Massacre de Mahmoudiyah
Le massacre de Mahmoudiyah est un crime de guerre perpétré pendant la guerre d'Irak dans le village de Yusufiyah, le . Des militaires américains violèrent et tuèrent une jeune fille de 14 ans ; l'un d'eux, Steven Dale Green, assassina également ses parents et sa petite sœur[1]. Seuls Mohammed (âgé de 11 ans) et Ahmed (âgé de 9 ans), les deux jeunes fils de la famille qui étaient à l'école au moment des faits, survécurent. Cinq soldats du 502e Régiment d'infanterie furent reconnus coupables : Paul E. Cortez, James P. Barker, Jesse V. Spielman, Brian L. Howard et Steven D. Green (ce dernier fut renvoyé de l'armée avant que le crime soit officiellement imputé aux soldats américains). Un autre, le sergent Yribe fut initialement accusé d'avoir couvert le crime avant d'être renvoyé de l'armée[2].
Massacre de Mahmoudiyah | |||
Date | |||
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Lieu | Mahmoudiyah | ||
Victimes | Civils irakiens | ||
Morts | 4 | ||
Auteurs | Cinq militaires américains | ||
Guerre | Guerre d'Irak | ||
Coordonnées | 33° 04′ 00″ nord, 44° 22′ 00″ est | ||
GĂ©olocalisation sur la carte : Irak
GĂ©olocalisation sur la carte : Moyen-Orient
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Abir Qassim Hamza (14 ans) fut violée et tuée après l'assassinat de sa mère, Fakhriyah Taha Mouhsin (34 ans), de son père, Qassim Hamza Rashid (45 ans) et de sa petite sœur de 6 ans, Hadil Qassim Hamza[3]. Spielman et Green furent reconnus coupables et les trois autres plaidèrent coupables.
Avant le drame
Abir Qassim Hamza al-Janabi ( - ), âgée alors de 14 ans, vivait avec ses parents (Fakhriya Taha Mouhsin, 34 ans, et Qassim Hamza Rashid, 45 ans), sa sœur Hadil Qassim Hamza (6 ans), et ses frères Mohammed (11 ans), Ahmed (9 ans). Leur maison se situait à environ 200 mètres d’un checkpoint (point de contrôle) gardé par un groupe de six soldats américains dans un hameau situé au sud-ouest de la ville de Yusufiya, dans la commune d'Al-Mahmoudiyah (une région surnommée le "Triangle de la mort" par la coalition).
La famille était relativement pauvre et vivait des maigres revenus du père, Qassim, qui depuis quelques années travaillait comme métayer dans un champ de dattes et de grenades. Le propriétaire des lieux leur permit également de résider gratuitement dans la modeste maison fermière à côté du champ, qui était composé d'un salon, d'une seule chambre, d'une cuisine, d'une salle de bains et d'un grenier[4]. Le mobilier n'appartenait également pas à la famille. Qassim et Fakhriyah espéraient un jour avoir leur propre maison avec des meubles achetés par eux-mêmes, avoir de quoi manger à leur faim et rêvaient aussi d'envoyer leurs enfants à l'université[5]. La benjamine, Hadil, fut décrite par ses frères comme étant très joviale sans pour autant être espiègle. Elle aimait beaucoup jouer avec Ahmed à cache-cache dans le jardin entourant la maison[5] et adorait manger une plante sucrée qui poussait dans leur jardin. Lors du procès de Green, Mohammed et Ahmed se souvinrent des moments où leur père les emmenait au marché, jouait au football avec eux et les aidait à faire leurs devoirs[5]. Ils se remémorèrent également les délicieux plats de leur mère et sa tendresse pour eux.
Selon les voisins, Abir, l'aînée de la famille, passait le plus clair de son temps à la maison, car ses parents ne voulaient plus l’envoyer à l’école pour des raisons de sécurité : depuis l'invasion de 2003 et la détérioration des relations entre les locaux et les Américains, la situation était devenue très dangereuse[6]. Elle aidait sa mère pour les tâches quotidiennes. Sa tante paternelle, Amina Rashid Al Janabi la décrivit comme une fille calme, introvertie et « très fière d'être jeune »[5]. Elle aimait également porter de beaux vêtements[7]. De grande taille pour son âge, elle souffrait de problèmes d'asthme. Elle souhaitait plus tard « vivre dans la grande ville » (en l’occurrence Bagdad) et se marier[5]. Depuis leur checkpoint, les soldats l'observaient souvent faire son travail quotidien et entretenir le jardin. Les voisins en avaient averti le père, mais celui-ci disait que ce n’était pas grave car elle n’était qu’une petite fille[8].
Mohammed (qui était à l’école avec son petit frère le jour du crime), se souvient que les soldats observaient souvent la maison. Un jour, un soldat avait même pointé son doigt sur la joue de la jeune fille lors d'une patrouille, un geste qui l’avait terrifiée et l'avait fait pleurer[9].
Peu avant le drame, la mère d’Abir avait dit à ses proches que, chaque fois qu’elle surprenait les soldats regarder Abir, ils lui disaient en montrant sa fille : "Très bien, très bien."[9] Cela la rendait évidemment soucieuse et elle envisageait d’envoyer Abir dormir ailleurs chez un membre de sa famille. Deux ou trois jours avant les faits, face au harcèlement de plus en plus pressant dont elle faisait l'objet, la famille se rendit chez le cousin de Fakhriyah, Mahdi Al Janabi (surnommé Abou Firas), pour qu'Abir puisse dormir chez lui : en effet sa maison moins isolée était située plus loin du checkpoint, et il y avait plus de monde à l'intérieur, ce qui pouvait dissuader une attaque envers Abir[6]. Toutefois, dès le lendemain, les parents d'Abir revinrent la chercher, estimant qu'ils seraient capables de la protéger (le père était légalement armé d'un AK-47) et pensant (à tort) que les soldats américains n'iraient pas au-delà du simple harcèlement[6].
Viol et assassinats
Le 12 mars 2006, dans le poste de contrôle situé à quelques centaines de mètres de la maison des Al Janabi (connu sous le nom de Traffic Checkpoint n°2 ou TCP 2), six soldats américains réalisaient leurs tâches quotidiennes de déminage et de surveillance des environs[10]: Paul Edward Cortez, le caporal sur le point d'être promu sergent, qui dirigeait la petite unité ; James Paul Barker, caporal également ; Steven Dale Green, Jesse Spielman, Brian Howard et Seth Scheller, tous des soldats de première classe et récemment arrivés dans le point de contrôle en renfort.
Se sentant éprouvés physiquement et moralement par les exigences de la guerre, la perte de leurs camarades (leur peloton fut l'un des plus touchés), et le désintérêt manifeste de leurs supérieurs quant à la rudesse et la dangerosité des conditions de leurs missions[11], Cortez, Barker et Green passèrent la matinée à jouer au golf et aux cartes tout en buvant (illégalement) un mélange de whisky et de boissons énergétiques[12]. C'est là que Green, connu dans le bataillon pour son attitude et ses commentaires insultants, notamment envers les Irakiens, exprima son désir de tuer des civils irakiens. Green était coutumier du fait et était peu pris au sérieux mais cette fois-ci, il se montra très persistant. Plutôt que de le raisonner, Barker (supérieur en rang à Green) renchérit en suggérant qu'il voudrait avoir des relations sexuelles avec une Iraquienne[13]. Il ajouta qu'il avait remarqué au cours de ses précédentes patrouilles au village une jeune femme habitant dans une maison environnante, qui serait une cible idéale : en effet, sa maison était relativement isolée et il n'y avait qu'un seul homme adulte parmi les occupants[14]. De plus, Barker connaissait bien la disposition de la maison et savait exactement où le père conservait son arme (les Irakiens avaient l'autorisation pour assurer leur défense de conserver un AK-47 avec un chargeur de 30 balles maximum par famille, à condition de le montrer aux Américains lors de leurs patrouilles). Green confirma à Barker qu'il éliminerait sans problème les membres de la famille pour ne laisser aucun témoin vivant après que Barker le questionna à ce propos[13].
Toutefois, ils leur fallait « l'accord » de Cortez, qui dirigeait le checkpoint. Celui-ci accepta après un temps d'hésitation : sa condition était d'être le premier à violer Abir[15]. Cortez embrigada Spielman avec eux et assigna les tâches à chaque soldat comme s'il s'agissait d'une mission normale[15] : Spielman fut chargé de monter la garde pendant que Cortez et Barker devaient s'emparer d'Abir ; Green devait tuer le reste de la famille avec l'arme du père, pour faire croire à une attaque d'insurgés (car l'AK-47 était leur arme de prédilection).
Cortez avertit Howard qu'ils comptaient agresser sexuellement une jeune femme résidant à proximité, et en lui donnant un talkie-walkie, lui ordonna de les prévenir s'il voyait une patrouille arriver. Howard ne le crût pas, et pensait à une simple blague et qu'ils allaient simplement passer à tabac des civils. Scheller, le sixième soldat, montait la garde en dehors du point de contrôle et ne fut aucunement impliqué dans cette affaire.
Cortez et Barker revêtirent des habits noirs ainsi que des cagoules pour ne pas être reconnus et passer pour des rebelles irakiens[10] ; Green couvrit simplement sa tête d'un T-Shirt alors que Spielman conserva son pantalon militaire et un T-Shirt de l'armée. Green s'équipa d'un fusil à pompe, Cortez et Barker d'un M-4 et Spielman d'un M-14[13].
En pleine journée, ils se rendirent à pas de course vers leur cible en traversant plusieurs champs et maisons qui les séparaient de la famille Al Janabi. Barker, qui mena le groupe[16], coupa un grillage sur le chemin avec un couteau spécial de l'armée.
Aux abords de la maison, les soldats se divisèrent en deux groupes : Barker et Cortez passèrent par l'arrière, tandis que Green et Spielman se dirigèrent vers l'entrée, où ils trouvèrent Qassim, près de sa voiture, en train de surveiller Hadil, qui cueillait ses plantes favorites dans le jardin. Green saisit le père pendant que Spielman fit rentrer Hadil de force[10]. À l'intérieur, Cortez et Barker fouillèrent la maison et poussèrent Fakhriyah et Abir de la cuisine vers la chambre, avant d'être rejoints par tous les autres. Green récupéra l'AK-47 à l'emplacement que Barker lui avait préalabement indiqué (lors du procès de Green, Mohamed, le frère d'Abir, précisa que le père rangeait son arme dans la chambre, sous le rideau de la fenêtre[7]) puis tint en joug la famille. Cortez et Barker emmenèrent Abir de force dans le salon pour la violer. Spielman ferma la porte de la chambre et monta la garde dans le hall.
Cortez poussa Abir au sol, puis une lutte entre eux s'engagea. Barker aida son compère en passant par-dessus Abir pour lui bloquer les bras avec ses mains et ses genoux. Cortez commença alors à la déshabiller. À tour de rôle, ils maintinrent et violèrent Abir, qui se débattait, luttait, criait et pleurait durant tout l'assaut[14].
Dans la chambre familiale, Green avait du mal à garder le contrôle de ses otages[4]. Son objectif était d'ordonner à la famille de s'allonger sur le ventre, de placer un coussin sur leur tête et de les abattre un par un d'une balle d'AK-47 dans la tête. Toutefois, les parents d'Abir (et sa sœur), agités et terrifiés, n'écoutèrent pas ses ordres et tentèrent de sauver leur fille. Green, pris de court par Fakhriyah qui se rua vers la porte de la chambre, la tua d'un coup de fusil à pompe dans le dos[4]. Il tenta ensuite de retourner l'AK-47 contre le père, mais l'arme s'enraya plusieurs fois. Paniquant face au père qui s'avança vers lui, il dut de nouveau recourir à son fusil à pompe et tua Qassim à bout portant d'une balle dans la tête et de deux dans le thorax. Ne restait plus que la petite Hadil, qui cherchait à se réfugier dans un coin. Cette fois-ci, l'AK-47 ne s'enraya pas et Green l'abattit de plusieurs balles dont une à l'arrière de la tête. Lors de sa mort, Hadil tenait toujours dans sa main les plantes qu'elle venait de cueillir.
Green sortit de la chambre, les vêtements ensanglantés et déclara: « Ils sont morts, je les ai tous tués ». Ce après quoi, il posa l'AK-47 contre un mur adjacent, et fut le troisième homme à violer Abir (avec l'aide de Cortez qui maintenait toujours Abir et le sommait de se dépêcher). Green plaça ensuite un coussin sur sa tête et l'exécuta de plusieurs balles.
Les soldats versèrent du kérosène sur le corps d'Abir et brûlèrent son corps pour dissimuler leur crime. Green ouvra une bonbonne de gaz dans la cuisine afin que le feu se propage et fasse exploser la maison. Les soldats se hâtèrent de retourner à leur checkpoint, jetèrent l'AK-47 dans un canal, brûlèrent leurs vêtements, puis « célébrèrent » leur crime en grillant des ailes de poulet et en sautant de joie[17]. Cortez leur fit promettre de ne jamais en parler à personne. Green exulta en s'exclamant que « c'était génial » ( « that was awesome »[18] ).
Les voisins furent alertés par la fumée s'échappant de la maison[19]. Ils constatèrent rapidement de l'extérieur les corps ensanglantés et sans vie de la famille. Abu Firas, le cousin de Fakhriyah, fut prévenu et arriva sur place[20]. Il trouva les deux jeunes fils de la famille qui venaient de rentrer de l'école éplorés et inconsolables, puis avec l'aide de sa femme, il pénétra dans la maison pour éteindre le feu du corps d'Abir et reboucher la bonbonne de gaz[20]. Après avoir conduit les enfants et sa femme chez lui, il signala les meurtres au checkpoint n°1, là où se trouvaient à la fois des soldats irakiens et américains.
Participants au massacre
- Steven Dale Green, né à Midland (Texas) le , mort en prison le après une tentative de suicide[21]. Délinquant récidiviste, Green s'était engagé dans l'armée en février 2005 pour échapper à une peine de prison[22]. Il est envoyé quelques mois plus tard en Irak au sein de la Compagnie Bravo appartenant à la 101 division. Il fut condamné en mai 2009 à la peine de prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pour 17 chefs d'accusation[23]. Green risquait la condamnation à mort pour les crimes qu'il avait commis : néanmoins, l'absence d'unanimité des jurés (qui délibérèrent pendant 10 heures) quant à la peine à infliger à Green entraîna automatiquement l'application de la réclusion criminelle à perpétuité, prononcée par le juge Thomas Russell[24].
Sources
- « Un ex-soldat américain jugé pour viol et meurtre », sur France 24, (consulté le )
- « Soldier testifies another soldier admitted to attack on family - International Herald Tribune », sur web.archive.org, (consulté le )
- « L'équipée sauvage des GI's de Mahmoudiyah », sur LEFIGARO (consulté le )
- (en) https://books.google.fr/books?id=9UwyGVSpUE8C&pg=PA264&lpg=PA264&dq=jim+frederic+abeerr&source=bl&ots=Y8N1_E-AP7&sig=ACfU3U020j237gUvCSFBgRhyonEW-3k5fg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwi8xoj9kpfyAhURyoUKHUY2BvsQ6AF6BAgGEAE#v=onepage&q=jim%20frederic%20abeerr&f=false, Page 261
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- (en) April 15 et 2010 | Gail McGowan Mellor | Girls, « Remembering Abeer: Anatomy of a War Crime - Women’s Media Center », sur womensmediacenter.com (consulté le )
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- (en) Steve Robrahn, « Ex-U.S. soldier found guilty in Iraqi rape, deaths », Reuters,‎ (lire en ligne, consulté le )
- (en-US) « Case 78: The Janabi Family », sur Casefile: True Crime Podcast, (consulté le )
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- (en-US) Jim Dwyer et Robert F. Worth, « Accused G.I. Was Troubled Long Before Iraq », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
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- (en) « Ex-GI spared death in Iraqi girl's rape, killing », sur NBC News (consulté le )
- La Presse (Montréal), , Donna Groves, Viol et meurtres en Irak: la perpétuité pour Steven Green.
- RFI Un ex-marine reconnu coupable de viol et de meurtre, .
- {en}New York Times, Jim Dwyer, Robert F. Worth, , Accused G.I. Was Troubled Long Before Iraq.