Massacre du bus de Beyrouth (1975)
Le Massacre du bus de Beyrouth (arabe : مجزرة بوسطة عين الرمانة ,مجزرة عين الرمانة), aussi connu sous le nom d'incident d'Ain el-Rammaneh ou encore Dimanche Noir, est le nom donné à une série d'affrontements impliquant des Phalangistes et des Palestiniens dans les rues du centre de Beyrouth, au Liban, communément présentée comme l'étincelle qui a déclenché la guerre civile libanaise au milieu des années 1970[1]. Les vestiges du bus, surnommé bus de malheur[2], sont aujourd'hui abandonnés dans un jardin du Sud-Liban.
Massacre du bus de Beyrouth | |
Date | |
---|---|
Lieu | Beyrouth (Liban) |
Victimes | Palestiniens, Front de libération arabe |
Type | Tuerie de masse |
Morts | 27 |
Blessés | 19 |
Auteurs | Phalanges libanaises |
Motif | Représailles |
Guerre | Guerre du Liban |
Selon certaines sources, l'attentat devant l'église aurait été organisé par le Parti social nationaliste syrien (PSNS) pour venger la mort et la torture dans les prisons infligées par les partisans de Bachir Gemayel aux prisonniers du PSNS.
Contexte
Tôt dans la matinée du 13 avril 1975, à l'extérieur de l'église Notre-Dame de la Delivrance, dans le quartier majoritairement maronite d'Ain El Remmaneh, à Beyrouth-Est, une altercation s'est produite entre une demi-douzaine de guérilleros armés de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) (arabe : Fedaiyyin) à bord d'un véhicule qui passait par là, signalant sa présence avec leur protocole habituel et tirant en l'air avec leurs fusils automatiques[3], et une escouade de miliciens en uniforme appartenant à la milice des Forces de régulation des Kataeb (KRF) du parti phalangiste[4], qui détournaient la circulation devant l'église nouvellement consacrée où se déroulait un baptême de famille. Comme les Palestiniens turbulents refusaient d'être détournés de leur route, les phalangistes, excédés, ont tenté d'arrêter leur progression par la force et une échauffourée s'est rapidement ensuivie, qui s'est soldée par la mort du conducteur du véhicule de l'OLP après avoir été accidentellement touché par une balle.
Cet incident n'aurait été qu'un incident banal parmi tant d'autres s'il n'avait été suivi d'un événement dramatique qui s'est déroulé une heure plus tard dans cette même église. À 10h30, alors que les fidèles étaient concentrés devant la porte d'entrée de l'église à la fin de la cérémonie, une bande d'hommes armés non identifiés s'est approchée à bord de deux voitures civiles - ornées d'affiches et d'autocollants appartenant au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une faction de l'OLP - et a soudainement ouvert le feu sur l'église et sur les personnalités présentes, tuant quatre personnes[4] - [5] - [6].
Parmi les victimes de la fusillade, on compte Joseph Abu Assi, un militant de la Phalange qui n'était pas en service et père de l'enfant baptisé, ainsi que trois gardes du corps - Antoine Husseini, Dib Assaf et Selman Ibrahim Abou, abattus alors qu'ils tentaient de riposter aux assaillants[4] - [7] - [6] - [8] - [9]. L'attentat a été perpétré contre des membres de l'entourage personnel du za'im (patron politique) maronite Pierre Gemayel, le puissant leader du parti phalangiste de droite, qui s'en sont néanmoins sortis indemnes. Les agresseurs ont pris la fuite sous les tirs des gardes du corps survivants et des miliciens du KRF en faction à ce moment-là.
Attaque du bus
Dans la cohue qui a suivi, des miliciens phalangistes armés du KRF et du PNL se sont réunis dans la rue et ont commencé à dresser des barrages routiers à Ain El Remmaneh et dans d'autres quartiers orientaux de la capitale libanaise peuplés de chrétiens, arrêtant les véhicules et contrôlant les identités[10], tandis que dans les secteurs occidentaux principalement musulmans, les Palestiniens faisaient de même.
Convaincus que les auteurs de l'attentat étaient des miliciens palestiniens qui avaient perpétré l'attentat en représailles à l'incident précédent avec le chauffeur, et indignés par l'audace de l'attentat contre la vie de leur chef historique, les phalangistes ont planifié une riposte immédiate[1]. Peu après la mi-journée, un bus de l'OLP transportant des militants du Front de libération arabe (FLA) de Palestine et des sympathisants libanais sans méfiance (dont des femmes et des enfants) de retour d'un meeting politique à Tel al-Zaatar organisé par le Front populaire de libération de la Palestine-Commandement général[11] passe par Ain el-Rammaneh en direction du camp de réfugiés de Sabra. Alors que le bus circulait dans les ruelles étroites, une escouade de miliciens de la Phalange KRF dirigée par Bashir Gemayel, le fils cadet de Pierre Gemayel, le prend en embuscade[1]. Les phalagistes tirent en rafale sur le véhicule, tuant 27 passagers et en blessant 19, dont le chauffeur[1] - [12] - [13].
Conséquences
Le massacre de l'église qui a précédé l'attaque sanglante connue sous le nom du "massacre du bus" a attisé la haine et la méfiance sectaires qui existaient depuis longtemps au Liban. Il a déclenché de violents combats dans tout le pays entre les miliciens des Forces régulatrices des Kataeb et les Fedaiyyin palestiniens et leurs alliés de gauche de l'alliance du Mouvement national libanais (MNL). Les trois jours ayant suivi l'attaque ont été le théâtre d'attaques et d'affrontement violents faisant plus de 300 morts[14].
Le Premier ministre libanais récemment nommé, le musulman sunnite Rachid al-Sulh, a vainement tenté de désamorcer la situation le plus rapidement possible en envoyant dans la soirée du lendemain du massacre un détachement de la gendarmerie des Forces de sécurité intérieure (FSI) à Ain el-Rammaneh, qui a arrêté un certain nombre de suspects. Le premier ministre Sulh tente alors de faire pression sur le président du parti phalangiste, Pierre Gemayel, pour qu'il livre aux autorités les miliciens phalangistes du FRK responsables de la mort du chauffeur palestinien. Il envoie ensuite une délégation phalangiste en mission pour obtenir la libération des suspects précédemment détenus par les autorités libanaises, déclarant que les individus impliqués dans l'incident n'ont fait que se défendre et qu'aucune charge ne peut être retenue contre eux.
Alors que le bilan sanglant fait écho dans le pays, des affrontements armés entre les factions de la guérilla de l'OLP et d'autres milices chrétiennes éclatent dans toute la capitale libanaise. Les milices du Mouvement national libanais (MNL) entrent en scène aux côtés des Palestiniens. Les nombreux cessez-le-feu et pourparlers politiques organisés dans le cadre d'une médiation internationale se révèlent infructueux. La violence sporadique s'est transformée en une véritable guerre civile au cours des deux années suivantes, connue sous le nom de "phase 1975-1977 de la guerre civile libanaise", au cours de laquelle 60 000 personnes ont perdu la vie et qui a divisé le Liban selon des lignes factionnelles et sectaires pendant encore 15 ans.
Controverses
La chaîne d'événements qui a conduit à la fusillade de l'église d'Ain el-Rammaneh et au "massacre du bus" (ou "dimanche noir") d'avril 1975 fait l'objet d'intenses spéculations et de débats passionnés au Liban depuis la fin de la guerre civile en 1990. Il existe deux versions contradictoires de ce qui s'est passé ce jour-là, les phalangistes le décrivant comme un acte d'autodéfense en insistant sur le fait que le bus transportait des renforts armés de la guérilla du FLA qui tiraient des coups de feu. Les phalangistes ont anticipé une telle réaction en gardant l'église et, lors de la fusillade qui a suivi, ils ont affirmé avoir tué quatorz Fedaiyyin palestiniens.
Bien que la plupart des récits de l'OLP réfutent cette version des événements en décrivant les passagers du bus comme des familles civiles victimes d'une attaque non provoquée et non comme des guérilleros armés, Abd al-Rahim Ahmad de l'ALF a confirmé des années plus tard que certains d'entre eux étaient des membres de cette faction qui n'étaient pas en service[15]. Un autre haut responsable de l'OLP, Abu Iyad, a suggéré plus tard que l'incident n'était pas imputable à la Phalange, mais qu'il s'agissait plutôt d'une provocation délibérée organisée par le Parti national libéral (PNL), un parti conservateur à prédominance chrétienne dirigé par l'ancien président Camille Chamoun[15]. D'autres dirigeants palestiniens ont plutôt soupçonné les Phalangistes d'être les provocateurs[16]
Cependant, aucune de ces versions n'a jamais été étayée par des preuves plausibles, et beaucoup ont commencé à douter que le FPLP palestinien soit réellement responsable de l'attentat contre l'église. En effet, les critiques ont souligné la présence trop évidente d'automobiles civiles recouvertes de propagande de cette faction de l'OLP et la tactique employée (une fusillade en voiture), qui ne correspondait pas aux méthodes couramment utilisées par les mouvements de guérilla palestiniens à l'époque.
C'est pourquoi la véritable identité des auteurs moraux - et en particulier celle de leur faction ou de leur parti - est restée mystérieuse jusqu'à la fin des années 1990. De nouvelles preuves, apparues à cette époque, semblent confirmer qu'il ne s'agissait pas de "feday" palestiniens, mais de membres du Parti social national syrien (PSNS), une organisation libanaise rivale de droite, multiconfessionnelle et pan-syrienne[17]. [Le PSNS a mené cette action en représailles à la répression brutale de ses militants à la suite de sa tentative de coup d'État avortée au tournant de 1961-1962, orchestrée par le ministre de l'Intérieur de l'époque, Pierre Gemayel[18] - [19]. Quant aux tireurs du PSNS impliqués dans la fusillade d'avril 1975, ils n'ont jamais été appréhendés et ont apparemment disparu sans laisser de traces. Certains rapports non confirmés suggèrent qu'ils ont été tués au combat[17].
Le bus de l'attaque est retrouvé en 2011, et avait été conservé en l'état par son propriétaire de l'époque. Il a été exposé la même année[20].
Articles connexes
Bibliographie
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Références
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- Marwan Chahine, « Liban : Qu'est devenu le "bus du malheur" ? », sur L'Obs
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- Collelo, Lebanon: a country study (1989), p. 241.
- « Behind the Terror », sur The Atlantic,
- Beshara, The Politics of Frustration - The Failed Coup of 1961 (2013), pp. 1; 3; 153; 160.
- Isabelle Mayault, « Le bus et son double », Mashallah News, (lire en ligne, consulté le )