la connaissance scientifique. Le néokantisme avait comme premier programme de revoir les théories de Kant à la lumière de ces progrès, et de les adapter, le cas échéant.

Séparation de la méthode kantienne de ses résultats

Le néo-kantisme a aménagé le kantisme en distinguant essentiellement les résultats de l'investigation kantienne de la méthode employée, montrant que celle-ci était toujours valide, indépendamment des évolutions des théories scientifiques. Cette méthode permettait d'unifier les différents champs du savoir et leur donner un sens pour l'homme.

Le néokantisme est kantisme en cela qu'il considère la question fondatrice de Kant de la Critique de la raison pure, « que puis-je savoir ? », comme éternellement valable. Le néokantisme a insisté sur cette question et l'a actualisée. L'influence néokantienne est majeure en cela qu'il a montré que la question des conditions de la science, et de sa synthèse était du ressort de la philosophie et son champ de pertinence par excellence. Le néokantisme a surtout montré que la démarche critique n'était pas un simple moment dans l'histoire de la philosophie, mais bien une de ses composantes essentielles.

Cette démarche critique trouvera son aboutissement chez Cassirer pour qui : « La critique de la raison doit devenir critique de la culture[17]. »

Unité de la Raison

La question de l'unité du savoir se posait à une époque où il devenait de plus en plus difficile à une seule personne de comprendre et posséder l'essentiel des connaissances scientifiques, quels qu'en soient les domaines : mathématique, physique, biologie, psychologie… Le néokantisme a tenté de restituer une unité et de donner les moyens d'opérer leurs synthèses. Pour ce faire, la démarche kantienne rénovée servit de fil directeur, en montrant que la méthode scientifique est une quel que soit le domaine d'investigation. En particulier, alors que la division noumène, phénomène chez Kant permettait de structurer la Raison en distinguant le monde sensible de l'intelligible, cette distinction est remise en question d'abord par Cohen puis par Cassirer.

Ce dernier reprend la méthode des antinomies de la Raison, au cœur de la Critique de la raison pure, mais en modifie les termes. Il ne s'agit plus d'opposer phénomène et noumène, mais monde organisé d'une part et donnée brut des sens à structurer. Ainsi, l'expérience fournit un matériau que la Raison structure selon les lois universelles des mathématiques, dont la physique est le meilleur exemple. L'unité de la Raison était ainsi assurée de façon critique, c’est-à-dire du point de vue de ses conditions de réalisation. Elle était de nouveau possible, mais de façon différente de ce que Kant avait formalisé.

Références

  1. (en) Michael Friedman, A parting of the ways : Carnap, Cassirer and Heidegger, Chicago, Open Court publishing, , 175 p. (ISBN 0-8126-9424-4, lire en ligne), p. 25-26
  2. (en) Michael Friedman, A parting of the ways : Carnap, Cassirer, and Heidegger, Open Court, , 175 p. (ISBN 0-8126-9424-4, lire en ligne), p. 29
  3. « Entre Dieu et Kant : la philosophie de la religion de Hermann Cohen », sur eduscol.education.fr
  4. DĂ©bat sur le kantisme et la philosophie, Ernst Cassirer, traduction Pierre Aubenque, Paris, 1972.
  5. (en) « Heidegger, Martin | Internet Encyclopediae of Philosophy »
  6. « kant.pdf », sur michel-foucault.com,
  7. « La voix de Gilles Deleuze », sur www2.univ-paris8.fr (consulté le )
  8. Léo Freuler, La crise de la philosophie au 19e siècle, Paris, Vrin, , p. 10-24
  9. Léo Freuler - La crise de la philosophie au XIXe siècle, Ed. Vrin, 1997, chapitre 1
  10. Ernest Renan, « De la métaphysique et son avenir », sur wikisource.org,
  11. Alexis Philonenko, L'Ă©cole de Marbourg : Cohen, Natorp, Cassirer, Paris, Vrin, , 206 p. (ISBN 978-2-7116-0992-5, lire en ligne), p. 9
  12. Otto Liebmann et Bruno Bauch, Kant und die Epigonen : eine kritische Abhandlung, Berlin : Reuther & Reichard, (lire en ligne)
  13. Hemannn Cohen, La logique de la connaissance pure, Vrin, p. 29
  14. Alexis Philonenko, L'Ă©cole de Marbourg : Cohen, Natorp, Cassirer, Paris, Vrin, , 206 p. (ISBN 978-2-7116-0992-5, lire en ligne), p. 20
  15. Leopoldo Iribarren, « Langage, mythe et philologie dans la Philosophie des formes symboliques d’Ernst Cassirer », Revue germanique internationale,‎ , p. 95-114 (ISSN 1253-7837, DOI 10.4000/rgi.1308, lire en ligne, consulté le )
  16. (en) Michael Friedman, A parting of the ways : Carnap, Cassirer and Heidegger, Chicago, Open Court, , p. 146
  17. Ernst Cassirer, Philosophie des formes symboliques, Paris, Minuit, , p. 20

Voir aussi

Bibliographie

  • Hermann Cohen, Le concept de Philosophie, Ă©d. sous la direction de Myriam Bienenstock, Paris, Éditions du Cerf, collection "Passages", 2014.
  • Hermann Cohen, La ThĂ©orie kantienne de l'expĂ©rience, Paris, Éditions Cerf, 2001 (ISBN 978-2-20406-684-6)
  • Ernst Cassirer, Le Problème de la connaissance dans la philosophie et la science des temps modernes, 4 tomes, Paris, Éditions Cerf, 1995
  • Ernst Cassirer, Substance et fonction - ÉlĂ©ments pour une thĂ©orie du concept, Paris, Éditions de minuit, 1977 (ISBN 978-2707301864)
  • Ernst Cassirer, Philosophie des formes symboliques, 3 tomes, Paris, Éditions de minuit, 1972 (ISBN 978-2-70730-188-8, 978-2-70730-273-1 et 978-2-70730-386-8)
  • Hermann Cohen, La religion dans les limites de la philosophie, Éditions Cerf, 1990 (ISBN 978-2-20403-194-3)
  • Paul Natorp, Psychologie gĂ©nĂ©rale selon la mĂ©thode critique, Éditions Vrin, 2008 (ISBN 978-2-71161-961-0)
  • NĂ©okantisme et sciences morales, Sous la direction de Myriam Bienenstock, Paris, Éd. du CNRS, 2007, 254 p. (ISBN 978-2-27106-533-9)
  • Alexis Philonenko, L'École de Marbourg : Cohen, Natorp, Cassirer, Paris, Éditions Vrin, 1989, 206 p. (ISBN 978-2-71160-992-5)
  • Éric Dufour, Les NĂ©okantiens : valeur et vĂ©ritĂ©, Paris, Éditions Vrin, 2003, 190 p. (ISBN 978-2-71161-611-4)
  • Cohen Natorp Cassirer Rickert Windelband Lask Cohn - NĂ©okantismes et thĂ©orie de la connaissance, Recueil de textes traduits sous la direction de Marc de Launay, Paris, Éditions Vrin, 2000, (ISBN 978-2-71161-464-6)

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