Joseph ibn Nagrela
Joseph ibn Nagrela (hébreu יהוסף בן שמואל הלוי הנגיד Yehossef ben Shmouel HaLevi HaNaggid, arabe ابو حسين بن النغريلة Abu Hussein bin Nagrela) est un rabbin et homme d'État andalou du XIe siècle (Grenade, le [1] - le ).
Il a assumé après son père, Samuel ibn Nagrela, les fonctions de vizir auprès du roi berbère Badis al-Muzaffar de Grenade et de Naggid (prince) de la communauté juive locale. Cependant, il se révèle moins habile que son père, qui avait réussi à se maintenir au rang le plus élevé de l'État, après celui de sultan, pendant près de trente ans (de 1027 à sa mort en 1055 ou 56). Jugé trop orgueilleux, il est en butte à l'hostilité de la population musulmane, et assassiné. « Le propagandiste de ce meurtre est Abou Ishaq qui a fait circuler des écrits incendiaires contre les Juifs[2] ». Toujours à l'instigation d’Abou Ishaq, l’assassinat de Joseph ibn Nagrela est suivi du massacre de Grenade, au cours duquel la quasi-totalité des Juifs de Grenade, soit 4 000 personnes, a trouvé la mort.
Éléments biographiques
Jeunes années
Joseph naît à Grenade, où son père occupe de hautes fonctions officielles. Il indique, en préface à l'un de ses Diwan de son père, avoir commencé à copier ces poèmes à l'âge de huit ans, et d'avoir accompagné son père sur le champ de bataille un an plus tard[1].
Son père sera son premier maître ; ce serait à l'intention de Joseph que Samuel aurait rédigé le Mevo HaTalmud (introduction méthodologique au Talmud).
Selon certains, il aurait également étudié auprès du Rav Nissim Gaon, dirigeant de la communauté juive de Kairouan, dont Joseph épousera plus tard la fille[3].
Joseph succède à son père auprès du roi, et à la tête de l'académie talmudique de Grenade. Il pourvoit à la formation de nombreux étudiants, dont le talmudiste Isaac ben Baroukh ibn Albalia et le poète Isaac ibn Ghayyat. Sa générosité est également louée par des poètes arabes.
Exécution publique
Le 30 décembre 1066, Joseph est assassiné par une foule furieuse et son corps exhibé publiquement sur une croix. Les chroniqueurs arabes contemporains de l'évènement le dépeignent comme un individu orgueilleux, incroyant, ayant publiquement raillé les principes de l'islam. Un tel portrait tranche avec celui du chroniqueur juif Abraham ibn Dawd, selon lequel Joseph avait hérité des qualités de son père, à l'exception de sa modestie.
Son caractère ostentatoire, ainsi que sa propension à nommer des Juifs à de hautes fonctions publiques attirent sur lui le courroux des Berbères, ethnie dominante de Grenade à l'époque. Bien que bénéficiant du soutien absolu de Badis, il est l'objet de plusieurs poèmes critiquees d'Abu Ishaq d'Elvira[4] et accusé de plusieurs actes de violence, de faire espionner le roi, voire de chercher à le trahir au profit du roi rival, Al-Mu'tasim d'Almería, avant de tuer celui-ci.
Les émeutiers font irruption dans le palais royal où Joseph a cherché refuge. Il tente de se cacher dans un puits à charbon et se noircit la face afin de se rendre méconnaissable, mais en vain. De nombreux Juifs de Grenade meurent le même jour et le jour suivant.
L'épouse de Joseph parvient à fuir à Lucena avec leur fils Azarya, et est entretenue par la communauté locale. Azarya meurt jeune et sans descendance.
Œuvre
On ne connaît rien de l'œuvre littéraire de Joseph, à l'exception de sa préface aux Diwan de son père. Une lettre adressée à Nissim Gaon lui est également attribuée.
Notes et références
- Dans sa préface à l'un des recueils de poésie hébraïque rédigés par son père, Joseph donne de nombreuses indications biographiques sur sa personne, dont le moment précis de sa naissance, qui se produit la veille du lundi précédant le 11 Tishrei 4796 (selon le calendrier hébraïque), correspondant au 11 Dhu al-Qi'dah 426 (selon le calendrier musulman), à 3 heures 56 minutes du soir – Diwan of Shemuel Hannaghid, éd. David S. Sassoon, Oxford University Press, 1934, p. א.
- Juifs et musulmans (DVD), K. Miské, E. Blanchard, édition Collector, 2013, 2e épisode (dans le DVD1).</
- Sur base d'une lettre à Nissim Gaon, attribuée à Joseph, et publiée dans Otzar Tov, 1881-82, pp. 45ff ; voir aussi la préface aux Diwan, p. xxiii.
- « Va, mon messager, va rapporter à tous les Cinhédjites, les pleines lunes et les lions de notre temps, ces paroles d'un homme qui les aime, qui les plaint et qui croirait manquer à ses devoirs religieux s'il ne leur donnait des conseils salutaires: Votre maître a commis une faute dont les malveillants se réjouissent: pouvant choisir son secrétaire parmi les croyants, il l'a pris parmi les infidèles! Grâce à ce secrétaire, les juifs, de méprisés qu'ils étaient, sont devenus des grands seigneurs, et maintenant leur orgueil et leur arrogance ne connaissent plus de limites. Tout à coup et sans qu'ils s'en doutassent, ils ont obtenu tout ce qu'ils pouvaient désirer; ils sont parvenus au comble des honneurs, de sorte que le singe le plus vil parmi ces mécréants compte aujourd'hui parmi ses serviteurs une foule de pieux et dévots musulmans. Et tout cela, ce n'est pas à leurs propres efforts qu'ils le doivent; non, celui qui les a élevés si haut est un homme de notre religion !... Ah ! pourquoi cet homme ne suit-il pas à leur égard l'exemple que lui ont donné les princes bons et dévots d'autrefois ? Pourquoi ne les remet-il pas à leur place, pourquoi ne les rend-il pas les plus vils des mortels ? Alors, marchant par troupes, ils mèneraient au milieu de nous une vie errante, en butte à notre dédain et à notre mépris ; alors ils ne traiteraient pas nos nobles avec hauteur, nos saints avec arrogance; alors ils ne s'assiéraient pas à nos côtés, ces hommes de race impure, et ils ne chevaucheraient pas côte à côte des grands seigneurs de la cour! O Bâdîs! Vous êtes un homme d'une grande sagacité et vos conjectures équivalent à la certitude: comment se fait-il donc que vous ne voyiez pas le mal que font ces diables dont les cornes se montrent partout dans vos domaines? Comment pouvez-vous avoir de l'affection pour ces bâtards qui vous ont rendu odieux au genre humain ? De quel droit espérez-vous d'affermir votre pouvoir, quand ces gens-là détruisent ce que vous bâtissez ? Comment pouvez-vous accorder une si aveugle confiance à un scélérat et en faire votre ami intime ? Avez-vous donc oublié que le Tout-Puissant dit dans l'Écriture qu'il ne faut pas se lier avec des scélérats ? Ne prenez donc pas ces hommes pour vos ministres, mais abandonnez-les aux malédictions, car toute la terre crie contre eux; bientôt elle tremblera et alors nous périrons tous!... Portez vos regards sur d'autres pays et vous verrez que partout on traite les juifs comme des chiens et qu'on les tient à l'écart. Pourquoi vous seul en agiriez-vous autrement, vous qui êtes un prince chéri de vos peuples, vous qui êtes issu d'une illustre lignée de rois, vous qui primez vos contemporains, de même que vos ancêtres primaient les leurs? Arrivé à Grenade, j'ai vu que les juifs y régnaient. Ils avaient divisé entre eux la capitale et les provinces; partout commandait un de ces maudits. Ils percevaient les contributions, ils faisaient bonne chère, ils étaient magnifiquement vêtus, au lieu que vos hardes, ô musulmans, étaient vieilles et usées. Tous les secrets d'Etat leur étaient connus ; quelle imprudence que de les confier à des traîtres! Les croyants faisaient un mauvais repas à un dirhem par tête; mais eux, ils dînaient somptueusement dans le palais. Ils vous ont supplantés dans la faveur de votre maître, ô musulmans, et vous ne les en empêchez pas, vous les laissez faire ? Leurs prières résonnent tout comme les vôtres; ne l'entendez-vous pas, ne le voyez-vous pas ? Ils tuent des bœufs et des moutons sur nos marchés, et vous mangez sans scrupule la chair des animaux tués par eux! Le chef de ces singes a enrichi son hôtel d'incrustations de marbre ; il y a fait construire des fontaines d'où coule l'eau la plus pure, et pendant qu'il nous fait attendre à sa porte, il se moque de nous et de notre religion. Dieu, quel malheur ! Si je disais qu'il est aussi riche que vous, ô mon roi, je dirais la vérité. Ah! hâtez-vous de l'égorger et de l'offrir en holocauste; sacrifiez-le, c'est un bélier gras ! N'épargnez pas davantage ses parents et ses alliés; eux aussi ont amassé des trésors immenses. Prenez leur argent; vous y avez plus de droit qu'eux. Ne croyez pas que ce serait une perfidie que de les tuer ; non, la vraie perfidie, ce serait de les laisser régner, ils ont rompu le pacte qu'ils avaient conclu avec nous; qui donc oserait vous blâmer si vous punissez des parjures? Comment pourrions-nous aspirer à nous distinguer, quand nous vivons dans l'obscurité et que les juifs nous éblouissent par l'éclat des grandeurs? Comparés avec eux, nous sommes méprisés, et l'on dirait vraiment que nous sommes des scélérats et que ces bommes-là sont d'honnêtes gens ! Ne souffrez plus qu'ils nous traitent comme ils l'ont fait jusqu'à présent, car vous nous répondrez de leur conduite. Rappelez-vous aussi qu'un jour vous devrez rendre compte à l'Eternel de la manière dont vous aurez traité le peuple qu'il a élu et qui jouira de la béatitude éternelle ! » Ce poème fut la cause de la ruine des juifs. Le juif maudit dont il a été question, était tellement rempli de présomption et d'orgueil, qu'il eut l'audace de tourner en ridicule certains versets du Coran et de déclarer en public que les dogmes musulmans étaient absurdes. Dieu l'en a puni d'une manière terrible! Je possède une copie que j'ai faite moi-même du traité que le vizir Abou-Mohammed ibn-Hazm a composé pour réfuter les objections faites par ce juif contre plusieurs versets du Coran. Abou-Ishâc mourut vers la fin de l'année 459. Il fut enterré à Elvira. », traduit et publiée par Philippe Remacle
Cet article contient des extraits de l'article « NAGDELA (NAGRELA), ABU ḤUSAIN JOSEPH IBN » par Richard Gottheil & Meyer Kayserling de la Jewish Encyclopedia de 1901–1906 dont le contenu se trouve dans le domaine public.