Moliceiro
Le moliceiro (prononcer moulicÚïrou [mulisÉjËÉŸu]) est un type de bateau Ă un mĂąt traditionnel de la Ria de Aveiro au Portugal.
Il servait autrefois à la récolte d'un mélange d'algues employé comme engrais local. Il est utilisé aujourd'hui pour promener les touristes sur les canaux de la ville d'Aveiro. Sa riche décoration en fait un élément du patrimoine culturel et le symbole de la région d'Aveiro.
Histoire
Le moliceiro tient son nom de la molice un mélange d'algues (Potamogeton pectinatus, Ruppia cirrhosa, Zostera noltii, Lola, Enteromorpha, Ulva, Gracilaria)[1] qui a pu se développer dans l'eau saumùtre quand la lagune d'Aveiro a pris sa forme actuelle au début du XIXe siÚcle[1] - [2] L' apogée des moliceiros se situe à la fin du XIXe siÚcle et au début du XXe siÚcle. Leur déclin est intervenu à partir de 1960 sous l'effet à la fois du recours aux engrais chimiques, de l'exode rural et de l'immigration[1]. Aujourd'hui les moliceiros servent essentiellement à promener les touristes dans les canaux de la ville d'Aveiro[3].
Caractéristiques
Les moliceiros ont une coque effilĂ©e avec une Ă©trave trĂšs relevĂ©e en forme de faucille. Ils mesurent entre 15 et 18 m de long sur 2,5 Ă 3 m de large[4] - [5]. Les moliceiros sont construits en pin sylvestre ou en pin parasol par des chantiers transmis de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration situĂ©s dans les communes de Murtosa et dâIlhavo sur la Ria de Aveiro[6].
L'origine de leur forme en demi-lune reste inconnue, mais elle semble ĂȘtre une constante dans les embarcations traditionnelles Ă travers le temps et l'espace[7]. On la retrouve dans la gondole vĂ©nitienne, le bateau viking, les pirogues du SĂ©nĂ©gal, les donis (ou dhonis) des Maldives ou encore dans le bateau-lune du district de Coxâs Bazar Ă lâextrĂ©mitĂ© sud-est du Bangladesh. On la retrouve aussi dans les bateaux utilisĂ©s pour la pĂȘche Arte Xavega pratiquĂ©e sur diffĂ©rentes plages portugaises ainsi que sur d'autres bateaux traditionnels portugais.
En revanche l'aménagement du moliceiro démontre sa parfaite adaptation à son milieu et son usage.
La lagune d'Aveiro étant peu profonde, souvent entre un et deux mÚtres, les moliceiros ont un fond plat et un faible tirant d'eau de l'ordre d'une quarantaine de centimÚtres[4]. Leur franc bord est trÚs bas de maniÚre à faciliter la récolte de la molice avec un long rùteau de bois appelé ancinho. Des fargues ou pavois (planches posée par-dessus le plat bord) amovibles permettent d'augmenter le franc bord et donc la cargaison[4]. Les moliceiros possÚdent aussi un gouvernail relevable grùce à de longs aiguillots pour naviguer par petits fonds[4].
Sous le pontage avant une petite cabine permet le couchage sommaire de l'équipage[7]. La porte qui y donne accÚs est souvent peinte d'une grosse fleur ou d'une étoile[7]. Tout à cÎté sur bùbord un petit bac à sable reçoit le foyer ouvert destiné à la cuisine.
- Moliceiro à quai avec sa voile hissée dont on distingue la bouline
- Aménagement intérieur d'un moliceiro conservé au Musée Maritime d'Ilhavo. On aperçoit la porte de la cabine, le foyer pour les repas et les rùteaux (ancinhos) pour ramasser la molice.
- Aménagement intérieur d'un moliceiro conservé au Musée Maritime d'Ilhavo. La fargue du cÎté gauche a été enlevée pour charger la molice.
- Maquette de moliceiro vendue dans les Offices du Tourisme d'Aveiro
- A la proue des moliceiros deux petites bittes d'amarrage sont représentées par un homme et une femme
Navigation
Lorsqu'il servait de bateau de travail le moliceiro avait plusieurs modes de propulsion à sa disposition : la voile, la perche et le halage. Le halage à la corde était pratiqué quand les berges le permettaient, mais la faible profondeur de la lagune faisait préférer l'usage de la perche. Le pontage avant qui recouvre la cabine permettait un bon appui pour pousser le bateau à la perche. La voile était utilisée dÚs que possible[1].
Le moliceiro n'est grĂ©Ă© que d'une seule voile au tiers hissĂ©e sur un mĂąt situĂ© au milieu du bateau. Le mĂąt est haubanĂ© sommairement par deux haubans, parfois pas haubanĂ© du tout[4]. A l'avant de la voile prĂšs de la vergue une bouline en patte d'oie revient sur l'Ă©trave, ce dispositif amĂ©liore le rendement de la voile aux allures prĂšs du vent. Par ailleurs pour lui permettre de remonter au vent le moliceiro est Ă©quipĂ© de deux dĂ©rives latĂ©rales. Mais au lieu d'ĂȘtre fixĂ©e par un axe sur le plat bord comme dans les bateaux Ă dĂ©rives latĂ©rales de l'Europe du Nord, la dĂ©rive du moliceiro est simplement plaquĂ©e contre le flanc du bateau sous le vent, un cordage passĂ© au tour du mĂąt suffisant Ă la maintenir en place. Autre originalitĂ©, le grand gouvernail relevable est actionnĂ© par un tire-veille, systĂšme utilisĂ© habituellement seulement sur de petites embarcations menĂ©es Ă l'aviron .L'ensemble de ces particularitĂ©s font du moliceiro un bateau sans Ă©quivalent dans le monde maritime.
Aujourd'hui les moliceiros qui servent Ă faire visiter aux touristes la ville d'Aveirio sont propulsĂ©s par des moteurs hors bords en puits. Leur mĂąt a Ă©tĂ© supprimĂ© pour passer sous les ponts et parfois la proue amputĂ©e de son extrĂ©mitĂ© (la bica da proa) pour la mĂȘme raison. Des bancs latĂ©raux permettent aux touristes de s'asseoir. Cependant la plupart de ces moliceiros conservent la possibilitĂ© de naviguer Ă la voile. Il suffit de remettre un mĂąt, une voile et des dĂ©rives latĂ©rales. C'est ainsi qu'ils peuvent participer aux rĂ©gates Ă©voquĂ©es au dernier paragraphe.
- Tableau peint sur la poupe d'un moliceiro représentant l'usage de la perche jadis. On remarque également le palan qui sert à relever le gouvernail. La légende signifie : "le bon vieux temps est revenu".
- Moliceiro naviguant Ă la voile dans la lagune d'Aveiro avec des touristes Ă son bord.
- Patron d'un moliceiro tenant le tire veille du gouvernail de son bateau. On remarque aussi le moteur hors bord en puits qui équipe désormais tous les moliceiros.
- Mise en place de la dérive sur un moliceiro.
- La dérive d'un moliceiro n'est retenue au bateau que par une boucle autour du mùt.
- Moliceiro transportant des touristes dans les canaux de la ville d'Aveiro
- Moiceiros dans les canaux de la ville d'Aveiro
DĂ©coration
La riche décoration des moliceiros est leur autre caractéristique. Les moliceiros sont peints de couleurs vives. Des guirlandes torsadées ou composées de fleurs courent aux extrémités du bateau encadrant quatre panneaux peints, deux à la poupe, deux à la proue. Ces panneaux représentent des petites scÚnes et sont accompagnés d'une légende. Les thÚmes se réfÚrent à la vie locale, à la récolte de la molice, à des sujets religieux, à des préoccupations idéologiques ou politiques mais aussi à des allusions grivoises. Ils reflÚtent l'état d'esprit des habitants de la Ria de Aveiro. Les légendes sont tantÎt sérieuses, tantÎt humoristiques avec souvent un double sens parfois difficile à comprendre pour les étrangers aux communautés de la Ria. Les quatre panneaux d'un moliceiro traitent chacun d'un sujet différent.
Ă l'origine ces panneaux dĂ©coratifs servaient Ă distinguer les bateaux, chaque patron de moliceiro pouvant ĂȘtre reconnu par la personnalisation de son bateau. On pouvait trouver en outre le nom du propriĂ©taire Ă la proue et le nom du constructeur sur le gouvernail[1]. Les premiers dessins Ă©taient un peu grossiers et naĂŻfs[7].
La dictature de AntĂłnio de Oliveira Salazar encouragea la dĂ©coration des moliceiros. Ses dirigeants estimaient que cet art populaire reprĂ©sentait "l'Ăąme portugaise" correspondant Ă l'idĂ©ologie nationaliste et conservatrice de l'Estado Novo (1933 - 1974). Les dirigeants Ă©taient aussi conscients que les moliceiros pouvaient servir de supports de propagande pour vanter la vie rurale ancestrale "saine et authentique" qu'ils prĂŽnaient. Les concours de panneaux peints et les rĂ©gates, qui existent encore aujourdâhui, ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s pendant cette pĂ©riode par le Serviço Nacional de Informação[1] - [6] Ces institutions permettaient aussi la censure de peintures qui auraient pu attenter Ă l'ordre moral voulu par la dictature. Cela n'empĂȘcha pas la crĂ©ation de panneaux subtilement subversifs[6] comme les panneaux qui reprĂ©sentent un Ăąne plus malin ou plus sympathique que son maĂźtre qui tient les rĂȘnes. Le message de cette fable animaliĂšre Ă©tant alors : la population laborieuse reprĂ©sentĂ©e par l'Ăąne est en rĂ©alitĂ© meilleure que les gouvernants qui la mĂšnent.
L'action du gouvernement de Salazar a Ă©tĂ© menĂ©e au moment oĂč l'activitĂ© des moliceiros dĂ©clinait sans pouvoir empĂȘcher sa quasi disparition. Ce soutien entraĂźna cependant l'amĂ©lioration de la dĂ©coration. La palette de couleurs s'enrichit, les scĂšnes devinrent de plus en plus dĂ©taillĂ©es et les dessins plus prĂ©cis.
Cette décoration somptueuse a permis au moliceiro de survivre en trouvant un nouvel emploi : il est devenu un outil touristique, à la fois objet décoratif et moyen de transport pour la visite de la ville d'Aveiro.
De symbole patriotique sous l'Ă©poque de Salazar le moliceiro s'est transformĂ© en symbole du patrimoine culturel Ă©conomique[8]. Aujourd'hui que ce soit sous forme de dessin stylisĂ© ou de photos, le moliceiro est omniprĂ©sent sur les supports mĂ©diatiques se rapportant Ă la Ria de Aveiro. Il est prĂ©sent aussi sous forme de produits dĂ©rivĂ©s telles les maquettes, les vĂȘtements, les sacs, et autres objets utilisant son image.
L'influence des touristes a eu un impact sur la décoration des moliceiros. Désormais lorsque les panneaux ont pour thÚme la récolte de la molice, ce n'est plus la représentation de la vie mais une évocation culturelle du passé comme on le ferait dans un musée.
Les thĂšmes des panneaux ont aussi Ă©voluĂ© pour rĂ©pondre aux attentes des touristes. Les sujets humoristiques, souvent Ă caractĂšre Ă©rotique, sont dĂ©sormais trĂšs frĂ©quents, alors quâils Ă©taient minoritaires auparavant. Un des quatre panneaux du bateau y est souvent consacrĂ©. L'humour utilise le double sens frĂ©quent sur les moliceiros : la lĂ©gende est en apparence anodine mais sa signification devient Ă©quivoque quand on la rapporte au dessin explicite qu'elle accompagne.
- "De ceci il ne nous reste que la nostalgie" (évocation de la récolte de la molice)
- "Que Dieu guide les pĂȘcheurs" (Ă©vocation de la pĂȘche Ă la morue dont Aveiro fut un grand port)
- "La Troïka m'a obligé à immigrer"
- "Que cette jeune fille a de beaux fruits"
- "Il a gonflé Maria en un instant"
- "Quel joli petit oiseau"
- "Est-ce que nous cherchons les mĂȘmes palourdes ?"
- "J'aimerais bien pouvoir la monter"
- "Je ne sais pas comment tu peux porter cela ?" (les seaux et les cornes)
RĂ©gates
Chaque été des régates de moliceiros sont organisées par les municipalités des communes de la Ria de Aveiro[9]
Ces régates que l'on croit traditionnelles ont été en fait créés pendant la période de la dictature de António de Oliveira Salazar afin d'exalter le patriotisme portugais[1] - [6]. Aujourd'hui elles ne servent qu'à l'animation touristique, elles sont prisées par les touristes pour le spectacle qu'elles offrent. Elles sont souvent le seul moyen de voir des moliceiros naviguer à la voile.
Notes et références
- Mathilde Pilon, « Les moliceiros, bateaux porteurs de la mĂ©moire et de lâidentitĂ© fluviomaritime de la Ria dâAveiro (Portugal) », (consultĂ© le )
- « Bateau Moliceiro; Molice et Ovos Moles », sur Praia da claridade, (consulté le )
- « Le Bateau Moliceiro: Ria de Aveiro », sur Le patrimoine nautique : base de données, (consulté le )
- « Portrait de bateau : le Moliceiro », sur Escales Maritimes, la mer dans tous ses états, (consulté le )
- « Moliceiros » (consulté le )
- « A cultura popular portuguesa e o discurso do poder: pråticas e representaçÔes do moliceiro », sur e-cadernos ces, (consulté le )
- Claude Rivals, « Peintures des Moliceiros d'Aveiro », sur Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest. Sud-Ouest Européen Année 1988 59-2-3 pp 247 - 273,, (consulté le )
- (pt) « Barco moliceiro, «ex-libris» da Ria de Aveiro », (consulté le )
- « Grande Regata de Moliceiros é o ponto alto do Ria de Aveiro », sur Municipio de Murtosa, (consulté le )
Voir aussi
Bibliographie
- Guide Voir Portugal avec MadÚre et Açores Hachette 2014 (ISBN 978-2-01-245369-2)
- Revue Chasse MarĂ©e no 8 : article Peintres de moliceiros de la lagune dâAveiro