La Sente Ă©troite du Bout-du-Monde
La Sente Ă©troite du Bout-du-Monde (ć„„ăźçŽ°é / ăăăźă»ăé, Oku no hosomichi)[1], parfois traduit en LâĂtroit Chemin du fond, Sur le chemin Ă©troit du Nord profond ou encore Le Chemin Ă©troit vers les contrĂ©es du Nord[2], est une Ćuvre majeure du poĂšte japonais Matsuo BashĆ (1644-1694).
Le texte se prĂ©sente sous la forme dâun carnet de voyage relatant un pĂ©riple Ă©pique et dangereux effectuĂ© par BashĆ Ă travers le Japon fĂ©odal. LâĆuvre est considĂ©rĂ©e comme un classique et de nombreuses personnes reparcourent aujourdâhui le chemin qui y est dĂ©crit. Dans un des passages les plus fameux, BashĆ Ă©crit : « Chaque jour en voyage, il fait du voyage sa demeure[3]. »
Kenji Miyazawa rĂ©sumera lâessence du carnet ainsi : « Câest comme si lâĂąme du Japon sâĂ©tait couchĂ©e sur le papier dâelle-mĂȘme, dans toute sa profondeur[4]. »
PrĂ©sentation du contexte et de lâĆuvre
Pour Ă©crire La Sente du Bout-du-Monde, BashĆ sâest inspirĂ© dâun de ses propres voyages rĂ©alisĂ© Ă la fin du printemps de 1689. Avec son disciple Kawai Sora (æČłćæŸèŻ), ils partirent dâEdo (de nos jours, TĆkyĆ) pour se rendre dans la rĂ©gion intĂ©rieure dâOku, au nord ; leur but Ă©tait simplement de contempler ces lieux si souvent dĂ©crits par les anciens poĂštes. En particulier, BashĆ souhaitait visiter tous les sites mentionnĂ©s dans les vers de SaigyĆ[5], quâil considĂšre comme le plus grand auteur de poĂ©sie waka du Japon[6]. Pourtant, voyager Ă cette Ă©poque Ă©tait trĂšs dangereux, mais BashĆ Ă©tait pris dâune rĂ©elle ferveur, idĂ©alisant lâimage du poĂšte errant. Le voyage dura environ 156 jours et quelque 2 300 kilomĂštres couverts pour la plupart Ă pied[7]. De toutes les Ćuvres de BashĆ, La Sente du Bout-du-Monde est clairement la plus connue.
Le texte prend la forme dâun haibun, une composition mĂȘlant prose et haĂŻku, en cinquante chapitres[7]. On y trouve diverses rĂ©fĂ©rences Ă des auteurs comme Confucius, SaigyĆ, dâanciens poĂštes chinois et mĂȘme le Heike monogatari ; le juste Ă©quilibre entre tous ces Ă©lĂ©ments doit Ă©veiller des sentiments trĂšs forts. Dâautre part, sâagissant dâun rĂ©cit de voyage, BashĆ relate avec beaucoup de vie lâessence poĂ©tique de chaque Ă©tape de lâĂ©popĂ©e. Parmi ces arrĂȘts, on peut citer le temple des Tokugawa de NikkĆ, la barriĂšre de Shirakawa, les Ăźles de Matsushima, Hiraizumi, Sakata, Kisakata, et EtchĆ«.
AprĂšs ce voyage, il passa cinq ans Ă travailler et remanier son ouvrage, mais ce dernier ne fut publiĂ© que trois ans aprĂšs sa mort en 1702. En se fondant sur les diffĂ©rences entre le Journal de Sora (Ă©crit donc par son disciple au mĂȘme moment) et la version finale du carnet, il devient clair que BashĆ sâest permis un certain nombre de libertĂ©s dans lâhistoire, imaginant son propre univers poĂ©tique[8]. Il sâest par exemple inspirĂ© du SenjĆ«shu (SĂ©lection de contes) attribuĂ© Ă SaigyĆ, dans lequel le narrateur, surpris par une tornade prĂšs dâEguchi, trouve refuge non loin chez une prostituĂ©e ; aprĂšs y avoir Ă©changĂ© des poĂšmes, il y passe la nuit. BashĆ insĂšre donc dans sa Sente du Bout-du-Monde une rencontre similaire avec une prostituĂ©e, mais le carnet de Sora nâen contient aucune trace[9].
Philosophie du texte
Dans lâintroduction de lâĂ©dition anglaise parue chez Penguin Books, Nobuyuki Yuasa note que BashĆ a Ă©tudiĂ© le bouddhisme zen auprĂšs dâun moine nommĂ© Buccho, mĂȘme si lâon ne peut affirmer quâil ait atteint « lâĂ©veil » (bodhi, lâobjectif ultime du bouddhiste)[10]. Quoi quâil en soit, le spĂ©cialiste du bouddhisme zen japonais Daisetz Teitaro Suzuki dĂ©crit la philosophie de BashĆ comme « lâannihilation totale du sujet et de lâobjet » dans la mĂ©ditation[11]. Yuasa apporte une analyse similaire : « BashĆ a rejetĂ© ses plus anciennes convictions, une par une, dans les annĂ©es avant son voyage, si bien quâil ne lui restait plus rien dâautre Ă rejeter que lui-mĂȘme, intĂ©rieurement et extĂ©rieurement. Il Ă©tait obligĂ© de se rejeter pour pouvoir reconstruire son identitĂ© rĂ©elle (ce quâil nomme le « moi Ă©ternel qui devient poĂ©sie »)[12]. » Yuasa ajoute que « La Sente du Bout-du-Monde est une Ă©tude de lâĂ©ternitĂ©, si profonde quâelle en devient un point fixe dressĂ© contre le cours du temps[13] ».
Traductions françaises de lâĆuvre
- Matsuo BashĆ (trad. du japonais par Nicolas Bouvier), Le Chemin Ă©troit vers les contrĂ©es du Nord : prĂ©cĂ©dĂ© par huit haĂŻku, GenĂšve/Paris, Ă©d. HĂ©ros-Limite, , 80 p. (ISBN 978-2-940358-13-7)RĂ©Ă©dition de lâouvrage de 1976.
- Oku no Hosomichi, « La Sente des Contrées secrÚtes » traduit du japonais et commenté par Jean Marc Chounavelle. Edition Olizane, GenÚve, 2019. (ISBN 978-2-88086-488-0).
- Matsuo BashĆ (trad. du japonais par RenĂ© Sieffert), Journaux de voyage (recueil), Paris, Publications orientalistes de France, , 122 p. (ISBN 2-7169-0327-1).
- Matsuo BashĆ (trad. Manda), Sur le chemin Ă©troit du Nord profond, Atelier Manda, , 128 p. (ISBN 978-2-9523257-0-7)Traduction dâextraits du journal de voyage Oku no hosomichi, calligraphiĂ©e et illustrĂ©e.
- Matsuo BashĆ (trad. du japonais par Alain Walter), LâĂtroit chemin du fond, Bordeaux, William Blake, , 267 p. (ISBN 978-2-84103-163-4).
Un livre de MichaĂ«l GlĂŒck et Annie Fabre existe avec le mĂȘme titre (en rĂ©fĂ©rence dâailleurs Ă lâĆuvre de BashĆ)[14].
Hommages
- (11288) Okunohosomichi, astéroïde nommé en mémoire.
Notes et références
- « La Sente étroite du Bout-du-Monde », sur universalis.fr, EncyclopÊdia Universalis (consulté le ).
- Voir la liste des traductions françaises de lâĆuvre.
- Temporel, « Saigyo, BashÎ et Buson : le pÚlerinage poétique », sur temporel.fr, (consulté le ).
- (en) Howard Norman, « On the Trail of a Ghost »(Archive.org ⹠Wikiwix ⹠Archive.is ⹠Google ⹠Que faire ?), National Geographic, (consulté le ).
- (en) Donald Keene, Seeds in the Heart: Japanese Literature from Earliest Times to the Late Sixteenth Century, Columbia University Press, (ISBN 0-231-11441-9), p. 681.
- (ja) Matsuo BashĆ, Oi no kobumi.
- Seiichi Iwao et TeizĆ Iyanaga, Dictionnaire historique du Japon, vol. 2, Maisonneuve & Larose, (ISBN 2-7068-1632-5, lire en ligne), p. 2128.
- (en) Haruo Shirane, Traces of Dreams: Landscape, cultural memory, and the poetry of BashĆ, Stanford University Press, , 381 p. (ISBN 0-8047-3099-7, lire en ligne), p. 225.
- (en) Donald Keene, op. cit., 1999, p. 772.
- (en) Nobuyuki Yuasa (trad. Nobuyuki Yuasa), Introduction de Narrow Road to the Deep North and Other Travel Sketches, Penguin Books, , p. 27.
- (en) Daisetz Teitaro Suzuki, The Awakening of Zen, Londres, Shambhala, , 119 p. (ISBN 978-1-57062-590-9), p. 72-73.
- Nobuyuki Yuasa, op. cit., 1966, p. 29-30.
- Nobuyuki Yuasa, op. cit., 1966, p. 37.
- « La Sente Ă©troite du Bout-du-Monde », Ăditions lâAmourier (consultĂ© le ).
Annexes
Articles connexes
Liens externes
- (ja) « Contenu de lâĆuvre en ligne »(Archive.org âą Wikiwix âą Archive.is âą Google âą Que faire ?).
- (ja) Manuscrits numĂ©risĂ©s par lâuniversitĂ© Waseda datant de lâĂ©poque Edo : , et (consultĂ© le 26 avril 2022).
- « LâĂtroit Chemin du fond », sur lechoixdeslibraires.com, Le choix des libraires (consultĂ© le ).
- Shinji Fukasawa, « « La sente étroite du bout du monde » : marcher aux cÎtés de BashÎ sur un chemin de création », Nippon.com