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Mort d'un soldat républicain

Mort d'un soldat républicain (intitulé aussi Mort d’un milicien) est une photographie de reportage que Robert Capa dit avoir prise le , publiée d'abord par le magazine Vu le 23 septembre 1936, puis rachetée par Life qui la publie le [1]. Elle montre la mort, présentée comme réelle et prise sur le fait, d'un milicien républicain durant la guerre d'Espagne.

Image externe
Lien la photographie Mort d'un soldat républicatin. L'image est protégée par droit d'auteur et sa reproduction n'est pas autorisée sur la Wikipédia francophone.

Cette photo a provoqué de nombreux débats, car on la soupçonne d'être une photo posée[2].

Depuis 2009, les publications sur le sujet penchent vers cette version des faits, et indiquent plutĂ´t que la photo n’a pas Ă©tĂ© prise sur le champ de bataille de Cerro Muriano, comme Capa le disait, mais Ă  50 km environ, Ă  proximitĂ© de la ville d'Espejo[3] - [4].

Historique

La photo de Robert Capa est présentée par Vu et Life comme prise à l’instant exact de la mort du milicien. On le voit tombant en arrière, comme s'il avait reçu une balle tirée de face. Il est vêtu en civil, mais porte une ceinture-cartouchière, et le fusil qu’il tient de la main droite lui échappe. Les photos prises plus tôt dans la journée montrent le même homme, en vie, aux côtés de ses camarades de la Colonne Alcoiana. Les clichés de Capa sur les combattants loyalistes, dont celui du soldat mourant, sont publiées par le magazine français Vu, le . Depuis, la Mort d’un soldat républicain a été reproduite de très nombreuses fois, devenant un symbole de la guerre d’Espagne. C’est l’une des photos les plus célèbres de tous les temps.

Longtemps anonyme, le milicien républicain aurait été identifié en août 1996 comme étant Federico Borrell García, militant anarchiste d'Alcoy[5]. Toutefois cette identification est incompatible avec la localisation du cliché à Espejo. D'autre part, les circonstances de la mort de Borrell García, relatées dans un journal anarchiste de 1937, n'ont rien à voir avec la scène du milicien qui tombe, et ce dernier semble plus âgé que le militant d'Alcoy[6].

Premiers doutes

La célébrité de Life, qui a publié la photo dans son format original, a fait oublier que Vu présentait deux photos de miliciens tombés au même endroit, deux hommes différents photographiés sous le même angle, sous le titre : « Comment ils sont tombés »[7]. Seule la première des photos a survécu dans la mémoire collective.

En 1975, Phillip Knightley, un journaliste et historien britannique soutient que la photo ne correspondrait pas à la réalité et qu’elle a été posée[8]. Biographe de Capa et conservateur de ses archives à l'International Center of Photography de New York, Richard Whelan estime encore en 2002 que la photo est bien authentique[5]. Ainsi, dans son ouvrage This Is War! Robert Capa at Work, Whelan avance :

« L’image, connue sous le nom de Mort d’un soldat républicain, est aujourd’hui reconnue comme l’une des meilleures photos de guerre jamais prises. Le photographe a aussi créé un vaste débat. Ces dernières années, il a été avancé que Capa a monté la scène, ce qui m’a conduit à une fantastique recherche sur plus de deux décennies. J’ai été confronté au dilemme de traiter d’une photographie qu’on pense être vraie mais dont on ne peut être absolument certain qu’elle est un document véridique. Ce n’est ni une photographie d’un homme jouant la mort après avoir reçu une balle imaginaire, ni une photo prise dans le feu de la bataille. »

Une photo mise en scène

À partir de 2004, les enquêtes suggèrent que la photo n’a pas été prise sur le champ de bataille de Cerro Muriano et qu'elle a été mise en scène. Patrick Jeudy est l'un des premiers à l'affirmer dans son documentaire Robert Capa, l'homme qui voulait croire à sa légende[9]. La disparition de la planche de contact et du négatif[10], ainsi que la grande discrétion de Capa autour de sa célèbre photographie, entretiennent le doute[11] - [12].

Le documentaire de 2007 La sombra del iceberg affirme que la photo est posée et que Borrell n’est pas le personnage présent sur la photo[13].

L'universitaire JosĂ© Manuel Susperregui soutient ardemment la thèse de la mise en scène[14] - [15]. Grâce au profil montagneux de l'arrière-plan de la photo, il Ă©tablit qu'elle n'a pas Ă©tĂ© prise Ă  Cerro Muriano, mais Ă  Espejo[16] - [17] ; Capa a inclinĂ© son appareil de 10° pour donner l'illusion d'une pente[14]. En juillet 2009, le journal barcelonais El PeriĂłdico en conclut que la photo de Capa est « un montage »[18]. Le quotidien affirme que Capa a photographiĂ© le milicien dans un endroit oĂą il n'y avait pas de combat. « L'emplacement rĂ©el, Ă  10 km d'un front de bataille inactif, dĂ©montre que la mort n'Ă©tait pas rĂ©elle ». L'enquĂŞte a dĂ©montrĂ© que d'autres photos prises au mĂŞme endroit avaient Ă©tĂ© mises en scène[19]. Pour AndrĂ© Gunthert, la totalitĂ© des photos prises Ă  Espejo par Capa correspond Ă  une scène d'attaque jouĂ©e par les miliciens, sans adversaire[20].

Avant le travail de Susperregui, des partisans de l’authenticité du cliché ont avancé que Capa était responsable de la mort du soldat, qui était selon eux en train de poser pour Capa quand il a reçu une balle, probablement d’un tireur isolé[21].

Le corps du milicien

Freedom is not Free, une sculpture de Yigal Tumarkin (Netanya, Israël).

Selon Robert L. Franks, inspecteur en chef à la section homicide de la police de Memphis, la posture du milicien sur la photo traduit un « état de surprise », et sa main gauche partiellement visible sous sa jambe gauche, à demi fermée, recroquevillée, correspond à un état de choc et non à un geste de protection pour amortir la chute. Inversement, Fernando Verdù, médecin légiste de l'université de Valence, note l'absence de sang sur la chemise, et se demande pourquoi la main gauche du milicien ne présente pas le même relâchement musculaire que sa main droite, qui laisse échapper le fusil[22].

Postérité

  • Une statue rend hommage Ă  l'Ĺ“uvre dans la ville andalouse d'Espejo, près de la laquelle est pris le clichĂ© en 1937[23].
  • Une sculpture de Yigal Tumarkin, Freedom is not Free, reprĂ©sente le soldat rĂ©publicain Ă  Netanya, en IsraĂ«l.
  • Certains ont vu une analogie entre cette photo et la scène finale de La JetĂ©e de Chris Marker[24].

Notes et références

  1. Thomas Michael Gunther, Marie de Thézy, Alliance photo, agence photographique 1934-1940, La Bibliothèque, , p. 112.
  2. (en) Alastair Jamieson, « Robert Capa 'faked' war photo new evidence produced », The Telegraph,‎ (lire en ligne, consulté le ) :
    « Looking at the photos it is clear that it is not the heat of battle. It is likely the soldiers were carrying out an exercise either for Capa or themselves. »
  3. (en) « What Spain Sees in Robert Capa's Civil War Photo », Time magazine,‎ (lire en ligne, consulté le ) :
    « While the new findings clearly establish where the famous shot was taken, not everyone believes they suggest it was a fraud. "The evidence certainly changes the photograph's location from Cerro Muriano to Espejo — there's no longer any question about that," says Cynthia Young, a curator at the International Center of Photography in charge of the Robert Capa and Cornell Capa Archive and one of the exhibition's organizers. »
  4. (en) « The whole story », bbc.co.uk, 21 juillet 2009.
  5. Richard Whelan (2002). Proving that Robert Capa's "Falling Soldier" is genuine: A detective story, American Masters.
  6. Bernard Lebrun et Michel Lefebvre, Robert Capa. Traces d'une légende, Éditions de La Martinière, (ISBN 978-2-7324-4462-8), p. 109.
  7. (en-US) « Capa's Falling Soldier: staged photographs and photography as a stage », sur FOTO8, .
  8. (en) Philip Knightley, The First Casualty: From the Crimea to Vietnam; The War Correspondent as Hero, Propagandist, and Myth Maker, New York, Harcourt, Brace, 1975.
  9. Marjolaine Jarry, « Robert Capa, l'homme qui voulait croire à sa légende », sur TéléObs, .
  10. (en) Caroline Angus Baker, « José Manuel Susperregui Echeveste », sur Caroline Angus (consulté le ).
  11. (en) Sabine T. Kriebel, Andrés Mario Zervigón, Photography and Doubt, Taylor & Francis, (lire en ligne), p. 128.
  12. Daniel Girardin, Christian Pirker, Controverses : une histoire juridique et Ă©thique de la photographie, Actes Sud, , p. 89.
  13. (es) « Autopsia al miliciano de Robert Capa », elmundo.es, 2 février 2008.
  14. (en) José Manuel Susperregui, « The location of Robert Capa's Falling Soldier », Communication & Society, vol. 29 (2),‎ , p. 17-43 (ISSN 2386-7876, lire en ligne).
  15. Mathieu de Taillac, « L'étrange mise en scène du chef-d'œuvre de Robert Capa », Le Figaro, 9 septembre 2016, p. 15.
  16. (es) José Manuel Susperregui, Sombras de la Fotografía: Los Enigmas Desvelados de Nicolasa Ugartemendia, Muerte de un Miliciano, la Aldea Española, el Lute, Universidad del Pais Vasco, 2008. (ISBN 978-84-9860-230-2).
  17. Bernard Lebrun et Michel Lefebvre, op. cit., p. 110-111.
  18. (es) El Periódico, « EDITORIAL: 'La foto de Robert Capa' », sur elperiodico, (consulté le ).
  19. (en) Elizabeth Nash, « Shot down - Capa's classic image of war », independent.co.uk, 21 juillet 2009.
  20. André Gunthert, « Pourquoi Robert Capa a oublié le deuxième soldat », sur L'image sociale, (consulté le ).
  21. (en) Isabel Hilton (en), « The camera never lies. But photographers can and do », The Guardian,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ) :
    « Capa was a great photographer but he was not averse to faking. In 1937 he fabricated footage for the March of Time newsreel series. He told the Life photographer, Hansel Mieth, that the Borrell picture had been taken when the militiamen were fooling around, not in the heat of battle as had been believed. She added that Capa seemed upset and said little more except that it "haunted him badly". ... As Borrell stood to pose for Capa, he was cut down by a rebel bullet. »
  22. Vincent Lavoie, « Falling Soldier », Études photographiques, vol. 35,‎ (lire en ligne).
  23. (es) El Día de Córdoba, « La escultura del miliciano abatido de la foto de Capa advierte en Espejo del "horror de la guerra" », sur El Día de Córdoba, .
  24. Philippe Dubois, « La Jetée ou le cinématogramme de la conscience », Théorème, no 6 « Recherches sur Chris Marker »,‎ , p. 8-45 (ISBN 2-87854-162-6, ISSN 1159-7941) citant, p. 32 (note 34), Peter Wollen, « Feu et glace », Photographies, no 4,‎ , p. 17–21, et (de) Christa Blumlinger, « La Jetée : Nachhall eines Symptom-Films », CICIM, Institut français de Munich, nos 44–46 « Chris Marker, Filmessayist »,‎ , p. 65–72. Dubois souligne toutefois (note 35) que c'est un motif commun, à la fois de la photographie de guerre et des fictions d'action.

Annexes

Articles connexes

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