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Les Illustres Françaises

Les Illustres Françaises est un roman de Robert Challe, paru de façon anonyme à La Haye chez Abraham de Hondt en 1713. Quatorze éditions, hollandaises et parisiennes, jusqu'en 1780 et des traductions étonnamment précoces, en anglais (1727), allemand (1728), néerlandais (1730, 1738, 1748) attestent son immense succès.

Les Illustres Françaises
Auteur Robert Challe
Pays Hollande
Genre Roman
Éditeur Abraham De Hondt
Lieu de parution La Haye
Date de parution 1713
Robert Challe, Les Illustres Françaises, La Haye, Abraham de Hondt, 1713.

"Il met en scène des héroïnes d'exception dont les passions sont racontées dans sept histoires tendres et violentes, subtilement unifiées par les liens tissés entre les héros, les narrateurs et les auditeurs. Des personnages audacieux bravent les conventions, s'abandonnent à la débauche, vivent des liaisons secrètes, se débattent entre amours et haine dans un monde, Paris omniprésent, où se mêlent les réalités triviales, la magie et l'actualité sociale et artistique" (Geneviève Artigas Menant).

Insérées dans une histoire cadre, ces histoires sont racontées à un public d'amis qui se connaissent de longue date par quatre narrateurs différents, Des Ronais, Terny, Des Frans et enfin Dupuis. Une des inventions originales de Robert Challe par rapport au Décaméron de Boccace ou à L'Heptaméron de Marguerite de Navarre consiste à faire raconter la même histoire par différents personnages et à montrer que ces versions sont inconciliables : la vérité n'est donc pas une donnée issue de la réalité, mais le résultat d'une construction mentale. Une autre originalité du roman par rapport aux romans contemporains réside dans le fait que les devisants parlent tous à la première personne et sont donc à la fois narrateurs et acteurs des histoires.

Roman réaliste libertin, Les Illustres Françaises jouent un rôle essentiel dans l'histoire des influences croisées entre le roman français et le roman anglais d'un siècle qui a connu le triomphe du genre romanesque, de Richardson et Prévost à Diderot et Sade.

Résumé des histoires

  • L’histoire de M. des Ronais et de Mlle Dupuis raconte les amours contrariĂ©es de Des Ronais et de Manon Dupuis. C'est Des Ronais lui-mĂŞme qui raconte son histoire. Après avoir rencontrĂ© Manon chez Mme de LondĂ©, Des Ronais entame une relation amoureuse avec la jeune femme. Il trace du père de Manon un portrait rĂ©voltant. Après s'ĂŞtre rĂ©joui publiquement de la mort de son Ă©pouse dont il mettait en question, sans raison, la fidĂ©litĂ©, ce dernier explique sans dĂ©tours qu'il ne s'oppose pas au mariage de sa fille Manon, mais qu'il a besoin d'ĂŞtre servi par elle jusqu'Ă  sa mort. Des Ronais aura tout le temps de l'Ă©pouser lorsqu'il ne sera plus lĂ . La relation des deux jeunes gens ne peut donc se conclure par un mariage. Le père Dupuis s’oppose farouchement Ă  leur union, par Ă©goĂŻsme. Quelques mois plus tard, le dĂ©cès du père de Manon permet Ă  Des Ronais d'envisager de pouvoir Ă©pouser celle qu'il aime ; mais une lettre qu'il ouvre par hasard, lui apprend l’existence d’un rival, un certain Gauthier, qu’il part rechercher en province. Furieux de l’infidĂ©litĂ© "manifeste" de Manon, il refuse de la revoir et refuse toute tentative d'explication de sa part.
  • L’histoire de M. de Contamine et d’AngĂ©lique: Des Ronais raconte l'histoire d'une ascension sociale fabuleuse. AngĂ©lique est employĂ©e chez une amie de M. de Contamine. Celui-ci tombe amoureux d’elle et tente de nouer une relation avec elle. AngĂ©lique refuse tout ce qui pourrait la perdre de rĂ©putation, mais accepte les cadeaux de son amant. Elle rencontre son ancienne maĂ®tresse qui l'insulte publiquement en la croyant une fille perdue. L'esclandre pousse AngĂ©lique Ă  mettre Contamine devant un dilemme: rompre avec elle ou l'Ă©pouser publiquement. Contamine avoue tout Ă  sa mère que l'amour de son fils et la bonne Ă©ducation d'AngĂ©lique amènent "Ă  passer sur le bien", c'est-Ă -dire Ă  accepter cette mĂ©salliance.
  • L’histoire de M. de Terny et de Mlle de Bernay rappelle par son ton Les Lettres portugaises de Guilleragues. Mlle de Bernay est une jeune aristocrate que ses parents destinent au couvent. Terny, amoureux d’elle, essaye vainement d’obtenir sa main. Le père de ClĂ©mence de Bernay s’oppose Ă  leur union, sa cupiditĂ© l’emportant sur la raison et les sentiments. Après de nombreuses pĂ©ripĂ©ties, les deux amants arrivent Ă  mystifier le père Bernay, en dĂ©clarant ouvertement leur amour lors de la cĂ©rĂ©monie au cours de laquelle ClĂ©mence devrait prononcer ses vĹ“ux de religieuse. Terny rapporte lui-mĂŞme son histoire et revient in fine sur la matière de la première nouvelle : il explique comment Manon Dupuis recevait les lettres que Terny adressait en secret, sous le nom de Gauthier, Ă  Mlle de Bernay : cette rĂ©vĂ©lation devrait justifier Manon Dupuis aux yeux de des Ronais puisqu'elle servait de "boĂ®te postale" Ă  son amie. Cette pĂ©ripĂ©tie illustre un aspect du roman : "Les apparences trompeuses".
  • L’histoire de M. de Jussy et de Mlle Fenouil est racontĂ©e par Des Frans. Jussy et Babet Fenouil sympathisent grâce Ă  leur goĂ»t commun pour la musique. Leur relation passe inaperçue jusqu’à ce que Babet Fenouil dĂ©couvre qu'elle est enceinte. Les amants dĂ©cident de s’enfuir, mais sont vite rattrapĂ©s par la justice. Jussy est condamnĂ© Ă  un bannissement de six ans. Après ce ban, il rentre en France incognito et rĂ©gularise sa liaison avec Babet Fenouil par un mariage secret, ce qui lĂ©gitime de facto l'enfant qu'ils ont eu ensemble. Au cours d’un dĂ®ner festif, les jeunes gens rĂ©vèlent de façon théâtrale leur rĂ©cente union aux tuteurs de Mlle Fenouil, fous de rage.
  • L’histoire de M. des Prez et de Mlle de l’Épine est une histoire tragique, rapportĂ©e par Dupuis. Des Prez rencontre Marie-Madeleine de l’Épine dans une salle d’audience, alors que la mère de la jeune femme se trouve engagĂ©e dans un interminable procès dont l'issue dĂ©pend d'un magistrat qui se trouve ĂŞtre le père de Des Prez. Les parents respectifs des jeunes gens s’opposent pour des raisons diffĂ©rentes Ă  leur union. Des Prez est obligĂ© de ruser pour rencontrer Marie-Madeleine, qu’il Ă©pouse secrètement. La jeune fille tombe enceinte et ne peut dissimuler sa grossesse Ă  sa mère. De son cĂ´tĂ©, le père de Des Prez apprend la relation que son fils entretient avec Marie-Madeleine. Les parents des amants sont furieux. Le père de Des Prez le fait interner Ă  Saint-Lazare tandis que la mère de Marie-Madeleine fait transporter sa fille agonisante Ă  l'HĂ´tel-Dieu oĂą elle meurt au milieu des prostituĂ©es de Paris.
  • L’histoire de Des Frans et de Sylvie donne la version faite par Des Frans d’une histoire d’amour malheureuse entre lui et une jeune fille mystĂ©rieuse : Silvie. Dans la cathĂ©drale Notre-Dame, Des Frans est amenĂ© Ă  baptiser avec une inconnue un enfant trouvĂ©. Des Frans est sĂ©duit par Silvie. Les jeunes gens deviennent amants. Des Frans enquĂŞte alors sur l’origine de Silvie. Comme elle est elle-mĂŞme une enfant trouvĂ©e, elle ne peut rĂ©vĂ©ler qui est son père, et elle est amenĂ©e Ă  lui mentir. Après de longues recherches, Des Frans finit par dĂ©couvrir sa situation et son identitĂ© : il l’épouse malgrĂ© l'opposition de sa mère. Mais au retour d'un voyage Ă  Rome, il surprend Silvie dans les bras de son meilleur ami, Gallouin. Ce qu'il prend pour une infidĂ©litĂ© de Silvie le pousse Ă  sĂ©questrer la jeune femme qui, dĂ©sespĂ©rĂ©e, se laisse mourir.
  • L’histoire de Dupuis et de Mme de LondĂ© est une histoire radicalement diffĂ©rente des prĂ©cĂ©dentes. Il s'agit d'un rĂ©cit de formation qui couvre une pĂ©riode plus longue. Dupuis rapporte les Ă©tapes de sa vie dans laquelle interviennent diffĂ©rentes femmes. Il raconte Ă©galement plusieurs histoires brutales et plaisantes qui peignent la vie quotidienne dans le Paris de Louis XIV. Le cĂ´tĂ© libertin du rĂ©cit est indĂ©niable. Dupuis, raconte en effet l’apprentissage progressif qu’il fait de l’amour, avant de rencontrer la femme auprès de laquelle il est censĂ© se ranger. Au cours de sa confession, Dupuis rapporte la version que lui a confiĂ©e Gallouin, l'ami de Des Frans, de ce qui s'est passĂ© entre lui et Silvie. Ce que Des Frans a pris pour une infidĂ©litĂ© Ă©tait une dramatique erreur d'interprĂ©tation, une illustration du danger des "apparences trompeuses" : Des Frans a bien vu, mais a mal interprĂ©tĂ© le tĂ©moignage de ses yeux. Il a donc puni irrĂ©parablement Silvie, qui Ă©tait dĂ©jĂ  la victime de Gallouin.
  • L’histoire cadre permet de faire entrer en rĂ©sonance les diffĂ©rentes histoires, et de confronter les opinions divergentes des diffĂ©rents narrateurs. Les auditeurs se font de plus en plus nombreux, et presque la totalitĂ© des acteurs des histoires racontĂ©es se retrouvent au cours de ces conversations au cours desquelles ils racontent Ă  la personne "je" les histoires dont ils sont les acteurs ou les tĂ©moins -- ce qui renforce l'aspect oral de l'ensemble du roman qui prĂ©figure "Jacques le Fataliste". L’histoire cadre permet aussi de modifier la perception que le lecteur peut avoir de certains rĂ©cits (comme de l’histoire de Des Frans et de Silvie, ou celle de M. des Ronais et de Mlle Dupuis), ou de certains personnages (Silvie, Manon Dupuis).

Adaptations

Landois fit jouer Silvie le : il la fit publier par Prault fils en 1742; réédition fac-similé par la société des amis de Robert Challe (1998).

En 1756, Collé tira aussi le sujet de La Veuve de la septième histoire; réédition Michèle Weil éd., Montpellier, Espace 34, 1991.

Le , Collé porta à la scène le sujet de la première nouvelle sous le titre de Dupuis et Des Ronais, comédie en vers libres et en trois actes, qui parut ensuite avec beaucoup de succès sur le théâtre de la Comédie-Française (édition Paris, Duchesne, 1763): réédition fac-similé par la Société des amis de Robert Challe (1996)

Continuations

Le roman recueillit un tel succès que des Histoires supplémentaires vinrent s'adjoindre au roman original. En 1722, l’Histoire de Monsieur le comte de Vallebois et de Mademoiselle Charlotte de Pontais son épouse ; en 1723 l’Histoire de Monsieur de Bréville et de Mademoiselle de Beaumont ; en 1725 l’Histoire du comte de Livry et de Mademoiselle de Mancigni et l’Histoire de Monsieur de Salvagne et de Madame de Villiers. Ces histoires reprennent les thèmes des nouvelles originales, mais leur développement retrouve les stéréotypes du roman galant de l'époque, ce que Challe évitait soigneusement.

Éditions

  • Robert Challe, Les Illustres Françaises, Édition nouvelle par FrĂ©dĂ©ric Deloffre et Jacques Cormier, Genève, Droz, coll. « Textes littĂ©raires français Â», n°400, 1991, 710 p.
  • Robert Challe, Les Illustres Françaises, Jacques Cormier et FrĂ©dĂ©ric Deloffre Ă©d., Paris, Librairie gĂ©nĂ©rale française, Le Livre de poche, coll. « Bibliothèque classique Â», 1996, (ISBN 2-253-90716-2)
  • Robert Challe, Les Illustres Françaises, Ă©dition critique par Jacques Cormier, postface de RenĂ© DĂ©moris, Paris, Classiques Garnier, coll. « Bibliothèque du XVIIIe siècle Â», 2014, 698 p.
  • Les Illustres Françaises apocryphes, Jacques Cormier Ă©d., Louvain/Paris/Walpole, MA, Peeters, 2012.

Traductions

  • The Illustrious French Lovers, A Critical Edition of Penelope Aubin’s Translation of Robert Challe’s Les Illustres Françaises, Ă©d. Anne de Sola, Lewiston (USA)/Queenston (Canada)/Lampeter (United Kingdom), The Edwin Mellen Press, 2000, Studies in French Literature, volume 44.
  • Life, Love and Laughter in the Reign of Louis XIV, a new translation of Robert Challe’s Les Illustres Françaises, par Ann Preston, Brighton, Book Guild, 2008.
  • Die illustren Französinnen. Wahrheitsgetreue Geschichten, Annemarie Rahn-Gassert trad., prĂ©face de Hans HinterhaĂĽser, Karlsruhe, Amadis Vlg, 1965.
  • SkvèlĂ© Francouzsky, Dagmar Steinova trad., Prague, Odeon, s.d. [1980], 2 vol. Postface de Jaroslav MinĂ r.
  • Hiroshi Matsuzaki trad., Tokio, Ă©ditions "Suisei-sha", .

Analyses

  • Henri Coulet, Le Roman jusqu'Ă  la RĂ©volution, Paris, Armand Colin, 1967, tome I, p. 285-290, (ISBN 2-200-25117-3)
  • Jean Mesnard dir., PrĂ©cis de littĂ©rature française du xviie siècle, Paris, PUF, 1990. Sur Challe, voir 4e part., chap. IV, p. 395-399.
  • Michèle Weil, Robert Challe romancier, Genève-Paris, Droz,1991.
  • Jacques Popin, PoĂ©tique des Illustres Françaises, Mont-de-Marsan, Ă©d. InterUniversitaires, 1992, deux vol.
  • Jacques Chupeau, Un nouvel art du roman : techniques narratives et poĂ©sie romanesque dans Les Illustres Françaises de Robert Challe, Caen, Paradigme, 1993, (ISBN 2-86878-093-8)
  • Jacques Cormier, L'Atelier de Robert Challe, prĂ©face de Geneviève Artigas-Menant, Paris, Presses universitaires de la Sorbonne (PUPS), 2010, 667 p.
  • Jacques Cormier, extrait de L'atelier de Robert Challe de Jacques Cormier, Paris, PUPS, 2010, Ă  lire sur le site de la librairie HĂ©rodote, notice Robert Challe, Les Illustres Françaises.

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