Accueil🇫🇷Chercher

Le Raisonnement sociologique

Le Raisonnement sociologique. L'Espace non-popperien du raisonnement naturel est un essai du sociologue Jean-Claude Passeron, qui pose la question de la scientificité de la sociologie et des sciences sociales en général. Il a été réédité en 2006 sous le titre : Le raisonnement sociologique : Un espace non poppérien de l'argumentation.

Le Raisonnement sociologique. L'Espace non-popperien du raisonnement naturel
Auteur
Genre
Date de parution
Pays
Éditeur

Cet ouvrage recueille différents articles traitant d'épistémologie parus au cours de la carrière du sociologue. En fin d'ouvrage, Jean-Claude Passeron résume sa pensée à travers des propositions récapitulatives et un travail de définition.

Propositions récapitulatives

Dans le chapitre conclusif de son ouvrage Le Raisonnement sociologique, Jean-Claude Passeron résume a minima les grandes thèses de son épistémologie. Il formule son questionnement épistémologique en termes wittgensteiniens et poppériens. Il propose trois manières de poser la question :

  • « Qu'est-ce qui pourrait ĂŞtre dit vrai ou faux par rĂ©fĂ©rence Ă  une Ă©preuve empirique, pour des assertions portant sur des "faits" qu'on peut observer dans le monde historique? Â» ;
  • « PosĂ©e Ă  la description Ă©pistĂ©mologique, elle se formule en ces termes : comment se dĂ©finit l' espace logique oĂą peut prendre un sens Ă©nonçable la valeur probatoire du raisonnement sociologique tel que l'utilisent toutes les sciences sociales (Au sens de Wittgenstein : Les faits dans l'espace logique constituent le monde, proposition 1.1.3 du Tractatus) ? Â» ;
  • « Ou, si l'on veut, Ă  quelles conditions et sous quelles contraintes les sciences historiques peuvent-elles fonctionner comme sciences empiriques ? Â»

À ce questionnement, Jean-Claude Passeron répond en trois propositions principales :

  1. « Les sciences empiriques sont des langages de description du monde qui doivent produire un type particulier de connaissance aux épreuves empiriques que la structure logique de ces langages rend possibles et nécessaires ».
  2. « Il n’existe pas et il ne peut exister de « langage protocolaire Â» unifiĂ© de la description empirique du monde historique ».
  3. « La mise Ă  l’épreuve empirique d’une proposition thĂ©orique ne peut jamais revĂŞtir en sociologie la forme logique de la rĂ©futation (« falsification Â») au sens poppĂ©rien ». (p. 542[Notes 1])

Propositions secondaires

Ces trois propositions principales sont justifiées par 26 propositions, enrichies de trente scolies. Voici quelques-unes de ces propositions secondaires.

1.1. « On peut définir logiquement la compatibilité d’un énoncé avec un énoncé, jamais celle d’un énoncé avec une réalité. » (p. 544) 1.1.1. « Aucun énoncé protocolaire, si minimal qu’il puisse se faire pour se rapprocher du constat perceptif, ne peut prétendre à être une expression de la réalité qui disqualifierait tous les autres énoncés de base décrivant la même réalité. » (p. 545) 1.2. « La mise à l’épreuve empirique est un critère d’évaluation des propositions qui fonctionne dans une science empirique, justifiant ainsi sa caractérisation comme science empirique, parce que et dans la mesure où il existe un accord linguistique entre énonciateurs sur la correspondance entre énoncés de base et réalité observée. » (p. 546) 1.2.1. « Un haut degré de consensus réalisé dans un groupe de spécialistes et exprimant un haut degré de stabilisation d’un langage de description du monde définit un paradigme scientifique. » (p. 546) 1.2.1.1. « Une épreuve empirique a des effets d’autant plus décisifs sur le sort d’un langage de description du monde que ce langage est mieux protocolarisé, i.e. que ces termes et règles en sont plus complètement définis. » (p. 546) 2.2. « La vulnérabilité et, donc, la pertinence empirique des énoncés sociologiques ne peuvent être définies que dans une situation de prélèvement de l’information sur le monde qui est celle de l’observation historique, jamais celle de l’expérimentation. » (p. 554) 2.2.1. « L’expérimentation indirecte mise en œuvre par la comparaison historique ou sociologique ne peut engendrer des assertions dont la généralité soit équivalente à celle des assertions issues de l’expérimentation. » (p. 554) 2.2.2. « Le contexte d’une mesure ou d’une observation portant sur le monde historique ne peut être épuisé par une série finie d’assertions qui énonceraient les traits pertinents du contexte pour la validité de la mesure ou de l’observation considérée. » (p. 558) 2.2.3. « Les analyses qui permettent de généraliser les constats empiriques d’une enquête au-delà de son contexte singulier relèvent d’un raisonnement qui ne peut être que naturel, en ce sens qu’il articule comparativement des constats opérés dans des contextes dont l’équivalence n’est justifiée que par la typologie qui les apparente, inscrivant ainsi les assertions sociologiques dans une méthodologie de la présomption, distincte d’une méthodologie de la nécessité. » (p. 558) 3.1. « Aucune des propriétés logiques qui rendent possible la réfutabilité (« falsifiability ») d’une proposition théorique n’appartient stricto sensu aux propositions qui composent une théorie sociologique, du seul fait que le sens de l’information sur laquelle elles assertent reste toujours solidaire d’une série de configurations historiques singulières » (p. 575) 3.1.1. « L’universalité des propositions les plus générales de la sociologie est au mieux une universalité numérique, jamais une universalité logique au sens strict, selon la distinction poppérienne des deux sens logiques du tous employé dans les propositions universelles. » (p. 576) 3.1.2. « La structure nécessairement typologique des théories sociologiques et, partant, du langage de leurs énoncés de base, exclut une définition stricte des conditions initiales d’une observation, opération nécessaire à l’instauration de tout protocole falsificateur. » (p. 591) 3.2. « Tant qu’elle se réfère exclusivement au modèle nomologique des sciences expérimentales, la sociologie est effectivement placée, comme l’ensemble des sciences sociales, devant le dilemme poppérien qui ne laisse le choix à une science empirique (versus métaphysique) visant à définir rigoureusement sa pertinence empirique, qu’entre falsification et exemplification. » (p. 593) 3.3. « L'exemplification ne se réduit pas à l'univers amorphe des constats empiriques de valeur probatoire nulle, dont le modèle poppérien ne peut donner qu'une description négative, puisqu'il la constitue seulement comme classe complémentaire de la classe des opérations falsificatrices qui sont possibles et nécessaires dans les sciences expérimentales. » (p. 594)

DĂ©finitions

L'ouvrage se conclut par plusieurs définitions, précisées par une ou plusieurs scolies qui sont ici que très partiellement retranscrites. Les auteurs auxquels Passeron renvoient explicitement sont Ludwig Wittgenstein, Karl Popper, Bertrand Russell, Rudolf Carnap et Luis Jorge Prieto.

  • Monde : Tout ce qui advient.
  • Monde empirique : Ensemble des co-occurrences observables ; tout ce qui est observable, rien qui ne le soit.
  • Monde historique (cours du) : Ensemble des occurrences observables lorsqu'elles ne peuvent ĂŞtre dĂ©sassorties de leurs coordonnĂ©es spatio-temporelles sauf Ă  perdre le sens que l'on vise en assertant sur elles.
Passeron précise que le monde historique est compris dans le monde logique mais lorsqu'on y ajoute la contrainte de l'observabilité (définissant le monde empirique) et la contrainte de l'historicité, autrement dit l’impossibilité de ne pas faire de références spatio-temporelles.
  • Empirique (science ou connaissance) : Ensemble d'assertions dont la vĂ©ritĂ© ou la faussetĂ© ne peut ĂŞtre tranchĂ©e sans recourir Ă  l'observation du monde empirique.
  • Description : ÉnoncĂ© ou ensemble d'Ă©noncĂ©s qui, selon une ou des conventions ayant socialement cours, correspond Ă  un fait ou un ensemble de faits.
  • Contexte : Sous-ensemble du monde historique dont on peut montrer que sa description est indispensable pour Ă©tablir le sens d'une assertion empirique quand on veut trancher de la vĂ©ritĂ© ou de la faussetĂ© de cette assertion ou, plus gĂ©nĂ©ralement, quand on veut dĂ©finir sa compatibilitĂ© ou son incompatibilitĂ© avec d'autres propositions entrant dans un raisonnement.
Passeron prĂ©cise qu'on ne peut Ă©liminer totalement le recours Ă  la dĂ©signation dans les descriptions d'une discipline historique. Autrement dit, les descriptions contiennent nĂ©cessairement des « dĂ©ictiques Â». Par consĂ©quent, elles ne peuvent prendre la forme d'une description dĂ©finie.
  • Espace logique (d'une assertion) : Ensemble des contraintes qui dĂ©finissent pour une assertion le sens de ce que signifie pour elle le fait d'ĂŞtre vraie ou fausse.
Passeron prĂ©cise que, puisque « les faits dans l'espace logique constituent le monde Â» (Wittgenstein, 1922, 1.13), l'espace logique est dĂ©fini diffĂ©remment selon que les propositions assertent sur un « monde possible Â», sur le monde empirique en gĂ©nĂ©ral ou sur le monde historique. Lorsque des propositions portent sur le monde historique, elles inscrivent leur signification assertorique dans un espace oĂą restent prĂ©sentes les contraintes dĂ©coulant de la dĂ©finition empirique de ce monde (cf. ci-dessus, « monde historique Â» (b)). L'espace logique dans lequel les propositions assertent sur le monde historique est appelĂ© espace non poppĂ©rien par Jean-Claude Passeron.
  • Espace sĂ©mantique : Ensemble des champs sĂ©mantiques des concepts qu'il faut prendre en compte pour que le sens assertorique des propositions qui les contiennent ou en dĂ©pendent soit complètement dĂ©fini.
  • InterprĂ©tation : Est interprĂ©tation, dans une science empirique, toute reformulation du sens d'une relation entre des concepts descriptifs qui, pour transformer ce sens (l'enrichir, le dĂ©placer ou le simplifier), doit faire intervenir la comparaison de cette relation avec des descriptions empiriques qui ne supposent pas exactement le mĂŞme univers du discours que la relation ainsi interprĂ©tĂ©e.
  • IdentitĂ© (contexte identique ou constant) : s'entend toujours au sens de l'identitĂ© spĂ©cifique, et Ă©videmment jamais au sens de l' identitĂ© numĂ©rique (ou mĂŞmetĂ© absolue, qui ne peut ĂŞtre dĂ©signĂ©e que par un nom propre).
Passeron prĂ©cise que le raisonnement comparatif des sciences sociales repose toujours sur des concepts typologiques : « Ă  dĂ©faut de pouvoir maĂ®triser l'identitĂ© ou la diffĂ©rence des contextes historiques par des descriptions dĂ©finies, il ne peut fonder ses identifications conceptuelles que sur une typologie des contextes parents, dont la nomination participe ainsi, indirectement et partiellement, de la dĂ©signation par nom propre Â» (pp. 613-623).

Notes et références

Notes

  1. La pagination est celle de l'édition revue et augmentée parue en 2006 chez Albin Michel.

Références

    Bibliographie

    • Jean-Claude Passeron, Le Raisonnement sociologique : un espace non poppĂ©rien de l'argumentation (Ă©dition refondue et augmentĂ©e), Paris, Albin Michel, 2006.
    Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.