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Mythologie universelle

La mythologie universelle, ou mythologie du grec muthologia, ÎŒÏ…ÎžÎżÎ»ÎżÎłÎŻÎ±, c’est-Ă -dire muthos, ÎŒĆšÎžÎżÏ‚, « fable » et logos, Î»ÏŒÎłÎżÏ‚, « discours », consistait, dans l’antiquitĂ©, en un rĂ©cit imagĂ© servant Ă  Ă©tablir des fonctions spĂ©cifiques imputĂ©es Ă  des entitĂ©s immatĂ©rielles dans le but d’établir Ă  travers elles diverses fonctions religieuses.

Cette activitĂ©, basĂ©e sur une pratique cultuelle (relevant de rituels, d’invocations et de sacrifices) consistait en une demande adressĂ©e Ă  une entitĂ© (jugĂ©e supĂ©rieure) en mesure d’intervenir pour exaucer une exigence particuliĂšre. En appliquant ce principe dans un sens universel Ă  toutes les grandes religions du monde, tant passĂ©es que prĂ©sentes, la « mythologie » devrait permettre de dresser un portrait suffisamment prĂ©cis afin de choisir quelle entitĂ© invisible doit correctement ĂȘtre sollicitĂ©e pour accomplir cette tĂąche.

Le panthéon révisé

Une Ă©tude sur le sujet[1] est parvenue Ă  Ă©tablir une concordance entre les divinitĂ©s des grands courants religieux (sans exclure l’actuelle religion chrĂ©tienne) en se basant sur une symbolique animaliĂšre. Cette Ă©tude prend comme point de dĂ©part une citation d’Ovide selon laquelle, au moment de leur fuite en Égypte sous les attaques de Typhon, les dieux de l’Olympe se dissimulĂšrent sous une forme animale :

« « Jupiter (
) est reprĂ©sentĂ© avec des cornes recourbĂ©es ; le dieu de DĂ©los se changea en corbeau, le fils de SĂ©mĂ©lĂ© en bouc, la sƓur de PhĂ©bus en chatte ; la fille de Saturne devint une gĂ©nisse blanche comme la neige, VĂ©nus en poisson, et les ailes d’un ibis dĂ©guisĂšrent le dieu de CyllĂšne. »[2] »

Liste inachevĂ©e si l’on tient compte de l’absence de trois principales divinitĂ©s, HĂ©phaĂŻstos, ArĂšs et AthĂ©na, fort heureusement complĂ©tĂ©e pour deux d’entre elles par son contemporain Antoninus Liberalis :

« « Seuls restĂšrent AthĂ©na et Zeus. Typhon se lança sur les traces des dieux qui prirent la prĂ©caution de lui Ă©chapper en revĂȘtant des formes animales. Apollon devint un milan, HermĂšs un ibis, ArĂšs un lĂ©pidĂŽtos, ArtĂ©mis une chatte, Dionysos prit la forme d’un bouc (
) HĂ©phaĂŻstos celle d’un bƓuf. » [3] »

AprĂšs une correction nĂ©cessaire, la liste complĂšte de cette symbolique totĂ©mique s’établit de la sorte :

  • Zeus identifiĂ© avec le faucon (permutĂ© avec le bĂ©lier chez Ovide)
  • Apollon identifiĂ© avec le bĂ©lier (permutĂ© avec Zeus chez Ovide et Antoninus)
  • Dionysos identifiĂ© avec le taureau (permutĂ© avec le bouc chez Ovide et Antoninus)
  • ArtĂ©mis identifiĂ© avec le chat
  • Aphrodite identifiĂ© avec le poisson (lĂ©pidĂŽtos imputĂ© Ă  ArĂšs chez Antoninus)
  • HermĂšs identifiĂ© avec l’ibis
  • HĂ©phaĂŻstos identifiĂ© avec le bouc (permutĂ© avec le bƓuf chez Antoninus)
  • ArĂšs identifiĂ© avec l’ñne (absent de la nomenclature d’Ovide et d’Antoninus)
  • AthĂ©na identifiĂ© avec le vautour (absent de la nomenclature d’Ovide et d’Antoninus)

Une fois cette identitĂ© animaliĂšre prĂ©cisĂ©e, une correspondance fondamentale s’établit avec le panthĂ©on Ă©gyptien.

  • Zeus correspond Ă  Horus (faucon, Falco peregrinus)
  • Apollon correspond Ă  Amon (bĂ©lier, Ovis ammon aries)
  • Dionysos correspond Ă  Min (taureau, Bos primigenius primigenius)
  • ArtĂ©mis correspond Ă  Bast (chat, Felis silvestris libyca)
  • Aphrodite correspond Ă  Neith (perche du Nil, Lates niloticus)
  • HermĂšs correspond Ă  ThĂŽt (ibis, Ibis religiosa)
  • HĂ©phaĂŻstos correspond Ă  Khnoum (bouc ou bĂ©lier, Ovis longipes palaeoaegyptiacus)
  • ArĂšs correspond Ă  Seth (Ăąne, Equus hermionus)
  • AthĂ©na correspond Ă  Nekhbet (vautour, Gyps fulvus)

En Inde, cette association prend la forme d’un animal support appelĂ© vāhana.

Restitution des fonctions primitives

Les fonctions des divinitĂ©s mythologiques ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©es en tenant compte d’une dizaine de secteurs comparables aux divisions actuelles de nos modernes sociĂ©tĂ©s, car il serait impropre, par exemple, d’implorer une divinitĂ© pour la guĂ©rison si le domaine sur lequel rĂšgne cette derniĂšre relĂšve de la dĂ©fense. Évidemment, en raison de l’influence imposĂ©e par l’intĂ©rĂȘt politique, Ă©conomique ou religieux, certaines de ces fonctions ont Ă©tĂ© altĂ©rĂ©es, imputĂ©es Ă  une autre divinitĂ© ou mĂȘme carrĂ©ment supprimĂ©es. Toutefois, l’ensemble de la personnalitĂ© du dieu survit toujours suffisamment pour en reconnaĂźtre les grandes lignes principales.

Principaux secteurs et leurs représentants

Secteur judiciaire

La divinitĂ© grecque veillant sur la sĂ©curitĂ© citadine Ă©tait AthĂ©na Polias, terme signifiant « citĂ© » d’oĂč provient le mot moderne police et son animal familier Ă©tait la chouette au regard nocturne perçant. En Égypte ancienne, la dĂ©esse Nekhbet Ă©tait reprĂ©sentĂ©e sous les traits d’un autre rapace, le vautour fauve qui, associĂ© lui aussi Ă  un rĂŽle de vigilance, la dĂ©signait comme protectrice du pharaon et de la Haute-Égypte. En Inde, cette entitĂ© a Ă©tĂ© dĂ©signĂ©e sous le nom de Devi. Son vāhana, sa monture, l’aigle, emprunte Ă  celui de son gĂ©niteur, Vishnu, et la maniĂšre dont elle vient au monde est digne de mention :

« De la face de Vishnou en colĂšre Ă©mana une grande lumiĂšre et il en fut de mĂȘme de celle de Shiva et de BrahmĂĄ. Du corps des autres dieux sortit Ă©galement une grande lumiĂšre. Toutes ces lumiĂšres se rassemblĂšrent en une seule extraordinaire qui « se transforma en une femme ! »[4] La curieuse naissance de la dĂ©esse, Ă©mergeant de la « face de Vishnou », recĂšle un important arcane, car, faut-il le rappeler, AthĂ©na ne naquit pas d’une maniĂšre conventionnelle, affirme la Fable, « adulte et toute armĂ©e, elle sortit du crĂąne de Zeus »[5].

À titre comparatif, Nekhbet Ă©tait intimement associĂ©e Ă  l’UrĂŠus, motif ornant le diadĂšme du pharaon dans lequel se fondaient les symboles de deux divinitĂ©s protectrices, le vautour de la Haute-Égypte (Nekhbet) et le cobra de la Basse-Égypte (Ouadjet). La tradition juive Ă©voque indirectement une correspondance similaire dans le personnage de MĂ©tatron, dont le nom signifie « Au-dessus du trĂŽne », du grec meta « au-dessus » et thronos « trĂŽne » ; ange assurant la protection du char divin, la Merkabah, en veillant sur son zĂ©nith. « Pour cette raison, dans le Livre d’Énoch, il est appelĂ© Phanuel, c’est-Ă -dire « Visage de Dieu », car MĂ©tatron est « l’Ange de la Face. » (Énoch, XL. 9) »[6]

Secteur législatif

La divinitĂ© grecque prĂ©posĂ©e Ă  la promulgation des lois Ă©tait le roi de tous les autres Olympiens, le grand Zeus dont l’animal attitrĂ© Ă©tait l’aigle ; une forme revĂȘtue par lui au moment de l’enlĂšvement du jeune prince troyen GanymĂšde. En Égypte ancienne, le dieu Horus, rĂ©gent de toutes les autres divinitĂ©s, avait le faucon pĂšlerin comme emblĂšme, oiseau appartenant lui aussi Ă  l’ordre des rapaces. En Inde, l’entitĂ© Ă©quivalente est Vishnou, divin conservateur de l’univers dont le vāhana est un aigle Ă  moitiĂ© humain appelĂ© Garouda.

Pour les anciens Grecs, l’attribut principal de Zeus Ă©tait le foudre (terme masculin), une sorte de javelot servant Ă  allumer des incendies chez l’ennemi ; mĂȘme si, Ă  priori, ces traits enflammĂ©s Ă©taient plutĂŽt l’Ɠuvre d’HĂ©phaĂŻstos qui les forgeait avec la collaboration des Cyclopes. « De nombreux textes anciens nous montrent que pour les Grecs et pour les Romains la [sic] foudre, arme de Jupiter forgĂ©e par les Cyclopes, Ă©tait un trait de guerre, mais c’était un trait incendiaire. »[7]

On retrouve une allusion Ă  cette capacitĂ© de foudroiement dans la tradition hĂ©braĂŻque oĂč l’ange, retenant le bras d’Abraham au moment oĂč il allait sacrifier son fils unique Isaac sur l’autel propitiatoire, Zadkiel, c’est-Ă -dire « Droiture de Dieu », reçoit Ă©galement l’épithĂšte de Barachiel, signifiant « Foudre de Dieu ».

Secteur culturel

La divinitĂ© impartie aux arts Ă©tait, chez les anciens Grecs, le dieu Apollon auquel la lyre servait de symbole. Ses animaux emblĂ©matiques Ă©taient nombreux, mais, Ă  Sparte, on l’honorait sous la forme particuliĂšre d’un ĂȘtre humain dont la tĂȘte s’ornait de cornes de bĂ©lier parfaitement reconnaissable sur d’antiques piĂšces de monnaie. « TantĂŽt Karneios, dieu du bĂ©lier Ă  Sparte (
) le loup que le dauphin, le chevreuil que le vautour, le cygne que le corbeau. »[8]

Ayant reçu un jour l’insigne honneur de conduire le char du soleil, il en Ă©tait restĂ© indĂ©finiment jeune et radieux. Cette qualitĂ© solaire a Ă©tĂ© conservĂ©e chez les anciens Égyptiens oĂč il Ă©tait honorĂ© sous les traits du dieu Amon dont l’une des deux formes animaliĂšres les plus communes (la seconde Ă©tant l’oie du Nil, Anser fabalis) Ă©tait justement le bĂ©lier.

Ce rĂŽle incandescent s’est transmuĂ© en Inde dans l’invocation du dieu lors de la crĂ©mation rituelle des offrandes oĂč il reçoit le nom d’Agni, c’est-Ă -dire « Feu », Ă©tant considĂ©rĂ© comme l’incarnation divine de l’élĂ©ment ignĂ©. Son vāhana, son animal-support, est encore une fois le bĂ©lier.

La fonction artistique n’a hĂ©las pas Ă©tĂ© conservĂ©e, pas plus qu’en Égypte d’ailleurs, mĂȘme si le feu et la musique demeurent intimement liĂ©s. En effet : « Tan Sen, un grand musicien hindou, avait le pouvoir, il y a des siĂšcles, d’éteindre le feu avec ses chants. En 1926, un naturaliste de Californie, Charles Kellog rĂ©pĂ©ta l’exploit Ă  New York. Il se munit d’un grand archet qu’il frotta rapidement sur un diapason d’aluminium : l’effet produit un son trĂšs perçant et, aussitĂŽt, le feu tĂ©moin (
) passa d’une grande flamme jaune de soixante centimĂštres de hauteur Ă  une petite flamme bleue de quelques centimĂštres. Un seul autre coup d’archet eut totalement raison du feu qui s’éteignit tout Ă  fait. »[9]

Dans la tradition orthodoxe chrétienne, le patron des arts se reconnaßt fort heureusement aisément sous les traits de Jehudiel dont le vocable signifie « Louanges de Dieu ». Jehudiel, ou Anael (Haniel), est représenté tenant à la main une couronne, symbole de la réussite, or, les anciens Grecs représentaient fréquemment Apollon couronné de laurier.

Secteur médical

L’octroie de la fertilitĂ©, comprise comme la pierre angulaire de la santĂ© et de la prospĂ©ritĂ©, Ă©tait l’apanage chez les anciens Grecs de la dĂ©esse de l’amour, Aphrodite. Selon HĂ©siode, cette derniĂšre devait sa naissance Ă  la mutilation d’Ouranos dont l’appareil gĂ©nital avait Ă©tĂ© jetĂ© Ă  la mer. Sortant littĂ©ralement du sein des eaux, « les vagues de la mer l’auraient poussĂ©e dans une coquille vers les rivages de CythĂšre. »[10]

Cette association avec l’élĂ©ment liquide est constante chez cette entitĂ©. En Égypte, sous le nom de Neith, elle protĂ©geait le Delta avec pour emblĂšme animalier la perche du Nil. DĂ©crite dans la cosmologie d’Esna comme une antique divinitĂ© primordiale, elle Ă©mergea des eaux primitives pour engendrer la vie.

En Inde, elle est LakshmĂ­, dĂ©esse incarnant la beautĂ©, la fortune et la prospĂ©ritĂ©. Sa naissance rĂ©sulte de la quĂȘte pour un breuvage d’éternitĂ©, l’amrita : « Cette liqueur devant sortir de l’ocĂ©an, (ou de la mer de lait), le mont Mandara fut arrachĂ© et emmenĂ© lĂ , non sans difficultĂ©, afin de servir de baratton (
) Vishnu se manifesta sous la forme d’une gigantesque tortue qui se plaça sous le mont (..) au cours du barattage (
) ƚrĂź, radieuse de beautĂ©, apparut assise sur une fleur de lotus. »[11] La tortue de mer (kurma) doit ĂȘtre correctement interprĂ©tĂ©e comme le symbole de la dĂ©esse, son vāhana, en lieu et place de l’élĂ©phant blanc.

Faisant Ă©cho au mythe Ă©gyptien, le poisson se retrouve pareillement dans la tradition chrĂ©tienne. Dans le Livre de Tobit, Dieu envoie un ange, RaphaĂ«l, signifiant « GuĂ©rison de Dieu », aider Tobias, fils de l’aveugle Tobit, afin de dĂ©couvrir un remĂšde Ă  la cĂ©citĂ© de son pĂšre. « Alors un gros poisson sauta hors de l’eau et voulut lui avaler le pied (
) Le garçon se rendit maĂźtre du poisson et le tira Ă  terre. L’ange lui dit : « Ouvre-le, enlĂšve-lui le fiel, le cƓur et le foie, mets-les de cĂŽtĂ©, puis jette les entrailles ; en effet, ce fiel, ce cƓur et ce foie sont trĂšs utiles comme remĂšdes. »[12] Avec les parties prĂ©servĂ©es, Tobias rendit la vue au vieil homme et chassa les dĂ©mons qui obsĂ©daient Sarah, l’épouse d’Abraham.

Secteur religieux

Le hĂ©raut des dieux, en GrĂšce ancienne, Ă©tait le dieu HermĂšs, guide des voyageurs et psychopompe, c’est-Ă -dire « conducteur des Ăąmes des morts ». Son animal familier Ă©tait la grue, oiseau voyageur par excellence en raison de ses constantes migrations. Cette communication entre le royaume cĂ©leste et la terre des mortels doit ĂȘtre comprise comme le fondement mĂȘme de la religion servant Ă  « relier » l’un Ă  l’autre.

En Égypte antique, ThĂŽt, son alter ego, avait l’ibis comme symbole animalier, un oiseau Ă©galement du genre Ă©chassier ou plus curieusement celui du babouin (Hamadryas). PrĂ©posĂ© Ă  la psychostasie, c’est-Ă -dire Ă  la « pesĂ©e des Ăąmes », inventeur de l’écriture, il tenait un registre Ă©crit du bilan de chaque trĂ©passĂ©. Comme pour HermĂšs, il Ă©tait le messager des dieux et leur plus prĂ©cieux conseiller.

HĂ©las, en Inde, la symbolique totĂ©mique n’a pas Ă©tĂ© conservĂ©e chez la divinitĂ© Ă©quivalente, Ganesh dont la souris, ou le rat, constitue le vāhana. DivinitĂ© de l’inventivitĂ© et de l’ingĂ©niositĂ©, il est qualifiĂ© de Vighneshvara, c’est-Ă -dire de « Seigneur des obstacles », son rĂŽle consistant Ă  lever ou Ă  disposer des barriĂšres sur le chemin de ceux se livrant Ă  une nouvelle entreprise ; il est donc en quelque sorte un guide, fonction Ă©galement attribuĂ©e Ă  ThĂŽt et HermĂšs.

Dans le christianisme, le messager de Dieu est l’archange Gabriel dont le nom signifie « Champion de Dieu ». Il est l’Ange Annonciateur avertissant la Vierge Marie de son ImmaculĂ©e Conception par le Saint-Esprit symbolisĂ© par une colombe. Le parallĂšle avec la grue et l’ibis n’est pas, Ă  priori, frappant, mais le fait de retrouver un oiseau migrateur reprĂ©sentĂ© dans la mĂȘme scĂšne doit ĂȘtre pris en considĂ©ration.

Secteur militaire

L’intĂ©gritĂ© du territoire dans la GrĂšce ancienne Ă©tait placĂ©e sous l’égide du dieu ArĂšs. Craint en raison de sa fureur guerriĂšre, ses temples Ă©taient toujours construits Ă  l’extĂ©rieur des remparts de la citĂ© oĂč s’étendait un vaste espace destinĂ© aux exercices militaires, appelĂ© par les Romains le Champ de Mars, chez lesquels « Ă  l’automne se dĂ©roule la curieuse cĂ©rĂ©monie du Cheval d’octobre (October Equus) : Ă  l’issue d’une course de chars dans la ville, on sacrifie d’un coup de javelot le cheval vainqueur sur l’autel de Mars. »[13]

Le parallĂšle entre la prĂ©cieuse monture chevaline et l’art guerrier relĂšve de l’importance prise par cet animal au moment d’un conflit. À une Ă©poque reculĂ©e, en Inde, cet animal Ă©tait remplacĂ© par l’imposant Ă©lĂ©phant, instrument Ă©minemment efficace dans la lutte aux envahisseurs. Ce vāhana, reprĂ©sentĂ© avec trois tĂȘtes et rĂ©pondant au nom de Airavat, Ă©tait l’apanage du « brandisseur de foudre » Indra, dieu des orages, de la pluie et de la guerre.

L’équivalence Ă©gyptienne est moins Ă©vidente, car les anciens Égyptiens l’ont dĂ©monisĂ© en raison de son assassinat d’Osiris. Pourtant, on reconnaĂźt aisĂ©ment dans Seth la divinitĂ© du tonnerre, du vent brĂ»lant et du dĂ©sert. L’iconographie nous le reprĂ©sente affublĂ© d’une curieuse tĂȘte dont la nature exacte n’a pas encore Ă©tĂ© scientifiquement reconnue. Selon certains, il s’agirait d’un animal proche du basenji, originaire du Soudan, ou alors du loup d’Abyssinie (Canis simensis) devenu trĂšs rare et menacĂ© d’extinction et dont l’espĂšce est un maillon entre le chacal et le renard.

Cependant, l’ñne ou l’onagre, monture guerriĂšre utilisĂ©e avant la domestication du cheval, lui Ă©tait officiellement dĂ©diĂ©. En effet : « Un manuscrit ancien sur papyrus Ă©nonçant certains rites de la magie Ă©gyptienne, indique l’existence du dieu le plus mĂ©connu et le plus dĂ©testĂ© des Égyptiens (
) Seth, que l’on reprĂ©sentait toujours sous la forme d’un Ăąne. Ceux qui connaissent l’arabe ne seront nullement Ă©tonnĂ©s, par consĂ©quent, de rencontrer, tout au long du manuscrit, le mot io pour Ă©voquer ce dieu, puisque io signifie « Ăąne » en Ă©gyptien. »[14]

Dans le christianisme et la religion juive, l’Ange de la Victoire est MichaĂ«l dont le nom signifie « Combat de Dieu »[15]. Il est le chef de la milice cĂ©leste avec laquelle il renversa l’Ange de la RĂ©bellion. « Il y eut guerre dans le ciel, Michel et ses anges combattirent contre le dragon. Et le dragon et ses anges combattirent, mais ils ne furent pas les plus forts, et leur place ne fut plus trouvĂ©e dans le ciel. Et il fut prĂ©cipitĂ©, le grand dragon, le serpent ancien, appelĂ© le diable et Satan, celui qui sĂ©duit toute la terre. »[16]

Il est impossible de ne pas ĂȘtre subjuguĂ© par la persistance des symboles en comparant ce passage de la Bible avec Seth se tenant debout sur la barque solaire de RĂȘ afin d’affronter le serpent Apophis.

Secteur Ă©ducatif

TrĂšs Ă©loignĂ©e de son antique sphĂšre d’activitĂ©, la divinitĂ© prĂ©posĂ©e Ă  l’éducation, en GrĂšce ancienne, Ă©tait pourtant ArtĂ©mis. Dans sa calme retraite des bois, ArtĂ©mis n’occupait pas tout son temps Ă  la chasse, mais, fait moins connu, elle participait Ă  l’éducation des jeunes enfants. « Elle prĂ©side Ă  la croissance des adolescents et, avec une extrĂȘme rigueur, elle Ă©lĂšve garçons et filles dans la pratique du sport, le goĂ»t du courage et le calme des sens. »[17]

Contrairement Ă  la reprĂ©sentation statuaire rĂ©pandue, son animal familier Ă©tait un grand fĂ©lin. « Le lion particuliĂšrement passe pour avoir autrefois suscitĂ© son contentement (
) Devant son temple, Ă  ThĂšbes, il y avait un lion de pierre. Dans la procession des fĂȘtes de Syracuse, dont parle ThĂ©ocrite, on admirait par-dessus tout une lionne. »[18] Ce carnassier est d’ailleurs parfaitement reconnaissable sur les drachmes retrouvĂ©es en divers endroits.

En Égypte ancienne, elle Ă©tait connue sous le nom de Bast, dĂ©esse Ă  tĂȘte de chat (mau), mĂȘme si, en des temps plus reculĂ©s, un faciĂšs lĂ©onin a parfois ornĂ© ses reprĂ©sentations. AssociĂ©e Ă  l’énergie sexuelle de la reproduction, elle protĂ©geait les femmes lors de l’accouchement et veillait sur les enfants. À de nombreuses reprises, elle est confondue avec sa gĂ©nitrice, la dĂ©esse Ă  tĂȘte de lionne, Sekhmet.

L’explication de cette Ă©trange filiation nous est fournie par le mythe hindou qui fait de DurgĂĄ la fille de ParvatĂ­. « Deux frĂšres asuras, Shumbha et Nishumbha avaient renversĂ© Ă  leur profit les pouvoirs respectifs des dieux. Ces derniers vinrent dans l’Himalaya louer ParvatĂ­ espĂ©rant obtenir son aide. Alors du front de ParvatĂ­ jaillit AmbikĂą [DurgĂĄ] (
) assise sur un lion. »[19]

Sans entrer dans tous les dĂ©tails, la naissance frontale de la dĂ©esse correspond Ă  un phĂ©nomĂšne de yoga appelĂ©, en Occident, Illumination. Cette science de l’esprit, dans la tradition juive et chrĂ©tienne, relĂšve du domaine d’Uriel dont le nom veut justement dire « LumiĂšre de Dieu ». Scribe cĂ©leste et gardien des Livres SacrĂ©s, il est chargĂ© d’appliquer les dĂ©crets divins et, pour cette raison, il est habituellement reprĂ©sentĂ© tenant un livre ou un rouleau de papyrus entre ses mains, symbole de son incommensurable sagesse et de son aspect Ă©ducatif.

Secteur industriel

L’art visant Ă  la fabrication d’outils obtenus par le secours du feu Ă©tait un rĂŽle attribuĂ©, en GrĂšce ancienne, Ă  HĂ©phaĂŻstos. Patron des artisans, ce dieu veillait tout aussi bien sur les charpentiers, les potiers, les tisserands et les bĂątisseurs en gĂ©nĂ©ral. Toutefois, le fils de Zeus et d’HĂ©ra, Ă©tait Ă©galement responsable d’une autre tĂąche trĂšs importante pour les Olympiens, l’élaboration de la terrible arme du roi des dieux, le foudre, forgĂ©e avec l’aide des Cyclopes dans l’üle de Vulcano, prĂšs de la Sicile.

En Inde, cette arme se retrouve entre les mains du dieu de la guerre, Indra, mĂȘme si, Ă  l’origine, toutes les armes divines ont Ă©tĂ© fabriquĂ©es par Vishwakarma, l’artisan des dieux, Ă  partir de l’aurĂ©ole de Surya. « Afin de diminuer l’ardeur du Soleil, Vishvakarma plaça celui-ci sur son tour et Ɠuvra
 Les parties de la divine splendeur vaisnava (de Vishnu), rĂ©sidant dans le Soleil, tombĂšrent toutes flamboyantes sur la Terre et l’artiste (Vishvakarma) fit de celles-ci le disque de Vishnu et les armes d’autres dieux. »[20]

Cette arme de destruction, appelĂ©e vajra en Inde, est l’équivalente, dans la mythologie scandinave, du marteau Mjöllnir dont la propriĂ©tĂ© Ă©choit non au dieu de la guerre (Tyr), mais Ă  un personnage dont la fonction sociale demeure indĂ©terminĂ©e, Thor. Or, le char de ce dernier est tirĂ© par deux chĂšvres, symbole animalier rejoignant l’emblĂšme du dieu potier Ă©gyptien Khnoum, le « bĂ©lier Ă  double encornure », Ă©voquĂ© prĂ©cĂ©demment dans la liste d’Ovide et d’Antoninus comme Ă©tant un bouc (attribuĂ© par permutation Ă  Dionysos).

La tradition juive nomme cet ĂȘtre Raziel, l’Ange des MystĂšres, car il se tient constamment prĂšs du trĂŽne divin pour en apprendre tous les secrets. Quand le roi Salomon ordonna la construction du temple de JĂ©rusalem, les prĂȘtres interdirent aux ouvriers de se servir d’instruments en fer pour tailler la pierre. Le roi implora le secours de Raziel pour l’aider Ă  pallier cet inconvĂ©nient. « Pour tailler plus vite les pierres (et aussi parce que la Loi interdisait d’utiliser des instruments de fer, mĂ©tal « crĂ©Ă© pour mettre fin aux jours de l’homme » Middoth, 3, 4), Salomon avait le sang d’un petit ver qu’on appelle tanir : les marbres, aspergĂ©s de ce sang, se taillaient facilement. »[21]

Secteur récréatif

La derniĂšre division de notre sociĂ©tĂ© est celle du sport et des loisirs reconnaissable dans les jeux olympiques et l’arĂšne romaine. AdulĂ©s comme de vĂ©ritables dieux, les athlĂštes olympiques avaient les honneurs du vin et des plaisirs de la chair durant les quatre annĂ©es sĂ©parant les jeux. Cet attrait charnel est parfaitement identifiable avec le culte orgastique de Dionysos auquel Ă©taient consacrĂ©s de nombreux animaux, le bouc, l’ñne, l’élĂ©phant, le lĂ©opard et le bĂ©lier, mais surtout le taureau, par allusion Ă  sa performance sexuelle. « Or le dieu lui-mĂȘme participe, presque normalement, de la nature animale : dans un rituel Ă©lĂ©en, il continuera Ă  ĂȘtre invoquĂ© comme « taureau ». »[22]

Sa contrepartie Ă©gyptienne est le dieu de la fertilitĂ© Min, associĂ© d’une maniĂšre semblable au taureau blanc. Comme pour le fils de Dionysos, Priape, il est reprĂ©sentĂ© ithyphallique avec, Ă  ses pieds, une laitue dont la sĂšve Ă©voque la semence spermatique. En Inde, son corollaire est le dieu Skanda dont la mise au monde tient du prodige. « Les Ásouras, menĂ©s cette fois par TarakĂą, pĂ©nĂ©trĂšrent dans le monde des dieux. Suivant BrahmĂĄ, seul un fils nĂ© de l’unique semence de Shiva pouvait mettre en dĂ©route ces dĂ©mons. Perdu dans ses mĂ©ditations ascĂ©tiques, Shiva refusa de rĂ©pondre Ă  l’appel. ParvatĂ­ entreprit alors de longues mortifications dans le but d’inciter son Ă©poux Ă  rĂ©pandre son sperme. La semence jaillit alors pour atterrir dans un buisson, ainsi naquit Skanda dont le nom signifie littĂ©ralement « Celui qui bondit ». »

Officiellement, le vāhana de Skanda est un paon, mais il faut se rĂ©fĂ©rer Ă  l’animal emblĂ©matique de son gĂ©niteur pour trouver le sien. Or, le vāhana de Shiva est un taureau blanc appelĂ© Nandin ou Nandi, « Qui rend heureux ». De plus, sa naissance n’est pas sans rappeler la curieuse maniĂšre dont naquit le dieu du vin et du dĂ©lire extatique. Ayant provoquĂ© la mort de SĂ©mĂ©lĂ© pour s’ĂȘtre montrĂ© dans toute sa splendeur, Zeus retira l’embryon du sein de sa mĂšre pour le coudre dans sa cuisse afin de le mener Ă  terme.

Cet Ă©trange rapport existant entre sperme et cuisse trouve son explication dans la tradition juive selon laquelle il existe un ange parallĂšle Ă  MĂ©tatron nommĂ© Sandalphon, du grec sandalion « sandale » et phĂŽnĂȘ « voix ». Veillant sur le nadir, et donc par le fait mĂȘme sur la face situĂ©e sous le siĂšge de Dieu, cette curieuse allusion pĂ©destre et sexuelle s’explique ainsi fort aisĂ©ment. D’ailleurs, l’autre appellation pour l’Ange de Gloire, Yerahiel, nom signifiant « Roue de Dieu », nous fournit une explication supplĂ©mentaire sur la position occupĂ©e par cet ange, « prĂšs des roues du chariot divin ».

Confusions historiques

Quand les troupes d’Alexandre le Grand envahirent l’Égypte, ils fusionnĂšrent les cultes locaux avec les leurs, mais, dans leur empressement, ils commirent de nombreuses erreurs de jugement. À titre d’exemple, en raison de leurs morts, puis de leurs rĂ©surrections, ils identifiĂšrent Osiris avec Dionysos. En Gaule, les anciens Romains commirent une semblable bourde en associant Taranis, le dieu maĂźtrisant la foudre, avec leur Jupiter capitolin. Évidemment, le maĂźtre de cette arme diffĂšre selon les cultures, aussi il faut se montrer d’une extrĂȘme prudence en appliquant le principe de la mythologie universelle. D’une maniĂšre similaire « les souverains indo-grecs qui, au IIe siĂšcle avant notre Ăšre, assimilaient (
) Shiva Ă  Dionysos (
) le lien avec les animaux sauvages, la danse orgiastique, la sexualitĂ© affirmĂ©e sans vergogne, le goĂ»t des boissons enivrants (le vin pour Dionysos, l’alcool pour Shiva.) »[23] avaient suffi Ă  Ă©tablir cette concordance. Évidemment, en raison des divergences culturelles, ces permutations sont Ă  peu prĂšs inĂ©vitables, mais si de rĂ©elles interventions divines ont portĂ© le message de l’existence d’une hiĂ©rarchie cĂ©leste par toute la planĂšte, un parallĂ©lisme doit forcĂ©ment prĂ©valoir Ă  travers ce pluralisme mythologique, peu importe l’époque, la barriĂšre linguistique ou les dĂ©formations culturelles.

Notes

  1. Brodeur, Apologie mythologique ou La clé des anges.
  2. Ovide, tome I, pages 135 et 136.
  3. Liberalis, page 48.
  4. Loth, page 221.
  5. Hamilton, page 24.
  6. Davidson, page 183.
  7. Martin, page 386.
  8. Salles, pages 129 et 130.
  9. Nostra, Les musiques secrĂštes et initiatiques, no 264, page 28.
  10. Otto, page 113.
  11. Loth, pages 58 et 238.
  12. La Bible, Le Livre de Tobit, chapitre 6, versets 2 Ă  4.
  13. Salles, pages 166 et 167.
  14. Nostra, Seth, le dieu le plus dĂ©testĂ© des Égyptiens, no 276, pages 14 et 15.
  15. De l’hĂ©breu mikha’el « Qui combat au nom de Dieu » ou « Reflet de Dieu ».
  16. La Bible, L’Apocalypse, chapitre 12, versets 7 à 9.
  17. Bonnard, page 128.
  18. Otto, page 103.
  19. Loth, page 230.
  20. Loth, page 154.
  21. Tilbury, page 128.
  22. Gernet, pages 99 et 100.
  23. Varenne, page 260.


Sources


  • AndrĂ© Bonnard, Les dieux de la GrĂšce, Éditions de l’Aire, Lausanne, 1990.
  • Jean-Christian Brodeur, Apologie mythologique ou La clĂ© des anges, Fleur de Lys, LĂ©vis, 2012.
  • Gustav Davidson, Dictionnaire des anges, Jardin des Livres, Paris, 1995.
  • Louis Gernet et AndrĂ© Boulanger, Le gĂ©nie grec dans la religion, Albin Michel, Paris, 1970.
  • Edith Hamilton, La mythologie, ses dieux, ses hĂ©ros, ses lĂ©gendes, GĂ©rard-Verviers, Paris, 1962.
  • Antoninus Liberalis, Les mĂ©tamorphoses, Les Belles Lettres, Paris, 1968.
  • Anne-Marie Loth, VĂ©disme et hindouisme, Chapitre douze, Bruxelles-Paris, 2003.
  • Thomas Henri Martin, La foudre, l’électricitĂ© et le magnĂ©tisme chez les Anciens, Didier et Ce, Paris, 1886.
  • Nostra, L’actualitĂ© mystĂ©rieuse, DerniĂšre-Heure, MontrĂ©al, 1975 Ă  1982.
  • Ovide, Les mĂ©tamorphoses, Les Belles Lettres, Paris, 1957.
  • Walter Friedrich Otto, Les dieux de la GrĂšce, Payot, Paris, 1981.
  • Catherine Salles, La mythologie grecque et romaine, Hachette, Paris, 2003.
  • Gervais de Tilbury, Le livre des merveilles, Belles Lettres, Paris, 1992.
  • Jean Varenne, Dictionnaire de l’hindouisme, Du Rocher, Paris, 2002.
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